Un travail  aride de plusieurs  années .   Par Jean-Gérard FLEURY écrit le 11 juillet 1932      


Sur le champ d'aviation, la bonne humeur est de règle. Pacheco (terrain d'aviation de Buenos-Aires) Tête, Reine, Barrière, quelques ingénieurs m'ont fait visiter le terrain de Pacheco, le mieux aménagé d'Amérique du Sud, envié  de toutes les lignes étrangères. Hangars, usines de réparations, ateliers de mécanique sont équipés d'une façon parfaite. Une centrale électrique distribue la lumière, l'énergie et éclaire le balisage pour les vols de nuit. Dans le poste de T. S. F., remarquablement organisé par Serre, j'admire le grand tableau nous suivons la marche des courrier. D'un coup d'œil, on apprend le numéro de l'appareil qui emporte le courrier de France, le nom du pilote, du radio, l'emplacement exact de l'avion rectifié de quart d'heure en quart d'heure. Sur les 46 terrains de l'Aéropostale, dans les 43 postes de T. S. F., jalonnés sur 14.000 km. on suit anxieusement la marche des équipages. A la moindre alerte, dès que se fait attendre trop longtemps la T. S. F. d'un appareil, le chef d'aéroplace du poste le plus rapproché de son emplacement présumé prend l'air et commence des recherches. 

Tête,
qui dirige tout le réseau d'Amérique du Sud, éprouve un certain orgueil devant mon étonnement. La plupart des terrains ont été taillés dans la forêt vierge, comme à Santos, établis sur des marécages, comme à Porto Alegre sur des terres rongées par les termites, comme à Recife. Pour bénéficier de nos concessions, nous devions les aménager dans certains délais, trois mois quelquefois. Que faire dans ces pays il n'y a que peu de main-d'œuvre spécialisée et aucun matériel ? Il a fallu se débrouiller, faire venir de France des tôles, des machines, des appareils de T. S. F., des  ingénieurs. Tout cela a coûté très cher. Nous n'avions pas le choix, il fallait faire vite. Tout a été prêt dans le temps voulu. Nos concessions ont été renouvelées. Nous possédons maintenant les terrains les mieux aménagés d'Amérique du Sud. Les lignes rivales les envient et donneraient beaucoup pour pouvoir les utiliser. La période des grosses dépenses d'organisation, dépenses qui ont paru considérables en France et qui, à l'échelle d'Amérique, étaient normales, a pris fin. Nous n'avons gardé que le personnel strictement nécessaire à l'entretien du matériel. 

Je
dois déjeuner au Continental avec Paul Morand et quelques personnalités de l'aviation. Le célèbre écrivain, qui accumule les heures de vol, va gagner l'Amérique du Nord par la voie des airs. Je le trouve au bar armé d'une assiette de sandwiches. Il la tend vers moi. C'est encore du bœuf, dit-il, de la langue à la gelée. Prenez-en. II faut consommer les produits nationaux. C'est le seul moyen de mettre fin a la crise. Au Brésil, vous boirez du café. Ceci dit, il dégusta le plus international des cocktails. Bientôt, accompagné du directeur de l'aéronautique et de quelques membres du ministère de l'Air argentin, Pierre Colin-Jeannel* arrive. Directeur de l'Aéropostale, avant de prendre son poste Il a exploré en avion les coins perdus de la forêt vierge. Il est seul, avec Lindbergh, à connaître certaines régions. Sa clarté d'esprit, son allant, son énergie tempérée de tact et de finesse en ont fait une des personnalités les plus en vue de Buenos-Ayres. Il est jeune. En Amérique, la jeunesse n'est pas un défaut et je connais bien des vieilles barbes qui seraient fières de l'œuvre qu'il a déjà accomplie. Au cours du repas, il n'est question que de moteurs, de "zincs" de plans, de terrains. Paul Morand peste autant que le plus anglo-saxon des Parisiens peut pester contre l'inertie de nos pouvoirs publics qui semblent oublier l'existence de notre magnifique réseau aérien. Il la compare à la sollicitude du gouvernement américain si soucieux du prestige national à l'étranger, envers la ligne de la Pan-American Airways. Je me rappelle ma randonnée de France au Chili, l'héroïsme de mes compagnons de route, la régularité de leur service dans les régions du monde les plus sujettes aux intempéries et aux perturbations de l'air. Nos amis argentins, qui connaissent les hommes de notre ligne, les admirent sans réserve. Ce sont des as. Ils ont, dans une filiale de l'Aéropostale, l'Aeroposta argentina, formé des pilotes argentins dont nous sommes fiers. Cet hommage rendu à mes amis me flatte comme s'il était destiné à moi-même.

*
Pierre Colin-Jeannel, directeur d'Air France médecin Pierre Colin Jeannel
   source journal Le Petit Parisien 


Retour-back