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Un
vieux
projet
Que d’émoi lors du premier survol de la Cordillère des
Andes en Boeing 707 au début des années 70 ! Le
trajet entre Buenos Ayres et Santiago du Chili découvre la
beauté de ce site empreint de l’histoire de l’Aéropostale.
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D’une
saison…… |
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C’est
la même
route qu’empruntaient nos glorieux pionniers :
La route du Nord à l’aller : Passage d’un col, le portillo
de la Cumbre, proche de l’Aconcagua, le plus haut sommet des
Amériques (7000 m).
Au retour, la route du Sud, survolant la Laguna del Diamante
et le volcan Maipo. Elle est éloignée de toute
présence humaine, à la différence de la route Nord
proche du chemin de fer Transandin.
Je m’étais promis d’y venir admirer les lieux, un jour, d’en
bas… Et quoi de plus motivant que d’ajouter à un projet de
randonnée sportive un peu du sel de l’histoire…
Pourquoi ne pas entreprendre de refaire le parcours pédestre
qu’avait fait Guillaumet après son capotage au bord de la Laguna
en juin 1930 ?
Les années ont passé, et s’en sont suivis d’autres
survols, en 747 , en A340
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….à
l’autre, |
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…. La
forme physique
n’étant pas éternelle j’ai enfin décidé, en
2002, de mettre ce projet à exécution.
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Don
Juan de
l’imagination… |
… Il faut de l’imagination, fertile, pour tenter de revivre ces moments
notoires et émouvants de la vie des pionniers de notre aviation…
De cette aviation dont les pilotes Français sont
légataires. De ce bel héritage qui nous vient de Jean,
Antoine, Henri, Marcel, Paul et les autres…Il est fait tout d’audace,
d’abnégation, de force physique et mentale, du mépris de
l’éloignement, de tant d’autres qualités d’homme… Et du
courage par-dessus tout.
Fermons les yeux. Oublions cette part de la vie moderne qui a
réduit les ailleurs, oublions le présent, et notre monde
en phase d’acculturation − vers une mono culture matérialiste…
Nous sommes en Argentine.
Là haut, la Cordillère des Andes. Vue de la Pampa, une
muraille. Derrière, le Chili.
C’est l’hiver, en ce mois de juin 1930. Les perturbations se
succèdent, rudes, avec leurs tempêtes de neige, le froid…
Et ce vent terrible qui vient de là haut, très haut,
très froid, pour ensuite balayer la Pampa.
La bourgade de San Carlos n’est pas très loin. Deux à
trois heures … à cheval.
Sur ces premiers contreforts des Andes, une bergerie…. Non, pas une
bergerie… La bergerie, la plus reculée, la dernière avant
la solitude du climat perdu.
Une très humble famille de gauchos partage la pièce
unique. Dehors, quelques têtes de bétail. Des
chèvres.
Le fils, Juan, a quatorze ans.
Ce n’est pas un décor bucolique. C’est son cadre de vie :
la bergerie, derrière, la Cordillère, là haut, la
Pampa, au loin, et, en contrebas, l’impétueux, l’austère,
le ténébreux Rio Yaucha.
Ses eaux, à ce moment recouvertes de neige et de glace, viennent
des vegas où, l’été, il est permis à Juan
d’aller chasser le Guanaco avec son père, quelque part, beaucoup
plus haut, en direction de la Laguna Diamante.
Une vision irréelle, hallucinante, saisit l’adolescent.
Le diable, oui, c’est assurément le diable qu’il voit, en bas,
en face, sur l’autre rive, le visage un peu noir, le cuir du
serre-tête par-dessus.
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Mendoza, novembre
2002
Une chambre d’hôpital, commune à trois patients.
L’Argentine ne va pas bien, pays ruiné par une classe politique
déconsidérée, aux seuls intérêts
marchands. Le petit homme en face de moi s’appelle Juan Garcia. Depuis
qu’en 2001 le Président Chirac lui a octroyé la
légion d’honneur, on l’appelle Don Juan. Mais sa
préoccupation est de se faire poser, demain, un stimulateur
cardiaque. C’est ainsi que, pressé entre cet
événement et mon agenda, je lui rends visite, dès
mon arrivée à Mendoza, sur les conseils de Monica, mon
hôtesse Franco‑Argentine.
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Don
Juan
Garcia et l’auteur, à l’hôpital de Mendoza |
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Don Juan
a
quatre
vingt
six ans, et rien ne laisse paraître quelque souci de
santé. L’œil est vif, le port altier, le cheveu dru est
soigné, comme il convient au pays des tanguistas.
