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La rencontre
Nous sommes à la fin de l’été 1919, dans
le
bureau que j’occupais Boulevard Saint-Germain en qualité de chef
de la 1ère section du personnel de la 12ème Direction
(Aéronautique) du Ministère de la guerre. Le planton
introduit un visiteur: Pierre G. Latécoère.
Nous savions tous dans l’aviation que ce sacré petit
bonhomme, piloté par Lemaitre, était parti le 19 mars
1919 au matin de Montaudran, terrain d’aviation de Toulouse et, avait
remis le lendemain à Madame Lyautey, venue avec le
général Résident Général au Maroc
depuis 1912, l’accueillir sur le terrain de Rabat, un petit bouquet
avec ce compliment : «Madame permettez moi de vous offrir ce
modeste bouquet cueilli hier à votre intention. Ce sont
des fleurs de ma ville… Des violettes de Toulouse».
Dans l’avion, il y avait aussi un sac de courrier.
Or ce jour-là, Pierre latécoère venait me demander
un service. Le chef de l’Aéroplace d’Alicante, Moraglia, avait
fait, avant d’entrer aux L.A.L. (Lignes Aériennes
Latécoère), une demande pour passer dans l’armée
active. Sa candidature venait d’être acceptée et il
s’agissait de différer de quelques jours sa prise de fonction,
en attendant la venue à l’Aéroplace de son successeur.
Pierre Latécoère me sut un tel gré de ce petit
service qu’un jour son adjoint de
Massimi vint m’offrir de me joindre à leur équipe,
ce que j’acceptai avec joie et , je partis en qualité de Chef de
Service au Maroc en 1921.
Et le courrier passait. Si sa régularité était
parfois altérée par quelque accident tragique, il faut
tout de même penser que les quatre étapes de ces 1800km
n’étaient pas, pour nos Bréguet 14, les pistes d’une
école de pilotage. A 120km à l’heure, remonter la
Tramontane de Barcelone à Toulouse par le Perthus ou le Cap
Creus c’était presque faire du sur place. Passer l’Ebre et le
Cap de la Nao entre Barcelone et Alicante était rarement une
partie de plaisir. Quant à l’étape d’Alicante sur Malaga
par la trouée de Grenade et le saut par-dessus la Sierra Nevada,
ce n’était pas un jeu d’enfant. Le détroit de Gibraltar,
avec ses courants d’air contraires, ne laissait pas nos pilotes
indifférents. Au-delà, le ciel devenait heureusement plus
clément. Et malgré toutes ces vicissitudes que la Ligne
supportait sans défaillance, la confiance du Maroc restait aussi
sans défaillance.
Il me vint alors l’idée de rassembler tous les
atouts majeurs qui nous manifestaient tant de sympathie, en un
Aéro-Club du Maroc, et j’allai m’en ouvrir à Georges
Louis, rédacteur en chef de la «vigie Marocaine».
Il approuva chaudement mon projet, et nous
cherchâmes ensemble un Président possible pour en assurer
un bon démarrage. « Allez à Fédhala, me dit
Georges Louis, vous y trouverez le Prince Murat ou le Prince
Masséna, car ni l’un ni l’autre ne sont embrigadés dans
les sociétés casablancaises. L’un ou l’autre fera un bon
Président »
Le soir même j’avais contacté Murat qui
avait accepté. Quant aux vice-présidents, j’avais
décidé Masséna, le Marquis de Ségonzac et
Guernier, Président de la chambre de commerce, à nous
épauler de leur présence. L’Aéro-club compta en
très peu de temps près de 300 membres. Un succès
total dont je n’étais pas peu fier. Les bases de l’aviation
civile étaient jetées, et nous pouvions aller de l’avant.
Les jeunes sportifs et particulièrement les postiers que je
voyais tous les jours à l’heure du TRI me proposèrent de
fonder un Club de Rugby dont je serais le Président fondateur.
Au cours de l’été 1922, Pierre
Latécoère, atterrissant à Casablanca, me demanda
de lui obtenir une audience auprès du Maréchal Lyautey.
Le lendemain nous partions pour Marrakech où se trouvaient en
déplacement tous les Services de la Résidence et
où nous devions être reçus au Palais de la Bahia
par le Maréchal entouré de ses chefs de service
intéressés.
Avec son accent particulier, Pierre
Latécoère, depuis un bon quart d’heure, exposait en
détail son plan : « Toulouse, Casa, Dakar, Pernambouc, Rio
de Janeiro, Montevideo, Buenos-Aires », lorsque le
Maréchal, se substituant à son interlocuteur
Latécoère, exposa le fameux plan en son style personnel.
C’était succinct, très clair, très précis.
Tous avaient compris. Pierre Latécoère en resta pantois.
Mes déplacements m’amenaient souvent à
Tanger où je m’étais fait deux excellents amis en la
personne de Villarem, Directeur de la Poste française à
Tanger, et le Capitaine Pannabière, Commandant le Tabor Marocain
de Tanger. Tous les deux étaient catalans d’origine, et cela me
facilita bien des démarches auprès des autorités
de la zone internationale. J’eus quelquefois le plaisir de baiser la
main de la douairière de la Maison de France qui descendait
toujours chez Madame Villarem lorsqu’elle venait de Larache avec le
jeune Comte de Paris, pour faire des achats à Tanger. Madame
Villarem mettait en ces occasions, le grand peigne andalou, la mantille
et les castagnettes et dansait pour la grande dame, des
séguedilles qui enchantaient l’assistance car Madame Villarem
était une grande artiste.
J’eus également l’occasion de recevoir à Casablanca, le
Président de la banque Morgan, Monsieur Sharp, qui
finançait l’exposition de Séville et venait souvent au
Maroc, vérifier aux sources l’exactitude de ses informations. Il
désirait mettre en lumière l’influence espagnole sur les
arts marocains issus de l’occupation arabe en Espagne.
Je dois aussi parler des sujets qui motivaient les liaisons que
j’effectuais auprès des Services de la Résidence
Générale et du Cabinet Militaire du Maréchal. Il
me faut citer les noms de Pietri, des Services Financiers, de Walter,
des Services Postaux, de Tranchant de Lunel, des Services des Arts
Indigènes à qui nous devons la remise en état de
la célèbre Kasbah des Oudayas, de Gaston Pawleski, son
très compétent adjoint, du Maréchal Juin, alors
Capitaine au Cabinet Militaire, du contrôleur en Chef Benazet,
joyeux luron, responsable, avec Madame Lyautey, de l’organisation des
farces que cette dernière jouait à ses invités au
cours de certains repas, et d’autres qui me pardonneraient mon oubli
s’ils étaient encore de ce monde.
Ces noms sont entrés dans la mémoire des Français
et prouvent que le Maréchal avait la baraqua dans le choix de
ses collaborateurs.
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Le Passager Royal
Un coup de poker qui réussit au-delà de
nos espérances.
Au cours de la visite que sa Majesté Albert 1er,
Roi des Belges, accompagné de sa Majesté la Reine
Elisabeth, rendait au Maroc, je reçus une invitation à
déjeuner à la Résidence.
Alors que les invités se lèvent de table pour gagner les
salons où Madame Lyautey accompagnait la Reine, on me prie de
rejoindre le Maréchal, sorti dans les jardins en compagnie de
S.M. le Roi Albert. Avec le ton brutalement amical qui lui était
particulier, le Maréchal me pose la question suivante, prouvant
que les temps avaient changé l’atmosphère : « Sa
Majesté voudrait effectuer son retour en Europe en utilisant la
Ligne aérienne de Casa à Toulouse. Peux-tu assurer ce
voyage en toute sécurité comme il se doit ? ».
Avec une assurance dont je mesure encore aujourd’hui le
culot, j’ose affirmer que ce voyage est parfaitement possible.
-«Alors , prépare le départ de Casablanca pour
après-demain 8h30».
- «Qu`allez-vous me donner comme pilote ?» demanda Sa
Majesté.
Il y avait justement, de passage à l’aéroplace de
Casablanca, Dombray.
-«Sire, Dombray, notre inspecteur technique».
-«Un grand Chef ! Pourquoi pas le pilote normal du courrier ?
j’aurais davantage confiance».
-«Sire, Dombray est aussi pilote-courrier et vous
l’avez certainement connu à l`escadrille Guynemer lorsque vous
rendiez visite au groupe de chasse qui était à la Panne
où vous stationniez pendant la guerre».
-«Alors tout va pour le mieux»..
J’allais prendre congé lorsque sa Majesté demanda de ne
prévenir personne tout au long du voyage afin que les colonies
Belges, tentées de venir sur les terrains, n’entravent pas la
régularité des horaires du courrier.
-«Surtout pas de publicité avant Toulouse, ajouta-t-il,
car ne parlez jamais d"un projet qu’après son heureuse
exécution. J`aimerais aussi avoir un livre à lire pendant
le voyage».
-«occupe-toi de ce détail», me
dit le Maréchal.
