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Extrait du bulletin juillet-août 2015 

CE N’ETAIT PAS ENCORE L’HEURE
La fin du Laté 28-8
ou
Le jour où l'archange tomba du ciel à Capens

Le samedi 30 août 1930, un avion Latécoère 28-8 attirait l'attention d'Edmond Rigail, fermier résidant au quartier de la Girouette à Capens, avant de le surprendre encore plus par le bruit d'une forte explosion...













































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Laté 28-8 accidenté ©DR


Jean Gonord raconte la prise en main de l’appareil avec Mermoz début juillet.

«Donc un jour, Mermoz et moi décidons de faire faire son premier vol à notre engin. L’engin est mis dans le vert pâturage de Montaudran, nous l’examinons de plus près, puis nous embarquons. Le temps est moyen avec vent d’autan. Mermoz monté le premier s’est installé au seul et unique poste de pilotage (il avait été entendu que les changements de pilote se feraient simplement en quittant les commandes, le remplaçant se glissant derrière le relevé). L’appareil, extrapolation du Laté 28 pour ce premier vol se trouvait à la charge d’un cerf-volant.

A peine les gaz furent-ils mis que nous étions en l’air sérieusement chahutés. Mermoz faisait ce qu’il fallait pour tenir l’engin mais les efforts faits sur les ailerons provoquaient la déformation de l’aile en torsion; nous glissions. Mermoz faisait des efforts désespérés pour le redresser. Enfin après quelques manoeuvres supplémentaires l’appareil s’est redressé une première fois, pour repartir dans sa démonstration, une deuxième fois, puis une troisième.


Un peu inquiet sur l’issue de cette équipée, et n’étant guère au-dessus de 50 mètres, je fis signe à Mermoz de se poser droit devant. Ce qui fut fait, l’atterrissage se fit en douceur, mais un malheureux petit fossé se trouvait sur notre route, la roue gauche ne l’a pas encaissé. La vitesse réduite de l’atterrissage a évité des dégâts plus importants. La note n’était vraiment pas chère».

Les essais sont interrompus, Jean Gonord rejoint Saint-Laurent de Salanques.


Jean Mermoz rejoint Paris pour se marier à Gilberte, Henriette, Rose Chazottes, fille d’Ernest Chazottes et de Marguerite Baudrier, née le 2 août 1910 à Bahia Blanca, république d’Argentine, où Jean Mermoz la rencontra. Le Mariage civil a lieu le 23 août à la mairie du XV arrondissement de Paris. Marcel Bouilloux-Lafont, Président de la Compagnie Générale Aéropostale est le témoin du marié, tandis que Auguste Baudrier, rentier et oncle de la mariée, est le témoin de Gilberte. Le Mariage religieux, a lieu le 25 août à l’église Saint François Xavier, Paris VII.
La mère de Mermoz est alors domiciliée 42 rue Vaneau Paris VII.

De retour à Toulouse le 10 août, Jean Gonord repris les essais; 10 août: essais de l’appareil à 4200 k; 10 mn, 12 août: essais de l’appareil à 4700: 20 mn, 18 août: essais de l’appareil à 4700: 25 mn, à 5200; 30 mn, largage de queue; 10 mn, 19 août: bases de vitesse 5500; 25 mn, 29 août essais de montée au plafond 5500; 20 mn.