Il me conte alors les quelques instants qui ont marqué, pour la
vie, ce jeune garçon qu’il était, il y a si longtemps,
près de cette bergerie dominant le Rio Yaucha.
Henri Guillaumet, hallucinant et halluciné, le diable en
personne, lui fait signe. Juan court chercher sa mère.
Guillaumet crie quelques mots, assourdis par le bruit du torrent, et
qui se perdent dans l’écho :
Aviado ooo oo o rrr rr r, perdido ooo oo o…
Madame Garcia, qui, chose exceptionnelle, avait entendu passer
plusieurs avions dans les jours précédents, comprend de
suite, et, surmontant un instant de crainte, va aider Guillaumet, qui
s’était écroulé, à se relever et lui fait
traverser le Yaucha à dos de mulet.
Don Juan poursuit : L’entrée dans la bergerie, Guillaumet
assis à la table…. Un verre de lait de chèvre lui est
tendu. Il le boit d’un trait. Il en redemande un, qu’il boit
goulûment. Puis on lui tend un verre d’alcool fait maison. Il le
boit et tombe alors d’épuisement, endormi face contre la table….
La suite est connue… Les soins de madame Garcia tandis que monsieur
Garcia va informer la police de San Carlos…La nouvelle qui
propage, à Mendoza, à Santiago, à Buenos Aires… et
au-delà des océans
«Guillaumet vivant !» s’est
écrié un Argentin à l’adresse de Saint-Ex dans la
salle du restaurant de l’hôtel Plaza de Mendoza… Et Saint-Ex qui
saute dans un avion et vient se poser (et presque capoter !) dans
un champ près de San Carlos. Guillaumet qui part de la
bergerie à cheval (sur le chemin on lui rend son manteau
d’aviateur dont, à épuisement, il s’était
allégé et qu’il avait abandonné au bord du
Yaucha…. Il est déjà reprisé par les
gauchos !)… La fameuse photo des retrouvailles «ce que
j’ai fait, je te le jure, aucune bête ne l’aurait fait»
etc…..
Adieu Juan, merci pour l’émotion intacte que tu as su garder et
que tu m’as transmise.
Quand je t’ai dit que j’allais partir demain sur le chemin de
Guillaumet, ton œil s’est enflammé et tu m’as fait promettre de
penser à toi à la vue du premier Guanaco…
Je n’y ai pas manqué.
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La
préparation de la
randonnée
Quel parcours ?
Suivre le chemin salvateur de Guillaumet, certes, mais…. Encore faut-il
le situer. Un petit travail d’historien s’impose.
La revue Icare (le n° 162) donne des indications
précieuses…. Et pourtant imprécises. Une carte au 1/250
000 ème y porte le tracé supposé de
Guillaumet à partir des recherches faites par le Musée de
l’Air d’une part, Edmond Petit et Philippe Mitschké d’autre
part, sur la base du récit qu’avait fait Guillaumet à sa
famille au sujet de sa dramatique aventure.
Le point de départ de Guillaumet, le site de l’accident du Potez
25, au bord de la Laguna Diamante, au pied du volcan Maipo, est
facile à pointer sur une carte, car il est bien documenté
(cartes, photos...). Partir de là, et voir ce que la
géographie des lieux suggère ou impose,
interpréter le récit de Guillaumet et le tracé de
la revue Icare, voilà ce qu’il convient de faire. Partir de
là, oui, mais pas avec une carte aussi peu précise.
Un ami Argentin, pilote de ligne, rencontré il y a plus de
trente ans en Afrique du Nord, est sollicité. Il s’emploiera
prestement à trouver les cartes au 1/100 000 et 1/50
000 ème , et, avec une générosité
toute Sud Américaine, m’enverra toutes les cartes de
l’Armée d’Argentine débordant largement, du nord au sud,
et de l’est à l’ouest, le parcours projeté !
Merci beaucoup Igor.
Soucieux de la réussite de mon projet, et de plus, je crois, un
peu inquiet pour ma sécurité, tu as fait
prévenance en me téléphonant tes
inquiétudes, me mettant en relation avec Monica, d’origine
Française, une habitante de Mendoza. Le grand-père de
celle-ci, polytechnicien, a dirigé la construction du chemin de
fer, et s’est définitivement installé en Argentine.
Monica, qui pratique l’Andinisme, facilitera la préparation de
ma randonnée. Après m’avoir accueilli, dès mon
arrivée à Mendoza, juste avant la visite à Don
Juan, elle m’organisera une ultime réunion préparatoire,
à l’appui de mes précieuses cartes, avec un jeune guide
local, Gerardo.
