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Parmi les pionniers
l'artiste-peintre  Jean Denis (mars 1921-février 1926)
par Gaston Vedel dans "Le pilote oublié"


Qu'est devenu Jean Denis?
pilote à Air Union? Une carte postale de Éric Lambert


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- Non, puisque le courrier de Malaga n'est pas encore arrivé, je préfère l'attendre. Cela me permettra de faire la connaissance du pilote qui l'amène.                      
- Comme tu voudras. C'est aussi bien d'ailleurs, puisque tu es affecté à Malaga. D'après le télégramme, c'est Jean Denis. 
- Le peintre? 
- Oui le peintre comme tu dis. 
- Ca me fait drôle. C'est pourquoi comment est fait un pilote peintre. 
- Oh, tu sais, il n'est pas si différent de nous que tu l'imagines. Seulement, lui a deux passions, la peinture et la Ligne et, il faut reconnaître qu'il mène assez bien les deux. En dehors de ça, tu verras, un garçon très sérieux, calme, reposant. Têtu comme une mule sur les principes, car il a des principes. Question pilotage, pratiquement un des meilleurs. Tu auras intérêt à le fréquenter...






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- Et Jean Denis?
- Il va bien. On lui a laissé un mécano qui a commencé à démonter le moteur. Il est à son affaire. Il dit que là où il s'est posé il y a des choses magnifiques à fixer sur la toile.
- Brave Denis, dit Delrieu. Du moment qu'il a ses couleurs et un bout de pain, il accepte tout avec philosophie.
- Un pilote peintre? interroge Verdier.
- Oui, un excellent pilote et très bon peintre. Il est déjà côté. Quand vous connaîtrez Denis, vous comprendrez. Un garçon hors série, fin, précis, ordonné, ne laissant peu de place au hasard et... profondément croyant. Une fois l'avion posé, il a jugé qu'ayant accompli son devoir de pilote, le peintre pouvait reprendre le dessus.
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 Une soirée avec Jean Denis