«Le lendemain, à ma grande surprise, j’apprends que Mermoz est revenu et que nous devrions voler l’après-midi. Nous sommes allés déjeuner, à la faveur du repas j’en profitais pour mettre Mermoz au courant, dans la mesure du possible, puis nous regagnions notre futur outil de travail. Entre Rescanière et l’équipage il est entendu que nous allons faire une montée au plafond à la charge de 5500 kg paliers tous les 1000 mètres et devrions terminer cette série d’essais par quatre paliers aller et retour sur la base Muret-Noé pour procéder à l’étalonnage de l’anémomètre.
Nous allons prendre place dans le 28-8, Dombray arrivait à son tour, nous montons tous à bord, et au cours de la visite Dombray s’exclame «mais vous voler sans parachute?». Rescanière répond affirmativement, moi également, Dombray ou un monsieur qui était dans l’appareil suggère de prendre le parachute de secours dans l’appareil de secours de l’Aéropostale qui était dans le hangar. Ce qui fut fait. Le parachute est installé dans le 28-8, une question se posait: comme il n’était pas question de voler avec un parachute pour deux pas plus qu’à deux sans parachute, Mermoz me proposa de prendre le manche, cela lui permettait de se mettre l’appareil en main, consulté j’approuvé la solution de Mermoz qui me proposa sa voiture pour que je contrôle les passages sur la base à Noé. Après une attente d’une demi-heure environ, l’objet de mon attention m’apparut à une altitude de 2000 m environ en direction de la ville. Je ne le perdais pas de vue dans sa descente vers le point où j’étais, c’est-à-dire le début de la base, puis j’entendis le bruit du moteur plein gaz, la visibilité était parfaite. Je vis très nettement l’appareil s’incliner sur la gauche puis commencer à virer à un rayon très grand puis piquer en virant à plat –ceci se passait en dessous de 1000 m et les évolutions se voyaient parfaitement– et se terminèrent par une abattée assez sèche, l’aile droite se détachant du fuselage et moi dans l’angoisse cherchant à voir un parachute qui ne s’ouvrit que très bas, voilure déchirée par des morceaux de tôle de dural


Dans sa lettre du 4 septembre à sa mère Jean Mermoz lui relate l’accident.
«A 1000 mètres, alors que je descendais de 5000 mètres, où j’étais monté chargé à 6000 Kgs, j’étais en train de faire une base de vitesse de trois minutes, j’ai senti le fuselage se tordre et se désarticuler. J’ai voulu ouvrir la porte de côté pour me jeter en parachute mais impossible: l’avion s’abattant en vrille à mort et les ferrures déformées m’empêchaient d’aboutir; je me suis alors lancé dans la trappe ouverte au-dessus de ma tête, mais je ne pus y passer à cause de mes épaules et la tête dehors, je vis l’aile gauche se détacher; le réservoir de 1200 litres d’essence s’entrouvrît derrière moi, m’inonda d’essence puis le tout se déchiqueta et je fus l’un des débris que libéra l’avion littéralement pulvérisé comme s’il avait reçu un obus de plein fouet. J’ai fait environ cent cinquante à deux cents mètres de chute libre avant que le parachute soit ouvert, et puis, je me suis senti accroché subitement dans le vide avec une violente secousse. J’ai levé les yeux et j’ai vu des morceaux de l’appareil s’abattre sur mon parachute et y faire de nombreuses déchirures. L’un d’eux enleva un morceau de 1 m 50 et ma vitesse de chute s’accéléra. La queue de l’Avion passa à 50 mètres de moi. Le contact avec le sol fut rude. Je me suis reçu sur les
jambes mais la secousse me casse en deux.
Au même moment passait sur la route de Luchon à 100 mètres du lieu de la chute l’oncle et la tante Chazottes de Mazamet. Coïncidence !!! Ce furent eux qui me ramenèrent dans la clinique où j’ai demeuré trois jours. Enfin tu vois, je suis là. Ce n’était pas encore l’heure


La version de Jean Gonord est un peu différente:
«J’avais repris la voiture et, sur la route, à un moment, Mermoz m’est apparu au milieu d’un groupe dans lequel l’oncle et la tante soutenaient Mermoz. Je m’arrêtais juste devant et l’embarquais pour la clinique du Languedoc à Toulouse».

Ce fut la fin du Laté 28-8.


