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René Couzinet & Jean Mermoz
«Ces deux hommes avaient le même idéal, le même désintéressement, la même pureté, la même passion sacrée.» Joseph Kessel

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 Première époque: 1904-1932
Deuxième époque: 1932-1936
Troisième époque: 1936-1956
Liens extérieurs
René Couzinet

Jean Mermoz

«L'histoire de René Couzinet pourrait, dans les manuels scolaires, fournir une illustration classique des avatars d'un ingénieur de génie.» Joseph Kessel
«Une épopée qui a amené l'homme à dépasser ses limites et qui montre que les efforts les plus terribles ont vu les réussites les plus fantastiques»  Joseph Kessel
René Couzinet est né en Vendée en 1904. À 17 ans, il entre aux Arts et Métiers, puis à 20 ans, à l'Ecole Supérieure d'Aéronautique. Il dépose brevet sur brevet... déjà.

    Son périple militaire le conduit sous-lieutenant observateur au Bourget. Là, il vole beaucoup, encadré par les pilotes chevronnés de la guerre 14-18, qui avait vu fournir un effort considérable: 200 appareils en 1914, 4 500 en 1918.

    C'est l'époque des grands raids, au sein d'une émulation internationale extraordinaire. Ainsi, le 8 mai 1927, il voit décoller Nungesser et Coli dans « L'Oiseau blanc »  pour rallier New-York... où ils n'arriveront jamais. Le 21 mai 1927 il est là aussi, en qualité d'officier de service de nuit, pour arracher Lindbergh à la foule en délire. Après 33 heures de vol, il vient de réussir la traversée de l'Atlantique Nord sur un frêle monomoteur (d'ouest en est, plus facile avec les vents dominants: le Boeing 747 met une heure de moins que d'est en ouest).

    Tout en participant à la liesse générale, René Couzinet s'insurge contre ces tentatives en monomoteur, connaissant à la fois la fiabilité et les limites d'une mécanique. Il juge cela de la folie et pense trimoteur; son propriétaire, M. Mallet, un ancien pilote, s'emballe, lui prête 50 000 francs, et c'est le début de l'aventure.

    La construction démarre aussitôt, avec un budget cahin-caha, les concours venant sous toutes les formes, dont le prêt, par Hispano-Suiza, des trois moteurs.
 

Mars 1928


    René Couzinet présente l'Arc-en-Ciel à la presse, et déclenche un concert d'éloges dans les journaux du monde entier. Les parlementaires participent à la fièvre générale et prêtent à l'aviation serment de dévouement et fidélité.
 

L'Arc-en-Ciel


Qu'a-t-il donc d'extraordinaire cet Arc-en-Ciel, conçu et réalisé par un ingénieur de 24 ans?

  •  Il dénonce l'audace et l'irrévérence de son créateur, de construire, sans marché d'État, un avion révolutionnaire;
  •  en bois entoilé, il pèse 10 tonnes et fait 27 mètres d'envergure;
  •  il a un aérodynamiseme parfait avec un coefficient de 14,7 jamais atteint, une grande finesse malgré les ailes épaisses(Cesera la ligne du Dakota des années plus tard);
  •  il a le fuselage posé sur les ailes ce qui évite tout effort anormal sans nuire à l'équilibre (contrairement aux Latécoère monoplans avec haubans, cabine ouverte en arrière qui succèderont aux Bréguet biplans);
  • il a la possibilité de voler avec deux et même un seul moteur en cas de panne;
  • tous les moteurs, tuyauteries, cables, joints, flexibles, robinets, etc... sont accessibles en vol par un passage de 70 cm, mais le mécanicien peut se tenir debout dans l'aile, à son poste de travail;
  • il loge 6 300 litres d'essence contenue dans sept réservoirs placés dans les ailes, assurant une autonomie de 10 000 km;
  • il a un train d'aterrissage à large voie pour la stabilité, avec des amortisseurs faits de multiples anneaux qui donnent l'élasticité;
  • il a une carlingue fermée à trois cabines;
  • on peut vidanger toute l'essence en 58 secondes en cas de problème, et les caissons vides assurent alors la flotabilité en cas d'amerrissage;
  • enfin, malgré ses 10 tonnes en ordre de vol, il peut atteindre 260 km/h (les Bréguet en sont à 150 km/h).
    En résumé, il a une forte charge au m2 de voilure, mais une faible charge au cheval-vapeur.

    Mais voilà: l'Administration a des normes officielles: 50 kg/m2 d'aile et René Couzinet charge à 100 kg/m2. Les services techniques refusent l'autorisation de vol. C'est une des raisons de plus pour aller vite ( et c'est lui qui paie! ) et René Couzinet dit au directeur d'Orly:

« Je vous aime bien, mais si dans 5 minutes vous êtes encore devant l'avion, je vous passe dessus ».

    Et l'Arc-en-Ciel roule et décolle en 10 secondes à vitesse réduite. Vol et aterrissage parfaits. Enthousiasme indescriptible. L'Atlantique est à portée de main, on a bien l'avion de l'avenir.
 

Août 1928

    L'Arc-En-Ciel a 12 heures de vol et il est présenté à une délégation des Arts et Métiers. Et c'est le drame. Le pilote Drouhin, dans son désir de bien faire et d'éblouir, monte normalement, puis pique vers le sol. Les réservoirs sont vides, l'aile en survitesse vibre, entre en résonnance; il remonte en chandelle, se stabilise mais trop tard: l'avion heurte un hangar militaire de l'aile. Gianoli ingénieur et Manuel radio sont légèrement blessés. Lanet mécanicien qui n'a pas pu rejoindre l'arrière est décapité. Drouhin, la cuisse arrachée, meurt dans la nuit. C'est la consternation. René Couzinet reçoit le réconfort du ministre du Commerce et de l'Industrie:

« Malgré l'accident, c'est une oeuvre admirable et, en tant que Ministre de l'Aviation, je tiens à vous dire que nous ne vous abandonnerons pas. »

    Il lui commande trois Arc-en-Ciel. Mais le ministre se tue et quand René Couzinet fera état de cette commande, il lui sera répondu:

« M. Couzinet, il n'y a rien de signé. Les ministres passent, les fonctionnaires restent. »

    Alors les pilotes civils ouvrent une souscription pour aider les familles des victimes et participer aux frais. Les amis, des particuliers, envoient de l'argent. Puis c'est la ville de Biarritz qui ouvre une souscription pour reconstruire l'Arc-en-Ciel, bientôt suivie par Angers, l'Aéro-club de l'Ouest, Cannes, Pau, Nantes, Niort, l'Afrique du Nord... qui organisent des manifestations pour récupérer des fonds. L'Administration elle-même s'émeut et commande 2 avions trimoteurs postaux (dont un pour Bordeaux-Genève).

