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SUR LES CHAMPS CLOS DE L'AVIATION MARCHANDE   (1932/11/12)

  LE SCANDALE DE L'AÉROPOSTALE  partie 1 Source (versions PDF & LIVRE )  -    suite partie 2   
L'Affaire de l'aviation , une "bataille de gangsters"
«Toute une bande d'escrocs gravitent autour du ministère de l'Air, n'exerçant d'autre mission que celle du chantage.»

Tu m'entends bien, Gringoire: F. piei lou matin lou loup la mangé. (Alphonse DAUDET, La chèvre de monsieur Seguin, qui se battit toute la nuit avec le loup, et puis, le matin, le loup la mangea)

L'article qu'on va lire n'est qu'un chapitre d'une étude d'ensemble sur les problèmes d'une gravité exceptionnelle que l'aviation marchande pose  désormais dans le monde.
Le développement de l'aviation a été si rapide, ses progrès techniques si foudroyants, que même des esprits avertis n'ont pas encore réussi à s'affranchir des notions trop étroites et archi-périmées de l'Aviation-Sport, de l'Aviation-Conquête de l'Air.
Les origines sont trop proches. La génération qui a vu les premiers vols à Issy-les-Moulineaux, vers 1908, est en pleine maturité. Ce sont les contemporains du miracle de l'aile alors que toute l'aviation n'était encore qu'une lutte de l'homme contre l'élément qui régentent aujourd'hui notre aéronautique. C'est parmi les témoins de cette épopée que sont recrutés les initiateurs de la foule. Comment s'étonner, dans ces conditions,
que l'esprit public soit, d'une façon générale, cristallisé dans des conceptions, surannées?
Cette lutte de l'homme contre l'élément est enfermée désormais dans les limites du bureau d'études sont élaborés les progrès de l'engin. L'air est conquis. L'outil est créé. L'avion n'est plus un but en soi, il est un instrument.
Le cycle est le même, en somme mais parcouru à un rythme singulièrement plus accéléré que celui dont l'histoire du siècle dernier nous a fourni l'exemple lors de l'apparition de la navigation à vapeur et du percement des isthmes. Ce fut toute l'économie du monde qui se trouva modifiée, et l'Angleterre, pour l'avoir compris la première, a pu tenir pendant un siècle les clefs de toutes les mers.
Qu'on le veuille ou non, l'aviation en est là. Au cours de cette étude, nous suivrons pas à pas les efforts qu'elle fait pour s'affranchir des vieux itinéraires classiques et pour enserrer la terre entière dans un nouveau réseau de communications.
Sous nos yeux une métamorphose s'opère, le système nerveux du monde se transforme, des axes vitaux se déplacent, les distances se raccourcissent. Aussi bien les rythmes de la vie que la démarche de l'Histoire en seront bientôt bouleversés à un point que l'imagination ne peut concevoir.
Le développement de l'aviation, on ne le sent pas assez chez nous aura pour le sort des Empires, la même importance que la marine d'autrefois.
Depuis dix ans, une partie grandiose se joue dans le ciel; une guerre sournoise et implacable se déroule. Il faut savoir. Il faut comprendre. Ce n'est pas une thèse, c'est un fait. Et c'est un fait qui a toute la rigueur et toute la dureté d'une fatalité que les idéologies, sincères ou menteuses, ne changeront pas.
Les peuples qui ont le mieux compris jusqu'ici ce qu'apportait l'avion sur le plan impérial sont les Allemands, les Italiens, les Américains, les Russes. 
Quant à la France elle s'est contentée de fournir un remarquable contingent de techniciens et de pilotes.
De politique aérienne, point. La République des partis vit au jour le jour: elle est impuissante à prévoir; elle n'a pas eu davantage de politique aérienne qu'elle n'a pu avoir, selon le mot cruel d'Anatole France, de diplomatie.
