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CHANTS DE SIRÈNES SUR LE ZEPPELIN * source La Revue hebdomadaire, janvier 1933 (*) Nos lecteurs se rappellent le juste retentissement provoqué dans une partie de la presse française par l'article sur l'Aéropostale paru dans notre numérodu 12 novembre dernier. L'auteur de cet article continue aujourd'hui sa courageuse campagne pour l'indépendance de notre aviation nationale. N.D.L.R.
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«L'Aviation française, Messieurs, n'est pas aux pilotes, elle n'est pas aux constructeurs, elle n'est pas même au ministre; l'Aviation française n'est à personne! » Telles sont les fortes paroles qui s'envolèrent certain soir de la bouche de M. Laurent-Eynac alors qu'il était ministre de l'Air. Le menton dressé, le poing sur la table, M. Laurent-Eynac parlait à l'Aéro-Club de France. Des applaudissements saluèrent sa noble péroraison, car tout le monde trouvait bien et beau que l'Aviation française n'eût point de maître.
Cette phrase de M. Laurent-Eynac s'est gravée dans notre mémoire comme un sinistre refrain de faubourg. Si l'Aviation française n'est à personne, c'est qu'elle est cela va de soi à la Démocratie. Pauvre fille perdue, née enfant trouvée, l'Aviation française est en réalité à qui veut la prendre. Sur «le chemin de Buenos-Aires», elle vient de rencontrer le protecteur sérieux M. le docteur Eckener, seigneur de la Luftschiffbau Zeppelin Gesellchaft. Des intermédiaires intéressés ou égarés rivalisent de zèle pour favoriser l'accomplissement d'un programme insensé. La carence officielle a docilement servi les intérêts d'une certaine finance et ces intérêts-là commandent aujourd'hui de livrer aux entreprises allemandes les positions -jugées trop belles- de notre aviation marchande. Tous les procédés, toutes les subtilités de la propagande la plus insidieuse sont mis en œuvre pour attirer l'esprit public à des vues misérables et pour lui suggérer qu'il serait habile de ratifier la capitulation. Selon les «couches» qu'elle travaille, cette propagande change la trame de ses clichés; mais c'est toujours la même image folle qu'on nous met sous les yeux. Cette image-là, nous la retrouvons partout, tantôt dans sa rude crudité, tantôt savamment camouflée sous des grâces certaines, créant l'obsession, préparant les renoncements. En janvier 1932, des pourparlers se sont noués à Berlin, à l'ombre du Comité de rapprochement économique franco-allemand, pour faire passer dans des mains allemandes nos positions aériennes en Amérique du Sud. L'affaire de l'Aéropostale a sa source dans ces louches tractations, ainsi que le projet d'internationalisation des aviations marchandes, déposé en février 1932 par les représentants français à Genève. Bien entendu, toutes les forces cachées, toutes les influences secrètes ont joué en faveur de l'Allemagne. Franc-Maçonnerie et Sûreté générale se sont retrouvées dans le même camp. Les buts que l'on poursuit sont d'une admirable simplicité. L'officieux Aérophile nous en livre le secret: collaboration franco-allemande «pour l'organisation et l'exploitation de lignes aériennes mondiales et plus particulièrement d'une liaison Europe-Amérique du Sud par Zeppelin». Le bien-pensant Aérophile ne s'indigne pas une seconde d'un tel projet. Il regrette seulement que d'étroites «susceptibilités nalionales» viennent en retarder la réalisation:... « On a trop dit que l'aviation rapprocherait les peuples pour que tous les espoirs ne soient pas permis, même dans notre vieille Europe, en dépit des difficultés à vaincre (L'Aérophile, organe officiel de l'Aéro-Club de France, numéro de février 1932, p. 43.. ) Tant que se déroulèrent en France les phases de ce drame de l'Aéropostale, dont le grand public ne paraît pas encore avoir mesuré la portée, on est resté dans l'expectative. L'enquête close, le débat parlementaire vidé, le chant des. sirènes reprend. Il s'élève d'abord en sourdine, puis, peu à peu, il monte de ton, crescendo, s'enfle majestueusement comme une vague, éclate enfin en symphonie triomphale. Si beau que soit cet hymne, nous y restons insensible nous lançons ici le coup de sifflet strident et brutal l'aviation française restera française; le Konzern Zeppelin ne cueillera pas les fruits du labeur français. Cette déclaration faite, suivons posément les manœuvres de l'ennemi. ***
A l'occasion du dernier
Salon de l'Aéronautique, l'Illustration a édité un
numéro spécial, admirablement présenté et fort
documenté. Ce numéro est l'œuvre de M. Henri Bouché,
directeur de la belle revue spécialisée: l'Aéronautique.