    René Couzinet s'installe à Meudon et travaille. La firme Walter prête les moteurs pour les trimoteurs postaux, Hispano-Suiza reprête les moteurs pour le deuxième Arc-en-Ciel mis en chantier en même temps qu'un hydroglisseur. C'est l'enthousiasme, et le succès est là raisonnablement.
C'est alors que les parents Couzinet reçoivent le télégramme:

« Usine et contenu complètements brûlés. Dégâts forcément considérables entièrement couverts par l'assurance. Nous recommencerons. Vous écrirai
sous peu. René. »

    Le feu a éclaté à neuf heures du soir. Mais l'eau est coupée dans le quartier sans explication. Tout brûle: plans, calculs et documents, l'Arc-en-Ciel et les deux trimoteurs en cours, plus l'hydroglisseur qui d'effondre sur le chariot dont les roues avaient été desserrées la veille pour entretien.

    Immédiatement les témoignages de sympathie, d'attachement et de soutien fusent de toutes parts et René Couzinet s'installe dans l'île de la Jatte au nord de Paris.
 

Décembre 1930


    Au 12e salon aéronautique, il présente un quadrimoteur destiné à l'école de pilotage sur multimoteur avec aterrisseur escamotable. Il présente ainsi le premier brevet de train d'aterrissage escamotable dans les fuseaux moteurs. Cet appareil sera transformé plus tard en bimoteur pour entrainement aérien, puis abandonné.
 

Fin 1931


    On déborde d'activité dans l'île de la Jatte (L’île de la Jatte, autrefois appelée île de la Grande Jatte, est une île sur la Seine, située dans le département des Hauts-de-Seine et partagée entre les deux communes de Neuilly-sur-Seine et Levallois-Perret), autour du 3e Arc-en-Ciel pour lequel Hispano-Suiza reprête les moteurs, et autour de divers prototypes. Le ministre de l'Air, Pierre Cot, est chargé par la Direction Technique et industrielle de l'Armée, de confier à René Couzinet la fabrication de 10 appareils. Il est conscient que c'est nécessaire pour faire déboucher l'entreprise sur une voie industrielle normale dont il attend des résultats bénéfiques pour la construction aéronautique
française. Mais en 1932, le trimoteur Air Couzinet 40 ne résiste pas au changement de ministre et sera réformé deux ans plus tard.
 

1932


    L'Arc-en-Ciel est prêt, plus lourd, plus rapide, plus autonome. L'envergure est portée à 30 mètres et la charge à 160 kg/m2  (les américains chargeront le Sikorski à 140 kg/m2 seulement deux ans plus tard). Ce troisième Arc-en-Ciel décolle en 150 mètres à 7900 kg de charge. Vitesse 285 km/h. Autonomie 11 000 km.

    Dans l'intervalle, au 13e salon aéronautique, René Couzinet avait présenté le Biarritz (en hommage à la ville). Il sera affecté à l'escadrille ministérielle pour un voyage en URSS, mais surtout le Biarritz a assuré la première liaison France - Nouvelle Calédonie.
    Alors qu'il n'avait que 27 heures de vol, Charles De Verneilh part pour un voyage de 18 jours avec 21 escales. A la vitesse de 185 KM/H, il a parcouru 24 000 km en 134 heures de vol. Avec seulement un changement d'hélices à Nouméa ils attendaient un avion à ailes hautes comme sur les images et n'avaient pas coupé les palmiers! et un changement de bougies
à Brisbane. Performances mondialement inégalées. Epreuve réussie de refroidissement des moteurs sous les climats équatoriaux. Seules difficultés: les pistes de sable, herbe, cailloux, etc... Cet appareil s'écrasera en 1933 dans le brouillard près de Dijon et Charles De Verneilh est tué dans cet accident.

    Bien que l'Administration maintienne sa position concernant la charge au m2 et le principe de l'avion sur terre et l'hydravion sur la mer, René Couzinet sait que l'Arc-en-Ciel est prêt pour l'Atlantique. Il se rend donc à Istres, en 2 h 30 mn, à la vitesse de de 256 km/h.

    Reste le choix du pilote. René Couzinet ne souhaite pas que ce soit Jean Mermoz déjà très célèbre. Il veut la réussite de son avion sans que la personnalité du pilote risque de donner un caractère de grand spectacle.

    Rendez-vous est cependant fixé au Touquet le 13 Aout 1932.

1901-1923

    Jean Mermoz est né dans l'Aisne en 1901. Il a un an et demi quand sa mère quitte le foyer avec lui. Elle est fraîchement accueillie par la famile et part peu après à Paris pour gagner sa vie. Cela ne se faisait pas à l'époque, mais explique peut-être les relations privilégiées de Mermoz et sa mère.
    Pendant la guerre il est au lycée d'Aurillac pendant que sa mère est infirmière au front. Son échec au bac détruit ses idées d'ingénieur et il fait aussitôt son service militaire... dans l'aviation. Il y avait à l'époque, disait-il, deux corvées: les cailloux à ramasser et les enterrements. On mourait bien à Istres, tant les avions, vestiges de la guerre, étaient pitoyables. 17 enterrements en trois mois! Lui-même se tire d'un accident avec fractures du tibia et de la mâchoire.
    Il passe son brevet de pilote; mais, pour voler,il faut un engagement de 4 ans. Il est affecté en escadrille à Palmyre et, pendant 18 mois, il va découvrir l'Orient et la fascination du désert où il manque de peu de mourir de soif après un accident. Il accumule les heures de vol: mitraillages de tribus en dissidence,ravitaillement des postes isolés, avion sanitaire. Il rentre en france avec le paludisme et termine son temps à Thionville où il rencontre Guillaumet.
    Il quittera l'armée sans regrets, avec 600 heures de vol et plein de citations. Il a 21 ans. Après quoi il se retrouve sans emploi sur le pavé de Paris. Il ne s'agitplus de voler, mais de manger. Il fait des petits travaux: gardien de nuit, balayage, adresses et courrier... et passe à l'hôtel (où il ne loge pas! ) en attente de réponses à ses demandes d'emploi. Enfin, en 1924, il est convoqué à Toulouse chez Latécoère.  