Je m’éloignai après une poignée de main,
gonflé d’orgueil d’une telle marque de confiance.
De retour au bureau, j’avisai par
télégramme, Paris, Madrid et Toulouse afin que
Latécoère, de
Massimi et Daurat
soient mis au courant du voyage royal. Il était indispensable
qu’il s’effectue avec succès et suivant les désirs
exprimés par sa Majesté.
J’allai aussi voir mon ami Louis pour le choix du livre demandé.
«Récits marocains de la plaine et des monts» de
Maurice Le Glay, Contrôleur en Chef de la région de Safi,
me recommanda-t-il, et j’allai acheter ce livre pour en découper
les pages.
Lorsque le cortège présidentiel arriva le surlendemain
sur le terrain, tout était prêt. Dombray
présenté, Sa Majesté équipée
après les précautions d’usage, j’osai demander au Roi, en
présentant le livre, la faveur de le recevoir en retour avec un
autographe, ce qui me fut accordé.
L’avion-courrier, piloté de bout en bout par Dombray, atterrit
le soir sans encombre à Toulouse où les autorités
civiles et militaires saluèrent le Roi.
Il manquait malheureusement Latécoère et de Massimi qui
étaient partis avec deux avions. Ils voulaient devancer l’avion
royal pour lui faire une escorte d’honneur à son arrivée.
Hélas, la rencontre fut manquée et l’escorte atterrit une
demi-heure après, mais la déception fut
légère puisque le voyage s’était très bien
passé. Latécoère et surtout de Massimi
étaient particulièrement inquiets car ils jugeaient ce
voyage très délicat pour une personnalité aussi
importante que celle du Roi. S’il y avait eu des incidents de parcours,
les reproches ne m’auraient pas été ménagés.
A Toulouse, les premiers mots que leur dit l’illustre passager
montrèrent bien qu’il avait conscience du risque couru.
-«Je viens de vous jouer un mauvais tour, n’est-ce pas?»
leur dit-il.
«Vous ne deviez pas être tranquilles.»
-«En effet, Sire,
répondit Latécoère. Nous n’aurions pas su dire si
notre joie d’avoir Votre Majesté à bord de notre avion
l’emportait sur notre inquiétude. J’ai fait un excellent voyage.
Votre pays peut être fier d’avoir
un homme tel que le Maréchal Lyautey.»
Par la suite, des notabilités civiles et militaires de la
Métropole suivirent l’exemple du Roi des Belges. Parmi ces
personnalités, il convient de citer : Le Président
Painlevé, le sous-secrétaire d’Etat Laurent Eynac, le
Maréchal Pétain, le Général Jacquenot et
aussi quelques journalistes de la Presse métropolitaine. Les
temps avaient bien changé, nous le constations. Quant à
mon livre dédicacé, il me revint sous forme de
décoration : la Croix de Chevalier de l’Ordre du Roi
Léopold que le Cabinet du roi me fit tenir avec une
correspondance. Sa Majesté m’y exprimait ses remerciements et
soulignait son désir de conserver le livre de Maurice Le
Glay.
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La paix avec le sol
Un raid aérien est une performance de valeur
indiscutable dont l’équipage profite quand il réussit,
mais paye de sa vie en cas d’échec.
Etablir l’infrastructure d’une ligne commerciale est un autre
problème dont le succès, en ce qui concerne «La
Ligne» rend indispensable le concours de personnalités
compétentes et heureusement bénévoles sans
lesquelles, les moyens financiers dont disposait
Latécoère, n’auraient, certes pas suffi à assurer
la Ligne à l’époque de l’avion postal dont l’étape
moyenne ne dépasse pas 500 kilomètres.
En septembre 1922, Pierre Latécoère me convoque à
Paris pour me dire que l’heure avait sonné de procéder
à l’exécution de la première partie du Plan
«Casablanca-Dakar». Il s’agissait de reconnaître
les possibilités de réalisation d’une infrastructure de
la ligne Casa-Dakar, dont les escales précisées par
Latécoère, devaient être possibles à Agadir,
Cap Juby, Villa Cisneros, Port Etienne, Nouackchott, Saint-Louis, Dakar.
Pour ce faire il fallait louer aux Canaries un voilier pouvant
transporter le personnel de la reconnaissance, l’essence et l’huile
nécessaires au ravitaillement aller et retour de trois avions
Breguet 14, et aussi de la chaux pour marquer l’aire des terrains
d’atterrissage.
-«Faites au mieux», me dit Latécoère, et muni
de toutes ces
instructions je repris la route de Casablanca. Ainsi s’ouvraient
à mon activité deux mondes inconnus : d’abord
l’Atlantique et la navigation à voiles, ensuite le Désert
dans lequel j’allais baliser la route de nos avions et faire ce que
j’appelais «La paix avec le Sol», mission primordiale
à mon sens.
Naturellement, je mis le Maréchal Lyautey au courant de la
mission dont j’étais chargé, ainsi que de la
manière dont je pensais pouvoir l’effectuer.
Après avoir écouté, le maréchal Lyautey
appela le Colonel Huot, chef du Service des Affaires Indigènes
pour lui donner ses directives que j’ai gardées en
mémoire:
«Il faut donner à Roig un sous-officier des Goumiers qui
puisse
lui servir d’interprète avec les indigènes du Rio de Oro.
Il est indispensable qu’il soit assez bon tireur pour assurer sa
sécurité et sa subsistance, et qu’il soit assez fort pour
le porter si nécessaire. Ce sous- officier sera mis en
congé pour la durée de la mission».
Et c’est ainsi que le Maréchal des Logis Hamed ben Mohamed fit
partie de la mission de reconnaissance.
Mais il n’y avait pas que cette attention de père de famille ;
je recevais aussi pour le Colonel Gaden, Gouverneur de la Mauritanie,
une lettre du Maréchal qui était bien davantage qu’une
simple lettre d’introduction. L’avenir me prouva que la réussite
complète de ma mission fut assurée par la
perspicacité de ces deux grands connaisseurs des hommes bleus du
désert.
Je leur doit bien plus que de la reconnaissance pour leur sollicitude
réaliste qui me permit de vaincre toutes les difficultés
qui allaient se dresser sur ma route.
En dehors d’Hamed ben Mohamed et de moi-même, l’équipe
était formée par Cervera et un de mes amis, architecte
à Casablanca, Pierre Ancelle qui prenait quelques vacances, et
que l’expédition tentait.
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La reconnaissance par mer
Le jour de l’embarquement à Casablanca, il me
parut, à la manière dont les amis me donnaient
l’accolade, que dans leur idée ils prenaient
définitivement congé de nous. J’affectai
évidemment une confiance de bon aloi, mais il y avait vraiment
de quoi m’inquiéter un tantinet, car je me sentais loin d’avoir
la trempe d’un Montfreid dont les exploits sur la côte du
territoire des Somalies commençaient à être
célèbres.
Le yacht, la Frasquita de l’Empereur du Sahara reprend la direction du Rio de Oro, 20 ans après ses premiers
exploits.
Dès notre arrivée à Las Palmas, chacun de nous
s’occupa du rôle qui lui était imparti.
Cervera était chargé des relations avec les
autorités militaires dont dépendaient les garnisons
espagnole du Rio de Oro et il réussit parfaitement à
créer une atmosphère de sympathie qui nous fut d’un grand
secours.
Ancelle et Mohamed s’affairaient à grouper les provisions de
bouche qui devaient nous nourrir pendant trois mois.
Personnellement, après avoir fait surface auprès des
consuls de France à Ténériffe et à Las
Palmas, je cherchai le voilier et l’équipage avec lequel nous
allions affronter l’Océan et effectuer la reconnaissance des
côtes. J’eus la très grande chance de rencontrer un
armateur, propriétaire d’un voilier dont l’équipage
était libre pour la saison. Ce voilier portait un nom qui fut
célèbre en son temps ; le premier voyage qu’il avait
effectué était précisément en direction du
Rio de Oro à Tarfaïa. Le Gouvernement français mit
un point final à l’entreprise de son propriétaire que les
initiés connaissaient sous le titre qu’il s’était
octroyé. Il s’agissait de Jacques Lebaudy qui s’était
baptisé Empereur du Sahara.
C’était la très fameuse goélette Frasquita dont la
coupe, les 2 mâts et les 36 tonneaux attiraient l’attention des
connaisseurs. Son équipage se composait de 5 hommes avec un
maître d’équipage dont la compétence certaine nous
tira de quelques mauvais pas.
Le navigateur était un capitaine au long cours qui, douze heures
après notre départ du port de Las Palmas eut une crise
d’épilepsie qui nous empêcha d’apprécier ses
qualités et son savoir, car il resta couché dans le
coffre aux pavillons pendant la plus grande partie du voyage.
Dès notre sortie du port, les alizés nous contraignirent
à tirer de larges bordées et Cervera rejoignit sa cabine
en proie au mal de mer. Quand je dis « cabine », il faut
s’entendre. La Frasquita n’était plus un yacht impérial.
