Retour vers la fin tragique de l'Aéropostale   L'AEROPOSTALE     



FIGARO –JEUDI. 16 AVRIL 1931
Pour LA PROTECTION DE L'EPARGNE Le vrai scandale de l'Aéropostale
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Le misérable sort de ses obligataires

Dans un premier article paru le 29 mars dernier, et qui a causé une vive émotion dans les milieux aéronautiques, l'Ami du Peuple montrait le péril couru par cette belle entreprise par suite de l'inconcevable inertie gouvernementale.
Notre confrère avait annoncé qu'il poursuivrait ses révélations. Il publie en même temps que nous, ce matin, ce second article qui précise la faute de l'Etat vis-à-vis de l'épargne française:
Nous avons exposé, dans un précédent article, la vérité sur l'affaire de l'Aéropostale, notre plus grande ligne aérienne française.
Nous avons montré que sa situation critique actuelle était due, avant tout, à la faute du gouvernement qui n'a pas tenu ses promesses et n'a pas fait voter, en temps voulu, la convention du 2 août 1929, élaborée par le ministre de l'Air lui-même, et qui eût donné à l'Aéropostale les moyens de vivre promis -une concession de longue durée étant la condition même de la réussite d'une entreprise de cette envergure!
Une société qui a aménager de toutes pièces, dans les conditions les plus difficiles et les plus onéreuses, 15.000 kilomètres de ligne rienne, constituer une flotte de deux cents avions et de huit bateaux, former des pilotes, entretenir à terre un important personnel fixe spécialisé, dans ses quarante-six aérodromes et ses soixante-dix postes de T. S. F., une société qui a investir plus de trois cents millions de francs dans une entreprise aussi nouvelle pour le public et aussi audacieuse que l'organisation de la poste aérienne internationale, ne peut pas espérer un seul instant amortir son capital et faire des bénéfices avec une simple concession de dix ans.
Il est dérisoire même d'y songer. Jamais une telle pensée n'a pu venir à l'esprit de ceux qui l'ont fondée.
Et s'ils n'ont pas hésité pourtant, n'ayant qu'une concession de dix ans, à engager sans compter, dans cette entreprise, leur réputation, leur fortune, leur crédit et leur travail, ce n'est évidemment que parce qu'on leur avait donné l'assurance formelle que le gouvernement seconderait leurs efforts, dans toute la mesure nécessaire pour leur permettre d'atteindre le moment où, normalement, le succès pourrait récompenser leur confiance.
Cette concession de dix ans c'était donc, en quelque sorte, une première période d'essai et de mise au point, après laquelle on pensait savoir mieux, de part et d'autre, quel concours le gouvernement devrait apporter à une entreprise d'intérêt national qui contribue si  puissamment non seulement au prestige de la France dans le monde, mais encore à sa sécurité même.
Car si le Reich finance largement soixante-dix lignes d'aviation commerciale déficitaires, alors que nous n'en avons guère plus de trois ou quatre et que nos colonies les plus prospères, comme l'Indochine, ne sont même pas desservies, c'est parce que l'Allemagne, hélas toujours belliqueuse, a compris que le sort de la guerre se réglerait, à l'avenir, par la maîtrise de l'air et qu'il fallait, dès le temps de paix,  entretenir et entraîner des appareils et des pilotes. 
Du point de vue national, l'attitude du ministre de l'Air qui, au risque de ruiner les sultats acquis par dix années d'efforts, a exigé la mise  en liquidation judiciaire de l'Aéropostale, est donc des plus critiquables. Mais nous savons qu'il a été influencé, pour ne pas dire trompé, par ses services. Et nous espérons qu'il l'aura compris au retour de son magnifique voyage aérien en Afrique il aura pris davantage contact  avec les réalités, voyage dont, par une piquante ironie du destin, NOUS N'AVONS DES NOUVELLES que grâce, précisément, aux installations de T. S. F. de l'Aéropostale!
Mais il est un autre point de vue l'attitude du gouvernement en cette affaire apparaît plus coupable encore et même véritablement  scandaleuse, c'est celui de l'épargne compromise en la personne des malheureux obligataires de l'Aéropostale indignement trompés.
encore, on a d'abord essayé de faire croire que les dirigeants de l'Aéropostale étaient seuls responsables et que c'était par un  inadmissible abus de leur part que le crédit de l'Etat apparaissait comme engagé d'après les prospectus d'émission.
Eh bien, non! Ces fables tendancieuses ne résistent pas à l'examen des faits.
Si les souscripteurs ont cru que derrière l'Aéropostale il y avait le crédit de l'Etat, c'est que les représentants de l'Etat eux-mêmes avaient,  par leur attitude, engagé ce crédit.
Le prospectus d'émission avait été préalablement soumis au gouvernement et approuvé non seulement par le ministre de l'Air, mais par le ministre des Finances qui était à l'époque M. Poincaré, et ce nom seul dit assez que l'opération a été réalisée avec une correction scrupuleuse.
Or, voici textuellement ce qu'écrivait le ministère de l'Air, le 30 septembre 1927, à l'administrateur délégué de l'Aéropostale, lors de la première émission de 50 millions:

«J'ai l'honneur de vous faire connaître que, d'accord avec le ministre des Finances, je donne mon approbation aux conditions indiquées dans votre lettre, sous la réserve des modifications suivantes: Le prix d'émission sera porté de 480 francs à 483 francs, la commission aux établissements émetteurs étant maintenue à 25 francs. 2° Les titres ne porteront jouissance que du  1er septembre 1927, de telle sorte, que le coupon du 1er janvier 1928 ne comporte que quatre mois d'intérêts; cette clause étant encore subordonnée à la, condition que la souscription soit ouverte dans le délai le plus rapproché. Par ailleurs, j'approuve le projet de prospectus que vous m'avez soumis, sous réserve des rectifications correspondant aux observations  ci-dessus. En outre, vous pourrez, le cas échéant, compléter le texte de ce prospectus par l'indication que l'admission des bons à la cote de  la Bourse sera demandée. Enfin, je vous rappelle que vous devez soumettre à mon à approbation le libellé des titres, en particulier la table  d'amortissement qui figurera au dos de ces-titres

Est-ce assez net?• Est-ce assez clair?  €ontinuera-t-on , en présence de ce texte formel, à prétendre que le prospectus n'a pas été pleinement approuvé par le gouvernement ou que l'émission n'a pas été faite sous son patronage et cautionnée par
lui???

Mais il y a mieux encore. Car l'Etat, qui s'intéressait à cette affaire et la subventionnait, n'a pas cessé d'exercer sur sa gestion un contrôle  effectif et permanent par un commissaire du gouvernement qui assistait aux séances du Conseil et vérifiait toute la comptabilité.
Il n'ignorait donc rien de la gestion de l'affaire il connaissait exactement ses découverts en banque et les difficultés de sa situation financière.
Alors? Que penser de la liquidation judiciaire exigée par le ministre responsable dans de telles conditions ? ?
Mais surtout que penser de la désinvolture étrange avec laquelle il semble jeter par-dessus bord les 166 millions d'obligations, souscrites sous son patronage officiel ? ?
L'Etat, qui a le devoir de protéger l'épargne et qui prétend le faire, laissera-t-il cyniquement en détresse les malheureux obligataires qui ont fait confiance et que sa caution a puissamment contribué à engager dans cette affaire ?