Dans la «Guerre des routes aériennes», la carence de la France officielle a été totale. Si notre pavillon n'a pas .encore complètement disparu de tous les ciels du monde, c'est à l'initiative de quelques audacieux que nous le devons. Peut-être dans dix ans, la France saura-t-elle ce qu'ont été des hommes comme le commandant Dagnaux. Mais dans dix ans, il sera trop tard.
L'oeuvre de ceux qui ont été les vrais créateurs de notre aviation lointaine s'est inscrite, trait à trait, sur la carte, au prix de luttes insoupçonnées, comme s'y inscrivirent autrefois les marches glorieuses d'un Savorgnan de Brazza, désavoué et abandonné.
Mais aujourd'hui, cette oeuvre-là est trop grande et trop belle pour la poignée de démagogues et de comitards à qui le sort de la France est confié. Certains d'entre eux les plus malins ont commencé d'apercevoir dans le trésor que des héros ont donné au pays, une excellente monnaie d'échange convertible en profits personnels immédiats ou en pactes illusoires.
Tel est le cadre général dans lequel il faut se placer pour aborder l'«Affaire» ténébreuse dite «de l'Aéropostale». Pas un instant il ne faut perdre de  vue que sous l'affaire actuelle il y a le fameux projet d'internationalisation de l'aviation marchande, qui est le piège vers lequel on veut nous entraîner.
Sous l'habituel camouflage de doctrine humanitaire et de nécessités prétendues économiques, cette question de l'internationalisation des aviations commerciales est le plus dangereux des chants de sirènes par quoi l'aviation française sera étranglée.
Et l'aviation française étranglée, c'est en toute certitude dans un délai beaucoup plus bref qu'on ne croit, l'Empire français dissocié, les colonies perdues, le rayonnement du génie français réduit dans le monde à l'état de pauvre veilleuse.
Faux chèques, faux dossiers, enchevêtrements inextricables d'enquêtes, inculpations et disculpations, tout cela n'a que l'importance secondaire d'épisodes divers.
Ce n'est pas qu'est le jeu, et ceux qui le mènent le savent bien. La partie qui est engagée devant le Parlement et dans le prétoire dépasse de très  loin les proportions du scandale financier avec lequel on égare le public.
Il est de toute nécessité, pour saisir les fils de l'intrigue, de jeter un rapide coup d'oeil sur les antécédents.
Voici l'exposé du passé tel que le trace en traits vifs M. Jules Moch, député socialiste, dans un article récent:
«Assemblage hétéroclite d'une cinquantaine d'entreprises de banque, de commerce, de défrichements de forêts, de lotissements de villes, d'exploitation de ports ou de tramways, toutes étroitement unies par la personnalité de MM. Marcel, Maurice et André Bouilloux-Lafont, le groupe de l'Aéropostale acquiert, voici cinq ans, le contrôle de la ligne aérienne France-Maroc-Sénégal, la baptise Aéropostale, la prolonge, non sans audace, de Natal au Brésil et à Buenos-Ayres, puis jusqu'au Pacifique, par-dessus la Cordillère des Andes et, vers le sud, jusqu'à la Terre de Feu ou presque. En attendant que la technique permette, sans trop de risques, un bond de Dakar à Natal de rapides avisos, d'ailleurs impropres à ce service et dont l'un disparut récemment, engloutissant vingt-cinq hommes qui donc est responsable? portent le courrier de Dakar à Natal. La Ligne impériale du Groupe est née, qui réunit trois continents et projette l'ombre de ses avions sur trois océans...
« Admirable support pour sa publicité collective, pour son standing auprès des ministres et affairistes sud-américains. Car le groupe, là-bas, c'est la  France!
Tout cela montre à merveille quel ver s'est logé dans le fruit.