Ce n’était plus qu’une cale à transporter les
régimes de bananes récoltées dans les îles
Canaries et embarquées à Las Palmas pour les ports
d’Europe. Mais ses lignes gardaient une belle élégance
appréciée des connaisseurs.
Le carré où nous vivions se composait d’une table
rabattante avec deux bancs également rabattants ; quatre caisses
superposées par deux, de 2 mètres de long, 60cm de large,
60 cm de haut, encadraient le carré. Chacun de nous y
pénétrait par une porte coulissante : c’étaient
nos lits. On eût dit quatre vrais cercueils ! Après trois
jours de voyage, nous étions en vue de la Casa de Mar du Fortin
de Juby et les voiles roulées, nous jetions l’ancre pour la nuit.
Aucun signe de vie ne nous était apparu, pas de lumière
non plus dans les bâtiments à 500 mètres environ du
Frasquita.
Vers 10 heures le lendemain matin, nous voyons du mouvement autour du
fort.
Puis une barcasse est mise à l’eau, avec ses huit rameurs et un
officier de la garnison. Celui-ci venait à la Frasquita
s’enquérir des raisons de notre escale. Grâce à
Cervera en tenue, tout se passa au mieux et nous fûmes
invités à descendre à terre pour nous
présenter au Colonel Benz, Commandant les troupes espagnoles du
Rio de Oro.
L’accueil fut particulièrement cordial. Le Colonel Benz avait
arboré la Croix d’officier de la Légion d’Honneur que le
Gouvernement Français lui avait décernée pour sa
contribution à la destruction d’un croiseur allemand
caché en 1916 dans la baie de Villa Cisneros.
Je pus laisser dans le fort l’essence, l’huile
nécessaires au ravitaillement de la mission aérienne
prévue. Je pus aussi marquer à la chaux les quatres
angles de l’aire d’atterrissage ( travail que je dus faire seul pour
des raisons de sécurité, m’affirma le Colonel Benz) car
les militaires ne quittaient le fort que pour aller à
l’île «la Casa de Mar ».
La démonstration convaincante de Cervera leva toutes les
difficultés car je n’avais aucun document officiel, ni
français, ni espagnol, m’autorisant à travailler dans le
Rio de Oro.
Après avoir pris congé de nos hôtes, nous avons
refranchi à bord de la barcasse du fort une barre difficile ;
nous avons levé l’ancre pour reprendre la route vers le Sud,
sans trop frôler la côte car nous gardions le souvenir de
«l’ Empereur du Sahara» et de l’aventure malheureuse de
la Frasquita raclant un haut-fond à Tarfaïa. Mais cette
côte qui marquait pour moi la route future du courrier, je la
suivais en permanence à la jumelle avec une curiosité
mêlée d’appréhension.
Nulle vie ne se manifestait sur les bords, et pourtant les cartes
marines et terrestres dont je disposais, portaient des noms de Segguias
dont je ne devinais pas l’embouchure. Les caps qui avançaient
dans l’Océan avaient bien des noms, mais rien n’indiquait si les
anses étaient animées par des activités de
pêcheurs. J’aurais bien voulu aller à la côte, mais
la fameuse barre infranchissable avec les moyens du bord, m’interdisait
tout essai qui aurait été sûrement un danger.
Par une radieuse matinée, nous entrons dans la baie de Villa
Cisnéros où nous attendaient le Docteur Militaire, le
Commandant Sanz ainsi que le Capellan (curé) catalan dont la
chapelle consistait en un simple maître-autel ancré dans
le mur à l’intérieur du fort.
Comme au cap juby, et toujours avec le charme
déployé par Cervera, le commandant Sanz accepta le
ravitaillement que nous devions laisser et je n’eus pas la peine de
marquer les limites d’un terrain car la presqu’île sur laquelle
est bâti le fort est rigoureusement plate sur une dizaine de
kilomètres, et, par-dessus le marché, orientée
dans le sens des vents alizés.
J’eus la chance de rencontrer par hasard le Caid Debeisi des ouled
Delim ; et, grâce au maréchal des Logis Hamed Ben Mohamed,
je pus avoir avec lui une conversation pleine d’intérêt au
cours de laquelle il me promit une aide efficace le long des terrains
de parcours que suivait sa tribu. Peut-être Debeisi
était-il en bisbille avec les autorités du fort, car
cette parlotte particulière fut l’occasion pour le Commandant
Sanz de me dire combien sa méfiance était grande à
l’égard de Debeisi. Ce Caïd fut accusé trois
semaines plus tard de m’avoir fait assassiner. Un vrai roman
inventé par la garnison.
J’aurai l’occasion de reparler de cette histoire de fou, car elle me
valut mon rappel en France alors que je courais les pistes de la
Mauritanie, à 300 kilomètres plus au sud.
Nous arrivâmes sans histoire dans la baie du
levrier où nous nous encrâmes face aux bâtiments de
Port-Etienne, et la barque du bord nous permit de mettre pied à
terre au môle de la pêcherie.
L’administrateur de la baie du Levrier nous reçut très
aimablement et nous assura un abri décent dans une
dépendance des bâtiments administatifs. J’allai le
lendemain reconnaître le terrain sur lequel prétendaient
atterrir les avions. Hélas, d’une part ses dimensions en
étaient chichement mesurées, d’autre part ce terrain
était au fond d’une cuvette, ce qui obligerait sûrement
les avions à frôler la perte de vitesse à
l’atterrissage, ou à emboutir les bords de la cuvette en bout de
piste. Je trouvai beaucoup mieux et beaucoup plus près du local
où s’effectuait le dessalage de l’eau de mer qui alimente en eau
potable les quelques civils et la garnison.
Après les échanges de politesse avec le commandant de la
garnison ( 2 Sections de Sénégalais avec leur Lieutenant,
Commandant d’Armes), une visite au Directeur de la Pêcherie et au
responsible du transformateur d’eau, nous décidâmes de
lever l’ancre le lendemain soir, en même temps qu’un aviso de la
marine nationale qui, comme nous prenait la route du sud.
Jumelles en mains, nous observions tous les parages de la baie d’Arguin
où le souvenir du radeau de la Méduse était bien
connue des marins canariens de la Frasquita, et tous les jours nous ne
cessions d’observer cette côte sans relief qui marquait l’horizon.
Nous ne vîmes rien de ce qui pouvait rester de l’avion Goliath de
Bossoutrot dont l’aventure avait fait couler tant d’encre à son
époque. Nous évoquâmes le mécanicien Coupet
qui avait réussi à faire, avec les moyens du bord, une
petite distillerie d’eau pour assurer le ravitaillement de
l’équipage.
Quand la Frasquita franchit la barre pour entrer dans le fleuve
Sénégal et s’ancrer aux pontons de Saint-Louis,
j’étais à cent lieues de penser que le Colonel Gaden,
Gouverneur de la Mauritanie, allait me mettre en main les clés
du désert et me permettre d’assurer à coup sûr le
succès de ma mission. Le Gouverneur GSaden résidait
à Saint-louis du Sénégal.
Dès qu’il eut pris connaissance de la lettre que le
Maréchal Lyautey lui adressait, je sentis, sur le champ, une
telle communion de pensée entre nous que je vis s’effacer les
2.800 kilomètres qui me séparaient du Maroc, puisque je
retrouvais l’ambiance de Rabat.
Le vrai chef de la mission Latécoère allait être le
Colonel Gaden et je n’avais qu’à écouter ses conseil que
j’allais exécuter comme des ordres.
Lorsque cette prise de contact fut terminée, nous
continuâmes notre route jusqu’à Dakar, afin d’aller voir
le Gouverneur général de l’Afrique Occidentale
française, ainsi que les autorités militaires. Sur le
terrain d’aviation de Dakar, je retrouvai deux amis sûrs : le
Commandant de l’Air en A.O.F.,le commandant Tulasne, et mon camarade
d’école aux Enfants de Troupe de Billom, le Capitaine Gama.
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A la conquête du désert.
Le Maréchal Lyautey et le Colonel Gaden,
Gouverneur de la Mauritanie m’assurent les moyens qui sont les clefs
magiques sans lesquelles le succès se serait fait attendre
longtemps. L’ancre jetée sur le fleuve Sénégal au
bord des quais de Saint-Louis, je me rendis au rendez-vous que m’avait
donné le Gouverneur Gaden, qui m’attendait avec son meilleur
sourire.
Dès les premiers mots, je sentis à nouveau que le vrai
réalisateur de la mission Latécoère était
le Colonel Gaden. Ce fut dans une stupéfaction admirative que je
pris connaissance du plan.
Tout était prêt pour le départ : 38 chameaux du
convoi de ravitaillement, essence et huile nous attendaient. Le convoi
rentrait du ravitaillement des garnisons de Boutilimid et de Mederdra
et le Gouverneur les mettait à ma disposition ; 3 méharis
de selle avec raalla ( selle de méhari) les complétaient.