Ancien élève de l'École normale supérieure
(lettres), M. Henri Bouché fut un admirable
combattant de l'air. C'est 'un écrivain de talent et
un technicien avisé. Aussi la délégation française à
Genève l'a-t-elle désigné pour participer aux
travaux du Comité
de coopération entre Aéronautiques civiles,
organisme de la Société des Nations.
Or, à Genève, M. Henri Bouché s'est fait le protagoniste passionné de la thèse de l'internationalisation. A Genève, -et aussi en France– nombre de gens qui ont l'esprit assez bon trouvent que M. Henri Bouché va trop loin, beaucoup trop loin. Maintenant que nous connaissons l'auteur, feuilletons le numéro spécial que l'Illustration a offert au public cultivé qui forme sa clientèle. Premier article, signé Henri Bouché. En voici sommairement la substance: L'industrie aéronautique tout entière est frappée d'inquiétude. Pourquoi? Parce que le producteur est partout industriel d'État. Va-t-il continuer à demander ses ressources aux finances publiques? Ressources malsaines, certes. Or, techniquement, l'aviation est en progrès le rayon d'action, la vitesse ne cessent d'augmenter. Progrès «en vase clos», recherché sans contact avec la clientèle libre. Progrès «quantitatif», qui conduit l'avion au gigantisme. Progrès illusoire, né du souci qu'ont les constructeurs de mettre en lumière par le record la supériorité de leur production. Plus éclatantes sont les manifestations d'efficacité de l'engin, plus grande est la tentation qu'ont les États d'élargir le rôle de l'avion dans la Défense nationale. D'où glissade vers les théories douhétiennes, qui nécessitent une débauche de matériel. Ainsi la recherche de la maîtrise aérienne mène les États à la ruine. Désormais «cet enchaînement, ajoute M. H. Bouché, est clair dans l'esprit des négociateurs et des délégués de tous les pays. ( Nous conseillons vivement aux lecteurs soucieux de documentation plus complète de lire dans la Revue aéronautique internationale, éditée par la Cina (n° 3, mars 1932), p. 21 et suivantes, le compte rendu détaillé de la Conférence sur la réduction et la limitation des armements tenue à Genève en février 1932. Ils pourront v constater que l'adhésion de tous les États est toute virtuelle, car elle n'est guère unanimequ'en ce qui concerne le principe humanitaire . Les termes mêmes de certaines adhésions puent l'hypocrisie. Presque toutes les délégations ont fait suivre leur déclaration de réserves d'ordre pratique, annonciatrices d'un torpillage magistral. La note comique est donnée par la Chine qui demande froidement que l'échelle des armements soit fixée pour chaque pays suivant l'étendue de son territoire, le chiffre de sa population, la longueur de ses frontières. Pour l'Aéronautique marchande, il y a eu scission violente. "Cf p. 153 et suivantes, Revue aéronautique internationale, numéro 4 juin 1932". On y apprend (p. 158) que c'est M. Henri Bouché qui a introduit le premier dans la discussion -Comité de coopération entre Aéronautiques civiles. S. D N., Genève, mai 1032- la conception des Sociétés internationales. Ont voté pour France, Belgique, Pologne, Tchécoslovaquie, Espagne. Ont voté contre, en déclarant inopportun de poursuivre l'étude proposée Allemagne, Angleterre, Etats-Unis, Italie, Pays-Bas, Suède. Le refus est accompagné de cet attendu «La forme d'une société de droit international public n'a jamais été réalisée pour des entreprises commerciales quelconques, ni même pour des entreprises de transport terrestre ou maritime qui existent cependant depuis des siècles.» Devant la généralisation forcenée du principe, l'Allemagne dit non). Cette thèse est exactement celle que M. Henri Bouché a présentée à la Société des Nations. La seconde partie de l'article traite de l'identité de l'avion de bombardement et de l'avion de transport. Là M. Bouché fait sienne la formule de M. de Madariaga: Toute l'aviation militaire est offensive, et il conclut à l'internationalisation de