Les prêts à l'Allemagne  source  PRESSE de 1931/02/15                                  AEROPOSTALE 

«L'intermède inutile», écrit M. C.I. Gignoux (JOURNEE INDUSTRIELLE), du débat qui a eu lieu à la Chambre à propos des opérations de crédits consentis au Reich. A l'appui de son sentiment, notre confrère argue que le plan Young, voté à une grosse majorité par le Parlement, prévoit de telles opérations. C'est juste. Ce qui l'est moins, c'est de déclarer inutile une discussion qui doit tout naturellement mettre en cause toute notre politique extérieure solide dans une erreur initiale que Berlin contribue chaque jour plii.s à mettre en relief.
M. Martin-Mamy (AMI DU PEUPLE du soir) porte un jugement d'une vive netteté sur la leçon de l'événement.
M. Flandin a insisté sur le peu d'importance de la somme prêtée. Mais il a apporté un autre argument dont on aura à reparler et qui contient en lui une condamnation sévère de la politique faite jusqu'ici à l'égard de l'Allemagne. Selon lui, l'emprunt qui vient d'être consenti est une conséquence normale et obligée de la politique de collaboration. Il s'ensuit que la France se trouve placée dans ce dilemme: ou bien prêter de l'argent au Reich, et l'aider ainsi à s'équiper et à s'armer ou bien se refuser à lui en prêter, et alors se mettre dans la position d'un pays qui ne tient pas ses engagements. Certes, nous n'avons jamais ménagé ici la folle politique extérieure faite au cours de ces dernières années. Mais nous n'avons jamais été aussi sévères pour elle que Flandin.
Le JOURNAL DES DEBATS confirme, à la lumière des derniers discours au Reichstag, le trait de M. Martin-Mamy. Pendant que la Chambre française est invitée à tirer correctement les conséquences du plan Young, et à approuver les opérations bancaires, le docteur Curtius parle, il parle clairement et pose des conditions  inacceptables de la détente européenne. Un journal, comme la Gazette de Voss, qui ne compte pas parmi les plus pangermanistes, écrit tranquillement que le programme Curtius peut-être ainsi résumé «politique de révision par les moyens actuellement praticables». C'est l'annonce de grosses difficultés qui ne sont pas très éloignées. La politique de paix est celle de tous les partis. Ce qui appartient en propre aux partis qui ont dominé en 1924 et qui ont imposé ensuite les concessions de M. Briand, c'est le choix des méthodes. Et ces méthodes conduisent aux résultats les plus douteux aujourd'hui, les plus périlleux demain.

Qui est en mesure de le nier ?

LES AGENTS
L'AMI DU PEUPLE du matin, dont la courageuse et tenace campagne pour la protection de l'épargne rend l'intervention particulièrement autorisée, montre la finance internationale à l'œuvre, et en regard une Allemagne travaillée par une volonté de revanche effective. L'emprunt actuel apparaît, une fois de plus, comme  un expédient financier de mauvais aloi, que favorisent malheureusement chez nous des combinaisons bancaires intéressées, agissant en plein accord avec la politique d'affaires du Quai d'Orsay.
C'est M. Briand et le pavillon de Locarno qui couvrent cette opération suspecte. Et les lecteurs de L'Ami du Peuple ne seront pas surpris d'apprendre qu'au premier rang des banques internationales, qui font ainsi le jeu de l'Allemagne, se trouve cette «grande banque trop puissante dans l'Etat trop faible», dont ils ont si souvent entendu parler à propos des emprunts étrangers impayés. C'est l'argent de ses déposants, qui va être, une fois de plus, engagé dans cette aventure, dont il courra tous les risques, tandis qu'elle en aura tous les profits.
Opération bancaire normale, dira-t-on, et dont le Parlement n'aurait même pas avoir à s'occuper. Mais alors pourquoi donc, s'il s'agissait d'une affaire si courante, cette grande banque a-t-elle éprouvé le besoin de se couvrir d'une double autorisation gouvernementale, comme pour mieux gager sa responsabilité,  en y substituant celle du ministère ?
Car ce qu'il y a de particulièrement piquant en cette affaire que voudraient exploiter les partis de gauche, contre le gouvernement actuel c'est que l'autorisation  sollicitée a été donnée, une première fois, le 6 janvier, par M. Germain-Martin, sous le ministère Steeg.
Celui-ci avant été renversé, la grande Banque, trop puissante au Quai d'Orsay, dut renouveler sa demande et ce fut, cette fois, M. Flandin qui, après avoir pris  l'avis entièrement favorable du Quai d'Orsay (comme pour la S.N.I.A. Viscosa), crut devoir renouveler l'autorisation précédemment accordée. Mais de ce que le  ministère Laval l'avalise si l'on peut dire cette opération ne nous parait pas plus recommandable que lorsque c'était M. Steeg qui en prenait la responsabilité. Nous  y voyons, au contraire, la preuve que sous des gouvernements si différents et dont la politique devrait être opposée, subsiste immuable l'influence toute puissante d'une certaine finance internationale, qui trouve son point d'appui au Quai d'Orsay et, grâce a Briand, réussit à réaliser, sous tous les ministères, au  bénéfice de l'Allemagne et au détriment de l'épargne française, les louches combinaisons qu'elle juge profitables à ses intérêts immédiats. C'est M. Briand le grand  responsable, le pays s'en souviendra!
Et avec M. Briand, les Chambres qui ont applaudi, à la presque unanimité, des discours dont tout l'art était d'éluder les réalités.

