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I. LES RESSOURCES PUBLIQUES ET LE BUDGET  par Louis SURET  source          AÉROPOSTALE 

UN NOUVEAU PROJET DE SOCIÉTÉ FINANCIÈRE DES NATIONS (une base sérieuse de discussion pour la Conférence de la Paix)

Le projet de M. Marcel Bouilloux-Lafont, Possibilité et rôle de la Société financière des nations. Les Empires Centraux ne peuvent payer la totalité des dépenses de guerre. La prise en charge de ces dépenses et la Régie générale des Nations associées. Le résultat pratique au nouveau système et le budget français. La surcharge imposée aux pays ennemis. La situation des régions rédimées et des nouveaux Etats. ̃ Cas de l'Autriche-Hongrie et de l'Empire ottomann Comment financer l'organisation proposée par M. Bouilloux-Lafont ? Les impôts qu'il recommande et les critiques qu'ils suggèrent. Utilité de cette étude.

UN NOUVEAU PROJET DE SOCIÉTÉ FINANCIÈRE DES NATIONS
Dans un récent numéro de l'Europe Nouvelle, il a été question de la proposition de résolution, présentée par M. Jacques Stern et plusieurs de ses collègues, en faveur de rétablissement d'une Société financière des nations chargée de liquider les comptes de guerre. D'autres projets ont été élaborés par des particuliers.
Celui de Marcel Bouilloux-Lafont mérite une mention spéciale, car son auteur, maire, conseiller général, banquier et administrateur de la Société Centrale des Banques de Province est tout à fait qualifié pour s'intéresser aux problèmes économiques et pour suggérer en cette matière des solutions pratiques.
Dans sa brochure intitulée Essai sur le rôle économique et financier de la Société des Nations, M. Marcel  Bouilloux-Lafont montre brièvement que cette institution est possible et indique quel peut être son rôle pour la liquidation des comptes de guerre, question constituant. dit-il, «la plus gigantesque au point de vue des chiffres qui se soit jamais posée dans le domaine des contingences. non seulement pour les nations qui y ont pris part la guerre], mais même pour nombre de celles qui l'ont regardé faire.»
L'auteur distingue entre deux catégories de peuples ceux qui sont responsables de la guerre et ceux qui l'ont subie ou en ont souffert. La première comprend l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Bulgarie et l'Empire Ottoman; elle devrait avoir sa charge la répartion des dommages, qu'il s'agisse de dommages aux individus dans leurs personnes ou dans leurs biens (pensions aux veuves, orphelins et mutilés, indemnités ou réparations aux victimes), ou des dommages aux nations  belligérantes ou neutres (récupérations et compensations en nature ou indemnités en espèces). Mais on ne peut forcer les Empires centraux à régler leur «Le chiffre des condamnations à la charge des pays responsables de la guerre dépasserait le trillion» observe en effet M. Marcel Bouilloux-Lafont «c'est-à-dire de façon considérable les facultés productives d'un pays quelconque du globe pendant des générations et des générations».
Etant donnée cette carence partielle des Empires Centraux, que nous propose donc M. le maire et conseiller général d'Etampes ? Voici ses solutions énumérées presque mot à mot:
Echelonner la liquidation sur une période assez longue pour que l'opération soit matériellement possible
En dehors des récupérations en or et des restitutions en nature, fixer à forfait (300 milliards, estime l'auteur) et laisser à la charge des nations responsables une indemnité immédiate limitée ft la réparation des dommages causés aux individus dans leurs personnes ou leurs biens, et faciliter aux nations débitrices, par un prêt, le moyen de se libérer
Mettre par annuités le surplus de dépenses de guerre à la charge de la Société des Nations en forçant la part incombant aux nations responsables d'une quantité calculée de manière à leur permettre de vivre, mais aussi à leur enlever toute possibilité de récidive;
̃4° Créer une sorte de banque d'émission lançant la circulation financière indispensable à l'oeuvre de liquidation (Régie générale des Nations associées), qui ferait les avances nécessaires aux pays participants et qui serait dotée de ressources lui permettant d'amortir ses émissions en 50 ou 70 ans
Constituer une union douanière des nations associées qui, par l'application d'un tarif minimum, d'un tarif ordinaire et d'un tarif de pénalité, dispose d'une sanction en vue du respect des engagements pris par une nation à l'égard de la Société des Nations. La nouvelle organisation, dit M. Marcel Bouilloux-Lafont, aurait un résultat pratique des plus avantageux les Alliés n'auraient plus besoin de nouveaux impôts pour liquider leur passif de guerre. Il prend la France comme exemple, ses dépenses de guerre étant évaluées il 160 milliards de francs, elle recevrait, en dehors du capital représentatif des pensions et dommages de guerre:
45 milliards de billets de la Régie générale, dont 30 seraient versés par le Trésor au crédit de son compte à la Banque de France et qui serviraient à renforcer le gage de nos billets de banque;
2° 45 milliards de bons a échéance 3% renouvelables dont 35 serviraient de contre-valeur aux Bons de la Défense Nationale et en allégeraient la charge annuelle jusqu'au jour ceux-ci pourraient disparaître  par voie d'échange (les 15 milliards de billets et 10 milliards de bons restant, permettraient de, rembourser nos emprunts extérieurs);
3° 70 milliards seraient, versés par la Régie générale sous forme d'annuités au taux de 4,5% plus l'amortissement en 70 ans au maximum ces annuités seraient reçues par la Banque de France qui serait chargée spécialement pour le compte du Trésor du service d'amortissement de la Rente française émise pendant la guerre le Trésor n'aurait donc qu'à supporter la différence des taux d'intérêt, et ainsi les emprunts de guerre seraient automatiquement amortis en moins de 70 ans.