En 1931, l'Aéropostale est mise en liquidation. La faillite est imminente. Mais la compagnie assure un service public qui regarde l'État. De plus, on  se trouve devant un état de fait regrettable, c'est que, de l'autre côté de l'Atlantique, le prestige du pavillon s'identifie au crédit du groupe financier. Devant ces considérations, on «renfloue» l'Aéropostale au lieu de l'assainir. Puis, «par esprit de conciliation» comme le déclare la Commission de contrôle on commet cette faute inouïe de laisser M. André Bouilloux-Lafont à la tête de l'entreprise. Ainsi l'attaque violente de 1931 première 
«Affaire de l'Aéropostale» a laissé le germe dans la plaie. Dans ces conditions, l'affaire d'aujourd'hui était inévitable. Il était inévitable en effet que l'Aéropostale fût entraînée de déchéance en déchéance, d'aventure en aventure, et qu'elle n'en vînt à servir d'appât aux cupidités étrangères. 
Nous entendons l'objection: vous souhaitez que l'on rejette les banquiers d'une affaire nationale. Face à l'aviation des gens de Bourse, vous dressez l'aviation impériale. Et cependant, n'avez-vous pas affirmé d'autre part que la carence de l'État avait été absolue en matière de politique aérienne? Vous voilà enfermé dans un dilemme d'où vous ne sortirez pas.
Nous n'en sortirons pas en effet tant que nous n'aurons pas défini les termes. L'État que nous rejetons, c'est l'État qui ne sait ni ne peut avoir la  moindre velléité de conception impériale ni même nationale. L'État qui est, par essence, incapable de voir loin, incapable de bâtir, incapable de poursuivre, l'amorphe magma parlementaire qui gouverne la France d'aujourd'hui. l'État démocratique en un mot, celui-là, non, nous n'en voulons  pas ! Mais l'État fort, l'État conscient de la noblesse du pouvoir, l'État qui ose prolonger résolument l'histoire et qui peut prévoir parce qu'il est sûr de durer, celui-là nous l'acceptons et le désirons.
Ainsi, au bout du fil conducteur nous trouvons toujours la question de régime. Ce n'est pas notre faute si, en aviation comme en toute chose fortement nationale, nous devons constater que France et démocratie sont deux termes irréductibles.
Notre aviation marchande ne sera impériale, ne sera française, que sous un régime fort, sous un régime sûr de ses lendemains. Elle est, en attendant, à qui veut la prendre. Nous venons de dire que, moribonde sous les coups de la finance et de la politique, l'Aéropostale se trouvait livrée aux cupidités étrangères.
Voilà le lieu précis nous entendons marquer le point d'arrêt.
Nous donnons en bloc tous les affairistes des deux bords et les politiciens qui, d'intrigue en intrigue, nous préparent le licol de l'internationalisation de l'aviation marchande. Cette formule hypocrite, il faut savoir exactement ce qu'elle signifie: confiscation de notre aviation marchande par la finance internationale. Passage de notre aviation marchande à des mains étrangères, à des mains ennemies.
Le trait de lumière qu'il faut saisir et qu'il faut arrêter sur l'affaire d'aujourd'hui nous est donné par un homme qui n'est pas précisément de nos amis : M. C. G. Grey le spécialiste anglais bien connu, dont la compétence en matière d'aéronautique est incontestée.
Dans la revue Aviation dont il est le directeur, M. C. G. Grey écrit cyniquemen : «En somme, ces magnifiques entreprises françaises conduites par de grands pionniers à l'imagination ardente, semblent toujours vouées à finir en scandale. C'est ainsi que le scandale du Canal de Panama brisa le malheureux Ferdinand de Lesseps.
«
Aussitôt après le scandale, quelqu'un d'autre survient qui recueille les fruits comme les Américains ont recueilli les fruits de Panama, et comme nous-mêmes avons recueilli les fruits du canal de Suez.
«De la même façon, d'ici quelques années, il pourrait bien se faire qu'une ligne d'aviation britannique parvînt à tirer des millions d'un service postal aérien en Amérique du Sud (Aviation, octobre 19, 1932, page 226).»
Une ligne britannique? Dites donc «allemande», Monsieur Grey, et vous serez plus près de la vérité! Le docteur Eckener, la Lufthansa, les financiers et la République vous ont devancé.