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Extrait
de
la carte au 1/100 000° |
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J’avais
envisagé, au stade de
préparation initiale, de partir du Chili pour rejoindre la
Laguna del Diamante en passant par un col au sud du volcan
Maipo. Je me suis donc rendu à Santiago du Chili à
dessein. Mais après deux jours passés sur place en
démarches et recherches diverses (contact avec la club Andin du
Chili, déplacement à San Jose de Maipo), il s’est
avéré que, d’une part je n’avais pas assez de
renseignements documentaires sur la partie Chilienne de la
randonnée envisagée, et, d’autre part, la marche
d’approche s’annonçait trop longue et incertaine (plus de
cinquante kilomètres, fonte des neiges et rupture de ponts,
autorisations administratives posant problème etc…).
Décision fut donc prise de rejoindre Mendoza par la route, puis
d’aller à la Laguna depuis le côté Argentin… En
compensation j’aurai l’occasion d’apprécier le parcours routier
passant par Portillo, puis le tunnel de Caracoles (pas vraiment
sécuritaire, aucune échappatoire, pas de ventilation et
visibilité réduite par la pollution!). Nous passerons non
loin de la fameuse statue du Christ Rédempteur, qui est proche
de l’ancienne route.
La descente sur Mendoza se fait en vue de l’Aconcagua. C’est un axe
très fréquenté par d’énormes semi-remorques
dans une ambiance rappelant, sur ces pentes raides de la
Cordillère, et avec les problèmes de freinage que l’on
imagine, celle du « salaire de la peur »..
Rendus à Mendoza, et après recueil des conseils et
commentaires (rappelant les meilleurs briefings avant
décollage !), nous concluons un arrangement avec Gerardo
pour une dépose en véhicule tout terrain, le plus haut et
le plus loin possible le long de la piste qui, l’été,
permet d’aller à la Laguna Diamante.
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L'ami
américain
A priori j’avais envisagé cette randonnée en solitaire,
mettant toutefois en balance le goût de la solitude et celui de
la convivialité, de l’aventure partagée, pesant le pour
et le contre au plan de la sécurité… Il s’agissait tout
de même de se trouver en milieu hostile sans moyens de secours et
sans communications.
Un ami Américain, rencontré lors d’une croisière
à la voile le long de la côte Est des USA, et
informé de mon projet, a mis un peu d’insistance pour que je
l’invite à participer à mon périple, et j’ai fini
par accepter. Stuart m’avait en effet paru assez dur au mal pendant
cette croisière, mais en revanche il n’avait pas
l’expérience de la randonnée pédestre ni de la
haute montagne. Il sera hélas en grande difficulté
physique et mentale lors de notre aventure.
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L'équipement
Le matériel et les vivres doivent nous permettre de rester en
autonomie totale pendant une huitaine de jours dans un environnement de
haute montagne. Nous apporterons tout depuis l’hémisphère
Nord : Tente d’expédition, piolet et crampons, corde,
bâtons télescopiques, raquettes à neige etc…
Celles-ci seront peu utilisées et nous aurions pu nous en
passer, mais l’incertitude des conditions à venir n’autorisait
pas à décider de ne pas les emporter. En revanche les
crampons, sur l’avis ferme de Gerardo, seront laissés à
Mendoza. Ils auraient été indispensables si nous
étions venus depuis le côté Chilien.
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Le
« barda » |
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Les vivres
lyophilisés,
achetés en Haute-Savoie, s’avèreront de très bonne
qualité. Les pastilles aseptisantes (micropur) ne seront pas
utilisées, les Argentins nous ayant assurés de la bonne
qualité de l’eau (effectivement très bonne −… sans le
goût des pastilles ! −, et nous n’aurons aucun
problème gastrique durant la randonnée).
La navigation sur un chemin non connu et si peu documenté me
créant quelques soucis, j’ai embarqué, en sus des cartes
et boussoles, un GPS.
Après quelques 17000 heures de vol la sécurité
n’est plus un souci, c’est un gêne de mutant ! J’ai donc
recherché une certaine redondance dans les équipements.
C’est ainsi que j’apporterai une boussole et un compas de
relèvement, ce qui fait trois instruments au total avec la
boussole de Stuart ! Je ferai également le transport (a
posteriori superflu !) de batteries de rechange pour le GPS…
Ne disposant pas du référentiel géodésique
de mes cartes, et, celles-ci datant de 1946 (année de ma
naissance ! ), le GPS ne sera utile qu’en navigation
relative, par référence aux différents
repères clairement identifiés (azimut et distance
à ces repères).
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La rando
Ainsi le jeudi 21 novembre 2002 nous décampons de
bonne heure…. Je n’arrive pas à boucler mon sac et dois me
rendre à l’évidence : Il pèse trop lourd.