La ligne

    Depuis 1919, Pierre Latécoère assure une liaison aérienne Toulouse - Casablanca avec les sacs postaux. Mais il a le projet de la grande plongée vers le Sud, et pourquoi-pas l'Amérique? C'est son adjoint,Didier Daurat, qui a donné à cette folle entreprise une cohésion exceptionnelle. Et dès 1923, il a déjà ouvert la ligne jusqu'à Dakar par Casablanca,Agadir, Cap-Juby, Cisneros, Port-Etienne et St Louis du Sénégal. Ce sont des escales techniques nécessaires, les pilotes suivant impérativement la côte, seul point de repère: un phare à l'embouchure du Rio Ouro!
    Didier Daurat est un chef énergique et sans défaillance, exigeant tout de ses pilotes et de lui-même, animé d'une foi ardente qu'il inculque de gré ou de force.
    Avec lui, le courrier est devenu une religion,malgré les conditions de vol sommaire: absence de radio, météo inexistante,appareils peu fiables. Ce sont des Bréguet rachetés après la guerre, sans frein ni roue directrice. Les manuvres se font à coups de moteur et le mécano s'accroche au bout de l'aile pour maintenir la direction avant l'arrêt complet. Ils ont naturellement la cabine ouverte, le pilote attaquant de face la grêle, les cataractes tropicales, les rafales, le soleil, avec des écarts de tempétrature de 20°, parfois 30°.

    On y entassait le courrier, avec, parfois, un passager enthousiaste assis sur les sacs.

1924

    Jean Mermoz arrive à Toulouse, et présente à Didier Daurat ses brevets et ses 600 heures de vol... C'est pour aller nettoyer les cylindres, monter et démonter les moteurs pendant de longues semaines qui pourtant n'auront pas été inutiles pour la souplesse des hommes, la connaissance des mécaniques, et la cohésion des futurs équipages.
    Enfin Mermoz est appelé pour sa présentation en vol. Il est éblouissant de maîtrise d'un bout à l'autre. Mais à l'aterrissage, Didier Daurat n'est pas sur la piste. Mermoz le rejoint au bureau pour s'entendre dire:
«Ici nous n'engageons pas d'acrobates. Si vous voulez faire du cirque, allez vous faire voir ailleurs.»

    Mermoz furieux va faire son baluchon. Mais Daurat le rejoint:
« Retournez sur la piste. Montez lentement à 200 mètres. Virez à plat. Revenez face au terrain. Prenez de très loin votre atterrissage.
  C'est comme ça qu'on travaille à la ligne. »     Naturellement Didier Daurat n'est pas resté le voir faire, il avait compris.

Hiver 1925-1926

   Mermoz vole 27 jours par mois: Toulouse, Barcelone, Alicante, Malaga et retour.

Mars 1926

    Il prend ses fonctions au Maroc: Casablanca-Dakar avec les étapes nécessaires, dont Cap Juby où l'on change  « de monte et de monture ».  

1927

    Il est chef d'aéroplace à Cap Juby et peu enthousiaste de vivre dans une baraque en tôle ondulée, entourée de barbelés avec le pénitencier espagnol et voir les autres décoller... sur la plage. Il y sera remplacé par Saint-Exupéry.
    Et c'est la ronde des Bréguet 14 avec une caisse de vivres et un bidon d'eau (pour deux personnes et 10 jours), deux par deux: l'un avec le courrier, l'autre avec un interprête en cas d'aterrissage forcé chez les Maures insoumis. Le pilote du premier avion accidenté se couche à terre pour faire les signaux à l'autre. S'il a le courrier, le second avion se pose, prend les sacs postaux et laisse sur place l'interprête. Sinon l'avion courrier n'arrête pas et donne l'alerte à l'escale suivante.
    Les accidents sont nombreux et les Maures avides de pilotes, car ils les revendent cher à Cap Juby ... si une autre tribu n'est pas venue leur voler! Mermoz n'a pas échappé à ces tortures: se faire rouer de coups, ficeler évanoui sur un chameau, traîné en zig-zag par les ravisseurs poursuivis dans le désert, et, finalement, revendu au Sultan de Taroudan. Gourp n'aura pas eu cette chance avec ses plaies bourrées de crottin de chameau et l'estomac plein de la teinture d'iode bue pour en finir plus vite. Il mourra le lendemain de sa revente.
    Malgré les accidents, les captivités éprouvantes, les sacrifices des pilotes, malgré les quelques 20 avions qui jonchent la côte de Mauritanie, l'élan est donné, la ligne est tracée.  

Octobre 1927

 Coste et Le Brix font la première traversée de l'Atlantique Sud sur Bréguet 19 (3 400 km - 18 heures). Engagé discrètement, Mermoz avait largement gagné la première étape, mais à Saint Louis du Sénégal, l'avion avait piqué du nez et cassé son hélice. C'est à cette époque que le ministère de l'Air, pour l'empêcher de toute tentative de survol de l'Atlantique, émet une circulaire donnant l'ordre de ne pas lui délivrer plus de 1 500 litres d'essence. Il est furieux!  

Novembre 1927

    Il embarque sur le paquebot Groix avec son Latécoère 26 pour Rio de Janeiro. Il a 26 ans. Il sera le conquérant de l'Amérique du Sud.
    Pendant deux ans, il ne prendra pas un jour de repos. Avec son Laté, il va propecter toutes les lignes possibles et en créer quatre définitives avec tous les contrats que cela suppose. Il fera défricher les terrains,installer les aéroports, il mettra au point l'organisation radiotélégraphique de la ligne, en liaison permanent avec Didier Daurat et Marcel Bouilloux-Laffont qui a racheté les actions Latécoère pour l'Amérique du Sud.
    Mais organiser, diriger, représenter la France, s'occuper de paperasses ne lui convient guère. Il veut voler, il vole.
    Il fait le courrier et accumule les exploits. Peu à peu il fait venir de Toulouse ses amis: Guillaumet, Saint-Exupéry et autres. A tous, il donne quelque chose de plus que l'ordre: l'exemple. Dont le premier vol de nuit Rio - Buenos-Aires, en 1928, n'est pas le moindre! 2 600 km en 13 h 10. Record.  

