René Couzinet est né en Vendée
en 1904. À 17 ans, il entre aux Arts et Métiers, puis à
20 ans, à l'Ecole Supérieure d'Aéronautique. Il dépose
brevet sur brevet... déjà.
Son périple militaire le conduit sous-lieutenant
observateur au Bourget. Là, il vole beaucoup, encadré par
les pilotes chevronnés de la guerre 14-18, qui avait vu fournir
un effort considérable: 200 appareils en 1914, 4 500 en 1918.
C'est l'époque des grands raids, au sein d'une
émulation internationale extraordinaire. Ainsi, le 8 mai 1927, il
voit décoller Nungesser et Coli dans « L'Oiseau blanc »
pour rallier New-York... où ils n'arriveront jamais. Le 21 mai 1927
il est là aussi, en qualité d'officier de service de nuit,
pour arracher Lindbergh à la foule en délire. Après
33 heures de vol, il vient de réussir la traversée de l'Atlantique
Nord sur un frêle monomoteur (d'ouest en est, plus facile avec les
vents dominants: le Boeing 747 met une heure de moins que d'est en ouest).
Tout en participant à la liesse générale,
René Couzinet s'insurge contre ces tentatives en monomoteur, connaissant
à la fois la fiabilité et les limites d'une mécanique.
Il juge cela de la folie et pense trimoteur; son propriétaire,
M. Mallet, un ancien pilote, s'emballe, lui prête 50 000 francs,
et c'est le début de l'aventure.
La construction démarre aussitôt, avec
un budget cahin-caha, les concours venant sous toutes les formes, dont
le prêt, par Hispano-Suiza, des trois moteurs.
Mars 1928
René Couzinet présente l'Arc-en-Ciel
à la presse, et déclenche un concert d'éloges dans
les journaux du monde entier. Les parlementaires participent
à la fièvre générale et prêtent à
l'aviation serment de dévouement et fidélité.
L'Arc-en-Ciel
Qu'a-t-il donc d'extraordinaire cet Arc-en-Ciel, conçu et réalisé
par un ingénieur de 24 ans?
-
Il dénonce l'audace et l'irrévérence de son
créateur, de construire, sans marché d'État, un avion
révolutionnaire;
-
en bois entoilé, il pèse 10 tonnes et fait 27 mètres
d'envergure;
-
il a un aérodynamiseme parfait avec un coefficient de 14,7
jamais atteint, une grande finesse malgré les ailes épaisses(Cesera
la ligne du Dakota des années plus tard);
-
il a le fuselage posé sur les ailes ce qui évite tout
effort anormal sans nuire à l'équilibre (contrairement aux
Latécoère monoplans avec haubans, cabine ouverte en arrière
qui succèderont aux Bréguet biplans);
-
il a la possibilité de voler avec deux et même un seul moteur
en cas de panne;
-
tous les moteurs, tuyauteries, cables, joints, flexibles, robinets, etc...
sont accessibles en vol par un passage de 70 cm, mais le mécanicien
peut se tenir debout dans l'aile, à son poste de travail;
-
il loge 6 300 litres d'essence contenue dans sept réservoirs placés
dans les ailes, assurant une autonomie de 10 000 km;
-
il a un train d'aterrissage à large voie pour la stabilité,
avec des amortisseurs faits de multiples anneaux qui donnent l'élasticité;
-
il a une carlingue fermée à trois cabines;
-
on peut vidanger toute l'essence en 58 secondes en cas de problème,
et les caissons vides assurent alors la flotabilité en cas d'amerrissage;
-
enfin, malgré ses 10 tonnes en ordre de vol, il peut atteindre 260
km/h (les Bréguet en sont à 150 km/h).
En résumé, il a une forte charge au m2
de voilure, mais une faible charge au cheval-vapeur.
Mais voilà: l'Administration a des normes
officielles: 50 kg/m2
d'aile et René Couzinet charge
à 100 kg/m2. Les services techniques refusent l'autorisation
de vol. C'est une des raisons de plus pour aller vite ( et c'est lui qui
paie! ) et René Couzinet dit au directeur d'Orly:
« Je vous aime bien, mais si dans 5 minutes
vous êtes encore devant l'avion, je vous passe dessus ».
Et l'Arc-en-Ciel roule et décolle en 10 secondes
à vitesse réduite. Vol et aterrissage parfaits. Enthousiasme
indescriptible. L'Atlantique est à portée de main, on a bien
l'avion de l'avenir.