l'aviation marchande. Ce que veulent sauver les protestataires, ce sont les «industriels de l'aéronautique», dont les intérêts, dans l'état actuel des choses, convergent trop directement vers la thèse du «national» à outrance. En clair les patriotes au service des marchands de canons. L'argument socialiste. Enfin l'article se termine par un couplet de foi dans l'aviation «tout court», l'aviation au-dessus des patries. Les bons esprits doivent «s'élever au-dessus d'eux-mêmes» pour communier dans l'amour universel que leur apportera l'Aviation-but-en-soi, l'Aviation-abstraction, messagère de paix entre les hommes!... Admirable rencontre de deux normaliens: M. Léon Blum dit au Populaire la même chose que M. Henri Bouché à l'Illustration. Second article. M. Geo Ham, artiste peintre, nous présente un très beau reportage qu'il a fait en avion de l'Aéropostale, comme «colis enregistré», entre Paris et Santiago de Chili. M. Geo Ham a beaucoup de talent et il écrit dans un style vivant et coloré. Son voyage fut une suite d'aventures il a vécu avec intensité l'épopée du courrier, que son pinceau et sa plume nous restituent. Il s'enthousiasme pour l'action périlleuse, hardie, obstinée, pour le «on passera quand même». Vols romantiques dans la nuit, escales de fortune, mal commodes, sur des terres exotiques, avion montrant sa soute à bagage encombrée comme la cale d'un cargo bourlinguant «à la dure»avec l'interprète chleuh réglementaire, prêt à intervenir en cas d'atterrissage forcé chez les Maures. On sent que, s'il le faut, tout le monde est prêt à faire en bas le coup de feu. Plus loin, c'est l'aviso fonçant à toute vitesse dans la grande houle, puis le transport du courrier, en auto, à travers les terres inondées, jusqu'au terrain d'escale. Enfin le Potez 25, nef ridiculement minuscule, ramant comme un pauvre oiseau perdu, dans le chaos des Cordillères. Tout chante ici le vibrant hommage, si mérité, à ce héros qu'est le pilote de ligne. La couleur des illustrations amplifie l'effet de violence voulue. Comme on sent bien dans l'émotion de l'artiste que chaque vol est un raid hasardeux et qu'il faut, pour tenir une ligne dans ces conditions-là, un héroïsme fou! Le magnifique article de M. Geo Ham n'a qu'un tort, dont l'auteur ne porte en rien la responsabilité, c'est d'être placé là où il est. Des mains habiles ont su en tirer un contraste que M. Geo Ham n'a certainement pas cherché, elles l'ont utilisé à une fin qu'il n'avait pas soupçonnée. Tournons la page. Troisième article. II est placé à côté de celui de M. Geo Ham dont il paraît être la suite toute naturelle. Il s'agit d'un autre reportage, d'un autre voyage, entre la France et l'Amérique du Sud. Maisi ô miracle I Soudain comme tout change! Est-ce possible? Après la lutte farouche et grandiose, voici qu'on nous montre la domination des airs accomplie comme en se jouant. Il semble que cet article-ci puisse s'intituler «Vingt ans après», selon le procédé qu'emploient volontiers les magazines de vulgarisation populaire où l'on voit, par exemple, le bateau à roue de Robert Fulton à côté d'un paquebot de grand style. C'est bien, en effet, un émerveillement de même sorte qu'on veut faire surgir dans notre esprit. Nous sommes, cette fois, non plus dans la carlingue de grande aventure, mais à bord du majestueux Graf Zeppelin avec M. Charles Dollfus. M. Charles Dollfus a fait, en octobre 1932, un magnifique voyage à bord du dirigeable allemand. Il nous en a vanté les attraits dans plusieurs journaux. A voir les belles photographies qu'il nous présente, comme on comprend que son enthousiasme déborde! Regardez ce salon pareil à celui d'un yacht. Le steward en veste blanche, l'élégante passagère rédigeant des cartes postales, M. Charles Dollfus et quelques compagnons de voyage devisant devant des tasses de thé, le docteur Eckener lisant les journaux paisiblement. Ah! ce n'est pas dans l'avion de l'Aéropostale de tout à l'heure qu'on