Nerveux et dépité, je décide de laisser à
Mendoza mon matériel photo (argentique) pour ne garder que la
caméra numérique… et j’en oublie les batteries de
rechange ! A sept heures trente, j’ai mis tout le monde en retard
…(bravo pour un fils et petit fils d’horloger !). Nous quittons
Mendoza et prenons la route de San Carlos.
Le « pick-up » tout-terrain nous amène au
bout de deux heures à San Carlos. Le chauffeur ne manque pas
l’occasion de nous faire voir le monument à la mémoire de
Guillaumet. Il s’agit d’une stèle, assez récente,
glorifiant « l’ange des Andes » et son avion
Potez 25. S’y ajoute une plaque rendant hommage aux habitants de
Pareditas, en particulier à la famille Garcia.
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Nous quittons la route
pour la piste
qui mène à la Laguna del diamante. Elle laisse le
rio Yaucha sur notre droite, c’est-à-dire plus au nord.
Cette piste chemine le long du gazoduc qui vient du Chili.
Devant nous, la cordillère et la vallée de
l’arroyo cruz de piedra.
La région de la Laguna a été classée en
parc national par les Argentins. En été, les gardiens du
parc en surveillent l’entrée. Il se trouve que le jour où
nous arrivons, en cette fin de printemps, les gardiens se mettent en
place et nous en rencontrons deux d’entre eux au détour d’un
virage. Ils montent à cheval et le chef embarque dans notre
véhicule pour nous amener au poste de garde y effectuer les
formalités. Celles-ci, gratuites, se traduiront principalement
par une décharge de responsabilité.
Nous reprenons la piste, qui entame alors la montée vers la
Cordillère. Notre arrivée surprend les premiers troupeaux
de guanacos, qui détalent en bondissant.
Avec émotion je pense à Juan….
Les neiges approchent. Nous passons une première congère
mais la deuxième entrave la route et décide de notre
dépose.
Altitude : 3000 m. Beau temps. Il est 11 heures et demie. Adieu au
chauffeur et rendez-vous pris dans neuf jours, à la sortie des
gorges du Yaucha !
Nous entamons la marche, sans transition. Montée en lacets et
franchissements de congères et de névés. Marche
pénible, nous sommes surchargés (mon sac pèse 25
kg), le manque d’accoutumance à l’altitude, la lumière,
et bientôt le vent nous enivrent… Pour mon compagnon cela semble
difficile. Nous débouchons sur l’altiplano et rencontrons pour
la première fois ce vent de la Cordillère qui ne nous
quittera guère. Après 4h30 de marche pénible,
altitude 3630 m (ce sera en fait le point culminant de la
randonnée), basta, c’est assez pour aujourd’hui, la
journée a finalement été longue. Il est
prévisible que l’installation du premier bivouac prenne un peu
de temps. La recherche d’un endroit convenable sur ce terrain un peu
désolé ne sera pas facile et nous nous résignons
à planter la tente sur un recoin assez rocailleux afin d’y
passer la nuit.
Sans surprise, tout s’avère difficile : Planter le tente,
faire le dîner, s’alimenter…
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Premier
bivouac |
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Sans
surprise non
plus, cette première nuit en altitude sera mauvaise. Au petit
déjeuner, réparateur, suivra une mise en route
laborieuse. Il nous faudra compter en moyenne plus d’une heure entre le
réveil et le départ, matériel rangé et
bardas sur le dos….
La deuxième journée nous confrontera aux problèmes
qui seront quotidiens, et sérieux : Le vent, et la
navigation.
La navigation car nous avons alors pour objectif le refuge
« casa de piedra ». Il se situe sur le haut des
« vegas de Yaucha ». Il est évident que
Guillaumet est passé non loin de là. Ainsi depuis ce
refuge il est envisageable de faire un aller retour vers la Laguna, le
retour nous faisant entreprendre le chemin de Guillaumet. Trouver le
refuge n’a pas été facile. Imprécision des cartes,
et explications peu évidentes données tant par Gerardo
à Mendoza que par les gardiens du parc. Pour rejoindre ce refuge
depuis notre premier bivouac il faut traverser les «vegas de los
avetruces », quitter le tracé du gazoduc, et
descendre en direction des vegas de Yaucha tout en franchissant
plusieurs épaulements de relief. Un choix erroné nous
fait rebrousser chemin (est-ce un signe, un clin d’œil du destin,
Guillaumet ayant eu lui aussi à rebrousser chemin ?)… Ceci
nous rallonge d’une bonne heure. Nous finissons par trouver une piste
qui descend vers les vegas de Yaucha. Nous passons devant un monument
à la mémoire des victimes d’une expédition
hivernale de l’armée d’Argentine… Nous sommes assurément
en terre inhospitalière. Ce n’est qu’en fin de journée
que nous arrivons au refuge, très fatigués, voire
épuisé pour ce qui est de mon compagnon, car nous luttons
face à un vent de 30 nœuds (avec de terribles rafales qui
doivent approcher les 40 nœuds). Ce vent nous dessèche et
alourdit notre pas.