Août 1928
L'Arc-En-Ciel a 12 heures de vol et il est présenté
à une délégation des Arts et Métiers. Et c'est
le drame. Le pilote Drouhin, dans son désir de bien faire et d'éblouir,
monte normalement, puis pique vers le sol. Les réservoirs sont vides,
l'aile en survitesse vibre, entre en résonnance; il remonte en
chandelle, se stabilise mais trop tard: l'avion heurte un hangar militaire
de l'aile. Gianoli ingénieur et Manuel radio sont légèrement
blessés. Lanet mécanicien qui n'a pas pu rejoindre l'arrière
est décapité. Drouhin, la cuisse arrachée, meurt dans
la nuit. C'est la consternation. René Couzinet reçoit le
réconfort du ministre du Commerce et de l'Industrie:
« Malgré l'accident, c'est une
oeuvre admirable et, en tant que Ministre de l'Aviation, je tiens à
vous dire que nous ne vous abandonnerons pas. »
Il lui commande trois Arc-en-Ciel. Mais le ministre
se tue et quand René Couzinet fera état de cette commande,
il lui sera répondu:
« M. Couzinet, il n'y a rien de signé.
Les ministres passent, les fonctionnaires restent. »
Alors les pilotes civils ouvrent une souscription
pour aider les familles des victimes et participer aux frais. Les amis,
des particuliers, envoient de l'argent. Puis c'est la ville de Biarritz
qui ouvre une souscription pour reconstruire l'Arc-en-Ciel, bientôt
suivie par Angers, l'Aéro-club de l'Ouest, Cannes, Pau, Nantes,
Niort, l'Afrique du Nord... qui organisent des manifestations pour récupérer
des fonds. L'Administration elle-même s'émeut et commande
2 avions trimoteurs postaux (dont un pour Bordeaux-Genève).
René Couzinet s'installe à Meudon et
travaille. La firme Walter prête les moteurs pour les trimoteurs
postaux, Hispano-Suiza reprête les moteurs pour le deuxième
Arc-en-Ciel mis en chantier en même temps qu'un hydroglisseur. C'est
l'enthousiasme, et le succès est là raisonnablement.
C'est alors que les parents Couzinet reçoivent le télégramme:
« Usine et contenu complètements
brûlés. Dégâts forcément considérables
entièrement couverts par l'assurance. Nous recommencerons. Vous
écrirai
sous peu. René. »
Le feu a éclaté à neuf heures
du soir. Mais l'eau est coupée dans le quartier sans explication.
Tout brûle: plans, calculs et documents, l'Arc-en-Ciel et les deux
trimoteurs en cours, plus l'hydroglisseur qui d'effondre sur le chariot
dont les roues avaient été desserrées la veille pour
entretien.
Immédiatement les témoignages de sympathie,
d'attachement et de soutien fusent de toutes parts et René Couzinet
s'installe dans l'île de la Jatte au nord de Paris.
Décembre 1930
Au 12e salon aéronautique,
il présente un quadrimoteur destiné à l'école
de pilotage sur multimoteur avec aterrisseur escamotable. Il présente
ainsi le premier brevet de train d'aterrissage escamotable dans les fuseaux
moteurs. Cet appareil sera transformé plus tard en bimoteur pour
entrainement aérien, puis abandonné.
Fin 1931
On déborde d'activité dans l'île
de la Jatte (L’île de la Jatte, autrefois appelée île de la
Grande Jatte, est une île sur la Seine, située dans le département des
Hauts-de-Seine et partagée entre les deux communes de Neuilly-sur-Seine
et Levallois-Perret), autour du 3e Arc-en-Ciel pour lequel Hispano-Suiza
reprête les moteurs, et autour de divers prototypes. Le ministre
de l'Air, Pierre Cot, est chargé par la Direction Technique et industrielle
de l'Armée, de confier à René Couzinet la fabrication
de 10 appareils. Il est conscient que c'est nécessaire pour faire
déboucher l'entreprise sur une voie industrielle normale dont il
attend des résultats bénéfiques pour la construction
aéronautique
française. Mais en 1932, le trimoteur Air Couzinet 40 ne résiste
pas au changement de ministre et sera réformé deux ans plus
tard.
1932
L'Arc-en-Ciel est prêt, plus lourd, plus
rapide, plus autonome. L'envergure est portée à 30 mètres
et la charge à 160 kg/m2 (les américains
chargeront le Sikorski à 140 kg/m2 seulement deux ans
plus tard). Ce troisième Arc-en-Ciel décolle en 150 mètres
à 7900 kg de charge. Vitesse 285 km/h. Autonomie 11 000 km.