Enfin nous avions un Chef de convoi, et quel Chef : Le Cadi des Bou Sba
- Oulad El Baggui, descendant du Prophète dont l’ascendant sur
le personnel et sur nous-mêmes fut manifeste.
Je dois à ce saint homme de bien profitables
leçons : sur les documents remis par le Gouverneur à
Oulad El Baggui, les étapes étaient
énumérées et minutées, les consignes et
recommandations précisées pour sa mission dans le Rio de
oro. De plus, le Lieutenant Charbonnier, Commandant du Poste de
Méderdra était avisé directement du départ
du convoi et devait me porter aide et assistance en cas de besoin.
Ainsi, je n’avais plus qu^à me laisser conduire.
Merci, mon Colonel, ma reconnaissance vous est acquise et ne vous sera
pas mesurée.
Quand mon méhari (baptisé oscar) se releva en
m’élevant assez haut pour que je puisse serrer la main du
Colonel Gaden penché sur la balustrade de la terrasse de la
Maison de commandement, je me demandais quel ménage j’allais
faire avec ce magnifique animal dont je ne connaissais aucunement le
comportement.
Derrière le Cadi Oulaed El Baggui, je pris la piste et à
la file indienne la caravane s’ébranla de son pas lent pour une
étape de 10 kilomètres environ, au bout desquels nous
allions dresser notre premier bivouac pour la nuit. J’allais apprendre
ce qu’était la vie d’un tel convoi tout au long d’une piste que
connaissait le guide et que rien ne marquait sur le sol.
A cette absence de renseignements, allaient s’ajouter les
difficultés créées par le comportement des
chameaux, experts dans l’art de se débarrasser de leur charge,
et l’organisation du campement, la nourriture des hommes du convoi et
la nôtre. Celle des chameaux consistait à laisser les
bêtes libres de la trouver dans les épineux qui nous
entouraient ; quant à leur abreuvoir, il n’était guerre
difficile, car il se faisait quand la piste longeait un marigot. Au
matin, le rassemblement était lent car il fallait
récupérer les bêtes laissées toute la nuit
en liberté. Tout cela se faisait dans une ambiance de grande
confiance, sans heurts et sans cris inutiles, chacun s’occupant de sa
tâche particulière.
De temps en temps mais très rarement, un homme bleu croisait la
piste et auprès du campement, des enfants venaient, en curieux
apeurés, voir les hommes blancs.
La Mauritanie se montrait avec la douceur de ses habitants, et la
sécurité qui était de règle. Cela tranchait
avec la vie dans le Rio de Oro.
Jour après jour, les étapes se succédèrent
et un soir nous avons barraqué le convoi au bord du poste de
Nouakchott. Ceux qui voient aujourd’hui les réalisations faites
à ce point d’eau, pour la transformer en Capitale du genre
Brasilia ( toute proportions gardées) voudront bien admettre que
le désert mauritanien a bien changé en un
demi-siècle.
Pas de possibilités d’aménagements rapides de terrain
dans ces vallées où les épineux tenaient la
meilleure place, et nous fîmes demi-tour pour nous installer plus
au sud à M’Terert, une ancienne lagune asséchée
qui avait l’avantage de présenter une surface dure et unie sur
plus de 1 500 mètres et, orientée dans le sens des
alizés.
Une reconnaissance sur les bords de l’Océan me
permit de rendre visite au lieu d’atterrissage de l’avion Goliath. Des
débris informes en marquaient la place. Pourtant, si quelqu’un
de curieux dans l’équipage avait franchi les dunes, il aurait
peut.être pu trouver, avec un peu de chance, un point d’eau
à quelques centaines de mètres du lieu d’atterrissage.
Nous avons en effet trouvé de l’eau ( certes magnésienne)
en beaucoup de points tout au long de notre parcours, parallèle
à la côte et bien souvent à moins de 400
mètres de la plage.
Sur la lagune, le terrain bien marqué, l’essence et l’huile
enterrées dans le sable, une peau de chèvre pleine d’eau
installée sur deux piquets pour servir de gargoulette aux
équipages de passage, tout était prévu.
L’aérodrome de Nouakchott était né.
Les chameaux déchargés, après une
bonne nuit de repos, le convoi reprit la route du retour sous la
direction d’un chef chamelier.
Le Cadi Oulad El Baggui devait continuer sa mission vers le nord et
à travers le Rio de Oro afin d’aviser toutes les tribus dont le
terrain de parcours touchait la côte de notre passage avec des
avions. La mission qui lui avait été confiée par
le Colonel Gaden précisait qu’il devait s’attacher tout
particulièrement à convaincre les Chefs de tribu
d’envoyer à Saint-Louis des représentants pour palabrer
avec le Gouverneur de la Mauritanie, car cette haute
personnalité avait des communications importantes à faire
et des propositions intéressantes au sujet du passage des avions
sur leurs territoires.
J’avais aussi projeté de quitter le convoi le lendemain pour
aller saluer à Mederdra l’Administration de la région. Au
matin de la séparation le Cadi Oulad El Baggui me convia
à une cérémonie qui aujourd’hui encore remplit mon
cœur d’une émotion difficile à contenir. Les chameliers,
rangés sur deux rangs, leur bras droit tendu à
l’horizontale faisaient un pont sous lequel j’allai passer, chaque
homme bleu touchant à son tour de la main ma tête
inclinée.
Le Cadi m’attendait quelques pas plus loin. Lorsque j’arrivai devant
lui, il me baisa l’épaule droite et me dit :» Capitaine,
mon fils, le vrai ami est celui qui prend tes intérêts en
ton absence. Souviens toi que je suis ton ami et va ton chemin dans la
joie ».
J’avais les larmes aux yeux en rendant l’accolade à ce chorfa
dont je venais de recevoir la bénédiction. J’avais eu
l’occasion à plusieurs reprises de me pénétrer de
ses pertinentes remarques.
A la veillée, il m’avait dit un jour : » Mon fils, avec ta
barraca, le cadavre de ton ennemi passera toujours devant ta porte
».
J’avais demandé en riant : «Cadi, est-ce que je serai
devant la porte pour le voir passer?». En haussant les
épaules il avait répondu : «Mon fils, tu ne crois
pas en ton Dieu? Dommage!» Et un autre jour : «Mon
fils, la chose qui t’arrive sera toujours la meilleure qui puisse
t’arriver, même si tu crois que c’est un malheur».
Et encore : «La difficulté n’existe pas. Cherche
l’homme». Aujourd’hui encore je mesure la valeur philosophique de
cette
prédiction.
Très tôt le lendemain de ces adieux, en compagnie du guide
désigné par Oulad El Baggui, je pris la piste vers l’
est. Je désirais arriver aux abords de Mederdra avant la nuit,
bien que mon guide m’ait assuré qu’en trottant le matin,
à midi et le soir, nous en serions encore loin. (vingt cinq
kilomètres en ligne droite).
Evidemment, à l’allure de son chameau, cela serait certain.
Alors je lui proposai d’attacher son méhari à la queue du
mien pour qu’Oscar puisse mener le train. C’est ainsi qu’à la
tombée de la nuit, nos montures bien fatiguées pouvaient
se reposer pour reprendre la route vers notre convoi.
Mon guide, fatigué par le trajet trop rapide à son
goût, ne désira pas repartir le lendemain. C’est avec un
regeibat qui ne parlait pas français que Charbonnier me permit
de partir. (Ce guide connaissait un itinéraire plus court
à travers les marigots, où l’eau arrivait à
mi-ventre des chameaux). Je partis le lendemain de bonne heure pour
rejoindre un campement à 200 km environ avant le coude du fleuve
Sénégal à Biach où je devais passer la
nuit.
A l’arrivée, j’offris un mouton aux habitants de ce petit
campement où une jeune fille bleue, belle comme Antinéa,
monta ma tente.
Au coude de Biach, je retrouvai le convoi qui venait juste d’arriver
par la piste suivie à l’aller. Le voyage avait été
sans histoire.
Ce fut ensuite un jeu de rejoindre Saint-louis où j’arrivai avec
une fièvre de cheval, car les moustiques de Biach m’avaient
collé un bon paludisme. Trois jours de repos me remirent
d’aplomb en me permettant de me faire gâter par le Colonel Gaden.
Après ces 500 km en méhari, je réintégrai
mon cercueil au carré de la Frasquita, et le lendemain, l’ancre
était levée pour prendre le chemin de Port Etienne.
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Le retour à Casablanca
Le Colonel Gaden remet 8 sacs de courrier à jeter le
long du
trajet entre Port-Étienne et Cap Juby sur les zones de parcours
des diverses tribus du Rio de Oro. Les trois avions allaient revenir au
bercail à Casablanca et je pensais que ce retour serait moins
pénible que l’aller.A l’escale de M’Terert, le moteur qui avait
causé des soucis à Cueille allait obliger
l’équipage à attendre le dépannage de Dakar.