eût pu jouir, avec un si magnifique détachement, de si aimables loisirs! Voyez cela existe, cela est à portée de notre main. Pourquoi nous épuiser à une inégale rivalité? M. Dollfus veut nous faire aimer ce qu'il aime plus que ce que nous aimons. Il est parti de Friedrichshafen en curieux, il nous revient prophète. Le voici dévoré par la fièvre de l'apostolat pro-allemand. On imagine aisément la scène idyllique. C'est au retour, de préférence, qu'elle trouve son «climat» favorable, alors que Charles Dollfus, habitué à vivre sur le «Graf Zeppelin», se sent attaché déjà à ce dirigeable, dont la marche rectiligne et le glissement rapide ont conquis son âme, troublé sa tête, égaré son cœur. II est subjugué à souhait, pénétré d'une vénération sacrée pour ce docteur Eckener, dont le regard a une puissance inexprimable quand il se penche pour prendre de la mer et des nuages ce qu'il en veut connaître. ...Ce même regard volontaire et dur qu'il devait avoir sans doute, à bord d'un autre zeppelin, lorsque, quinze ans plus tôt, durant les nuits du «temps de la colère», il venait, tous feux éteints, bombarder Londres ou Paris endormis. ...Oui, on imagine la scène et le décor. C'est dans le salon si délicieusement intime que «cela» se passe, devant les grandes baies d'où l'œil vient de suivre le spectacle grandiose du soleil couchant incendiant l'horizon. Le soir tombe. L'heure est apaisante. Une
immense bonté tombe du firmament.
C'est l'instant émouvant où, sur les paquebots lointains, dans les mers tropicales, les couples deviennent plus tendres et plus voluptueux. C'est l'heure où les femmes cèdent. ...Et le docteur Eckener de dire doucement, avec un gros soupir: -Ah! si les Français voulaient!... Ce serait si beau!... Et M. Charles Dollfus, abîmé dans sa contemplation, de répondre: -Pourquoi ne voudraient-ils pas?... Ce serait si beau! Un silence lourd sur les interlocuteurs. Puis, d'une voix douce et attristée, le docteur Eckener reprend: -S'il n'y avait que votre gouvernement, ce serait bien facile! Mais il y a, hélas, votre opinion publique... A ce mot, M. Charles Dollfus a tressailli: - L'opinion publique?... Est-ce que cela compte? L'opinion publique, docteur Eckener, on la fait! Il suffit de quelques hommes intelligents, souples et patients, qui sachent s'y prendre. Votre supériorité si éclatante sera notre argument majeur. Précisément, M. Henri Bouché et moi préparons en ce moment un beau numéro spécial de l'Illustration pour le Salon. Le public d'élite nous lira: nous saurons enrober la pilule de tous les reflets d'or qu'il il faut pour éblouir. Étonné, le docteur Eckener s'est redressé: – C'est très intéressant, cela, très intéressant!... Mais qu'en pensera la direction de l'Illustration? On la dit très attachée à vos traditions... Alors, M. Charles Dollfus, le visage éclairé soudain de ce sourire ironique que tout le monde lui connaît, de répliquer finement: - Elle n'y verra que du feu, docteur Eckener, car elle est libérale. et puis, nous aurons de si belles photographies!... Oui, en vérité, c'est bien ainsi qu'a dû se dérouler la scène. Le souvenir des belles heures passées sur le Graf Zeppelin inspire à M. Dollfus un voeu qui mérite quelque attention: «Il faut en France,
écrit-il (L'Illustration,
numéro de l'Aéronautique, 19 novembre 1932) ,
pays situé mieux que tout autre sur les grandes
routes aériennes, créer les mâts d'amarrage (A remarquer que M.
Charles Dollfus ne dit pas -et qu'il ne
saurait dire– qu'il faut créer des
dirigeables. Il sait mieux que personne que,
de ce côté-ci, nous avons trente ans de retard
sur l'Allemagne. Ce qu'il faut, ce sont
simplement les mâts d'amarrage, les positions
de départ et d'escale pour l'Autre.), achever
l'aménagement du port aérostatique d'Orly; car, à
côté de l'aviation, à côté du chemin de fer, à
côté de la navigation maritime, existe maintenant,
par dirigeable, un transport aérien régulier de
passagers au long cours.»