BERCEUSE LOCARNISTE
Pour la VOLONTE, M. Curtius a très bien parlé, «avec franchise» (c'est vrai). M. Curtius a dit en somme que l'Allemagne se rallie loyalement à la politique de paix,  à la Société des nations et à l'Union européenne, pourvu que ce ralliement finisse par lui apporter des satisfactions qu'elle estime légitimes.
Qu'est-ce qu'il y a d'extraordinaire à cela ? En vérité, c'est le contraire qui serait extraordinaire, qui serait suspect, reste à savoir si les revendications allemandes  sont incompatibles avec les intérêts de la France. Nous disons ici que, dans l'absolu (car il faut tenir compte du facteur temps et du facteur méthode), ces revendications ne nous effrayent pas. Elles paraissent même très acceptables à des Français qui passent pour être plus «modérés» que nous.
Quelle triste folie Il est vrai que la Volonté prend sa référence à la revue Politique, organe des démocrates populaires. Des Français «modérés» à la façon de M. Cornilleau qui se découvrait, il y a deux ans, des liens de cœur avec la Commune de 1871, avec l'exact état d'esprit qui prévaut dans l'enseignement des Universités soviétiques. Le manifeste révolutionnaire de Politique est du même goût.

La REPUBLIQUE:
Quoi qu'il en soit, demain, l'Europe saura, l'Allemagne saura, que grâce aux radicaux, grâce aux républicains de chez nous, une preuve d'intérêt a été donnée au $ peuple qui souffre, une manifestation de solidarité envers une nation blessée par la crise économique, a été accomplie. C'est ainsi plus l'Allemagne se fait exigeante, plus nos apôtres du rapprochement accentuent leurs thèses et leurs sentiments. On arrive à se demander si le programme annexionniste du Stresemann de 1916 obtiendrait d'eux une réaction.
La NATIONAL ZEITUNG de Bàle, qui a une vue si nette de la politique européenne, a autrement de sagesse et montre un amour plus clairvoyant de la paix lorsqu'elle s'inquiète, au sujet du discours Curtius, de la poussée révisionniste. Il n'y a pas une révision, en effet, qui arrache simplement des territoires à certains Etats pour les donner à l'Allemagne, à la Hongrie et à la Bulgarie. Cela n'impliquerait pas uniquement l'annulation des traités de 1919, sur lesquels repose tout  l'ordre territorial de l'Europe. Cela impliquerait en même temps l'annulation de tous les traités, et, les fondements étant ainsi ébranlés, tout l'édifice européen s'écroulerait. S'il faut répéter sans cesse cette observation, ce n'est pas parce que les frontières existantes paraissent idéales, mais parce que toute tentative de les ébranler, aggrave la crise, menace la sécurité, et, finalement, aboutira à la guerre.

C'est ce que, «dans l'absolu», la Volonté juge acceptable...