Retour vers la fin tragique de l'Aéropostale   L'AEROPOSTALE      

Une œuvre française en péril  30 avril 1931 

Nous reproduisons dans notre revue de la presse un article de l'Ami du Peuple d'hier matin, d'un particulier intérêt. Notre confrère, poursuivant une belle campagne que nous avons déjà signalée, montre l'existence de l'Aéropostale menacée «par la conspiration des  envieux, des socialistes et des diocres».
Comme le disait le pilote admirable qu'est Jean Mermoz, l'Aéropostale risque d'être tuée par les combinaisons politiques et financières. Les ministres de l'air et des finances, munis de tous les moyens de contrôle, tous les procédés de renseignements et de surveillance sur la  gestion de la Compagnie, sont responsables de ce qui s'est passé. Le gouvernement n'a rien empêché: rivalités bancaires, convoitises de l'étranger ou de Français jaloux, intrigues socialistes, tout s'est développé librement. Et c'est la commission de contrôle qui maintenant  prétend tout diriger et qui va faire gner partout, le désordre.
Ce scandale ira-t-il jusqu'au bout?

Une grande œuvre française en péril

«L'existence de l'Aéropostale, écrit l'AMI DU PEUPLE, est menacée par la conspiration des envieux, des socialistes et des médiocres.»
L'admirable pilote Jean Mermoz, ce grand Français qui, avec une magnifique audace, un courage lucide, une énergie de feu, a le premier  franchi l'Atlantique Sud et la vertigineuse Cordillère des Andes, réalisant cet exploit inégalé de mettre Santiago de Chili à cinq jours de  Paris. Jean Mermoz rencontrant son ami le romancier-aviateur Kessel, lui disait mélancoliquement, ces jours derniers: «Tu sais que corps et âme j'appartiens à l'Aéropostale, la plus belle ligne du monde, la plus longue, la plus dangereuse, celle qui porte le plus loin, le plus haut, le rayonnement de la France. Et quand je vois que les combinaisons politiques et financières risquent de compromettre son élan, sa vie, j'ai ma!»
Ce cri poignant du grand pilote en faveur de l'Aéropostale, pour laquelle tant de fois il a risqué sa vie, répond trop au sentiment intime de  tous les cœurs français pour ne pas retentir profondément en eux.
L'Ami du Peuple a montré déjà que la responsabilité du gouvernement était engagée: le gouvernement a, en effet, avec une rare désinvolture, exigé la mise en liquidation judiciaire d'une entreprise «qu'il avait, de par la convention même qui le liait à elle, le devoir absolu de soutenir et contrôler». Notre confrère précise quelques points de sa monstration:
On peut lire en effet dans la convention du 9 juillet 1924, passée entre l'Aéropostale et l'Etat français, ces dispositions formelles de l'article 29: «La comptabilité de la Société, y compris la comptabilité des titres, est intégralement soumise, aux vérifications du ministre chargé de  la Navigation aérienne et de l'Inspection nérale des finances qui ont le droit de se faire communiquer les marchés, contrats et, d'une  manière générale, toutes pièces et documents qu'ils jugent nécessaires au contrôle.
«Le compte d'exploitation est vérifié au moyen des rapprochements utiles avec les écritures et les pièces justificatives par les délégués du ministre chargé de la Navigation aérienne. Il est ensuite soumis à l'examen d'une commission de vérification des comptes, dont la composition est fixée par arrêté du ministre des finances et du ministre chargé de la navigation aérienne. La commission de vérification des comptes adresse son rapport au ministre chargé de la navigation aérienne qui statue après avoir pris l'avis du ministre des finances.»
Par conséquent, le gouvernement disposait de tous les moyens de contrôle et de renseignement possibles sur la gestion et l'exploitation de l'Aéropostale, il était représenté, non seulement par un commissaire et par des délégués, mais par un inspecteur des finances et par une commission de vérification des comptes, dont il fixait lui-même la composition.
Le ministre de l'air et le ministre des finances étaient donc constamment tenus au courant de l'affaire par les rapports de leurs  représentants, et c'est en pleine connaissance de cause qu'ils donnaient d'accord leur approbation aux comptes de gestion et aux mesures d'exploitation qui leur étaient soumis.
Ce n'est pas tout l'Etat avait pris à l'égard des obligataires des engagements précis.
Au Bulletin Officiel des Agents de Change, il est indiqué, pour les trois premières émissions, que la Société est subventionnée par l'Etat et placée sous son contrôle. Puis, en gros caractères, sous le mot «Garantie», on lit textuellement ceci: «La présente émission ayant été  autorisée par le ministre des finances et le ministre chargé de la navigation aérienne, il résulte de l'article 5 de la convention du 9 juillet 1924 entre l'Etat et la Compagnie et de l'article 16 de l'avenant du 19 août 1927, que le service de l'emprunt sera pris en charge par le  compte d'exploitation de la Compagnie, lequel bénéficie des subventions de l'Etat sous forme de primes de parcours et éventuellement de surprimes destinées, dans les conditions des articles 19 et 26, à en établir l'équilibre.»
Que peut signifier cette clause pour tout homme de bonne foi, sinon qu'en cas de besoin l'Etat s'engage «à établir l'équilibre du compte  d'exploitation au moyen de surprimes», si les primes ne suffisaient pas pour cela?
Nous mettons au défi le ministre de donner à ce texte une autre signification. Son sens est évident et clair.
Par conséquent, les obligataires ont été absolument en droit de croire, sachant que ces clauses avaient été approuvées par le ministre des finances et le ministre de la navigation aérienne, que la garantie de l'Etat était accordée aux obligations de l'Aéropostale, comme elle l'est  à celles des Messageries Maritimes ou des compagnies de chemins de fer dont l'exploitation est constamment déficitaire.
C'est donc un véritable scandale de voir aujourd'hui le gouvernement, faisant délibérément litière des engagements pris au nom de l'Etat,  des conventions signées, des promesses de renouvellement de concession prodiguées, jeter les 166 millions d'obligations par-dessus-bord avec une désinvolture cynique et un déconcertant mépris des intérêts de la France et de l'Epargne, étroitement liées dans l'affaire.
Les causes de cette attitude ? Des «combinaisons politiques et financières».
Rivalités bancaires en Amérique du Sud! Convoitises de l'étranger ou de concurrents jaloux désireux de s'emparer de l'affaire à trop bon compte! Intrigues socialistes faisant comme d'habitude le jeu de la finance internationale au détriment des intérêts français Les interventions conjuguées des socialistes Moch, Renaudel et Ernest Lafont sont à cet égard bien significatives!
Enfin, se greffant sur tout cela, il y a ce qu'on pourrait appeler «la conspiration des médiocres et des envieux», de tous ceux qu'on trouve toujours dressés contre toute œuvre d'avenir d'une conception neuve, un peu audacieuse, que ce soit le canal de Panama, L'Ami du Peuple ou l'Aéropostale; de tous ceux aussi qui voudraient bien mettre, la main sur l'affaire et la transformer en «fromage d'Etat» pour, pouvoir caser tout à loisir leurs parents, leurs amis, leurs créatures, leurs partisans, les fils et neveux de leurs grands électeurs, bref toute une  séquelle de protégés, d'incapables et de paresseux qui auront vite fait de ruiner l'Aéropostale!
L'Aéropostale est maintenant entre les mains d'une «commission de contrôle» qui, sous prétexte de contrôler, prétend tout diriger, entend s'immiscer partout et apporte partout avec elle une fâcheuse atmosphère de suspicion, de délation, d'indiscipline, d'incompétence et de  désordre.