Le soir tombe rapidement. Denis revient du petit bois d'olivier, son chevalet et son pliant sous le bras. Il a l'air calme et heureux de celui qui s'intègre à la nature et qui est en paix avec lui-même. En arrivant près de ses camarades, il redescend de ses hauteurs. 
"Je crois que j'ai fait du bon travail. A cette saison et vers le soir, tout est en demi-teintes, très difficile à saisir. Peut-être, y suis-je arrivé? 
- Je vous descends à l'hôtel, dit le chef d'escale. Demain nous vous prendrons à cinq heures trente." 
Arrêt au petit bar en rotonde. Anisado pour tous. Denis y touche à peine, juste ce qu'il faut pour ne pas refuser. Arrêt final à l'hôtel: "A demain." 
Dans la salle à manger, les deux pilotes sont presque seuls. Denis interroge le "nouveau". D'où vient-il? Comment est-il rentré à la Ligne? Que pense-t-il de son travaille et aussi, de Didier Daurat? Intuition. Il semble que Jean Denis marque une certaine distance vis-à-vis de ce chef dont il doit, sans doute, condamner l'inhumaine dureté. L'entretien change, Jean Denis raconte l'Espagne. Son histoire, ses cités, ses étonnantes églises dont chacune est souvent un musée. Verdier, surpris, parle des courses des taureaux. Alors Denis réagit avec une étonnante vigueur. Il s'échauffe. 
"Les courses de taureaux, en dehors de la couleur, une séquelle décadente des combats de cirque. Le triomphe orgueilleux du belluaire sur la bête stupide. 
- Pourtant, ces belluaires risquent leur vie. le combat n'est pas sans grandeur. Je vous concède que si le taureau est le plus souvent perdant ceux qui les affrontent y meurent parfois et terriblement. 
- Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de grandeur dans tout cela. Pour ma part, j'y vois surtout une soif dévorante de gain rapide, tristement doublée du désir d'étonner et de séduire les femmes. Évidemment, il y a comme de partout le revers de la médaille. Dans les courses de taureaux, il est à la mesure des gains espérés et encore... si le combat est correct... ce qui est loin d'être toujours le cas. Même dans le cas d'un combat absolument loyal entre l'homme et la bête, il en reste pas moins vrai que l'homme joue sa vie contre beaucoup d'argent et des succès d'alcôve. C'est un piège diabolique. Oui, diabolique, dit Jean Denis d'un ton définitif. 
- Et ce que nous faisons, nous? Qu'en pensez-vous? 
- Ah non, pas de comparaison possible. Premièrement, nos traitements sont dérisoires et ne nous permettent que de faire face à nos besoins essentiels. Deuxièmement, nous risquons notre vie quinze jours par mois, au moins, et non durant une saison, comme pour les courses de taureaux. Troisièmement, nous menons dans les airs un combat solitaire pour une cause destinée à servir l'humanité toute entière. Quatrièmement, ceux d'entre nous qui profitent du prestige d'aviateur pour séduire ne durent pas longtemps. A l'heure actuelle, faire cinq cents kilomètres ou mille par tous les temps, à travers des régions difficiles et avec nos appareils, demande une concentration, un effort cérébral et physique qui réclament impérativement le repos du corps et la paix du coeur. En réalité, nous menons notre combat, seuls, à la face de Dieu. Voilà pourquoi il ne peut y avoir aucune comparaison entre l'aviateur tel que nous sommes et le matador revêtu de l'habit de lumière, centre de l'attention d'une foule en délire." 
Ainsi passe la soirée. Tout en causant, Verdier s'aperçoit que son camarade boit peu et ne fume pas. Il parle de sa vie, un peu monacale, du foyer qu'il espère fonder, des enfants qu'il compte avoir. Tout cela très simplement. Un puritain, pense Verdier. Une sorte de saint ailé. Assez rare dans la profession. Mélange  étonnant d'artiste et froid technicien dès qu'il est à bord de son appareil. Impavide devant le danger, paré pour la vie comme pour la mort. Rare, très rare. Un modèle, oui, mais un modèle inaccessible à beaucoup. Maintenant, le jeune homme comprend mieux cette sorte de légende dont est auréolé Jean Denis, pilote parfait et peintre de valeur. 
Mais Denis réalise, tout à coup, qu'ils sont seuls dans l'immense salle à manger. Dans un coin, le maître d'hôtel attend avec patience, un soupçon de reproche dans le regard. 
"Allons, mon cher Verdier. Il faut aller nous coucher. nous en aurons besoin demain. Et, en dehors de nos propres personnes, ne sommes-nous pas comptables de ces avions, de ce courrier, et éventuellement, de ces passagers qui nous sont confiés? 
- Vous avez raison. oui il faut aller dormir. Heureusement que don Luis m'a donné le moyen de me défendre contre les bavardages insupportables des serenos. 
- Comment, ils vous empêchent de dormir... Vous vous y habituerez et ferez bientôt comme moi. Leurs futiles propos arrivent à les oreilles comme un bruit de fond qui me pore plutôt au sommeil." 
Devant leurs chambres, les deux pilotes se serrent la main. Verdier prend son cachet, bouche ses oreilles. Denis doit prier, sans doute. Puis il s'endormira, le coeur pur et l'esprit en repos.  






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Jean Denis, le peintre, reçoit un ordre d'affectation pour Casablanca. La rumeur dit que M. Daurat l'envoie au Maroc pour faire partie de la première équipe du futur Casa-Dakar. En réalité il est désigné pour remplacer le pilote Gensollen qui s'est tué sur la ligne annexe de Casa, Fez, Oran, fin 1922 qui venant d'Oran et volant en aveugle, est rentré plein moteur dans le flan d'un escarpement du côté de Taza. Depuis près de trois mois, ce sont les pilotes de la ligne Casa-Toulouse qui effectuent le trajet à tour de rôle. En cadeau, Jean Denis, reçoit ce secteur redouté, au grand soulagement des autres. 
Oui, ça discute,  à perte de vue, dans les escales et les mécanos ne sont pas les derniers à rêver, eux aussi, de formidables aventures au pays des Hommes bleus. Certains en mourront, d'autres arriveront à la retraite avec le ruban rouge. Eternel mystère de la destinée.
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On retouve un pilote Jean Denis le 1er juin 1926, est-ce lui?
La concurrence sur le tracé Genève-Lyon-Genève fait rattacher Cointrin au réseau de la compagnie française Air Union dès le 26 mai. Les avions français SPAD-33 de la ligne, sont pilotés par Jean Denis, Pierre Delisle et Paul Codos. Ils permettent de rallier Paris, Londres, Marseille avec les autres avions de la Cie dans un délai raisonnable. Un nombre indéterminé de lettres est transporté sur cette ligne pour la 1ère fois le 1er juin. Le 26 mai, c’est l’ouverture de la ligne Genève- Lyon- Paris par Air Union source 



Ci-dessous recto-verso d'une carte postale envoyée par Eric Lambert