L'auteur estime que l'application de son système se traduirait seulement, en ce qui concerne la France, par une charge annuelle inférieure de un milliard de francs dont elle aurait à majorer son budget d'avant-guerre ce supplément irait d'ailleurs en diminuant à mesure que baisserait le taux du loyer de l'argent; dès l'abord il serait en outre réduit dans la mesure le seraient les deux budgets de la guerre et de la marine.
Mais, comme on l'a vu, les Empires Centraux seraient surchargés, par rapport aux autres membres de-la Société des Nations, tout d'abord du fait des 300 milliards pour réparation des dommages causés aux individus dans leurs personnes ou leurs biens, et ensuite en raison du forcement de part, qui leur serait imposé. Il en résulterait pour leurs budgets annuels les augmentations suivantes, par rapport à l'avant-guerre:
Allemagne. 13 milliards de mark.
Autriche-Hongrie. 10 milliards de couronnes.
Turquie + de 10 milliards de piastres
Bulgarie 1/2 milliards de levas.
en tenant compte, dit l'auteur, «de l'opération chirurgicale prévue par la consolidation des changes de ces pays à 50% environ de leur valeur d'avant-guerre».
Cette organisation ne nous paraît pas devoir soulever, de la part des Français, d'objections péremptoires. A l'application, des changements de détail s'imposeraient très probablement, mais l'idée est bonne et peut, au surplus, servir de cadre à des perfectionnements ultérieurs, à certaines mises au point. Je me contenterai, pour le moment, de formuler une critique bienveillante.
M. Marcel Bouilloux-Lafont admet qu'une surcharge soit imposée aux Empires Centraux et, dans les statuts de la nouvelle Société, qu'il a élaborés, il fixe en conséquence les impôts perçus dans ces pays au quintuple des impôts perçus dans les autres Etats. Il admet d'ailleurs que les provinces et régions jadis incorporées par la violence et maintenant revenues  aux nations de l'entente (Alsace-Lorraine, Trentin, Trieste) suivront le sort de la patrie à laquelle elles se trouvent à nouveau rattachées! (Quant à celles qui se sont érigées en nation indépendante, telles que les républiques d'origine slave, la Pologne, etc., elles pourront», ajoute l'auteur, «bénéficier d'un régime spécial».
Celte solution, insérée dans l'article 18 des statuts de la nouvelle organisation, est un peu vague, ce qui fausse forcement les calculs de l'auteur. La question austro-hongroise, résolue selon le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ne laissera plus en présence de l' Entente, que deux États ennemis, l'Autriche allemande, susceptible en outre d'être rattachée a l'Empire d'Allemagne et la Hongrie; or les Polonais, les Tchéco-Slovaques, les Ruthènes, les Roumains, les Serbes, les Croates, les Slovènes et les Italiens de la Double Monarchie aujourd'hui funte représentent plus de la moitié, presque les deux tiers de sa population et une proportion au moins aussi forte de sa richesse nationale; les Saxons de Transylvanie eux-mêmes demandent leur rattachement à l'Etat roumain les Sudètes allemands paraissent devoir être  incorporés de force à la Tchécoslovaquie, puisqu'ils font partie de la Bohême historique le Vorarlberg ne serait-il pas désireux d'éluder sa part de la dette ? tourne ses regards vers la Confédération helvétique; quant au Tyrol, dont les chasseurs alpins ont taillé quelques croupières à nos alliés transalpins, il proteste à présent de la pureté de ses intentions et manifeste à l'égard de BERLIN une hostilité peut-être sincère, mais en tout cas un peu tapageuse. M. Marcel Bouillloux-Lafont n'a voulu, très probablement, nous donner qu'une ébauche, dont beaucoup de traits, il l'admettra lui-même, devront être  retouchés. Les décisions de la Conférence de la Paix pourront modifier dans une très forte mesure les chiffres proposés dans sa brochure.