1928

    Les lignes Rio - Buenos-Aires et Rio - Natal fonctionnent parfaitement. Et Mermoz continue le dur travail de recherche et d'établissement de trajets nouveaux.  

1929

    Il s'attaque à la conquête du Chili pour créer Buenos-Aires - Santiago. La cordillère des Andes a déjà été franchie en 1921 par Adrienne Bolland sur Caudron. Belle performance! Mermoz s'y engage avec Collenot fidèle mécancien et le comte de La Vaulx son ami, sur Laté 25, cabine air libre bien sûr, pouvant monter à 4000 mètres... sans apport d'oxygène! A l'aller, panne à 2 800 m sur une plate-forme en déclivité aboutissant à un précipice.
    Mermoz saute de l'avion et cale la roue... avec son corps! sauvant les vies. Au retour, l'avion plafonne. Mermoz cherche un courant ascendant; mais il est plaqué au sol, cabré vers le ciel: train d'aterrissage cassé, ferrure de queue aussi, moteur endommagé. Pas de radio. Partir à pied par - 15°, impossible. Alors Collenot s'ingénie à réparer avec des ficelles, des bouts de tissu, des lanières prises dans leurs vêtements de cuir. Ils allègent l'appareil en démontant les sièges, la double commande, les réservoirs vides, libérés de l'essence en trop. Ils remontent l'avion de deux tonnes et demie sur une pente.
    Au moment de mettre en route, ce sont les fuites d'eau des tuyaux gelés du moteur. Rafistolage. Enfin l'exploit de sauter sur deux et trois plates-formes successives en frôlant les obstacles. Et le retour à Copiaco. Mais les Chiliens incrédules ont envoyé une caravane chercher les pièces laissées sur place. Quant à l'avion, il est toujours exposé à Rio Gallegos en Patagonie, paraît-il. Le lendemain, Mermoz télégraphiait:
« De Santiago un vieux bonjour. Bien arrivé. Voyage sportif. Panne en montagne, réparable, heureusement. »

    Par la suite, la Cordillère des Andes sera vaincue avec les Potez 25 montant à 6 000 mètres et la ligne donnée à Guillaumet. Lequel se retrouve un jour accidenté à 4 000 m d'altitude. Il écrit comme il peut:
« N'ayant pas été retrouvé je pars vers l'est. Adieu à tous. Ma dernière pensée sera pour ma femme. »

    Commence alors les marches dans l'eau des torrents, les pieds gelés, les glissades de 800 m sur la neige glacée, les remontées vers un col sans la combinaison de cuir laissée à cause du poids. Il ne s'est pas couché cinq jours et cinq nuits. Enfin sauvé il a seulement dit:
«  Ce que j'ai fait, vois-tu, aucune bête ne l'aurait fait ».

    Engagé volontaire, il s'écrasera en Méditerrannée en 1940.
    À Saint-Exupéry, on confie l'Argentine. Il descendra toute la Patagonie jusqu'à Comodora Rivadavia et envisagera le remplacement du courrier (allégé pour le détroit de Magellan) par 10 passagers. C'est une grande première.
    Lui aussi engagé volontaire, disparaîtra en Méditerrannée en 1940.
    Après le Chili, c'est aussi le Paraguay: Buenos-Aires - Asuncion, la Bolivie: Buenos-Aires - Rio - Porto Suarez - Corumba, le Pérou: Lima, le Brésil d'est en ouest: Rio - Porto Suarez sans escale... sauf une panne en forêt vierge réglée par l'abattage de 150 palmiers pour ébaucher la piste, le remorquage par des boeufs et l'attente d'un moteur!
    Suivront des voyages d'études au Nord: Caracas - Trinidad - et  les Antilles, Panama pour rejoindre les lignes américaines. 
    La finalité de ces efforts, c'est la ligne et la course contre le Temps. Vaincre le temps-météo sur ces parcours durs aux vents irréguliers, tempêtes fréquentes, chaleurs intenses, pluies diluviennes. Vaincre le temps-minute car c'était long. Paris - Dakar: deux jours et Natal - Buenos Aires: deux jours. Mais entre les deux: Dakar - Natal par bateau: de huit à dix jours. Ce sont des navires poussifs qui, dans un ultime effort, vont réduire la traversée à six jours. C'est encore trop pour le courrier. Alors Didier Daurat fait préparer un Laté 28 muni de flotteurs, le « Comte de La Vaulx » en hommage compagnon perdu.  

1930

    Aux essais en circuit fermé Mermoz bat le record: 4 318 km en 30 h 25.
    En mai 1930 il traverse l'Atlantique: Saint-Louis du Sénégal - Natal avec 150 kg de courrier, en 19 heures. C'est le premier courrier totalement aérien qui ramène Paris - Rio à trois jours, trois jours et demi pour Buenos-Aires par vol de nuit et quatre pour Santiago du Chili. Seule difficulté: le pot-au-noir. Il navigue entre 50 et 200 m et rencontre ce chaos de ténèbres bouillantes, colonnes de pluie brûlantes, entonnoirs.
    Ils sont obligés de se déshabiller dans la vapeur suffocante, les yeux brûlés, la cabine inondée. Mais c'est Natal en liesse qui les accueille! Mermoz n'en profitera pas, sautant vite dans un avion pour rejoindre sa fiancée argentine (Germaine Chazottes) . Et puis, son ami Pranville vient de se tuer en avion en venant l'accueillir. Encore un.
«  On y passera tous, Monsieur Mermoz » ,  
dit simplement Collenot.
    Pour le retour, autre problème, impossible de décoller le « Comte de La Vaulx ». On change de base, on essaie, on cherche, on attend la pleine lune pour voir clair. Enfin au 53e essai, Mermoz enlève l'hydravion et part pour Dakar. Mais les efforts du moteur au décollage génèrent une fuite d'huile. Bientôt il y en a 10 cm au fond de la cabine. Plus de pression. A 700 km de Dakar, Mermoz réussit à amerrir près du navire Phocée, transfert du courrier et de l'équipage. Et aux premières minutes de remorquage, le « Comte de La Vaulx » coule... lamentablement.  

