"Aussitôt pris,
je lâchai les commandes, me
cramponnant au siège pour ne point me laisser projeter au -
dehors. Les secousses étaient si dures que les courroies me
blessaient les épaules et eussent sauté. Le givrage, de
plus m'avait privé net de tout horizon instrumental et je fus
roulé comme un drapeau, de six mille à trois mille cinq.
"A trois mille cinq j'entrevis une masse noire, horizontale, qui me
permit de rétablir l'avion. C'était un étang que
je reconnus: La Laguna Diamante. ...Je tournai donc autour de la
lagune, à trente mètres d'altitude, jusqu'à la
panne d'essence. Après deux heures de manège, je me posai
et capotai. Quand je me dégageai de l'avion, la tempête me
renversa. Je me rétablis sur mes pieds, elle me renversa encore.
..."Après quoi, la tempête apaisée, je me mis en
marche. Je marchais cinq jours et quatre nuits."
...Et, en effet, quand tu
glissais, tu devais te redresser vite, afin de n'être
point changé en pierre. Le froid te pétrifiait de seconde
en seconde, et, pour avoir goûté, après la chute,
une minute de repos de trop, tu devais faire jouer, pour te relever,
des muscles morts. Tu résistais aux tentations."Dans la neige,
me disais-tu, on perd tout instinct de conservation. Après deux,
trois, quatre jours de marche, on ne souhaite plus que le sommeil. Je
le souhaitais. Mais je me disais: Ma femme, si elle croit que je vis,
croit que je marche. Les camarades croient que je marche. Ils ont tous
confiance en moi. Et je suis un salaud si je ne marche pas."
...Mais
que restait-il de toi, Guillaumet? Nous te retrouvions bien,
mais calciné, mais racorni, mais rapetissé comme une
vieille! Le soir même, en avion, je te ramenai à Mendoza
où des draps blancs coulaient sur toi comme un baume. Mais ils
ne te guérissaient pas. Tu étais encombré de ce
corps courbatu, que tu tournais et retournais, sans parvenir à
le loger dans le sommeil. Ton corps n'oubliais pas les rochers ni les
neiges. Ils te marquaient. J'observais ton visage noir,
tuméfié, semblable à un fruit blet qui a
reçu des coups. Tu étais très laid, et
misérable, ayant perdu l'usage des beaux outils de ton travail:
tes mains demeuraient gourdes, et quand, pour respirer, tu t'asseyais
sur le bord de ton lit, tes pieds gelés pendaient comme deux
poids morts. Tu n'avais même pas terminé ton voyage, tu
haletais encore, et, lorsque tu te retournais contre l'oreiller, pour
chercher la paix, alors une procession d'images que tu ne pouvais
retenir, une procession qui s'impatientait dans les coulisses,
aussitôt se mettait en branle sous ton crâne.
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