Georges Louis, dans un récit qu’il fit de son voyage, en retrace
toutes les péripéties avec des termes qui montrent
combien cette panne fut amusante et instructive pour tous, Nous
atterrîmes à Port-Étienne à la nuit. Les
alizés qui soufflaient, avaient bien réduit notre
régime de croisière, et dès que le phare du Cap
Blanc brilla à l’horizon, Hamm piqua vers lui en droite ligne
à travers le large passage de la Baie du Lévrier pour
atterrir avant la nuit. J’avisai de ce détail par un message
à Delrieu,
sur lequel il me fit la réponse suivante:
"Atterrir de nuit n’est rien. Faire un trou dans l’eau c’est la fin des
haricots". Quand Don Luis Delrieu avait décidé quelque
chose, ce n’était pas la peine d’aller contre. Je m’armai de
patience car c’était s’allonger de près de 50 km que de
faire le tour de la baie du Lévrier. Aussi, au bout d’un moment
et en un lieu qui me paraissait propice pour traverses, je tendis un
nouveau message: "Coupons ici, nous gagnons cinq minutes".
Cela me valut cette réponse qui est devenue depuis ma
règle impérative lors de mes déplacements en
automobile: "Que sont cinq minutes au regard de
l’éternité" que
Delrieu avait signé "Pascal". J’étais
définitivement gagné à la manière de voir
de ce grand pilote qui alliait une belle prudence à sa grande
virtuosité dans l’art de piloter nos armoires à glace.
Les avions atterrissent de nuit dans d’excellentes conditions. Nous
allons attendre ici des nouvelles de M’Terert.
Quand nous repartîmes, deux jours après, nous savions que
le dépannage de M’Terert ne saurait se faire avec nos faibles
moyens du bord et je décidai de continuer vers le Nord, et que
seule, l’aviation militaire de Dakar ferait le nécessaire.Tout
alla parfaitement jusqu’à Cap Juby, mais arrivée
là, un fait nouveau modifia notre horaire.
De Massimi, piloté par Vannier avec Vergès comme
mécanicien, était venu de Toulouse pour étudier la
liaison Madrid-les Canaries. Les ordres étaient d’attendre son
retour à Juby pour voyager de concert sur Agadir et Casablanca.
Trois jours après, de Massimi et son équipage
étant de retour, nous reprenions le départ vers Agadir
où nous trouvions les difficultés de ravitaillement qui,
comme à l’aller, allaient être la cause d’un retard,
obligeant Vannier à passer la nuit à Mogador. Delrieu
aima mieux opter pour le bled entre Safi et Mogador.
Quant à Hamm, son intrépidité le mena au-dessus de
Casablanca où il tourna en rond jusqu’à ce que les feux
de position soient allumés sur le camp Cazes. Le lendemain
matin, et sans incident nouveau, les amis casablancais, alertés
par Hamm et Lefroid ,
nous recevaient avec toutes les marques d’une joie affectueuse, qui
nous payait bien au-delà des efforts accomplis. Quelques jours
après, l’aviation militaire de Dakar dépannait l’avion de
Cueille et l’équipage rejoignait Dakar où il s’embarquait
à bord d’un transatlantique qui le ramena à Casablanca.
La mission qui avait porté le premier courrier aérien
à Dakar était terminée dans des conditions
suffisamment heureuses pour permettre d’envisager l’avenir avec
confiance. Hélas, je devais déchanter dès
l’ouverture de la Ligne sur Dakar. La tactique du Colonel Gaden sur la
sécurité du personnel dans le Rio de Oro étant
jugée aléatoire par les responsables de La Ligne, une
autre méthode fut mise en oeuvre.
Les résultats, à mon humble avis, ne changeront pas mon
jugement sur la compétence de chacun, ni sur la question .
Pour marquer le retour de Cueille
et Bonnort,
sans oublier Georges Louis, une fête devait avoir lieu mais elle
ne put revêtir le faste qu’elle se proposait pour un motif qui
vaut la peine d’être relaté.
La veille de cette manifestation, le temps étant plus que
douteux, le pilote courrier, Cassagne, allait du bureau à la rue
un peu trop souvent pour ne pas attirer l’attention de Cueille qui
observait cette manœuvre insolite de la part d’un pilote sûr de
lui. Inquiété à son tour, il s’approche de
Cassagne et lui dit avec infiniment de tendresse:
"Tu as peur, hein, ne mens pas - J’assurerai le courrier demain,
Dépose la démission tout de suite, car ça vaudra
mieux pour toi, Je partirai à ta place"
Cueille manqua à ses amis pour la fête, mais les
témoins de l’intervention de Cueille ne pouvaient qu’applaudir
cette conception du devoir en de telles circonstances.Cassagne quitta
la Ligne. Cueille venait sûrement de lui sauver la vie. Quels
hommes, étaient ces pilotes courrier du temps de la
"Chimère", comme les a baptisés si justement
l’écrivain Jean Fleury dans son livre " La Ligne ".
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Après le raid
Une conférence aux Anciens Centraux.
Devant cet auditoire de choix, j’expose les problèmes que pose
le transport du Courrier, les solutions permises en 1922; l’avenir
que la Ligne peut espérer et qui dépend du choix dans le
matériel, dans celui des hommes, et surtout dans celui du Chef.
Je repris le train train quotidien de mes occupations qui
étaient faites de réceptions en l’honneur des
invités de Pierre Latécoère et de de Massimi et
aussi de visiteurs de marque, tous impressionnés par
l’atmosphère de grande sympathie dont les Casablancais
entouraient La Ligne.
C’est ainsi que j’eus l’honneur de recevoir, entre autres, André
Michelin (dont la famille connaissait les parents de ma femme), qui
avait fait le projet de réunir à Casablanca un Conseil
d’Administration de la Société. Mais les 2 places
disponibles dans chaque avion étant retenues à l’avance
par notre clientèle régulière, cela ne permit pas
d’envisager cette réunion.
Par la suite, je rendis visite à André Michelin au
boulevard Péreire, chaque fois que j’étais
convoqué par Pierre Latécoère à Paris, et
chaque fois je constatais le même intérêt pour La
Ligne que je défendais ardemment contre Henri de Kerilis de "I’Écho de Paris" qui,
faisait des conférences
présidées justement par André Michelin, et dans
lesquelles il se posait en accusateur du Gouvernement qui aidait les
lignes aériennes qui coûtaient de l’argent à la
France, alors que tous les efforts devaient tendre en faveur de
l’aviation militaire.
Ces conférences, titrées "Face à l’Est"
n’entraient pas dans mes vues et mes protestations verbales
écrites, auraient pu me valoir d’être traduit devant les
tribunaux par le dit Kerilis qui entretenait des relations non
dépourvues d’intérêts pécuniaires dans une
Société qui représentait les Dorniers allemands
à Madrid.
Le Capitaine aviateur Franco, frère du Général
Franco, futur chef du gouvernement espagnol, m’en avait fourni la
preuve formelle par des faits précis, A noter que le Capitaine
Franco avait partie liée avec la firme Dornier. Me montrant
à Nador, son magasin de ravitaillement, il m’avait assuré
que jamais un boulon français n’aurait sa place dans ces
tiroirs, Ses confidences étaient prises à bonne source.
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Les anciens de Central à l’aéro-club du
Maroc
L’Aéro-club continuait à intéresser les
Casablancais et nous y recevions beaucoup de personnalités de
passages, C’est à l’occasion de la réception des anciens
élèves de l’ École centrale en voyage au Maroc que
je fus prié de prendre la parole pour exposer l’œuvre d’un
ancien de l’École Centrale, Pierre Latécoère. Je
voulais aussi définir en détail le programme de
l’Aéro-Club du Maroc; nos points de vue sur l’aviation
marchande, son but et ses moyens.
Voici ce que je développai devant cet auditoire de
qualité :
"Exprimer tout ce qu’il y a d’intéressant à dire sur l’
Aviation marchande, telle que nous la concevons, telle que nous,
Marocains, la voulons, et telle que nous croyons pouvoir la
réaliser, nous entraînerait trop loin. Nous nous bornerons
à vous dire que dans ce pays où l’aviation marchande a
conquis droit de cité, vous n’entendrez aucune théorie
formulée en des termes à grand fracas, Nul ne vous dira
ce que sera l’Aviation dans 10 ans, Nul ne s’extasiera ni sur les
bolides de demain ni sur les paquebots aériens de l’avenir. Vous
n’entendrez parler que de l’aviation d’aujourd’hui, de celle que nous
avons ici et qui suffit pour l’instant à notre bonheur.
Mais nous vous donnerons aussi la manière de s’en servir. Nul ne
vous soufflera mot des possibilités futures ainsi que du
rendement commercial lorsque la routine sera vaincue.
C’est qu’ ici, où la routine n’est pas, nous savons où
nous allons, et nous connaissons les facteurs qui assurent le
succès.
Vous n’entendrez pas les lamentations vides d’arguments dont les
professionnels de la propagande aérienne en France vous
abreuvent quotidiennement et dont les résultats sont bien minces.