Mai 1931

    Bouilloux-Laffont a emprunté 200 millions pour faire construire quatre avions postaux. Il est couvert par le contrat en cours jusqu'en 1934 et la promesse d'un autre de 20 ans qui n'a jamais été établi. Malgré une rentabilité très bonne, puisque la ligne produit la moitié des recettes commerciales du réseau aérien français, à la première échéance de son prêt et compte-tenu des atermoiements du ministère qui lui doit de l'argent, Bouilloux-Laffont est contraint au dépôt de bilan et on prononce aussitôt la liquidation des biens. Mermoz est furieux et s'engage pour le défendre. L'affaire glisse à la diffamation. Didier Daurat lui-même est éclaboussé.
    ( S'il est permis d'anticiper, suite à la liquidation de Bouilloux-Laffont et par décision du gouvernement, en 1933, Air France est créée, qui englobe cinq sociétés dont l'Aéropostale, Farman et Air-Orient. En réalité la majorité d'Air France à Air-Orient qui délaisse l'Amérique du Sud et abandonne tous les contrats y afférents rédigés au nom de l'Aéropostale. Et le ministère de l'Air ne fera rien pour défendre nos positions si chèrement acquises.)
    Toujours est-il qu'en 1932, Mermoz a rendez-vous avec René Couzinet au Touquet, le 13 août.



TABLE
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Deuxième époque: 1932-1936


La réussite et la faillite de l'Aéropostale découlent d'une chronologie qui ne doit pas échapper... les noms de Mermoz et de Couzinet sont indissociables.
Joseph Kessel

Le Comité de Direction de l'Aéropostale, sous la nouvelle présidence de Raoul Dautry, fait face aux difficultés artificiellement créées à l'Aéropostale par le ministère de l'Air en 1931. Mais il faut traverser l'Atlantique.

13 août 1932

René Couzinet fait la connaissance de Mermoz.

12 octobre 1932

L'Aéropostale se met d'accord avec Couzinet. Le 7 janvier l'Arc-en-Ciel part du Bourget pour Istres d'où il décolle le 12 janvier 1933, toujours sans autorisation d'ailleurs, enlevant ses 14,5 tonnes sur 900 mètres, en 32 secondes.Grâce à la radio de Manuel, le monde entier suit le vol. Couzinet accompagne l'équipage.
Escale à Port-Étienne où on change une vitre de la carlingue, mais les 3 936 km parcourus (à 237 km/h) sont déjà plus que l'Atlantique.
Et il reste encore essence et huile pour cinq heures de vol.
À Saint Louis la pluie battante retarde un peu le décollage, mais l'arrivée à Natal est saluée par une foule en délire.
L'Arc-en-ciel a parcouru ses 3 178 km en 14 h 30 ( 227 km/h de moyenne ) . Les télégrammes de félicitations arrivent. L'enthousiasme est général. L'Arc-en-Ciel va faire Natal - Rio, puis Rio - Buenos Aires, où il aterrit magnifiquement, vent arrière, sous une pluie torrentielle. Nouveaux télégrammes de félicitations.  Pour Mermoz ce voyage constitue la preuve définitive que l'avion peut relier la France à l'Amérique du Sud et que, sur mer, la sécurité est dans la vitesse.
René Couzinet est fait chevalier de la Légion d'Honneur pour services exceptionnels rendus à la cause de l'aviation française. Il demande au gouvernement son appui financier pour que cet unique avion commercial français poursuive une mission particulièrement pressante en raison des efforts de la concurrence. Réponse du ministre Pierre Cot: 

« Votre demande immédiatement étudiée avec intention d'apporter l'aide maxima compatible avec les possibilités actuelles à votre initiative hardie couronnée de succès continus qui font honneur à l'aéronautique française. »

Mais aucun soutien réel n'arrive, aucun marché n'est préparé. Seul résultat: le gouvernement autorise l'Arc-en-Ciel à faire plusieurs traversées. Mermoz remonte l'Arc-en-Ciel sur Rio, c'est le premier avion au monde à faire les 2 400 km sans escale, tant est grande la violence des perturbations atmosphériques. Puis il rejoint Natal en moins de 10 heures (à 225km/h).
Mais à Natal, l'essence locale commet des dégâts gênants et plus encore, le terrain est miné par les fourmilières et s'oppose au décollage en charge, l'Arc-en-Ciel pesant quatre à cinq fois plus que les avions de service. Avec les pluies diluviennes, il s'enlise et fait différer le retour jusqu'à la fin des travaux de piste, faits avec plus de convictions que de moyens.

15 mai 1933

Mermoz décolle enfin pour Dakar. Incident de fuite d'eau au moteur gauche impossible à réparer. On compense avec tous les liquides disponibles: café, champagne... urine! La température s'élève: eau, huile 90°, température ambiante 36-38°. Mermoz coupe le moteur gauche et ralentit le droit pour équilibrer. Mais l'Arc-en-Ciel termine sa route, premier avion à faire l'aller-retour par ses propres moyens et se pose à Dakar de nuit, sur un terrain court à peine balisé par des chiffons d'essence et deux moteurs seulement. Nouveaux télégrammes de félicitations.
Retour au Bourget après arrêt à Cap Juby: la jauge d'essence encrassée laissait à penser le vide des réservoirs. Décollage sur la plage sans moteur central réparé en vol 10 minutes après par Collenot. 1 500personnes portent Mermoz en triomphe. Pierre Cot établit un marché de prototypes.

Mais le temps presse. Les Allemands ont deux projets dont ils sont conscients qu'aucun ne peut être définitif:

  • service hebdomadaire de deux zeppelins (en août 1933, ils enlèvent 60 % du courrier à la France à chaque voyage). Un de ces dirigeables avait déjà effectué le tour du monde en 1929, en 21 jours 7 heures.
Le Graf Zeppelin avait les caractéristiques suivantes:

longueur 236 m de long
largeur 30 m
PTC 110 tonnes
altitude 250 m
autonomie 10 000 km
vitesse 117 km/h
passagers 20 personnes
équipage 40 hommes;

  • traversées par hydravions Dornier, divisées en deux grâce au bateau Westphalen stationné au milieu de l'Atlantique et qui relançait l'hydravion au moyen d'une catapulte;
  • mise en fabrication de quatre trimoteurs capables de voler à 300 km/h.
Mermoz et Couzinet y répondent en prévoyant trois étapes:
  • mise en fabrication de quatre trimoteurs capables de voler à 300 km/h; pendant ce temps, utiliser l'Arc-en-Ciel pour les traversées Dakar-Natal;
  • construire rapidement deux ou trois autres Arc-en-Ciel;
  • étudier un projet d'avion à cabine étanche pour voler à 6 000 m et 300 km/h donc au dessus du pot-au-noir et entièrement de jour.
Mermoz confirme par un contrat exclusif avec le Portugal l'escale à Maio-Cap vert, car il veut profiter de Cap Vert et de Fernando de Noronha pour partager le parcours.