Dans l'intervalle, au 13e salon aéronautique,
René Couzinet avait présenté le Biarritz (en hommage
à la ville). Il sera affecté à l'escadrille ministérielle
pour un voyage en URSS, mais surtout le Biarritz a assuré la première
liaison France - Nouvelle Calédonie.
Alors qu'il n'avait que 27 heures de vol, Charles
De Verneilh part pour un voyage de 18 jours avec 21 escales. A la vitesse
de 185 KM/H, il a parcouru 24 000 km en 134 heures de vol. Avec seulement
un changement d'hélices à Nouméa ils attendaient un
avion à ailes hautes comme sur les images et n'avaient pas coupé
les palmiers! et un changement de bougies
à Brisbane. Performances mondialement inégalées.
Epreuve réussie de refroidissement des moteurs sous les climats
équatoriaux. Seules difficultés: les pistes de sable, herbe,
cailloux, etc... Cet appareil s'écrasera en 1933 dans le brouillard
près de Dijon et Charles De Verneilh est tué dans cet accident.
Bien que l'Administration maintienne sa position
concernant la charge au m2 et le principe de l'avion sur terre
et l'hydravion sur la mer, René Couzinet sait que l'Arc-en-Ciel
est prêt pour l'Atlantique. Il se rend donc à Istres, en 2
h 30 mn, à la vitesse de de 256 km/h.
Reste le choix du pilote. René Couzinet ne
souhaite pas que ce soit Jean Mermoz déjà très célèbre.
Il veut la réussite de son avion sans que la personnalité
du pilote risque de donner un caractère de grand spectacle.
Rendez-vous est cependant fixé au Touquet
le 13 Aout 1932.
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1901-1923
Jean Mermoz est né dans l'Aisne en 1901.
Il a un an et demi quand sa mère quitte le foyer avec lui. Elle
est fraîchement accueillie par la famile et part peu après
à Paris pour gagner sa vie. Cela ne se faisait pas à l'époque,
mais explique peut-être les relations privilégiées
de Mermoz et sa mère.
Pendant la guerre il est au lycée d'Aurillac
pendant que sa mère est infirmière au front. Son échec
au bac détruit ses idées d'ingénieur et il fait aussitôt
son service militaire... dans l'aviation. Il y avait à l'époque,
disait-il, deux corvées: les cailloux à ramasser et les
enterrements. On mourait bien à Istres, tant les avions, vestiges
de la guerre, étaient pitoyables. 17 enterrements en trois mois! Lui-même se tire d'un accident avec fractures du tibia et de la
mâchoire.
Il passe son brevet de pilote; mais, pour voler,il
faut un engagement de 4 ans. Il est affecté en escadrille à
Palmyre et, pendant 18 mois, il va découvrir l'Orient et la fascination
du désert où il manque de peu de mourir de soif après
un accident. Il accumule les heures de vol: mitraillages de tribus en
dissidence,ravitaillement des postes isolés, avion sanitaire. Il
rentre en france avec le paludisme et termine son temps à Thionville
où il rencontre Guillaumet.
Il quittera l'armée sans regrets, avec 600
heures de vol et plein de citations. Il a 21 ans.
Après quoi il se retrouve sans emploi sur le pavé de Paris.
Il ne s'agitplus de voler, mais de manger. Il fait des petits travaux:
gardien de nuit, balayage, adresses et courrier... et passe à l'hôtel
(où il ne loge pas! ) en attente de réponses à ses
demandes d'emploi. Enfin, en 1924, il est convoqué à Toulouse chez Latécoère.
La ligne
Depuis 1919, Pierre Latécoère assure
une liaison aérienne Toulouse - Casablanca avec les sacs postaux.
Mais il a le projet de la grande plongée vers le Sud, et pourquoi-pas
l'Amérique? C'est son adjoint,Didier Daurat, qui a donné
à cette folle entreprise une cohésion exceptionnelle.
Et dès 1923, il a déjà ouvert la ligne jusqu'à
Dakar par Casablanca,Agadir, Cap-Juby, Cisneros, Port-Etienne et St Louis
du Sénégal.
Ce sont des escales techniques nécessaires, les pilotes suivant
impérativement la côte, seul point de repère: un phare
à l'embouchure du Rio Ouro!