Le diable porte pierre. Nous remercions M. Charles Dollfus d'apporter avec tant de bonne grâce et de talent une eau si limpide à notre moulin. Tandis que les sirènes chantent, les naufrageurs se préparent à exploiter le succès. Qui donc a accusé nos services de l'Air de n'être point prévoyants? Dans le même temps où s'organisait la «mission» de M. Charles Dollfus, le ministère de l'Air se préoccupait de savoir comment il s'y prendrait quand les zeppelins seraient à Orly, et il faisait traduire par le service spécial de l'Aéro-Club une étude anglaise traitant De l'ENTRETIEN et du service des grands dirigeables rigides (le ministère de l'Air ne fait pas traduire les documents secondaires. Seuls sont traduits les documents auxquels on attache une certaine importance. Remarquons qu'il ne s'agissait pas cette fois de rassembler une documentation sur la construction des grands dirigeables rigides: ce qui a intéressé spécialement le ministère de l'Air c'est le service et l'entretien d'aéronefs dont, seule en Europe, l'Allemagne est pourvue actuellement,). La France n'a pas de dirigeables rigides. Quels dirigeables rigides se prépare-t-on à servir et à entretenir avec tant de soin? Les dirigeables rigides qui sont l'objet de tant de sollicitude sont l'actuel Graf Zeppelin L. Z. 127 et ses frères cadets en construction le L. Z. 128, le L. Z. 129, auxquels se joindront sans doute un peu plus tard les dirigeables rigides fabriqués actuellement en Russie, d'après les plans allemands, sous la direction du général italien Nobile, actuellement en mission chez les Soviets. Tout conspire à entraîner les esprits vers l'abdication fatale tout s'acharne à nous amoindrir et à nous désarmer. Au bout de cela il y a la certitude de l'agression, la tuerie aéro-chimique. Nous y roulons les yeux fermés. La propagande scélérate se développe suivant un plan concerté. Le projet d'internationalisation déposé à Genève par les délégués français n'a aucune chance d'aboutir. Les peuples qui ont encore la notion de l'impérial Allemagne, Angleterre, Italie, l'ont repoussé. Ce projet vise à l'internationalisation de l'aviation française seule. Il semble qu'on en prenne assez vivement le chemin [En voici la preuve le 6 décembre 1932, le Sénat a enfin voté le Statut de l'Aviation marchande qu'on attendait depuis plus de dix ans. Nous y lisons Art. 25. L'État, s'il estime. préférable de taire exploiter la ligne PAR UNE organisation internationale, pourra résilier la convention dans des conditions qui seront fixées par une loi spéciale (J. O 6 décembre, p. 1418). Or, nous savons que les sociétés aéronautiques à forme internationale ne sont pas encore admises par le code aérien international «Charte de 1919». La loi française va au-devant du sacrifice.]. Dans le clan libéral, dont l'Aéro-Club de France est le foyer essentiel, l'acte de foi se récite ainsi: « Admirez, s'il vous plaît, les bienfaits quasi surnaturels de cette internationalisation charges allégées pour les gouvernements, qui n'auront plus à subventionner lourdement les compagnies nationales; fin des concurrences ruineuses développement harmonieux, selon les lois du plus pur déterminisme économique, des réseaux aériens là où ils sont utiles «au bien de l'humanité» et, en même temps, force internationale au service du providentiel Super-État, prompt à voler au secours des faibles et impitoyable aux méchants». A Genève, certains «nationalismes étroits» ont repoussé ce beau programme. Ne soyons pas si bornés adoptons-le pour notre compte! L'officieux M. Charles Dollfus surgit à point nommé pour introduire le loup dans la bergerie. Hier encore, il y avait à l'Aéro-Club de France quelques «îlots de résistance». On est sûr maintenant qu'ils seront réduits. L'enthousiasme «sportif» commence à dissoudre les volontés le goût des beaux raisonnements d'une Économie politique de salon fait le reste. Demain, tout l'Aéro-Club de France sera avec M. Charles Dollfus pour le zeppelin contre l' «irrationnelle» Aéropostale. Le petit couplet rituel sur la grande misère des pilotes de ligne suffira à effacer l'ombre des derniers remords. Il faudrait se raidir. L'Aéro-Club de France n'a point pour habitude de se raidir ni contre les Pouvoirs établis, ni contre les volontés occultes. ***
Le milieu libéral une fois
contaminé, on avance d'un pas. Avec la parole voici
le film. Unissant ses efforts à ceux de M. Charles
Dollfus, la maison Pathé-Nathan a eu aussi une
«mission» officieuse. Les attaches
radicales-socialistes de M. Nathan sont notoires
dans le monde du cinématographe. Aussi lui a-t-on
confié un travail de choix. Pour le public français,
cette firme a été chargée de filmer un
«documentaire» à bord du Graf Zeppelin. Une nouvelle arme
est déposée dans les mains ennemies.