«Le scandale chemine depuis trop longtemps dans l'ombre pour ne pas paraître au grand jour et la pleine publicité est devenue nécessaire... Il n'est pas douteux que de grands efforts soient faits pour étouffer le scandale, pour maintes raisons la politique n'est peut-être pas totalement étrangère. Mais l'étouffcment n'est plus possible. L'opinion est saisie. La Chambre le sera infailliblement dès la rentrée. Nous demandons au  gouvernement de ne pas hésiter, de ne pas différer plus longtemps. La pleine publicité; la pleine lumière; la pleine justice.»
Ainsi parla M. Léon Blum le 2 octobre dernier. A l'appel véhément succédait menace: «Si la justice tardait trop à établir publiquement la vérité, la Chambre, dès la rentrée, serait probablement amenée à prendre sa place (le Populaire, 2 octobre 1932).»
En entendant le tonnerre rouler sur les hauteurs du Sinaï, quelques naïfs tremblèrent dans les mares stagnantes de la politique et de la finance. Les  autres ceux qui connaissaient le livret de la pièce eurent ce petit tressaillement d'aise qu'ont les spectateurs au théâtre lorsque l'on cogne les trois coups. Pourquoi, après tout, se seraient-ils émus? N'avaient-ils pas la certitude que les décors étaient en place, que les accessoires étaient rassemblés bien en ordre à portée de la main et que les artistes connaissaient leur rôle sur le bout des doigts?
Allons! On allait bien rire! Quelle belle farce on allait jouer devant le bon public! Dès les premières répliques on verrait les gens rouler des yeux effarés; tout de suite, ils seraient perdus, les malheureux, dans la plus ahurissante intrigue, subjugués par les plus folles pitreries, hébétés par le  fracas des cymbales et le trémolo des flûtes...
C'est le 2 octobre. M. Léon Blum vient de lever son bâton de maestro: les cuivres fortissimo attaquent l'ouverture. La pièce commence.
La lumière! La justice!...
C'est le leitmotiv, le grand air à succès.
A la vérité, depuis quelques jours, d'autres voix l'ont lancé aux coins des carrefours. Entre toutes, une voix héroïque, pure, désintéressée, a retenti pour jeter, par-dessus les murs d'une prison, le cri douloureux d'une conscience de cristal, c'est la voix de Mme Hanau: «Il faut que la lumière soit faite! C'EST LA DÉFENSE NATIONALE QUI EST EN JEU (Forces, 16 septembre).»
Ah! certes, on peut le dire, pour une belle pièce, c'est une belle pièce ! Voici comment M. Léon Blum en personne nous en expose le scénario: «La  plainte dont est saisi le juge Ordonneau émane de M. Bouilloux-Lafont, de l'Aéropostale, car c'est la fameuse Aéropostale qui revient sur le tapis. La qualification des faits articulés par M. Bouilloux-Lafont est: corruption de fonctionnaire public. Les personnes visées sont M. Paul-Louis Weiller, administrateur délégué de Gnome et Rhône et de la C. I. D. N. A. ; M. Emmanuel Chaumié, directeur de l'Aéronautique civile au ministère de l'Air.
«M. Paul-Louis Weiller est accusé d'avoir, de connivence avec M. Chaumié, machiné le transfert de l'actif de l'Aéropostale à une société nouvelle, constituée de compte à demi entre la C. I. D. N. A. et la firme allemande Lufthansa, les capitaux étant fournis par la Deutsche Bank. M. Chaumié est accusé d'avoir touché, pour rémunération de ses offices, la contre-valeur de cent actions de la Lufthansa à lui remises par M. Weiller. Les pièces justificatives sont des contrats, des correspondances de banque à banque, des pneumatiques, etc. (Le Populaire, 2 octobre.).»
Mais, dit-on, ces pièces sont des faux, et le ministre de l'Air a porté plainte contre le faussaire inconnu.
Qui a tort? Qui a raison? Peu chaut à M. Léon Blum que ce soit l'un ou l'autre ; il veut la vérité, simplement, sans se soucier de quel côté sont les coupables et de quel côté les victimes.