Didier Daurat est un chef énergique et sans
défaillance, exigeant tout de ses pilotes et de lui-même,
animé d'une foi ardente qu'il inculque de gré ou de force.
Avec lui, le courrier est devenu une religion,malgré
les conditions de vol sommaire: absence de radio, météo
inexistante,appareils peu fiables. Ce sont des Bréguet rachetés
après la guerre, sans frein ni roue directrice. Les manuvres se
font à coups de moteur et le mécano s'accroche au bout de
l'aile pour maintenir la direction avant l'arrêt complet. Ils ont
naturellement la cabine ouverte, le pilote attaquant de face la grêle,
les cataractes tropicales, les rafales, le soleil, avec des écarts
de tempétrature de 20°, parfois 30°.
On y entassait le courrier, avec, parfois, un passager
enthousiaste assis sur les sacs.
1924
Jean Mermoz arrive à Toulouse, et présente
à Didier Daurat ses brevets et ses 600 heures de vol... C'est pour
aller nettoyer les cylindres, monter et démonter les moteurs pendant
de longues semaines qui pourtant n'auront pas été inutiles
pour la souplesse des hommes, la connaissance des mécaniques, et
la cohésion des futurs équipages.
Enfin Mermoz est appelé pour sa présentation
en vol. Il est éblouissant de maîtrise d'un bout à
l'autre. Mais à l'aterrissage, Didier Daurat n'est pas sur la piste.
Mermoz le rejoint au bureau pour s'entendre dire:
«Ici nous n'engageons pas d'acrobates.
Si vous voulez faire du cirque, allez vous faire voir ailleurs.»
Mermoz furieux va faire son baluchon. Mais Daurat
le rejoint:
« Retournez sur la piste. Montez lentement
à 200 mètres. Virez à plat. Revenez face au terrain.
Prenez de très loin votre atterrissage.
C'est comme ça qu'on travaille à
la ligne. » Naturellement Didier Daurat n'est pas resté
le voir faire, il avait compris.
Hiver 1925-1926
Mermoz vole 27 jours par mois: Toulouse, Barcelone,
Alicante, Malaga et retour.
Mars 1926
Il prend ses fonctions au Maroc: Casablanca-Dakar
avec les étapes nécessaires, dont Cap Juby où l'on
change « de monte et de monture ».
1927
Il est chef d'aéroplace à Cap Juby
et peu enthousiaste de vivre dans une baraque en tôle ondulée,
entourée de barbelés avec le pénitencier espagnol
et voir les autres décoller... sur la plage. Il y sera remplacé
par Saint-Exupéry.
Et c'est la ronde des Bréguet 14 avec une
caisse de vivres et un bidon d'eau (pour deux personnes et 10 jours), deux
par deux: l'un avec le courrier, l'autre avec un interprête en cas
d'aterrissage forcé chez les Maures insoumis. Le pilote du premier
avion accidenté se couche à terre pour faire les signaux
à l'autre. S'il a le courrier, le second avion se pose, prend les
sacs postaux et laisse sur place l'interprête. Sinon l'avion courrier
n'arrête pas et donne l'alerte à l'escale suivante.
Les accidents sont nombreux et les Maures avides
de pilotes, car ils les revendent cher à Cap Juby ... si une autre
tribu n'est pas venue leur voler! Mermoz n'a pas échappé
à ces tortures: se faire rouer de coups, ficeler évanoui
sur un chameau, traîné en zig-zag par les ravisseurs poursuivis
dans le désert, et, finalement, revendu au Sultan de Taroudan. Gourp
n'aura pas eu cette chance avec ses plaies bourrées de crottin de
chameau et l'estomac plein de la teinture d'iode bue pour en finir plus
vite. Il mourra le lendemain de sa revente.
Malgré les accidents, les captivités
éprouvantes, les sacrifices des pilotes, malgré les quelques
20 avions qui jonchent la côte de Mauritanie, l'élan est donné,
la ligne est tracée.
Octobre 1927
Coste et Le Brix font la première traversée
de l'Atlantique Sud sur Bréguet 19 (3 400 km - 18 heures). Engagé
discrètement, Mermoz avait largement gagné la première
étape, mais à Saint Louis du Sénégal, l'avion
avait piqué du nez et cassé son hélice. C'est à
cette époque que le ministère de l'Air, pour l'empêcher
de toute tentative de survol de l'Atlantique, émet une circulaire
donnant l'ordre de ne pas lui délivrer plus de 1 500 litres d'essence.