Le 21 décembre dernier, il y a un mois l'Association-française-aérienne a convoqué ses adhérents des jeunes gens enthousiastes d'aéronautique pour la plupart à une conférence suivie d'une projection: Le conférencier était M. Charles Dollfus, qui avait pour sujet: De Friedrichshafen à Rio de Janeiro avec le Graf Zeppelin. Le film était celui de Pathé-Nathan. L'élite de l'aviation assistait à cette soirée, mêlée au jeune public de l'Association. M. Laurent-Eynac, qui devait présider, s'est excusé à la dernière minute, le dosage des partis dans le ministère Paul-Boncour l'ayant doté d'un portefeuille. Les idées de M. Laurent-Eynac sont bien connues, et chacun sait qu'il est le porte-parole du Grand Orient. La cause la mauvaise cause dont il s'est fait le champion, est celle-ci l'Aéronautique marchande sera internationale ou ne sera pas. $a présence eût donné un relief particulier à la réunion du 21 décembre au cours de laquelle M. Charles Dollfus a montré une chaleur, une passion même qu'on ne lui avait encore jamais vues. Pour notre édification, prenons place sur l'estrade officielle de l'Association française aérienne et écoutons le conférencier. M. Dollfus commence par nous dire que son voyage a été une mission officielle, qui lui a été confiée par M. Caquot, directeur général technique du ministère de l'Air, généralement mieux inspiré. Le soir du 9 octobre, notre «chargé de mission» est à Friedrichshafen. Il nous dit avec quelle humilité il s'approche du prestigieux dirigeable allemand. M. Charles Dollfus est en état de grâce. Il franchit la passerelle, il prend place à bord, le cœur soulevé d'enthousiasme. Le zeppelin prend le départ en pleine nuit sous les faisceaux des projecteurs la vision est féerique. Du haut de la nacelle, M. Charles Dollfus contemple longuement les villes allemandes et suisses, toutes scintillantes de lumières. Le Graf Zeppelin glisse dans la nuit, emportant M. Charles Dollfus abîmé dans l'extase. Mais voici la terre de France alors, brusquement, l'ivresse du voyageur tombe d'un seul coup. «Ce spectacle n'offrant aucun intérêt particulier» (sic), M. Dollfus va se coucher... Pour le dirigeable allemand et le personnel d'élite qui le conduit M. Charles Dollfus pousse l'admiration jusqu'à l'idolâtrie. Glanons quelques détails savoureux dans la causerie du «chargé de mission» français. Le docteur Eckener? C'est « Jupiter, Éole et Neptune à la fois, réunis en un seul homme » (sic) La bonne foi allemande? Voici qui en donne la mesure à M. Dollfus chaque fois que le dirigeable aborde le territoire français, le commandant se soumet respectueusement aux « stupides » ordres de nos autorités les appareils photographiques des passagers sont confisqués et remis au dévoué steward, qui ne les rend à leurs propriétaires que lorsque le zeppelin a franchi de nouveau la frontière. M. Dollfus nous rapporte à ce sujet la réflexion d'un passager américain qui ne peut s'empêcher de lui dire «Quand on a un pays aussi beau que le vôtre, monsieur, on en laisse fixer l'image sur la plaque sensible!» Le conférencier admet ce point de vue et déplore qu'il ne soit point permis aux voyageurs aériens de photographier librement notre sol. Entre cent autres, de même signification, voici un trait: au cours de sa croisière, le long de la côte du Brésil, M. Dollfus aperçoit au loin un avion. Son œil exercé l'identifie tout de suite c'est un Junkers à flotteurs, du Kondor Syndicat allemand, qui exploite des lignes aériennes en Amérique du Sud. Un peu plus tard, voici un autre avion. Celui-ci est rouge et de silhouette «moins familière». Qu'est-ce donc? D'abord, M. Dollfus le prend pour un «petit» appareil de tourisme mais il s'aperçoit enfin que c'est un Latécoère