C'était sans supposer qu'Air France, via Air Orient, allait résilier cet accord portugais du Cap Vert, laisser tomber les contrats argentins, chiliens, uruguayens, etc... Et en même temps, le gouvernement autorise le survol de la France par les zeppelins sans contrepartie, pas-même l'engagement de non-concurrence.
Même autorisation pour les américains de survoler la Guyane.
Mermoz se bat contre le projet de pool franco-allemand qui veut que la Lufthansa profite des bases qu'il a installées, assure le trafic régulier et partage les bénéfices, alors que la france disposait d'un monopole en Amérique du Sud pour la poste aérienne à destination de l'Europe.

Janvier 1934

Couzinet peut enfin établir un projet de marché définitif de trois Arc-en-Ciel de transition. Mais le gouvernement exige, avant de l'entériner, six traversées de l'Atlantique par l'appareil actuel, une partie importante des paiements n'intervenant qu'après le troisième aller-retour. On presse. Mermoz effectuera sans problème les six traversées en cinq mois.
Enfin, sans problème... dès le deuxième voyage le retour est compromis par l'état des pistes qui n'ont pas été entretenues depuis 1933, surtout à Natal. En attendant la réfection de la piste, Mermoz va avec l'Arc-en-Ciel tester celle de Fernando de Noronha: en fait celle-ci ne fait que 700 m et se termine par un à-pic de 40 à 50 m sur la mer. À l'aterrissage, de plus, l'avion s'est enlisé jusqu'au carénage. Ce sont les 200 forçats du pénitencier qui le dégagent à la pelle et remontent au pied de la falaise les roches nécessaires au chemin de roulement. Enfin l'Arc-en-Ciel décolle sur 200 m.
Pendant ce temps, Collenot et les autres ont roulé, arrosé, empierré... l'Arc-en-Ciel peut quitter Natal.
Mermoz au retour le laisse à Casablanca et remonte au Bourget où on lui remet la cravate de commandeur de la Légion d'Honneur.
Ce même jour, il apprend que la firmes Air-Couzinet va fermer ses portes, faute de commandes.
Mermoz est ecoeuré et explose dans la presse:

« Ceux qui ne font que de l'aviation en chambre veulent traiter la question de l'Atlantique Sud sans la connaître, et sans la comprendre[...]
La vitesse seule sera le facteur essentiel de sécurité et de régularité [...] Le volume des réservoirs d'essence et d'huile vides solidement encastrés dans les ailes ou le fuselage sont un tonnage de flottaison suffisant [...] Il nous faudrait des audacieux réfléchis et nous n'avons que des réfléchis avachis. Ils clament la plus grande gloire de l'aviation française du plus profond d'un rond-de-cuir [...]

Le marché des Arc-en-Ciel n'est toujours pas payé malgré les promesses et les six voyages accomplis...
Continuant ses recherches, Couzinet, allié à Bréguet, présente un quadrimoteur qui vole à 7 000 m à la vitesse de 350 km/h et peut se charger de deux à trois tonnes de bombes. Il est équipé de moteurs à compresseurs qui augmentent l'arrivée d'air au moteur pour un meilleur rendement. Il est le seul de cette puissance dans le monde entier.
Quant au marché des trois Arc-en-Ciel il attend toujours la décision des services techniques...
Trop tard aussi la confirmation d'un monoplan pour la course Londres - Melbourne...
Secoué par Mermoz, malmené par la presse, le ministre Denain réagit enfin et concrétise les promesses: les trois Arc-en-Ciel et la transformation du monoplan Londres - Melbourne en vue d'une tentative de record de vitesse sur le tour du monde: on croit rêver!
Compte-tenu des approvisionnements et travaux déjà effectués, Couzinet s'engage à livrer chaque appareil tout équipé, avec certificat de navigabilité dans les huit à neuf mois après la signature du marché.
Alors que les travaux s'accélèrent à l'usine de la Jatte, l'associé Bréguet remet en cause le prix demandé pour les trois arc-en-Ciel.
Alors que Couzinet pense bois pour la rapidité et l'économie, Bréguet pense métal, avec tout ce que cela implique comme outillage. À la fin de l'année, c'est la rupture du contrat d'association.

Fin 1934

Mais l'idée d'une concentration aéronautique française n'est pas écartée pour autant et l'état va patronner l'alliance de Couzinet, « le constructeur
français le plus intéressant » dit-il, avec huit constructeurs successifs.
Pendant un an, les pourparlers poussés plus ou moins loin vont capoter... et on commence à regarder les Douglas DC2 qui surclassent la production
européenne. On prétend que l'Arc-en-Ciel est démodé et qu'il faut abandonner Couzinet à son sort.
Beaucoup de temps perdu, des rapports qui se tendent et en 1935 le gouvernement annule définitivement la commande des trois Arc-en-Ciel.
De plus et sur les traces de Mermoz, Couzinet est devenu la cheville ouvrière et le relais pour l'établissement et la mise en place de pétitions anti pool franco-allemand, ce qui n'arrange pas les relations avec le gouvernement.
Ce que la France ne comprend pas, le Brésil s'y éveille. Le président Vargas produit un cahier des charges, traduit et publié dans toutes les langues, pour la création d'une industrie aéronautique brésilienne. Les Allemands et les Italiens sont très interessés. Mermoz et Couzinet étudient longuement le problème. le Brésil est le pays de la ligne.
En France le support industriel de Couzinet s'effrite et on tire sur lui à boulets rouges. Au Brésil par contre sa notoriété et son action s'étendent à chaque voyage, défendant sa fabrication, et atteignant à titre de conseil tout ce qui touche à l'aéronautique. Il enlève la partie et part au Brésil avec un prototype en gestation qui répond aux nécessités commerciales.
Alors le gouvernement s'émeut et n'est pas d'accord pour que l'étranger profite des idées novatrices de Couzinet. On le rappelle, on le retient.
Les pourparlers sont menés tambour battant en vue d'une convention pour la construction d'un appareil qui s'appellerait Arsenal 01, sous la direction de Couzinet, mais à l'arsenal de l'air qui doit s'ouvrir à Orléans, les travaux commençant de suite dans les hangars militaires du Bourget. Mais quand même ce marché est subordonné à la renonciation par Couzinet des créances passées avec le ministère de l'Air. Aussi illégal qu'incroyable. Couzinet assigne le ministre Denain en personne au tribunal.
Dans le même temps, il lit dans la presse que son Arc-en-Ciel est réformé et mis à la ferraille, alors que, trois ans après la première traversée,
il détient toujours le record, malgré les moteurs à compresseurs. Il emprunte pour le racheter...