Un ami montagnard, d’Annecy, m’avait conseillé d’emporter,
à tout hasard, des protections contre le vent…. Je l’en
remercie, elles se sont avérées indispensables.
Ce vent m’aura aussi valu de tester ma capacité à
sprinter en altitude : Une fois pour rattraper la carte, une autre
fois pour la casquette…
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Le
vent
de la Cordillère |
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Le
refuge se trouve
être une grotte taillée dans un énorme rocher.
L’intérieur n’est pas très avenant. Nous nous en
servirons pour faire notre cuisine à l’abri du vent Andin mais
nous déciderons de bivouaquer dehors, dans un recoin
relativement abrité, contre le rocher.
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Casa
de
piedra, S 34 11 27.3 / W 69 33 35.8 (WGS 84) |
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"Evil
sufficient
unto
the
day thereof" sera le commentaire de Stuart, empreint de
lassitude.
Au dîner, soupe, curry, compote de pommes… et une vraie rasade de
gnôle haut-savoyarde pour entretenir le moral (merci Paulette).
Extinction des feux à 20h00.
La troisième journée sera longue, mais gratifiante.
Réveil 6h15, copieux petit déjeuner. Nous ne prenons que
le nécessaire pour une journée de marche et quittons le
refuge en direction de l’Ouest. Lente montée pour rejoindre le
tracé du Gazoduc, passages de névés de plus en
plus larges. Ils sont creusés, érodés en quelque
sorte par le climat de cette fin de printemps. Je chausserai les
raquettes, davantage « for the fun of it »
que par nécessité….Traversée des
« vegas de los ovejos ». Le point culminant du
parcours sera de 3600 m… Tout compte fait l’altitude ne sera pas
la difficulté majeure de cette randonnée.
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Le
volcan
Maïpo se découvre par bonheur au bout de 3 heures de
marche... |
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Nous
entamons la
descente vers la Laguna et décidons d’arrêter la marche
vers l’ouest à 3 km environ du refuge de la Laguna et du site,
clairement identifiable, où Guillaumet a capoté avec son
Potez 25 en ce vendredi 13 du mois de Juin 1930. Il s’y trouve
encore des accumulations de neige de 2 mètres
d’épaisseur. Et de là où nous sommes, la vue est
grandiose et domine le site.
Un vieux mâle guanaco nous toise du haut d’une crête.
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72 ans
après
les faits je communie physiquement avec Guillaumet et les héros
de l’Aéropostale.
Casse croûte à l’heure de l’angélus et plein d’eau
potable dans le ruisseau tout proche. Elle est excellente sans les
pastilles, et nous ne serons jamais indisposés.
Départ et retour vers l’est et le refuge « casa de
piedra »….
Nous voici donc sur le chemin de Guillaumet.
J’essaie d’imaginer les conditions hivernales et les questions qu’il a
du se poser quant au parcours. Il me semble qu’au départ de la
Laguna le parcours que nous empruntons, clairement cap à l’est,
s’impose et n’offre pas d’alternative. A relire son récit, il se
confirme que ce n’est que le lendemain que Guillaumet se fourvoiera et
décidera de rebrousser chemin avant que de s’engager dans le
vallon du Yaucha (qui ne va pas tarder à se transformer en
cañon impressionnant où il connaîtra les pires
souffrances physiques et mentales)
Huit heures de marche pour cette journée mémorable, et
toujours ce vent terrible qui vous dessèche les muqueuses et
provoque des saignements de nez.
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Quatrième jour,
dimanche 24 Novembre. |
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Vegas
de
Yaucha |
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Nous
quittons le
refuge «casa de piedra », pleins d’entrain, et
entamons la traversée des vegas de Yaucha…. Marche facile, cadre
grandiose, troupeaux de guanacos, oies sauvages (cauquen)…L’une d’elles
me fait la surprise de quitter sa couvée et de découvrir
un gros œuf. Pus loin c’est un gros lièvre qui détalera
à notre approche. La faune n’a manifestement pas l’habitude
d’être dérangée par l’homme…
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Cauquenes |
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Et soudain, c’est la
sortie des vegas
et le début du Yaucha qui n’est ici encore qu’un petit torrent….
Les premières difficultés ne tardent pas.
