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RETOUR  LETTRE OUVERTE AU DOCTEUR ECKENER  par M. Marcel Bouilloux-Lafont  Devoir de Mémoire l'AEROPOSTALE   l'AEROPOSTALE  


L'aviation utilitaire source  1929/10/16

LES RELATIONS AÉRIENNES entre l'ancien et le nouveau monde

La France n'a pas ménagé ses éloges au docteur Eckener, et ce fut justice. Vaillance, ingéniosité, opiniâtreté, toutes les qualités nécessaires à la réussite d'une grande entreprise, le commandant du zeppelin qui vient d'accomplir le tour du monde a montré qu'il les possédait à un degré supérieur. Les ingénieurs comme les aéronautes ont applaudi à son exploit. Avec une aisance apparente, en tout cas avec patience et sang-froid, il a réalisé le projet qu'il avait conçu. Son audace, il l'appuyait de prévoyance. Bravant tous les risques d'un voyage aérien de si longue durée, il avait mis, par ses études minutieuses et les précautions qu'il avait prises, toutes les chances de son côté, dans la mesure où l'on peut s'assurer du destin quand on se propose de franchir le Pacifique et l'Atlantique et d'immenses territoires inhabités.II a voulu honorer son pays et prouver la puissance de son engin. Son double vœu a été exaucé.
Mais faut-il en conclure que les moyens dont désormais dispose l'homme pour voyager par la voie des airs aient été accrus? II ne semble pas. Le zeppelin qui vient de boucler la boucle terrestre, est un dirigeable perfectionné, mais c'est un dirigeable actionné et dirigé selon les principes de tous les dirigeables, et le succès éclatant du docteur Eckener ne peut faite oublier les échecs subis par les constructeurs et les conducteurs de dirigeables moins lourds que l'air dans les entreprises antérieures. Ce n'est aucunement diminuer le mérite du docteur Eckener, et c'est même rendre un plus grand hommage à son courage et à celui de ses compagnons que de constater que le zeppelin reste un fragile instrument de transport aérien. Que, de surcroît, ce soit un instrument extrêmement coûteux, c'est une face du problème que nous n'envisagerons pas présentement. La question que nous nous posons peut se résumer en ces termes le zeppelin offre-t-il désormais plus d'aisance et de sécurité que les avions dans les voyages aériens de continent à continent? La sagesse, l'expérience et la bonne foi commandent qu'on réponde non. Il faut donc louer les techniciens qui poursuivent leurs recherches pour améliorer la puissance et la souplesse du «plus lourd que l'air», encourager la formation des pilotes et navigateurs et remercier ceux qui ouvrent aux avions des voies nouvelles, en s'appliquant à les utiliser pour des fins pratiques. Le dernier raid du zeppelin est un tour de force sportif qui soulève l'enthousiasme. Mais la vie a des nécessités qu'il faut satisfaire, et l'avion, comme l'hydravion, semble bien rester l'instrument le plus docile et le plus sûr pour, permettre aux hommes de rapidement se transporter et de transporter leur courrier et leurs marchandises légères par-dessus les terres et les océans.
De ce point de vue, la France a fait un très bel effort dont les résultats n'ont pas ébloui le public, mais ont bien servi ses besoins. Il n'est pas inutile de rappeler que, grâce à une compagnie française, à la Compagnie générale Aéropostale, un service ̃ aérien régulier relie la France à l'Amérique du sud. Chaque semaine, partent de chez nous des avions pour Buenos-Aires. Et le voyage de retour se fait avec la même régularité. La durée du voyage, qui était jusqu'ici de neuf jours, sera bientôt réduite à six jours, puis,un peu plus tard, à cinq. Ce réseau français comporte, en outre, des ramifications vers le Brésil, la Guyane, le Venezuela et les Antilles. Le gouvernement du Venezuela, d'autre part, a conclu, avec la Compagnie générale Aéropostale,un accord ouvrant à notre grande firme aérienne d'intéressantes perspectives d'avenir pour le prolongement de la ligne du nord, qui partie de Natal, va prochainement créer une liaison avec les Guyanes.
D'après les termes de ce contrat, intervenu pour dix années, le Venezuela réserve à l'Aéropostale tout son fret à destination de l'Europe, de l'Afrique et des différents pays de l'Amérique du sud. En outre, la compagnie française se voit concéder le droit d'exploiter une ligne intérieure de près de 1,200 kilomètres, qui suivra le tracé Maracaïbo-Maracaïciudad-Bolivar.
En même temps, une nouvelle convention signée entre la Compagnie générale Aéropostale et le gouvernement du Chili, charge l'aviation française du transport du courrier à destination de la Bolivie, du Pérou, des Etats-Unis, du Canada et vice versa. Le gouvernement chilien assure à la compagnie contractante la moitié de toute la correspondance aérienne. Le contrat est valable pour cinq années et renouvelable, à échéance, pour une période de même durée. La ligne Chili-Bolivie-Pérou sera inaugurée au mois de mai de l'année prochaine et le prolongement vers l'Amérique du nord à la fin de février1931.
La liaison aérienne entre Buenos-Aires et Santiago du Chili présente des difficultés exceptionnelles les appareils de la Compagnie générale Aéropostale franchissent la Cordillère des Andes. Nos aviateurs doivent donc s'élever à une altitude voisine de 7,500 mètres. Il leur est arrivé d'y subir une température de 54° au-dessous de zéro.  Il leur est arrivé aussi d'y rencontrer d'effroyables tempêtes. Au mois d'août dernier, un pilote dut même rebrousser chemin devant l'obstacle des vents aspirants, des remous et du brouillard. Le courrier fut alors confié au chemin de fer «transandin» dont la marche, supposait-on, était sûre, malgré les circonstances contraires. Le train lui-même ne put passer, et ce fut finalement l'avion qui reprit le courrier et le distribua aux destinataires. Voilà des exploits répétés qui ne sont pas considérés comme sportifs et qui pourtant exigent de ceux qui les réalisent une vaillance soutenue, une ingéniosité et une opiniâtreté rares. Ceux qui les ont organisés méritent également quelques éloges. Ainsi se réalise l'ambition humaine de rapprocher de plus en plus les nations, de les aider à se pénétrer de plus en plus et par conséquent d'habituer les hommes à se comprendre en acquérant une plus juste notion de leurs intérêts réciproques.
Du seul point de vue commercial, les entreprises de la Compagnie générale Aéropostale offrent un avantage évident; mais, considérées du point de vue national et humain, elles présentent un intérêt plus vaste, elles maintiennent et même grandissent le prestige de la France et attestent notre volonté persévérante de ne nous laisser dépasser  par aucun de nos rivaux, quelles que soient leur énergie et leur ténacité.
Il est admirable d'avoir accompli le tour du monde en dirigeable; il est peut-être moins «sensationnel», mais plus utile, d'assurer des relations aériennes régulières entre l'ancien monde et le nouveau.

PAUL ROUSSEAU