Un visage méconnu d'Antoine de Saint-Exupéry : celui de
l'inventeur, qui a déposé une dizaine de brevets pour des
appareils destinés à l'aéronautique ou à la marine. Aucun n'a
été industrialisé mais ces idées sont présentes aujourd'hui dans
les cockpits. Les voici... toutes !
Brevet n° 836.790, 1937 :
Saint-Exupéry s'attaque au problème de l'approche d'un terrain
d'aviation par très faible visibilité. Il imagine un système d'aide
radiocomposé de deux émetteurs radio installés de part et d'autre de
la zone d'atterrissage (à l'époque des terrains en herbe ou en
terre, on parlait de « champ d'aviation » plutôt que de piste
d'atterrissage). Leur émissionest un fin pinceau tournant et un
indicateur au tableau de bord de l'avion montre la position du
terrain. Aujourd'hui, de multiples appareils servent à cette
fonction. L'idée de l'émetteur tournant existe encore dans le
système des VOR (VHF Omnidirectional Range), des balises au sol.
Brevet n° 838.687, 1937 :
Cette invention-là est superbe : un instrument capable de
centraliser les indications d'autres instruments pour les rassembler
sous l'œil du pilote. Pour parvenir au résultat, Saint-Exupéry
conçoit un ensemble compliqué de faisceaux lumineux, de miroirs
tournants et de cellules photoélectriques. Il faudra l'informatique
et les écrans plats pour résoudre le problème avec des écrans
affichant toutes les données essentielles.
Brevet n° 850.093, 1938 :
C'est... le moteur-fusée ! Pour améliorer la « sustentation » et la
« traction», Antoine de Saint-Exupéry, en 1938, pense aux fusées,
qui existent déjà (l'Américain Robert Goddard en fait alors voler
depuis 20 ans), et « à d'autres sources d'énergie provoquant un
effet d'expansion dans un fluide compressif », en gros un
réacteur... Plutôt que de se servir de la seule poussée de ces
engins, Saint-Exupéry les fait souffler sur les ailes ou les
gouvernes pour en augmenter l'efficacité (la portance). L'idée est
toujours exploitée aujourd'hui.
Brevet n°850.098, 1938 :
Cet appareillage astucieux suit automatiquement une route suivie par
un avion ou un navire et peut même la tracer sur une carte. Il est
censé remplacer les dispositifs « basés sur l'entraînement d'une
sphère », que Saint-Exupéry juge coûteux, encombrants et peu précis.
Le pilote-écrivain-inventeur simplifie le problème avec un mécanisme
d'horlogerie dont la vitesse de rotation est calquée sur celle de
l'avion et qui reçoit aussi, mécaniquement, les indications de
changement de cap. Plus tard, cependant, les systèmes à sphères
tournantes, devenus gyroscopes, voire centrale inertielle, rendront
efficacement le même service, ne cédant la place que devant
l'informatique et le GPS.
Brevet n°861.203, 1939 :
Saint-Exupéry pilote des multimoteurs. Quand deux, trois, quatre
moteurs, voire plus, équipent un avion, les instruments se
multiplient dans le cockpit, pour indiquer le régime, la température
et la pressiond'huile et bien d'autres choses encore. On peut
centraliser tout cela dans un ou plusieurs écrans, explique
Saint-Ex, en avance sur son temps de quelques décennies. Lui fait
appel à la technique de l'époque avec des oscilloscopes à tube
cathodique et des « générateurs d'oscillation polyphasée »
synchronisés avec la rotation de chaque moteur.
Brevet 861.386, 1939 :
C'est un démarreur à eau ! Sur les appareils de l'époque,
l'électricité est rare, voire absente. Il n'y a ni génératrice ni
alternateur. Alors pour démarrer un moteur, tous les moyens sont
bons : lancer l'hélice à la main, envoyer de l'air comprimé dans les
cylindres ou utiliser de lourds volants d'inertie que l'on met en
rotation avec des méthodes variées. Ce dernier principe est le plus
efficace pour les gros moteurs, et Saint-Exupéry le perfectionne
avec des tambours que l'on peut remplir d'eau pour les rendre plus
ou moins lourds. Au sol, ils sont plein d'eau et la puissance de
démarrage peut être maximale. L'eau est évacuée et réduit donc le
poids de l'avion. S'il faut relancer un moteur en vol (un exercice
courant à l'époque), on réinjecte juste un peu d'eau car l'hélice
est entraînée par le vent relatif, ce qui facilite le démarrage,
lequel réclame donc moins d'énergie (de couple). Astucieux, vraiment
très astucieux...
Brevet n° 924.902 et 924.903, 1940 :
Avec un ensemble de deux émetteurs-récepteurs radio, Saint-Exupéry
conçoit un instrument capable de localiser un repère, par exemple un
avion, en direction et même en distance. Le principe fait appel à
l'électronique, permettant une rotation du signal émis jusqu'à «
1.000 tours par seconde ». Le signal est émis par A, modifié et
réémis par B, puis reçu et analysé par A. On croirait voir là
l'ancêtre du transpondeur, qui, à bord d'un avion actuel, réémet une
information, servant à l'identifier, sur la fréquence du radar
venant de le localiser.