Pour l'Empire ottoman, il en sera d'ailleurs de même quelle-que soit la solution apportée aux revendications du roi du Hedjaz, de l'Arménie, des Sionistes, de1 la Syrie, de la Grèce, et d'autres pays encore, l'ancienne Turquie ne sera vraisemblablement pas astreinte a remplir toutes les obligations que lui impose l'auteur. Je laisse de côté le problème russe dont. il aurait pu et se préoccuper et qui faussera beaucoup de ses calculs.
Mais les institutions que M. Marcel Bouilloux-Lafont préconise, exigent d'être «financées». Les charges budgétaires de la France ne seraient pas supérieures à celles d'avant-guerre, ou très peu, c'est entendu. Mais il faudra leur superposer des charges budgétaires internationales, destinées à alimenter la Société financière des Nations. Or c'est qu'est le point faible des propositions de l'auteur.
Dans l'article 16 des statuts, il établit, en effet, en les termes suivants, le compte des recettes qui devront être prélevées:
«II est institué chez toutes les nations associées, an profit de la Régie générale des Nations associées et jusqu'à extinction de la dette sociale, les taxes ci-après, payables en or ou en billets de la Régie:
 a) Une taxe spéciale frappant le transport des marchandises et voyageurs par terre, mer ou air. Cette taxe sera de 0 fr. 01 ou son équivalent,sur chaque tonne kilométrique de marchandises transportées sur les chemins de fer des nations associées;
b) Une taxe de 1% sur toutes les recettes de transport de voyageurs;
c) Une taxe de port de 0 fr.50 sur chaque tonne de jauge de bateau accostant dans un port de pays associé;
d) Un surtaxe spéciale à l'importation et à l'exportation cette surtaxe sera pour chaque article de 1% ad valorem;
e) Une taxe spéciale à la production des articles ci-après, la production devant faire l'objet, d'une claration obligatoire:
Alcool, Sucre, Opium, Fer, Blé, Coton, Pétrole, Riz, Café, Cuivre, Vins, Laine, Charbon, Tabac, Thé, Acier, Bière, Soie, et tous autres articles qui seraient désignés sur décision du Conseil de gérance le montant de cette taxe, qui sera ad valorem au minimum de 1% et au maximum de 2% sera définitivement fixé par le Conseil de gérance sur proposition de la Régie;
f) Une surtaxe spéciale sur les communications télégraphiques, téléphoniques, radiotélégraphiques et radiotéléphoniques qui sera de 1% de la taxe ordinaire, avec minimum de 0,03;
g) Une taxe do 0 fr. 001 par kilowatt-heure produit dans toutes installations électriques.»
Si je suis heureux de voir préconiser par un praticien financier le recours à des impôts internationaux, mesure que, pour ma part, j'ai recommandée ici même, je regrette que M. Marcel Bouilloux-Lafont ait  éliminé de son plan tout impôt direct tout impôt pesant sur la fortune, le revenu, l'enrichissement, les successions, etc. Il s'en tient de façon exclusive aux impôts indirects, aux impôts de production, de circulation et de consommation. Il en est encore aux théories des Leroy-Beaulieu seconde manière et des Stourm. Il croit et ceci implique une certaine naïveté, fréquente chez de nombreux techniciens que les «petites gens» s'accommoderont de droits qui, proportionnellement, les frapperont beaucoup plus que les personnes aisées. Douce illusion, que je ne partage pas.
 Et puis, cette partie de son projet est assez mal étudiée. Que l'on compare, par exempte, ses trois premiers alinéas (impôts sur les transports) la Chambre des députés elle-même n'oserait pas voter un texte aussi incohérent, aussi mal bâti. Lisez également avec attention la liste des matières premières: on y voit figurer à la fois le fer et l'acier, sans outre explication! Quant aux droits sur les transports, ils sont basés sur le poids, et non sur la valeur, ce qui les fera aussi lourds pour les matières dites «pondéreuses» et bon marché que légères pour les objets de luxe.
Il n'en faut pas moins être reconnaissant a. M. Marcel Bouilloux-Lafont de nous avoir présenté un avant-projet déjà plus complet, plus fouillé que celui de M. Jacques Stern. L'idée de Société financière des Nations fait son chemin d'abord à peu près informe, elle commence à sortir de sa gangue; polis et repolis les projets initiaux constitueront une base sérieuse de discussion pour la Conférence de la Paix
Louis Suret.  source    HAUT DE PAGE 






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