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Histoire et culture

L'accident de Jean Mermoz à Capens en 1930

Le samedi 30 août 1930, un avion Latécoère 28-8 attirait l'attention d'Edmond Rigail, fermier résidant au quartier de la Girouette à Capens, avant de le surprendre encore plus par le bruit d'une forte explosion. L'avion venait de de se disloquer en plein vol et de s'écraser dans une vigne voisine, aujourd'hui disparue, mais qu'on peut situer avec quelque précision non loin du collège récemment construit à Noé. Miraculeusement, le pilote avait eu le temps de s'éjecter et de tomber en parachute non loin de l'avion.
Ce pilote qui faisait des essais, n'était autre que le grand Mermoz, âgé à ce moment là de 29 ans et ayant déjà à son actif la traversée de la cordillère des Andes ou la première liaison aérienne entre la France, Dakar et l'Amérique du Sud... L'accident marqua tous ceux qui étaient fascinés par la vie aventureuse et héroïque de Jean Mermoz, sauf que cet épisode ne fut pas repris dans les nombreuse biographies de l'illustre aviateur. Et localement le souvenir finit également par disparaître. Pourtant un jeune homme de ce petit canton de Carbonne, qui vouait le culte le plus fervent à Mermoz, toute sa vie racontait cette histoire. Comment n'aurait-il pas été fasciné par les aventures de celui qui avait été pris en otage par les Maures et relâché après rançon? De celui qui avait réussi à redécoller depuis une montagne en lançant son avion dans un précipice? Mermoz aurait dit à Joseph Kessel «Je voudrais ne jamais redescendre!» Comment l'idéalisme d'un adolescent n'aurait-il pas été marqué et impressionné? Plus tard ce jeune homme devenu adulte devait être pendant quelques temps le président-fondateur de l'aéro-club Jean Mermoz à Muret et il ne se privait pas de confier ses souvenirs. Notamment à M. Brousse, le patron du fameux Grand Balcon à Toulouse, et qui avait également une propriété agricole à Beaumont sur Lèze.
C' est par l'intermédiaire de M. Brousse que deux passionnés de Mermoz, Jean Fornal et Jean Chazottes petit cousin de Mermoz, devaient apprendre l'épisode de l'accident d'avion à la Girouette. Dès lors ils considérèrent de leur devoir d' en savoir plus et de recueillir des témoignages. Edmond Rigail était encore vivant. Le procès verbal détaillé de l'accident se trouvait aux Archives départementales. Les preuves objectives ne laissaient donc aucun doute.
Que faire? Les idées et les projets de commémoration ne manquent pas. Ne pourrait-on attribuer le nom de Jean Mermoz au collège de Noé ? Jean Fornal pense qu'il serait bon de profiter de la coïncidence et que l'attribution du nom amplifierait l'événement de 1930. Ne pourrait-on ériger une stèle en hommage à Mermoz à la Girouette? Jean Chazottes pense que Mermoz disparu en pleine mer, n'ayant pas de sépulture, mérite une stèle pour qu'on puisse avoir un lieu concret pour l'honorer, se souvenir et se recueillir. Ne pourrait-on consacrer la prochaine Journée Patrimoine du 15 septembre à une exposition et des conférences à cet épisode? L'association Poésie et Patrimoine s'enthousiasme pour ce projet et apporte tout son concours. Les contacts sont pris, notamment avec M. Danès maire de Capens, et les bonnes volontés oeuvrent pour le mieux.
Le Petit Journal tiendra ses lecteurs informés lors de la prochaine réalisation de tous ses projets.



Jacqueline, la fille de M. Rigail raconte: « Mon père avait 8 ans à l'époque. Assis devant la maison familiale à Longages, il écossait les haricots, lorsqu'il fut distrait par le passage fréquent d'un avion. » Surpris par une déflagration terrible, Edmond Rigail assista à la chute de l'appareil. « Il vit une forme humaine accrochée à une toile se balançant. » Arrivés sur les lieux de l'accident au lieu-dit « La Girouette », Edmond Rigail découvrit un gros cratère et des débris éparpillés dans une vigne. » Celle-ci prit le surnom de « la vigne à l'avion » avant d'être arrachée et de faire place à un champ de tournesols.
Jean Mermoz, plus blême que la toile écrue de son parachute, gisait à quelques mètres du cratère. « Il lui fut demandé s'il était seul à bord et il expliqua aux personnes qui l'entouraient que son parachute, déchiré par une pièce de l'avion était très vite tombé. » Ce jour-là, l'archange mort de trouille avait « fait » dans son pantalon rapporte le témoin qui déclare « avoir vécu l'une de ses plus belles et folles journées ».
La famille Rigail qui durant de longues années a conservé un morceau de tubulure regrette de n'avoir pu remettre la main sur la relique.

Martine CABANNE







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