Il est furieux!
Novembre 1927
Il embarque sur le paquebot Groix avec son Latécoère
26 pour Rio de Janeiro. Il a 26 ans. Il sera le conquérant de l'Amérique
du Sud.
Pendant deux ans, il ne prendra pas un jour de repos.
Avec son Laté, il va propecter toutes les lignes possibles et en
créer quatre définitives avec tous les contrats que cela
suppose. Il fera défricher les terrains,installer les aéroports,
il mettra au point l'organisation radiotélégraphique de la
ligne, en liaison permanent avec Didier Daurat et Marcel Bouilloux-Laffont
qui a racheté les actions Latécoère pour l'Amérique
du Sud.
Mais organiser, diriger, représenter la France,
s'occuper de paperasses ne lui convient guère. Il veut voler, il
vole.
Il fait le courrier et accumule les exploits. Peu
à peu il fait venir de Toulouse ses amis: Guillaumet, Saint-Exupéry
et autres. A tous, il donne quelque chose de plus que l'ordre: l'exemple.
Dont le premier vol de nuit Rio - Buenos-Aires, en 1928, n'est pas le moindre! 2 600 km en 13 h 10. Record.
1928
Les lignes Rio - Buenos-Aires et Rio - Natal
fonctionnent parfaitement. Et Mermoz continue le dur travail de recherche
et d'établissement de trajets nouveaux.
1929
Il s'attaque à la conquête du Chili
pour créer Buenos-Aires - Santiago. La cordillère des Andes
a déjà été franchie en 1921 par Adrienne Bolland
sur Caudron. Belle performance! Mermoz s'y engage avec Collenot fidèle
mécancien et le comte de La Vaulx son ami, sur Laté 25, cabine
air libre bien sûr, pouvant monter à 4000 mètres...
sans apport d'oxygène! A l'aller, panne à 2 800 m sur une
plate-forme en déclivité aboutissant à un précipice.
Mermoz saute de l'avion et cale la roue... avec son
corps! sauvant les vies. Au retour, l'avion plafonne. Mermoz cherche un
courant ascendant; mais il est plaqué au sol, cabré vers
le ciel: train d'aterrissage cassé, ferrure de queue aussi, moteur
endommagé. Pas de radio. Partir à pied par - 15°, impossible.
Alors Collenot s'ingénie à réparer avec des ficelles,
des bouts de tissu, des lanières prises dans leurs vêtements
de cuir. Ils allègent l'appareil en démontant les sièges,
la double commande, les réservoirs vides, libérés
de l'essence en trop. Ils remontent l'avion de deux tonnes et demie sur
une pente.
Au moment de mettre en route, ce sont les fuites
d'eau des tuyaux gelés du moteur. Rafistolage. Enfin l'exploit de
sauter sur deux et trois plates-formes successives en frôlant les
obstacles. Et le retour à Copiaco. Mais les Chiliens incrédules
ont envoyé une caravane chercher les pièces laissées
sur place. Quant à l'avion, il est toujours exposé à
Rio Gallegos en Patagonie, paraît-il. Le lendemain, Mermoz télégraphiait:
« De Santiago un vieux bonjour. Bien
arrivé. Voyage sportif. Panne en montagne, réparable, heureusement.
»
Par la suite, la Cordillère des Andes sera
vaincue avec les Potez 25 montant à 6 000 mètres et la ligne
donnée à Guillaumet. Lequel se retrouve un jour accidenté
à 4 000 m d'altitude. Il écrit comme il peut:
« N'ayant pas été retrouvé
je pars vers l'est. Adieu à tous. Ma dernière pensée
sera pour ma femme. »
Commence alors les marches dans l'eau des torrents,
les pieds gelés, les glissades de 800 m sur la neige glacée,
les remontées vers un col sans la combinaison de cuir laissée
à cause du poids. Il ne s'est pas couché cinq jours et cinq
nuits. Enfin sauvé il a seulement dit:
« Ce que j'ai fait, vois-tu, aucune
bête ne l'aurait fait ».
Engagé volontaire, il
s'écrasera en Méditerrannée en 1940.
À Saint-Exupéry, on confie l'Argentine.
Il descendra toute la Patagonie jusqu'à Comodora Rivadavia et envisagera
le remplacement du courrier (allégé pour le détroit
de Magellan) par 10 passagers. C'est une grande première.
Lui aussi engagé volontaire, disparaîtra
en Méditerrannée en 1940.