Un premier étranglement de relief nous amène à
devoir franchir le Yaucha, et à prendre un premier bain de
pieds…. Il y en aura d’autres !
Progression lente, pénible, longue à suivre le cours
d’eau qui se resserre de plus en plus. Nous voici à un passage
à gué, encordés, avec de l’eau jusqu’à la
ceinture. Puis un autre, en technique d’escalade, sans vraiment
d’assurance… Cela devient scabreux. Mon compagnon perd confiance… et le
moral (« Jean-Louis, we should not take any chance you know
»). L’après-midi s’éternise, il est à la
traîne. Le problème est que nous ne trouvons pas d’endroit
convenable pour bivouaquer. Je décide qu’il faut forcer le train
avant la nuit. Je pose mon sac et retourne aider mon camarade à
l’arrière. A peine suis-je en train de charger son sac que dans
mon champ visuel surgit un boulet… Chute de pierres !
Toute la journée je m’en suis méfié, et au premier
relâchement je me fais prendre, le bruit du torrent ayant couvert
celui de l’éboulis ! Une espèce de réflexe
salvateur me fait néanmoins esquiver un tant soit peu et
éviter le pire. Je me prends quand même le boulet (environ
15 kg) en plein thorax et me trouve projeté à terre, le
souffle coupé. Nous sommes à 2 jours de marche, bon
train, du refuge des gardiens, n’avons pas de liaison
téléphonique, et je mesure instantanément la
fragilité du destin. Je reprends mes esprits devant un compagnon
démoralisé. Nous reprenons la marche, et trouvons enfin
un endroit acceptable, au bord du torrent, pour bivouaquer…. J’avale
les anti-inflammatoires et les antalgiques (merci à mon copain
et toubib René-Pierre, qui m’a préparé la
trousse). Je m’en tire avec 2 côtes cassées, et la
jouissance physique, qui durera deux mois. Mais tout compte fait la
nuit est assez bonne.
Lundi 25 Novembre
Terrain devenant très difficile, et très lente
progression. Mon camarade va manifestement à
l’épuisement. Le cours du Yaucha prend des allures de
cañon. Il n’y a pas de sentier naturel, la faune ne s’attarde
manifestement pas dans les parages (aucun pâturage). La marche se
fait au milieu des enrochements et dans les pierriers. Il faut sans
cesse évoluer entre la partie basse et la partie haute des
berges, bien entendu les dénivelées s’accumulent et les
efforts sont significatifs pour assurer le pas sur ce type de terrain.
S’y ajoutent quelques traversées du torrent, à gué
ou pas… Et celui-ci devient tumultueux.
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Le
Yaucha,
de mal en pis… |
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Je me
rappelle le
récit de Guillaumet sur cette partie du parcours : Il avait
fini par décider de marcher dans le lit du torrent, prenant
appui sur la neige et la glace… et prenant régulièrement
des bains de pieds dans l’eau glacée, se blessant les chevilles
sur les rochers !
Au prix de quelques travaux de terrassement et avec des lauzes
j’aménage un coin acceptable pour le bivouac, à l’abri
des chutes de pierres, ni trop loin, ni trop près du torrent.
Je relève la position au GPS et prends un coup au moral :
Nous n’avons progressé que de 2,7 km «sur
l’ortho» ! Je ne sais quelle distance effective nous avons
parcourue car nous avons passé un bon bout de temps à
« crapahuter ». Je commence à me rendre
compte que la sortie du cañon n’est pas gagnée, et n’est
en tout cas pas pour demain.
Mardi 26 Novembre.
Nuit excellente… et moral en hausse au réveil. Départ
à 8 heures. J’ai dans l’idée de prendre la seule
échappatoire que m’avait signalée Gerardo, le guide de
Mendoza, et de ne pas poursuivre jusqu’à la sortie du
cañon. Compte tenu de mes côtes cassées, de la
fatigue physique et mentale de mon compagnon, il me paraît alors
préférable de rejoindre les replats hauts du cañon
pour cheminer vers le but.
Hélas l’échappatoire en question ne sera
identifiée qu’a posteriori, et nous sommes engagés plus
avant dans le cañon lorsque j’en prends conscience et
décide, contre l’avis de mon compagnon, de faire demi-tour.
Est-ce un autre signe : Un énorme condor est venu tournoyer
au-dessus des intrus que nous sommes sur son territoire, et il m’a
même gratifié de deux passages de type «chasseur
bombardier»… Impressionnant ! Il doit bien faire 3
mètres d’envergure. Je lui montre à tout hasard la pointe
en tungstène de mon bâton télescopique ! Sa
voilure était tout simplement magnifique lors de la ressource.