français «le courrier Sud» de l'Aéropostale. Comme pour s'excuser de cette vision inopportune, M. Dollfus déclare qu'il n'est pas cocardier. Nous protestons avec vivacité. M. Dollfus médit de lui-même: il s'est révélé au contraire terriblement cocardier en cette soirée du 21 décembre. Il n'est que de s'entendre sur les couleurs. Personne en effet ne pourrait estimer que M. Dollfus fût cocardier si la cocarde est bleu, blanc, rouge mais tout le monde sera d'accord qu'il est cocardier avec véhémence si la cocarde est aux couleurs de l'Empire allemand. Continuons. Le zeppelin arrive de nuit au-dessus de la plus belle baie du monde, celle de Rio de Janeiro. Au cours de ses voyages précédents, le dirigeable s'est arrêté à Pernambouc. Cette fois, à titre d'essai, il a poussé sa randonnée jusqu'à la capitale du Brésil. Tandis que l'aéronef survole longuement la ville à basse altitude, le bruit des vivats de la foule monte dans le ciel limpide, comme le hosannah de tout un peuple. Le spectacle atteint une grandeur pathétique et M. Charles Dollfus y participe de toute son âme, au point d'en être ému jusqu'aux larmes. Mais ces larmes d'attendrissement, ces larmes d'amour, elles vont surtout aux créateurs de l'admirable machine que M. Dollfus met très haut au-dessus de sa propre patrie. En évoquant cet instant où il a vu triompher l'âpre orgueil allemand, M. Dollfus n'a pas un mot, pas un seul mot de regret pour la France, pas la plus petite ombre d'émotion française. Enfin, voici sa conclusion, en tous points conforme à celle qu'il a donnée à l'Illustration «il faut nous hâter» de collaborer avec le Konzern Zeppelin; il faut faire d'Orly la base de départ des dirigeables allemands vers l'Atlantique Nord il faut construire un mât d'amarrage à Lyon et un autre à Marseille.» Nous disons tout franc à M. Dollfus que ses conclusions sont ridicules. Nous lui faisons l'honneur de croire qu'elles ne sont que cela. Au nom de l'Association Française Aérienne, M. Carlier, son président, a exprimé quelques réserves. On les eût souhaitées plus nettes et plus fortes. Ces réserves de M. Carlier, elles ont paru porter surtout sur la confiance que M. Dollfus accorde au plus léger que l'air. M. Carlier a protesté surtout au nom de l'Avion contre le Dirigeable. On eût aimé lui voir d'abord opposer le destin français au destin germanique. Après la conférence, le film. Nul n'en saurait nier la beauté réelle. Nous avons trop la passion des choses de l'air pour n'avoir pas été émerveillé par les grandioses tableaux qui se sont déroulés sur l'écran. Nous admirons sans réserve la perfection de l'aéronef allemand; nous saluons la maîtrise extraordinaire du docteur Eckener, qui est un ingénieur éminent et le plus grand navigateur aérien du monde; nous rendons à la ténacité allemande l'hommage qui lui est dû. Nous tirons notre chapeau courtoisement, en connaissance de cause. Mais nous refusons de capituler comme on nous y convie. Au cours de cette soirée du 21 décembre, beaucoup de mal a été fait quelques centaines d'auditeurs parmi les spécialistes de l'aéronautique et, chose encore plus grave, un grand nombre de jeunes gens ont été contaminés. Jusqu'où cela va-t-il aller? Combien de temps cela va-t-il durer? Oui ou non, les Français vont-ils enfin se réveiller? Vont-ils enfin crier à M. Charles Dollfus et à quelques autres: «En voilà assez!» Un miracle fera-t-il que devant tant d'impudeur, les Français, pour si anesthésiés que l'on puisse les croire, se dressent enfin pour rappeler qu'entre le docteur Eckener et nous, il y a quinze cent mille morts? ***
Nous savons ce que l'on va
nous dire avec une moue dédaigneuse: «Quelle
étroitesse d'esprit! quelle pauvreté
d'arguments! Vous ne voulez pas parler aux