1935

Pendant ces aléas Latécoère met en place trois hydravions, commandés contre l'avis catégorique de Mermoz, car ils sont lents et lourds: 20 tonnes pour 200 kg de courrier à 160-180 km/h. Ils sont mis en service et les avisos n'interviennent plus que comme dépanneurs éventuels.
À Couzinet en 1934 Mermoz avait déjà dit:
            « Ils seraient contents d'une chose, c'est que je tombe à la patouille. » 

Février 1936

L'un de ces hydravions, le « Ville de Buenos-Aires » coule au large de Natal. On note sur ces séries des déformations, des malfaçons, des modifications essentielles et profonde qui ont simplifié et affaibli la construction. Collenot y reste.

« On y passera tous, Monsieur Mermoz. »

Mermoz multiplie les interventions publiques. Rien n'y fait. On reparle du pool franco-allemand. Déjà on alterne les départs Air France et Lufthansa. Le zeppelin devient hebdomadaire. Le jeune beau-frère de Mermoz qui était son idole se tue en avion et cela éloigne sa jeune femme. C'est la rupture du ménage.
Tout en s'activant au Bourget à la fabrication de l'Arsenal 01, René Couzinet conçoit en secret les plans d'un trimoteur qui permettrait la traversée en huit heures, et pour lequel Mermoz lui prête de l'argent, soulignant qu'en cas d'échec du programme, il ne lui demanderait pas de remboursement.
Parallèlement, il construit un trimoteur postal pour le Brésil. Il sera racheté ultérieurement par la Compagnie Postale Française, mais la guerre en interrompra l'utilisation.
De même qu'elle interrompra l'avenir d'un bombardier quadrimoteur volant à 510 km/h: ce sera la vitesse du Super-Constellation 15 ans plus tard. Toujours l'avance technique de René Couzinet. Il a été détruit par les Allemands à Toulouse.
Interrompu aussi le quadrimoteur de transport...

Novembre 1936

Couzinet et Mermoz se donnent rendez-vous à Rio pour leur société brésilienne. Couzinet part de Francfort en zeppelin Hindenburg. Mermoz « fait » le courrier. Il part donc de Dakar avec l'hydravion Croix du Sud, équipé de quatre moteurs entrainant quatre hélices tractives et quatre hélices propulsives. Peu après son départ il doit revenir, une des hélices vibrant. On révise. Nouveau départ et ... après... un message:

« Coupons moteur arrière droit. »

Et plus rien, plus jamais... rien. On pense qu'une hélice aura sauté par vibration, cisaillé le fuselage et que l'hydravion aura coulé en quelques instants. Les secours dépêchés sur place n'en retrouveront rien.
Couzinet est atterré. La France entière est en deuil.
Mermoz fait partie de ces morts qui ne sont plus, mais qui ne sont jamais absents non plus. Il disait:

« L'accident, pour nous, ce serait de mourir dans un lit. »

Et aussi:

« Je regarde loin devant moi, et je ne me retourne que pour les amitiés disparues. »

Joseph Kessel:

« Je ne sais comment vous expliquer ça. Il y avait le grand Mermoz, Mermoz tout court, et il y avait Jean. Ils étaient différents et pourtant
c'était la même chose et ils allaient ensemble. »

Et ensuite?

Malgré les avatars du Ville de Buenos Aires et de la Croix du Sud, Latécoère a construit sept nouveaux appareils de ce type, qui produiront sept accidents et feront 112 morts.
Air France dira:

« On ne les a pas commandés, mais il fallait bien les utiliser puisqu'ils existaient. »

Mermoz disparu, il faudra attendre 30 ans une nouvelle génération pour que naisse l'espoir d'une véritable chance nouvelle. La remontée de l'Europe aéronautique sera dans la coopération de cinq pays pour construire l'Airbus et reposera en France sur Marcel Dassault.
Le résultat est dans le temps contre lequel Mermoz a toute sa vie combattu.

Paris - Buenos Aires:

  • 1930:   2 jours (avion) ± 8 jours (bateau) + 2 jours (avion) = 12 jours
  • 1933:   l'Arc-en-Ciel: 53 h 30 hors escales
  • 1946:   DC4: 58 h
  • 1948:   33 h 30
  • 1954:   24 h
  • 1960:   Boeing 707: 15 h
  • 1974:   Concorde: 6 h 30

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Troisième époque: 1936-1956

«René Couzinet sait fabriquer des avions, mais il ne sait pas les vendre.»
Marcel Dassault - 1934


    René Couzinet doit poursuivre.  

Début 1937

    Il prépare un appareil pour la course New York - Paris. Elle est annulée au dernier moment!
    Les menaces de conflit se précisent. En plus du bombardier quadrimoteur interrompu, Couzinet propose un avion de combat trimoteur. Soumission acceptée en septembre 1937, radiée en mars 1938 sous la pression italienne, dont le fils de Mussolini pilote.  

1938

    Pour sauver son entreprise, Couzinet accepte d'exécuter les révisions des Potez de l'armée. Marché d'autant plus facile à régler que les besoins sont pressants. Les heures de vol militaires sont passées de 300 à plus de 400 000 en quelques années. Cette fois la machine industrielle de Couzinet est bien en route avec une organisation indispensable pour faire vivre une équipe et supporter la fabrication de prototypes.
    Pour développer ses moyens et dans le cadre de la décentralisation des usines de guerre, le ministre de la défense donne son accord pour l'implantation à La Roche sur Yon d'une partie des ateliers. Il acquiert aussi un terrain à Noirmoutier englobant le slip de lancement d'hydravions construit par les américains en 1917.
    Mais il ne néglige pas pour autant le Brésil.  

1939

    Une transaction avec le ministère met fin à tous les litiges qui, depuis des années, obèrent la situation de Couzinet. Tous les marchés arbitrairement suspendus sont liquidés et Couzinet reçoit une indemnité de 5 800 000 F. La situation est nette; il peut travailler.
    En octobre 1939, il épouse madame Mermoz.
    En cette fin d'année le montant de la commande d'état est augmenté de 11 millions. Les bâtiments de La Roche sur Yon sortent de terre.
    La cadence mensuelle des révisions atteint 12 Potez et six Caudron.  