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Il
n’est que 13 heures
lorsque nous rejoignons le confluent d’un petit torrent qui, lui seul,
permet l’échappatoire au cañon, et, face à
l’incertitude sur la difficulté à rejoindre les hauteurs,
je trouve préférable de faire le campement, et de partir
seul en reconnaissance tandis que mon camarade se reposera.
Bien m’en a pris car je passerai deux heures sur un parcours
erroné avant d’identifier le bon chemin.
Mercredi 27 Novembre.
Mauvais bivouac, trop venteux. Nous avons une journée de retard
sur le programme et devrons raccourcir si nous voulons être au
rendez-vous et ne pas susciter d’inquiétude à Mendoza,
voire déclencher tout un pataquès… Monsieur le Consul de
France, informé malgré moi de cette randonnée, et
en étant très soucieux, ne tarderait sans doute pas
à déclencher les secours.
Il a gelé cette nuit. Et le vent a rempli de sable toutes nos
affaires… et donc nos gamelles. Avant de décamper nous
brûlons tous nos déchets incinérables, ce qui nous
laisse un peu de volume disponible dans nos sacs. Nous prenons donc
l’option de retour par le plateau surplombant le cañon.
Magnifique ascension au-dessus du Yaucha et point de vue magnifique
(combien les aviateurs aiment voir les choses d’en haut !).
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Au
fond,
le Yaucha |
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Nous
cheminons sur le
plateau intermédiaire et devons lutter de nouveau contre des
vents terribles. A mi parcours entre le lieu du dernier bivouac et la
sortie, bien visible, du cañon du Yaucha, il devient
évident que nous n’avons plus de possibilité de
redescendre au niveau du torrent. Nous prenons donc l’option de
regagner le refuge des gardiens et ainsi de rejoindre la piste. Nous
entreprenons alors la montée vers le col (portillo ancho).
Montée contrariée par des rafales de vent à nous
coucher par terre et à faire une fois encore perdre le moral
à mon compagnon. Dernier point de vue superbe sur le
cañon baigné d’une brume jaunâtre (il
s’avérera qu’il s’agit de fumées provenant des incendies
de broussaille dans la pampa). Passage du col. Descente très
raide en direction de l’arroyo de la cruz de piedra. A mis hauteur nous
apercevons les premiers êtres humains rencontrés depuis 7
jours : Il s’agit des gardiens qui rentrent de la Laguna,
où ils ont été déblayer leur refuge.
Dernier bivouac au bord de l’arroyo. Nuit très fraîche.
Jeudi 28 Novembre.
Nous rejoignons par la piste (c’est du gâteau !) le poste
des gardiens. L’accueil est chaleureux, au maté. Hernan, le
chef, va prévenir par radio de notre retour et du changement de
lieu de rendez-vous.
Nous passerons deux jours ici en totale convivialité avec les
gardiens. Nous offrirons le « chivito », jeune
cabri que l’un des gardiens ira chercher (à cheval) à la
ferme la plus proche et que nous ferons au barbecue, arrosé au
vin rouge d’Argentine, qui coulera d’une grande bouteille de
coca ! Nous mettrons à profit la journée restant
disponible pour une dernière randonnée vers la sortie du
Yaucha, sur l’autre rive, et non loin de la cabane de bergers de la
famille Garcia (elle est aujourd’hui en ruines). Je décline
l’offre d’y aller à cheval, à cause de mes «costillas
fissuradas
y
muy
dolorosas». C’est à pied qu’une
dernière fois nous irons voir le chemin de Guillaumet. Une
dernière fois aussi un condor viendra tournoyer au loin en guise
d’adieu. Les guanacos, eux, sont là-haut, dans les vegas, loins
du monde d’aujourd’hui.
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La
sortie
du cañon du Yaucha, la Pampa est en vue |
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Guillaumet ne s’est jamais couché de peur de mourir de froid. Il
s’asseyait sur le bord de sa valise, afin de se garder de l’envie de
s’allonger. Ce qu’il a fait, assurément, aucune bête ne
l’aurait fait. Je mesure mieux maintenant les souffrances qu’il a
endurées. L’hiver, le froid, sans équipement
adapté (il assurait les passages glissant avec
l’ouvre-boîtes de sa ration de survie !). Il a tenu bon.
Mais comme l’a écrit St-Ex, c’est aussi par respect des
camarades pilotes, pour ne pas les décevoir, que Guillaumet a
tenu bon. Que reste-t-il aujourd’hui de cet esprit là ?
Le confort de la vie moderne éloigne de l’épreuve
physique.