Allemands? C'est donc la brouille éternelle? Quelle
folie! »
Les mots n'y feront pas plus que les images. Nous resterons enchaînés au navire, comme les matelots d'Ulysse devant l'île aux Sirènes. Nous n'en démordrons pas: L'aéronautique française doit être impériale comme les autres aéronautiques! Car il faudra bien, à la fin, que le public le sache toutes les autres aviations marchandes sont impériales, avec véhémence. Nous sommes les seuls au monde à n'avoir pas encore compris quelle est la partie qui se joue là-haut. Quant à parler aux Allemands, nous l'accepterions volontiers: il s'agit seulement de savoir comment et par la voix de qui. Nous refusons à M. Laurent-Eynac, à M. Dumesnil et aux autres interprètes de cette qualité le droit de s'ériger devant le docteur Eckener, en porte-paroles du pays de Richelieu. Nous savons trop bien ce qu'ils ont cédé et à quel prix: Trois lignes italiennes sur Tunis (pour une seule ligne française !) et le droit d'escale à Marignane (Marseille) pour les hydravions italiens de la ligne Gênes-Barcelone, en échange du seul droit d'escale des avions de l'Air Orient à Naples. Libre passage du zeppelin sur la vallée du Rhône et la côte occidentale de la Méditerranée; même droit de survol et escale à Marignane pour les avions de la Lufthansa; droit de survol de Cherbourg, port militaire, zone interdite aux avions français, accordé aux hydravions allemands catapultés par les paquebots du Norddeutcher Lloyd tout cela contre le simple droit de passage pour notre Cidna en Allemagne du Sud, avec une seule escale à Nuremberg, et libre survol sans escale d'un coin de Silésie. Tentative avortée de cession du libre accès au port de Casablanca, pour fournir à la Lufthansa une base de départ, d'où elle nous eût concurrencés sur l'Atlantique Sud. Autorisation clandestinement accordée au zeppelin de transporter du courrier «à titre d'essai» entre l'Europe et l'Amérique du Sud, alors que le monopole de ce transport par air appartenait à l'Aéropostale. Cession gratuite gratuite pour la France du droit d'escale en Guyane et aux Antilles françaises aux avions américains de l'ancienne Nyrba, fusionnée aujourd'hui avec les Panamerican Airways (Cet abandon a tué dans l'œuf certain projet de ligne aérienne étudié par l'Aéropostale pour desservir nos colonies d'Amérique). Acceptation sans murmure d'un viol de frontière au Tibesti français par le ministre italien Balbo en personne, à bord d'un hydravion militaire, escorté d'autres avions militaires; vol prémédité dont l'objet était d'affirmer avec éclat le prétendu droit italien sur l'accès au Tchad. Silence complet sur ce fait dont le public français n'a jamais rien su (A l'époque de Fachoda, les politiciens de la République capitulaient déjà mais le public en était informé, et Il réagissait. Aujourd'hui les politiciens de la République continuent de capituler mais, le plus souvent, le public n'en sait plus rien. La «propagande française» s'est organisée contre la France. Quand le public entrevoit, trop tard, la vérité, il ne réagit plus). Nous ne voulons pas de pareils marchés ni de tels abandons. Nous ne voulons pas que l'aviation française soit vendue à l'encan par des politiciens, des francs-maçons, des financiers, ou des policiers, ou livrée pour rien par des bien-pensants aveugles et des entrepreneurs de publicité. Nous parlerons aux Allemands, librement, quand nous aurons secoué les hypocrisies, débarrassé les cerveaux de cet esprit de défaite dont on les empoisonne depuis quinze ans, quand la France sera redevenue la France, redressée! Quelques signes nouveaux dans le ciel semblent annoncer le sursaut sauveur. ***
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