L'ANNEE POLITIQUE, une ténébreuse affaire: l'affaire des faux de l'aviation source        AÉROPOSTALE    

Le 31 mars 1931, la compagnie de navigation aérienne l'Aéropostale, atteinte par la crise mondiale, dépose son "bilan". A partir de 1927, elle se trouvait grevée d'un passif énorme à court terme. La nature de ce passif était déterminé par le fait que la convention avec l'Etat expirait en 1934 et que les obligations émises étaient à échéance de cette année-là. La gestion du groupe Bouilloux-Lafont, dans le contrôle, de qui était la Société depuis 1927, tablait évidemment sur le renouvellement de la convention. En 1929, une nouvelle convention de vingt ans étaient bien approuvée par le ministre de l'Air, mais elle ne fut jamais présentée à la ratification des Chambres.
La société, dont les lignes reliaient la France à l'Argentine et au Brésil, fut reprise, en fait, par l'Etat, ainsi qu'il advint, à peu près vers la même époque, pour la Compagnie Transatlantique. Un conseil de direction, présidé par M. Dautry, directeur du réseau de l'Etat, fut adjoint au liquidateur judiciaire, ce qui enlevait aux anciens dirigeants la plénitude de leurs pouvoirs.
A qui allait échoir ce magnifique héritage momentanément abandonné? Les candidats à la succession ne manquaient pas et au sein même du conseil, une lutte ardente, quoique cachée, opposa bientôt M. André Bouilloux-Lafont, fils de M. Marcel Bouilloux-Lafont, et M. Emmanuel Chaumié, directeur de l'Aéronautique, fils de l'ancien ministre, qui avaient été désignés l'un et l'autre pour en faire partie.
Au début de 1932, il courut toutes sortes de rumeurs sur le compte de M. Chaumié. Il vint aux oreilles de M. André Bouilloux-Lafont que le groupe dont il redoutait, lui et son père, ces tentatives d'évincement, entretenait des tractations avec des firmes étrangères pour financer la réorganisation de l'Aéropostale. Des documents lui furent apportés. De mars à juillet 1932, M. André Bouilloux-Lafont montra à diverses personnalités des photos de ces documents ayant pour but d'établir que la majorité des actions de la société des moteurs Gnome et Rhône avait été achetée par une société de navigation allemande, la Deutsche Lufthansa; que la société Gnome et Rhône avait fondé, en collaboration avec la Lufthansa et un groupement espagnol, une société destinée à concurrencer l'Aéropostale en Amérique du Sud, et que M. Paul-Louis Weiller aurait versé 225.000 francs à M. Chaumié pour favoriser cette nouvelle société au détriment de l'Aéropostale.
De mars à septembre 1932, M. André Bouilloux-Lafont présenta sa collection de photographies, réunie en une sorte d'album, à M. Tardieu, à M. Guernier, ministre des Travaux-publics, à M. Piétri, ministre de la Défense nationale, puis à M. Herriot, à M. Fournier, sous-gouverneur de la Banque de France, à M. Dautry, directeur du réseau de l'Etat, à M. Deschizeaux, député.
Le 21 juin 1932, il montrait son dossier à M. P.-P. Painlevé, devenu ministre de l'Air. Dix des pièces en question avaient été authentifiées par MM. de Rougemont et Dupont-Ferrier, experts près le tribunal de la Seine. P.-P. Painlevé demanda à M. Bouilloux-Lafont de communiquer ce dossier au général Weygand, ce qui fut fait. Le 3 avril, P.P. Painlevé, exaspéré, rendu foii furieux parce qu'on dénonçait la gabegie de ses services, déposait une plainte en faux contre X..., à laquelle M. Bouilloux-Lafont répondit, le 10 septembre, par une plainte en corruption contre M. Weiller, qu'il retira, d'ailleurs, peu après, le 22 octobre.
«Il est prouvé, dit l'accusation, que toutes les pièces du dossier de M. Bouilloux-Lafont sont des faux.» M. de. Lubersac, un des informateurs de M. Bouilloux-Lafont, a reconnu avoir fourni à celui-ci des renseignements concernant les paiements de deux chèques Weiller à l'ordre Dumesnil. Il fut inculpé. Inculpé également un autre informateur, le sieur Collin dit Lucco, qui reconnut avoir fabriqué tous les documents, mais qui déclara l'avoir fait à l'instigation de M. Bouilloux-Lafont, contre une somme de 6.000 francs. Il nia toutefois avoir fabriqué certaines des pièces du dossier, divers rapports de la Sûreté générale, la lettre de M. Painlevé à l'attaché militaire en Roumanie pour recommander les moteurs Gnome ei Rhône, la lettre de M, Chaumié à M. Weiller en date du 5 juin 1931. la note en italien désignant comme un espion M. Massimi, directeur chez Latécoère, ainsi que l'ordre de paiement de 15.000 francs du 2e bureau signé «Rose».
M. Bouilloux-Lafont fut arrêté le 23 novembre 1932, à la veille d'une interpellation à la Chambre déposée à l'instigation des socialistes, désireux de déconsidérer M. Flandin jadis avocat-conseil de lAéropostale. Ces débats, au cours desquels le garde des Sceaux René Renoult laissa échapper de suggestifs aveux sur «la forte impression» que peuvent avoir sur la justice les séances parlementaires devaient d'ailleurs atteindre M. Léon Blum encore plus que M. Flandin.
Rien ne justifiait l'inculpation de M. Bouilloux-Lafont contre lequel on n'a pu relever, au Parquet, qu'une «impression générale». Rien, hormis les accusations de Lucco, repris de justice, indicateur de police, et protégé de M. Weiller par-dessus le marché, ce qui est bien singulier. Le Parquet a «marché» sur l'injonction de M. Painlevé et de M. Léon Blum.
M. Bouilloux-Lafont a protesté énergiquement contre les accusations relevées à sa charge. Il avait cru, dit-il, que Lucco était un agent du 2e bureau, et cela lui avait donné
confiance dans l'authenticité des documents que celui-ci lui avait donnés contre remise, de 50.000 francs. Picherie, le quatrième inculpé, a reconnu avoir remis à Collin du papier à entête de la Sûreté générale, sur lequel devaient être établis les faux rapports signés «Lahure» et «Dufourcq». En septembre 1932, en outre, Picherie, pour laisser croire à M. Portais, ami de M. Bouilloux-Lafont, que de nouveaux renseignements pourraient être apportés, consentit à jouer le rôle de collaborateur du commissaire Faux-Pas-Bidet, au cours d'une entrevue qui eut lieu aux Champs-Elysées. L'accusation, s'appesantit fort peu sur cet épisode singulier et sur Je rôle de Faux-Pas-Bidet, qui versait des mensualités à Lucco en tant qu'indicateur et qui continua par la suite à lui faire ces versements, même après avoir eu communication des documents et avoir acquis la certitude —- il l'a reconnu — qu'ils étaient apocryphes. (Dont l'authenticité n'est pas établie).

Après dix audiences qui se déroulèrent devant un public passionné, le jury — fait évidemment d'avance — condamna M. Bouilloux-Lafont à un an de, prison avec sursis. Une fois de plus, la justice a couvert les bas policiers dont M. Bouilloux-Lafont avait été la victime, et n'a pas voulu rechercher qui avait fait agir ces tristes individus.