Ici, ouvrez tous les journaux du Maroc, vous jugerez de la place qu’y
tient l’action aérienne et vous retiendrez surtout la forme
vraiment efficace que prend cette action.
C’est que dans le Maroc aérien, c’est-à-dire dans tout le
Maroc, en matière d’aviation, le bourrage de crâne n’est
pas possible.
L’avion passe ou ne passe pas: il passe.
Le courrier arrive ou il n’arrive pas: il arrive.
Tout est là.
Il nous est agréable de constater à l’heure actuelle que
nos avions passent en toutes saisons et que le courrier nous arrive par
n’importe quel temps.
Et cela seulement nous intéresse.
Mais nous nous y intéressons prodigieusement
Tout au long de l’exposé que je vais avoir l’honneur de vous
faire, nous vous présenterons l’avenir de notre aviation
marchande, basé non sur des données hypothétiques,
mais bien sur des faits et chiffres précis, contrôlables
et contrôlés.
Nous nous essaierons à vous démontrer combien la
désastreuse politique actuelle d’économies de bouts de
chandelle compromet gravement la sécurité de nos
équipages sur l’unique route aérienne du monde dont le
rendement commercial soit assuré. Sa haute portée
politique exigerait l’appui immédiat de notre gouvernement dont
la seule excuse à mes yeux est d’être insuffisamment
renseigné.
Le système actuel d’exploitation sur Casablanca-Dakar nous
conduira à de cruels mécomptes, nous en sommes
malheureusement persuadés et notre personnel en fera les frais.
La liaison aérienne France-Afrique est d’une importance vitale.
Parmi les pôles d’attraction qui sollicitent notre
activité nationale, les possessions françaises en Afrique
méritent de passer au premier plan. Elles offrent en effet,
à notre industrie, un domaine d’expansion où elle n’a pas
à craindre de semer pour l’étranger. Son étendue
est telle qu’elle pourrait constituer pour nos énergies un
stimulant comparable à ce qu’a été le Far-West
pour les Américains.
On s’est donc tourné vers elle tout naturellement, pour y
trouver un placement de nos efforts aériens puisqu’ à
notre époque c’est l’ampleur de l’effort dans telle ou telle
branche qui peut seule en assurer la maîtrise.
Une sélection rigoureuse doit présider à notre
choix.
Comme pour l’effort naval, il nous manque le nerf essentiel: le
carburant.
L’Angleterre peut poursuivre une politique de marine marchande dont
seul son budget intérieur fera les frais. Elle imposera ses
contribuables pour soutenir ses marins et ses armateurs, mais ces
contributions iront aux charbonnages anglais et à ses armateurs.
Le pays ne sera pas appauvri d’un penny pour conquérir les
routes navales.
Les mêmes conditions ont permis à l’Allemagne l’ascension
surprenante de sa marine marchande grâce à une politique
qui pourrait paraître hardie, mais dont toute la hardiesse
était d’ordre purement intérieur, échappant
complètement à l’étranger.
Au contraire, si la fabrication des avions profite à l’industrie
française, leur utilisation éprouve lourdement le
contribuable, car l’aviation ne peut se soutenir que grâce
à des subventions d’ État qui ne reviennent pas
intégralement dans le pays, puisque toute la consommation de nos
avions est achetée à l’étranger.
Un récent accord avec la Pologne au sujet de la fourniture
d’essence peut donner à cette exportation de francs, une
destination plus heureusement politique sans la faire cesser.
Donc, en attendant que cette politique du pétrole, dont la
guerre nous a durement fait comprendre la nécessité,
produise ses fruits, il convient de sélectionner afin
d’atteindre un double objectif ne pas nous laisser dominer brutalement
par l’aviation étrangère et nous défendre le plus
économiquement possible.
Deux conditions essentielles régissent cette sélection,
pour que l’aviation marchande mérite l’effort de notre pays, il
faut :
1) Qu’elle jouisse d’une supériorité manifeste sur les
autres modes de locomotion.
2) Qu’elle ait une clientèle.
L’expérience a déjà surabondamment prouvé
en France que l’aviation ne pouvait prétendre à
concurrencer le chemin de fer.
On ne trouve à l’heure actuelle d’exception qu’à la
faveur d’une clientèle particulièrement abondante et
riche comme entre deux capitales: Paris- Bruxelles, Paris-Londres.
Calculons en tenant compte de ces deux conditions, les
différentes sollicitations tant de l’Empire français
d’Afrique que de l’Amérique du Sud.
Une seule ligne aérienne de France-Afrique a réussi
jusqu’ici ; mais il convient d’ajouter qu’elle a dépassé
en trafic postal et en régularité toutes les autres
lignes françaises.
C’est la ligne Toulouse-Casablanca, due à l’initiative et
à la direction de Pierre Latécoère.
Elle fut inaugurée le ler septembre 1919 avec un service
bi-heddomadaire.
Cette formule se révéla vite défectueuse parce
qu’elle ne permettait pas de marquer nettement un avantage sur le
courrier maritime. Aussi la périodicité fut-elle
augmentée jusqu’à devenir quotidienne en 1922.
De même, la recherche du rendement fit apparaître que si,
au début, il était possible de s’arrêter à
Rabat, il était indispensable de la prolonger jusqu’à
Casablanca.
Soutenue par ces deux facteurs de supériorité, dans la
vitesse régulière et dans la clientèle
suffisamment nombreuse, la Ligne vit récompenser le
dévouement et l’audace de son personnel.
En 1919, du 1er septembre au 31 décembre, la Ligne
Toulouse-Rabat a transporté par avion 9 124 lettres pesant 156
kg.
En 1920, la Ligne Toulouse-Casablanca a transporté 182 061
lettres pesant 3 252 kg.
En 1921, elle a transporté 327 805 lettres pesant 6 337 kg.
En 1922, elle a transporté 1 047 352 lettres pesant 33 635 kg.
En 1923, elle a transporté 2 591 173 lettres pesant 55 364 kg,.
Elle atteint maintenant plus du tiers du courrier total du Maroc.
En outre, le nombre des passagers augmente régulièrement
Il atteignait 750 en 1922 pour arriver à 1 344 en 1923, et ce
chiffre progresse régulièrement, quoiqu’il n’y ait que 2
places dans chaque avion.
Actuellement, 70 avions assurent le service de la Ligne
Toulouse-Casablanca qui fonctionne sans interruption et par toutes les
saisons. Les départs ont lieu de Toulouse à 9h du matin
tous jours. L’arrivée a lieu à Casablanca le lendemain
vers midi.
En été, les départs ont lieu à 6h et le
voyage se fait dans la même journée.
Un voyageur quittant Toulouse le matin peut coucher à Casablanca
le jour même. L’avion fait escale à Barcelone, Alicante et
Malaga. Halte à Tanger et à Rabat, avec changement de
pilote à chaque escale.
Les avions de la Ligne Toulouse-Casablanca ont parcouru à
l’heure actuelle, c’est-à-dire au 1er décembre 1923, plus
de 4 100 000 km, soit plus de 100 fois le tour du monde,
décomposant en:
173 900 km en 1919
553 450 km en 1920
1 171 200 km en 1922
1379 250 km en 1923
En octobre 1922 la Compagnie Générale d’ Entreprises
aéronautiques (Lignes Aériennes Latécoère)
a inauguré la ligne Casablanca-Oran par Rabat et Fez. Le
service est actuellement limité à 2 courriers par semaine
(aller et retour), Enfin cette année, la Ligne a poussé
une antenne jusqu’à Marseille. Le courrier partant de Marseille
de bon matin rejoint l’avion postal à Perpignan et lui remet sa
correspondance qui peut ainsi arriver à Casablanca en même
temps que celle de Paris et de Bordeaux.
Le seul perfectionnement désirable serait de faire partir la
Ligne de Bordeaux où le courrier de Paris arrive plus tôt
le matin qu’à Toulouse, L’horaire en serait très
facilité et les avions pourraient, sauf pendant les jours les
plus courts de l’année, boucler le parcours dans la même
journée.
Cependant, depuis la création des Lignes aériennes
Latécoère France-Maroc, de nombreux autres projets ont vu
le jour et même le jour de l’inauguration, Alger, Tunis, Oran,
n’ont pas été sans se piquer d’émulation à
l’annonce que leur cadette Casablanca expédiait son courrier
à Paris dans les 24 heures quotidiennement, La richesse
financière de l’Algérie lui a même permis de faire
un gros effort de subvention pour appeler des avions, soit par un
embranchement sur la ligne France-Maroc, soit par une ligne directe de
Marseille.
Des hydravions ont tenté d’abord l’escale de Corse, puis la
traversée jusqu’à Tunis.
Sauf l’embranchement Casablanca-Oran, aucune de ces lignes n’a encore
fonctionné normalement; cependant que France-Maroc est
quotidien dans les deux sens et régulier depuis plus de 4 ans.
C’est que par mer, il faut un minimum de 3 à 4 jours entre la
France et le Maroc et que la marche des paquebots coûte trop
cher.