Après le Chili, c'est aussi le Paraguay:
Buenos-Aires - Asuncion, la Bolivie: Buenos-Aires - Rio - Porto Suarez
- Corumba, le Pérou: Lima, le Brésil d'est en ouest: Rio
- Porto Suarez sans escale... sauf une panne en forêt vierge réglée
par l'abattage de 150 palmiers pour ébaucher la piste, le remorquage
par des boeufs et l'attente d'un moteur!
Suivront des voyages d'études au Nord: Caracas
- Trinidad - et les Antilles, Panama pour rejoindre les lignes américaines.
La finalité de ces efforts, c'est la ligne
et la course contre le Temps. Vaincre le temps-météo sur
ces parcours durs aux vents irréguliers, tempêtes fréquentes,
chaleurs intenses, pluies diluviennes. Vaincre le temps-minute car c'était
long. Paris - Dakar: deux jours et Natal - Buenos Aires: deux jours.
Mais entre les deux: Dakar - Natal par bateau: de huit à dix jours.
Ce sont des navires poussifs qui, dans un ultime effort, vont réduire
la traversée à six jours. C'est encore trop pour le courrier. Alors Didier Daurat fait préparer un Laté 28 muni de flotteurs,
le « Comte de La Vaulx » en hommage
compagnon perdu.
1930
Aux essais en circuit fermé Mermoz bat
le record: 4 318 km en 30 h 25.
En mai 1930 il traverse l'Atlantique: Saint-Louis
du Sénégal - Natal avec 150 kg de courrier, en 19 heures.
C'est le premier courrier totalement aérien qui ramène Paris
- Rio à trois jours, trois jours et demi pour Buenos-Aires par vol
de nuit et quatre pour Santiago du Chili. Seule difficulté: le
pot-au-noir. Il navigue entre 50 et 200 m et rencontre ce chaos de ténèbres
bouillantes, colonnes de pluie brûlantes, entonnoirs.
Ils sont obligés de se déshabiller
dans la vapeur suffocante, les yeux brûlés, la cabine inondée.
Mais c'est Natal en liesse qui les accueille! Mermoz n'en profitera pas, sautant vite dans un avion pour rejoindre
sa fiancée argentine (Germaine Chazottes) . Et puis, son ami Pranville
vient de se tuer en avion en venant l'accueillir. Encore un.
« On y passera tous, Monsieur Mermoz
» , dit simplement Collenot.
Pour le retour, autre problème, impossible
de décoller le « Comte de La Vaulx ».
On change de base, on essaie, on cherche, on attend la pleine lune pour
voir clair. Enfin au 53e essai, Mermoz enlève l'hydravion
et part pour Dakar. Mais les efforts du moteur au décollage génèrent
une fuite d'huile. Bientôt il y en a 10 cm au fond de la cabine.
Plus de pression. A 700 km de Dakar, Mermoz réussit à amerrir
près du navire Phocée, transfert du courrier et de l'équipage.
Et aux premières minutes de remorquage, le «
Comte de La Vaulx » coule... lamentablement.
Mai 1931
Bouilloux-Laffont a emprunté 200 millions
pour faire construire quatre avions postaux. Il est couvert par le contrat
en cours jusqu'en 1934 et la promesse d'un autre de 20 ans qui n'a jamais
été établi. Malgré une rentabilité très
bonne, puisque la ligne produit la moitié des recettes commerciales
du réseau aérien français, à la première
échéance de son prêt et compte-tenu des atermoiements
du ministère qui lui doit de l'argent, Bouilloux-Laffont est contraint
au dépôt de bilan et on prononce aussitôt la liquidation
des biens. Mermoz est furieux et s'engage pour le défendre. L'affaire
glisse à la diffamation. Didier Daurat lui-même est éclaboussé.
( S'il est permis d'anticiper, suite à la
liquidation de Bouilloux-Laffont et par décision du gouvernement,
en 1933, Air France est créée, qui englobe cinq sociétés
dont l'Aéropostale, Farman et Air-Orient. En réalité
la majorité d'Air France à Air-Orient qui délaisse
l'Amérique du Sud et abandonne tous les contrats y afférents
rédigés au nom de l'Aéropostale. Et le ministère
de l'Air ne fera rien pour défendre nos positions si chèrement
acquises.)
Toujours est-il qu'en 1932, Mermoz a rendez-vous
avec René Couzinet au Touquet, le 13 août. |
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