De cette randonnée que j’ai faite dans des conditions tellement
plus faciles, il apparaît un point commun avec celle de
Guillaumet, selon le récit qu’il en a fait: La partie en
altitude est de loin la plus facile. L’épreuve véritable,
c’est le terrible Yaucha.
Guillaumet suggérera de ne plus utiliser la route Sud, seulement
la route Nord, qui avait l’avantage d’être proche du chemin de
fer Transandin, ce qui rendait un sauvetage plus probable.
Le génie de la langue espagnole est d’emprunter le même
mot pour la destination et le destin :
« Destino ».
Oui, Guillaumet a rejoint son « destino » en ce
mois de Juin 1930. Son destin d’homme, libre de choisir de ne pas
mourir, et aussi de rejoindre Mendoza et les camarades de la ligne,
pour que celle-ci passe, malgré les tempêtes.
Moins de deux semaines après, il reprenait le manche entre
Buenos Ayres, Mendoza et Santiago du Chili.
Ces hommes là ont, bien malgré eux, marqué leur
territoire en Argentine. Combien savent aujourd’hui que des sommets de
la Cordillère des Andes portent les noms de Mermoz, St-Ex,
Guillaumet ?
Mais ces hommes là n’agissaient pas pour la gloire. Ils avaient,
plus probablement, cette sagesse de comprendre qu’ils vivaient une vie
accomplie, dont ils étaient leurs propres témoins, les
seuls témoins véritables.
Simplement, comme l’a magnifiquement écrit Andreï Makine
«ils regardaient le ciel sans blêmir, et la terre sans
rougir ».
Mermoz a ainsi pu écrire : « Après
chaque grand voyage, où j’ai seulement affaire aux
éléments et à mes camarades, je reviens plus sain,
plus fort, meilleur. Je rapporte les bienfaits des roches de Natal
où je vis comme un sauvage, quasiment nu. Et il faut,
d’ordinaire, quelques jours aux petitesses de Paris pour abîmer
mon bonheur ».
Pierre Clostermann, autre grand acteur et témoin de la geste
aéronautique, a modestement compris la vanité de cette
vie risquée et l’a superbement écrit en épilogue
à son livre « le grand cirque » :
« Le grand cirque est parti. Le public a été
satisfait. Le programme était assez chargé, les acteurs
pas trop mauvais, et les lions ont dévoré le dompteur.
On en reparlera en famille quelques jours encore.
Et même quand tout sera oublié - la fanfare, le feu
d’artifice et les beaux uniformes -, sur la place du village subsistera
encore l’auréole de sciure de la piste et les trous des piquets.
La pluie et l’oubli en effaceront vite les traces. »
Il me semble que trop peu est dédié au souvenir de
l’Aéropostale. Certes il y a les écrits, magnifiques,
héraldiques, presque iconographiques. Mais la substance de cette
aviation là pourrait être palpable dans un musée
dédié à cette épopée. Or il n’y a de
ci, delà, que quelques lieux de souvenir, quelque modeste
musée.
Il y avait un projet de musée de l’Aéropostale à
Mendoza. Je n’ai hélas pas été entendu lorsque
j’ai proposé qu’un Concorde y soit livré. Il aurait pu
côtoyer le dernier Laté 25 existant encore et se trouvant
actuellement à Buenos Ayres, sur le terrain militaire de Moron.
……Aux extrêmes de cette époque révolue, deux
symboles de l’esprit pionnier des ailes Françaises.
Mais, signe des temps, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était.
Baveno, Lac Majeur, Octobre
2004
© Jean-Louis CHATELAIN
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Remerciements
Merci à mes amis Argentins, qui ont tant raison d’être
fiers de leur beau pays. Merci Igor pour l’aide précieuse dans
la recherche des cartes, pour tes conseils de prudence, pour ton
accueil à Buenos Ayres, et pour ta
générosité. Merci à Monica, qui partage ces
deux belles cultures française et argentine, qui a su
établir les contacts utiles et aider efficacement à
l’organisation, et qui a su contenir les inquiétudes du
Consul !
Merci à mes copains toubibs d’Annecy, René-Pierre. et
Christophe, pour leurs conseils, tout particulièrement
René-Pierre pour la fourniture de la trousse d’urgence.
Merci à Nicole et Sophie de St-Jean de Sixt, pour leurs conseils
dans le choix du matériel.
Merci à Alain pour les photos qu’il m’a transmises et qu’il a
prises lors de ses survols en 777.
Merci à la revue Icare pour l’inestimable source historique
qu’elle représente.
Merci à Christian qui m’a accompagné par la pensée
et avec qui j’aurais aimé partager cette aventure.
Last but not least Merci à ma famille, qui m’a sans doute
compris…..et a souffert de ne pas partager.
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