Le Maroc a connu un Service maritime mensuel puis bimensuel, puis
hebdomadaire et aujourd’hui, au meilleur moment de la saison, un
courrier tri-hebdomadaire met 5 jours pour venir de Paris.
Mais l’avion est quotidien à 24, 36 ou 48 heures au plus de
Paris, Si l’on calcule en "commerçant" qui considère
l’échange de courrier, on trouve un écart d’une semaine
entre la réponse par bateau et la réponse par avion.
La supériorité aérienne est donc manifeste pour le
Maroc.
Au contraire, les ports d’Algérie et de Tunisie sont
reliés à Marseille et à Port-Vendres par des
paquebots très rapides dont les services divers peuvent se
conjuguer au moyen de chemins de fer à voie normale
d’Algérie.
Le gain par avion subsiste bien, mais n’est pas suffisant pour
s’imposer.
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Les projets en cours et à l’étude
Cependant l’Algérie, poussée par une
émulation
de modernisme essaya d’un autre côté.
Appliquant la première formule de la supériorité
de la vitesse de l’avion sur les autres moyens de communication, une
ligne Alger-Biskra commença à fonctionner. Son but
était d’atteindre le Niger. Les premiers résultats
prouvèrent que le courrier transporté était
décevant et que même arrivant au Niger, il ne parviendrait
pas à être intéressant.
La recherche d’une clientèle aérienne est donc la base
primordiale du succès et avant d’en espérer une, il
aurait fallu effacer le souvenir du Général Laperinne
mourant, introuvable dans la solitude du désert.
D’ailleurs, les prix de revient de la locomotive aérienne dans
ces contrées sont hors de nos moyens.
On pourra certes améliorer les conditions de ravitaillement,
mais avant d’ en décider, considérons que la
première traversée aérienne du Sahara a
coûté une centaine de millions pour deux avions à
l’aller seulement.
Messieurs, veuillez bien calculer vous-mêmes le prix de revient
d’une ligne régulière.
Il faut donc, pour trouver un peu de clientèle, chercher une
capitale, c’est-à-dire un centre postal.
Ce choix n’est pas douteux.
Dakar, capitale de l’ A.O.F. présente déjà la
centralisation de tout le courrier France-A.0.F. En outre, port
d’escale de l’ancien continent le plus rapproché de
l’Amérique du Sud, il peut prétendre à transiter
le courrier de l’Afrique du Sud vers l’Amérique du
Sud.Voilà ce qui nous change de Biskra et du désert.
Une simple évaluation.
Comment joue la première formule de
supériorité
aérienne sur cette grande route internationale -
Les Courriers maritimes les Plus rapides mettent en moyenne près
de 10 jours de Dakar en France et 8 jours de Dakar à Lisbonne.
Or le raid improvisé des 3 avions de la Ligne
Latécoère en mai 1923, a été accompli en 3
jours de Casablanca à Dakar et a démontré qu’en
organisation normale, la liaison Pouvait aisément se faire en
deux jours.
C’est donc Dakar à 4 jours de Paris. De même Londres, par
combinaison de rapides de nuit portant à Paris le Courrier
aérien et de la ligne d’avions Paris-Londres, se trouvera
à 4 jours au plus de Dakar et celle circonstance attirera la
grosse clientèle postaIe du Dominion britannique de l’Afrique du
Sud.
Bruxelles, autre capitale intéressée à l’Afrique,
offrira également sa clientèle.
Le gouvernement belge a même déjà commencé
à s’intéresser à la Ligne France-Maroc.
Ses courriers maritimes sont en liaison à Casablanca, avec le
courrier d’avion en provenance ou à destination du Congo belge.
Cependant, il ne s’agit que d’un gain de deux à trois jours. A
plus forte raison, la voie aérienne sera-t-elle empruntée
lorsque ce courrier aura à son actif un gain de 6 jours ?
Ajoutons une considération d’homme d’affaires.
Le télégramme de Casablanca-Paris coûte 30 centimes
le mot et :celui de Dakar-Paris coûte 3,50 F. Pour
l’Amérique, les correspondances européens des grandes
affaires sud-américaines et sudafricaines auront
intérêt à posséder à Casablanca des
Agences qui seraient, comme actuellement à Lisbonne, port
d’escale postale, un relai de courrier. Elles n’y gagneraient pas
seulement du relevant de la Bourse ou des Agences de Paris.
Sans nous perdre dans des statistiques compliquées et pour nous
inspirer simplement de l’expérience, nous calculerons que le
1/16è du courrier qui transite actuellement par Lisbonne
seulement, suffirait à alimenter cette ligne en courrier postal
sans avoir besoin de la clientèle voyageurs. Le courrier
étant le frêt de beaucoup le plus
rémunérateur, le rendement financier de la ligne serait
de 15 fois plus élevé que celui de France-Maroc, alors
que son exploitation ne coûterait certes pas plus de 3 fois plus
cher, à cause dela distance. Or, l’actuel courrier France-Maroc
a conquis le 1/3 exactement du trafic postal marocain. On voit donc que
la prétention de capter le 1/16 du courrier transitant à
Lisbonne sans compter le courrier de Bordeaux qui est, lui aussi fort
important, n’a rien que de très modéré.
Comment aller à Dakar?
Il semble superflu de poser cette question puisque l’expérience
tentée par 3 avions Latécoère en mai dernier a
parfaitement réussi. Si bien réussi qu’elle n’a
donné lieu, faute d’angoisse, de drame, de sensationnel,
à aucune publicité pour ainsi dire.
Cependant, elle a éveillé des appétits et par
conséquent provoqué des rivalités qui, faute de
démonstration à opposer, ont été
basées sur des influences politiques, Cela ne suffit pas
toujours à avoir gain de cause, encore moins à
transporter des lettres, Mais cela suffit généralement
à remporter une subvention et entraver l’oeuvre utile.
S’il m’était permis d’entamer ici ce chapitre, j’oserais
déclarer que certains politiciens français nous
coûtent encore plus cher que l’essence étrangère,
Mais cela sortirait du cadre de notre exposé. Qu’il nous suffise
d’en revenir à notre objectif essentiel de limitation des
efforts!
La meilleure garantie contre les déviations d’influence
politique est de faire confiance à un homme qui ait
déjà fourni des preuves.
En matière d’aviation, il est encore impossible de truquer. Si
l’entrepreneur ne fait pas largement son devoir, s’il n’apporte pas une
attention intense chaque jour à sa tâche, non seulement
son courrier ne fonctionnera pas régulièrement mais, le
drame des Airs imposera bientôt sa sanction de publicité
dramatique. La médiocrité n’est pas possible.
Il semble donc qu’une entreprise qui fonctionne depuis 4 ans à
la complète et enthousiaste satisfaction de la clientèle
mérite qu’on fasse converger vers elle, les efforts
limités dont on dispose et qu’une déclaration claire,
formelle, permette à l’opinion raisonnable de se rallier pour
l’effort commun.
L’itinéraire
L’actuel tracé du Transaharien peut troubler certains
esprits
dans cette course vers le terminus continental de Dakar.
Des arguments qu’il ne nous appartient pas de discuter ici, ont
été vulgarisés autour de cet itinéraire,
Disons qu’ils s’appliquent à une ligne de chemin de fer, non
à une ligne d’avions et qu’ils se réfèrent
à une question militaire non postale.
Pour l’avion postal, le choix de l’itinéraire ne doit tenir
compte que du plus court chemin à la seule condition qu’il soit
possible.
Les études publiées à la suite du raid
Casablanca-Dakar (Illustration du 4 août 1923, les Ailes, l’Air,
la brochure "Casablanca-Dakar à bord d’un avion postal
Latécoère" éditée par la vigie Marocaine,
dont Georges Louis, rédacteur en Chef, prit part à ce
raid) ont démontré que non seulement l’itinéraire
côtier choisi par la mission était le plus court, qu’il
était "possible", mais encore qu’il réunissait les
meilleures conditions que l’on puisse souhaiter. Nous
énumérerons simplement ces avantages :
Pas de montagne à franchir.
Route constamment évidente puisqu’il suffit de suivre le rivage
Facilité d’atterrissage en cas de panne sur n’importe quel point
de la côte depuis l’oued DRA.
Existence de postes avec garnison et T.S.F. au bout de chaque
étape normale.
Facilité et modicité du ravitaillement puisque tous les
aéroplaces sont sur le bord de la mer.
Climat plus tempéré.
Avion ou Hydravion
Une ligne d’hydravions ne jouirait pas de tous ces avantages. Les
amerrissages de fortune ne sauraient lui être garantis sur
l’Océan et le récent exemple de l’hydravion C4, dans la
Manche montre combien, du point de vue purement nautique, l’hydravion a
encore besoin de perfectionnement.
On peut, au sol, choisir des points d’atterrissage de fortune que l’on
organise le long d’un itinéraire. Mais l’Océan ne
s’organise pas, même par petites places.