1940

    Attaque allemande. Invasion. Occupation. Pour ne rien laisser aux Allemands, Couzinet replie tout ce qu'il peut derrière la ligne de démarcation ( Gers, Haute Garonne, Ariège) . Il a signé avec le Brésil un contrat d'exploitation de 15 ans. Il y part et 35 personnes de l'entreprise l'y rejoindront.   

1941

    Il occupe une chaire d'aéronautique à l'école technique de l'armée de l'air brésilienne et crée une usine dans le Minas Gerais pour laquelle il reçoit une commande de dix appareils légers.
    Mais les produits aériens: moteurs, hélices, trains d'aterrissage, équipements de bord, ne peuvent plus venir de France. Couzinet doit les acheter en Amérique. Le temps d'établir le contrat commercial, les visas sont supprimés et Washington ne répond plus. Ce refus l'empêche de recevoir les fournitures essentielles. Le Brésil entre en guerre.  

1942

    Il signe le résiliation de ses actions de la société brésilienne, mais pour l'équipe qui l'avait suivi, il continue tant bien que mal de couvrir les frais, en fabriquant des gazogènes, des ditilleries, des filtres à air, etc.  

1943

    Il se met à la disposition du général en chef des forces aériennes en Afrique du Nord. Il est mobilisé et nommé commandant du groupe aérien Antilles-Guyane. En cette qualité, il essaie de nouveau et sans succès de se rendre en Amérique.
    Il élabore toujours de nombreux projets, du biplace léger de tourisme à l'hydravion transatlantique de 54 tonnes (dont les centaines d'essais en bassin de carène n'ont jamais, il est vrai, été concluants).   

1945

    Toujours au Brésil et continuant ses occupations de survie, il lance un hydroglisseur de 18 passagers.
    Il rentre en France. Malgré ses mises en demeure de restitution de son usine de Levallois, la société Sipa installée par les Allemands y reste et bénéficie des marchés du ministère de l'air.
    À l'usine de la Roche sur Yon, le bâtiment principal a été détruit par un bombardement. Commencent alors les palabres pour l'évaluation des dommages de guerre, dont celui des prototypes.  

1946

    Il présente à Rio son hydroglisseur. La France lui promet des commandes et même 260 moteurs... qui seront introuvables, exception faite de quelques rossignols ou moteurs d'exposition coupés.
    Mais sa dernière chance est passée et tous ses moyens commerciaux et personnels n'y suffiront pas.  

1948

    La société Sipa ayant enfin quitté les locaux, Couzinet se tourne vers l'aviation légère et sportive et obtient des révisions de ces appareils, biplans bois-toile, moteur Renault, diffusés déjà à plusieurs centaines.  

1952

    Couzinet soumissionne pour la révision des Stampe de l'armée de l'air qui ne lui ménage pas les difficultés.
    Aux salons aéronautiques il présentera encore et pourtant un hydroglisseur à réaction et son aérodyne, sorte de soucoupe volante à décollage vertical.
    Mais la vraie course au-dessus de l'Atlantique se fera sans lui.  

1956

    Fortement ébranlé par une série d'échecs injustifiés sur plus d'un quart de siècle, assailli de dettes, il est découragé par la mauvaise foi et l'incompréhension.  

16 décembre 1956

    René Couzinet et sa femme sont trouvés morts dans leur appartement. Les circonstances exactes n'ont jamais été élucidées.
    Quelques jours auparavant, il avait tenu à se rendre « une dernière fois » sur la tombe de ses parents en Vendée car il se sentait « très menacé ».
    Malgré la balistique... il est convenu de dire qu'ils se sont suicidés.  

Janvier 1961

La médaille de l'aéronautique lui est attribuée à titre posthume, mais son nom ne figure plus dans la liste officielle des constructeurs aéronautiques.
Liens extérieurs
http://aerostories.free.fr/constructeurs/couzinet/  On dit souvent de l'aviation qu'elle est une passion qui ronge jusqu'à la moelle ceux qui l'ont embrassée...
Quand les Arc-en-Ciel traversaient l'Atlantique   .pdf
https://www.bing.com/  René Couzinet images
http://www.aircraftube.com/     Il est souvent dit que l'aviation est la passion de toute une vie qui conquiert lentement la profondeur de son âme.
                                                   It is often said that aviation is the passion of a lifetime that slowly conquers the depth of one's soul.   
Emmanuel Caloyanni



Couzinet 70 "Arc en Ciel"
Construit sans marché d'état, l'appareil eu du mal à obtenir l'autorisation de voler sur mer malgré l'intérêt que lui portait l'Aéropostale pour le trajet sur l'Atlantique sud et le soutien de Jean Mermoz convaincu par l'avion. L'autorisation de vol fut obtenue en janvier 1933, quelques jours plus tard Mermoz fit le trajet Paris, Saint-Louis du Sénégal, puis Natal et enfin Buenos-Aires. Le vol de retour eu lieu en mai, l'Arc-en-Ciel avait parcouru 25.000 km dont 7.000 de parcours maritime à la vitesse moyenne de 220 km/h, ce qui prouvait la capacité d'un multimoteur à effectuer des vols transatlantiques.
La suite sur cet avion et bien plus encore sur http://www.aircraftube.com/index.php?... (N'hésitez pas à y placer vos commentaires et expériences!)

Constructed on Couzinet sole initiative, the machine had many difficulties to get its flight over sea certifications despite the interest the French Aeropostale showed for opening South Atlantic lines and the influence of Mermoz who was a great supporter of the project from the start. Authorisations were finally obtained in January 1933, and a few days later, Mermoz flew from Paris to Saint-Louis in Senegal, on course to Natal and finally Buenos-Aires. The return flight was done in May, the "Arc-en-Ciel" having flown a total of 25,000 km of which 7,000 were done over water at an average speed of 220 km/h. This definitely proved the capacity of a multiengine aircraft to perform transatlantic flights.
For much more on this aircraft and many others, pay us a visit on http://www.aircraftube.com/index.php?... (you may comment over there, so please do!)
Music "But Not For Me" by Harry Connick Jr. (Google Play • iTunes)

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Jean Mermoz et l'Arc en Ciel
Published on Nov 2, 2013
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