Or, il s’agit d’un courrier régulier, fonctionnant par n’importe
quel temps, comme le fait aujourd’hui la Ligne Latécoère.
Les expériences actuelles de nos hydravions ne sauraient servir
de base à des déductions. On ne pourra conclure
qu’après la tentative de mise en service prochaine qui,
fonctionnant en concordance avec France-Maroc, permettra des
comparaisons sous l’impitoyable réserve d’un courrier
régulier par n’importe quel temps.
Encore conviendra-t-il de ne pas oublier que l’hydravion est plus lent,
plus lourd et plus coûteux que l’avion.
Nous ne voulons point, ici, recommander des marques, mais une
méthode pour choisir entre elles, Il faut bien reconnaître
qu’il y a deux aviations avec deux objectifs distincts.
L’une de combat, basée sur le succès à tout prix.
L’autre d’exploitation économique basée sur le prix du
succès.
On ne peut pas demander à l’aviation marchande de faire les
frais des essais pour l’aviation militaire. Même dans l’aviation
marchande il y a des catégories à différencier.
Un avion postal requiert d’autres conditions qu’un aérobus. Une
ligne franchissant des montagnes, survolant des itinéraires sans
terrains de secours, nécessite d’autres appareils qu’une ligne
au -dessus des plaines.
C’est ainsi que la ligne France-Maroc a dû renoncer à
l’emploi des limousines parce que ses terrains de secours en Espagne
sont généralement les plages, terrains courts où
il faut atterrir vent de côté. Cette manoeuvre qui se fait
aisément avec des torpédos Bréguet 14 ne
réussissait jamais avec les limousines et il fallut renoncer
à cette carrosserie qui constituait cependant un progrès
pour le voyageur.
De même, les essais d’autres appareils sur cette ligne n’ont pas
été retenus à cause des conditions de navigation,
d’atterrissage, de poids à transporter et de prix de revient.
Certes, il faudrait se garder d’une formule qui cristalliserait notre
aviation et l’empêcherait de progresser sous prétexte
qu’elle est satisfaisante. Mais la tendance contraire serait encore
plus désastreuse en raison du prix qu’elle coûterait, et
en aviation les mécomptes exposent au drame.
L’aviation marchande doit être une école, non d’essais
nouveaux, mais de perfectionnement.
Un appareil répondant moyennement aux nécessités
de la Ligne doit être considéré comme le type que
l’on perfectionnera progressivement au gré de
l’expérience mais qu’on ne changera pas, sauf sous l’impulsion
d’inventions bouleversant les conditions actuelles, ou à la
suite d’une longue expérimentation par la ligne
intéressée hors du Service régulier.
L’aviation ne peut en effet réussir que si le personnel est
rodé par une longue accoutumance. Il faut même tenir grand
compte de cette accoutumance comme d’un facteur principal.
On peut la faire évoluer, il serait imprudent de la sacrifier.
L’exemple des lignes aériennes Latécoère est
probant.
Pendant la première année, les pertes d’appareils furent
assez fréquentes. Mais le système des rapports quotidiens
de chaque pilote à chaque étape, consignant ses
observations, permit d’apporter progressivement les corrections
nécessaires. Aujourd’hui, le même appareil Breguet avec
son même moteur Renult est un modèle de
régularité, de souplesse, d’endurance.
Retenons encore que la considération essentielle de
l’importation des carburants nous interdit certains luxes. Il est
toujours possible d’obtenir un progrès mécanique en y
mettant le prix. Mais les sacrifices que demande au contribuable notre
aviation marchande, nous oblige à établir des moyennes
où le service aérien soit assuré aux meilleures
conditions d’économie. C’est d’ailleurs le problème qui
s’est imposé ces dernières années à notre
industrie automobile et pour la même raison essentielle.
Ajoutons que les progrès dans l’aviation marchande dans ce sens
de l’économie rendront le plus grand service à l’aviation
militaire qui, si elle n’est peut -être pas limitée en
temps de guerre par les crédits, peut l’être comme elle
l’a été déjà par les disponibilités
mêmes des stocks de carburant dont l’alimentation dépend
de l’étranger.
En décourageant la tendance naturelle de l’aviation marchande
à l’économie, nous travaillons donc à
l’indépendance même de notre aviation militaire.
On ne saurait lui demander davantage sans la compromettre dans son
existence même.
Les hommes.
Les meilleurs principes ne valent que s’il se trouve des
hommes
courageux et compétents pour en assurer le choix. On dit
volontiers que la France découvre toujours aux moments
désespérés de son histoire des hommes
nécessaires.
Mais est il donc besoin d’attendre le dernier palier du
désespoir pour chercher ces hommes et leur faire confiance?
Notre aviation, défavorisée par notre manque de
carburant, doit soutenir un combat très serré pour garder
son rang dans la compétition internationale sans ruiner la
nation elle-même. Il lui faut donc des chefs de premier choix
possédant une expérience de vieux capitaines qui leur
permette d’éviter la casse et d’atteindre l’objectif avec le
minimum de pertes.
Ces chefs doivent en outre s’être formés dans ce sens
spécial du dévouement au Pays, qui caractérise les
vrais grands soldats, parce qu’il limite l’ambition personnelle, en
dégage totalement la mission à accomplir.
Dans cette période où l’aviation marchande exige de la
nation un tel effort, il lui faut des industriels qui sachent limiter
leur caractère d’hommes d’affaires pour être par-dessus
tout des serviteurs de la Patrie.
Je sais qu’une telle proposition jure un peu avec l’ambiance
spéculative d’aujourd’hui, avec l’aggravation, la corruption du
struggle for life anglo-saxon dont la brutalité originelle
s’acoquinerait volontiers chez nous d’un certain byzantinisme
importé du levant.
Il faudra cependant revenir à cette conception du civisme
nécessaire chez les grands chefs de notre industrie.
Le temps est passé où le militaire et le politique
pouvaient assumer la responsabilité de la nation. Aujourd’hui un
peuple dépend de ses chefs d’industrie comme ils s’appuient
eux-mêmes sur les richesses matérielles et morales de la
nation. Ce ne sont plus des artisans libres dont l’existence
personnelle est en dehors de la vie politique, Ils ont des
privilèges comme l’ancienne aristocratie chargée de la
défense du territoire commun. On a raison de demander leurs
noms. Ils appartiennent à l’ opinion.
Nous n’avons, en ce qui concerne ce chapitre du Sud qu’un nom à
citer. Mais quatre années d’épreuve le soulignent et
répondent de lui : c’est le nom de Pierre -Georges
Latécoère.
Certes, les mêmes conditions industrielles que nous invoquions
tout à l’heure ne permettent pas à un seul homme
d’être tout dans une affaire. Autour de Latécoère,
il faudrait citer de nombreux autres dont le dévouement,
l’ardeur et cette belle objectivité de " Serviteur du Pays " ont
fait des collaborateurs précieux.
Mais à toute affaire, il faut une tête dont la
pensée, souvent même le sentiment, suffit à
orienter toute l’impulsion.
Il n’est donc pas injuste de se rallier à un seul nom qui
désigne à la fois un chef et son équipe.
Latécoère, après avoir étendu sa
construction de wagons en série, commença à
fabriquer des avions sur diverses licences et conçut sa vocation
d’ Organisateur de Lignes Aériennes.
Organisation où l’on sent la double tradition de
l’Ingénieur et de l’ I’industriel, le double souci des
conditions techniques et de la clientèle, qui devaient
l’orienter vers ce Maroc où les conditions de l’utilité
et du succès se trouvent parfaitement réunies.
Pour mieux se consacrer à cette oeuvre, il négocia ses
usines en pleine prospérité, ne gardant que ses Ateliers
d’aviation.
C’est qu’il avait trouvé un but à sa vie, une de ces
oeuvres de longue haleine dont l’ampleur, les difficultés et la
beauté peuvent, à l’exclusion de toute autre passion,
suffire à une existence, absorber même ce " Mal des
ardents" dont parle un de ses plus proches collaborateurs.
Latécoère a rêvé d’atteindre un jour
l’Amérique, non point en raid, mais en Ligne organisée,
régie, commercialisée.
Il est désormais l’homme d’une idée.
Il ne pourra s’en évader pour retrouver sa libre
personnalité que lorsque nos avions atteindront Pernambouc, de
l’autre côté de l’Atlantique, à la pointe la plus
rapprochée de l’Amérique du Sud.
Il n’ignore point que c’est un esclavage de longues années qu’il
souscrit là, pour un résultat que l’état actuel de
la science laisse encore incertain.
Il n’y cherche pas la fortune puisqu’il l’avait déjà, Il
l’a plutôt asservie à une oeuvre difficile.
Il n’a pas davantage cherché une gloire que sa timidité
lui rendrait insupportable. L’impulsion de Latécoère
paraît ainsi plus subjective qu’objective car elle émane
d’une vocation.
Nous croyons vous avoir démontré que cette idée
répondait précisément au meilleur programme que la
France puisse se tracer actuellement dans ses efforts aériens
hors d’ Europe.
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