Dès lors, voici l'affaire toute nue. Les choses vont rondement: les clameurs vers la lumière et vers la justice font encore vibrer l'air de leurs échos que, déjà, le prestidigitateur masqué entre en scène, fringant et désinvolte. La musique s'est tue; à l'orchestre, la baguette du chef reste suspendue. Les jeux de lumière ont fonctionné comme il convient: tous les coins sont dans l'ombre et les faisceaux des projecteurs sont braqués sur l'artiste au centre du plateau. Moment d'émoi.
Le scandale, Messieurs, le voici...
La main de l'illusionniste a plongé dans la toque du juge et c'est, soudain, au bout des doigts agiles, une floraison de papiers de la Sainte-Farce. Faux chèques, faux bordereaux, faux pneumatiques, faux rapports, des faux partout, des faux plus faux que nature, bien moulés et tournés à miracle. Il y en a tant de ces faux, qu'il semble qu'une armée de faussaires ait travaillé des mois sous quelque maître es arts de tromperie, à en fabriquer des liasses.
La fête continue. Maintenant, sur la toile du décor, se profile une ombre inquiétante: celle de la Sûreté générale. A peine est-elle apparue que la grande Presse d'informations plonge, tête première, vers les trous de souris. Elle mettra quarante-huit heures à reprendre ses sens, quarante-huit heures pour accorder ses violons...
Le prestidigitateur a fini; il salue, il ôte son masque: il s'appelle Colin-Lucco, il est plagiaire breveté, maître-chanteur, escroc, virtuose de l'aventure, indicateur de police par surcroît. Le voici, le sourire aux lèvres, qui dévoile ses trucs et fait démonstration de son tour de main. La rampe entière inonde de ses feux le jeu de l'acteur, tandis que la presse de gauche, dans un grand geste attendri, serre sur son coeur les calomniés, MM. P.-L. Weiller et Emmanuel Chaumié, que le juge d'instruction vient d'innocenter.
Désormais, il n'y a plus qu'à régler son compte au personnage ridicule, au propagateur des rumeurs infâmes: raca sur Bouilloux-Lafont, raca sur André, raca sur Marcel, raca sur l'Aéropostale!...
Vous n'avez rien vu, bonnes gens? La muscade la vraie vient pourtant de passer. Le jeu n'est point ce que vous Croyez. Le vrai jeu n'est pas cette jonglerie de faux documents; ces éclaboussures de boue ne sont qu'un prétexte. Le vrai jeu, c'est l'étranglement sans phrase, au profit de l'Allemagne, des lignes d'aviation françaises en Amérique du Sud. Le vrai jeu, c'est la lutte de titans qui, depuis douze ans, met aux prises deux  peuples dans une guerre sans merci, là-bas, le long de côtes américaines. Le vrai jeu, ce n'est pas sur la scène brillamment inondée de lumière qu'il se déroule, c'est au Brésil, c'est en Argentine, c'est sur les pentes désolées des Cordillères, c'est dans les immenses solitudes que le général de  Pinedo a appelées l'«Enfer verdoyant», c'est le long des côtes d'Afrique, et surtout SURTOUT c'est en plein Atlantique, par 300 de longitude ouest et 380 de latitude nord: à l'archipel des Açores.
...O candide «Français moyen», comme t'a appelé M. Herriot, bon peuple de poires, comme t'a qualifié feu M. Loucheur, comme on voudrait t'empoigner aux épaules, te secouer pour te réveiller du sommeil léthargique t'ont plongé les menteurs et les imbéciles ! Comme on voudrait te  jeter au visage le cri d'angoisse qui te sauvera: il faut que tu comprennes ! Il faut que tu apprennes, malheureux, quel drame gigantesque se joue  sur ta tête, dans le ciel, des pôles à l'équateur ! Il faut que tu saches que ce qui se joue, c'est ta propre existence et que le sort des peuples est lié  désormais à la guerre des routes.
Eh quoi! vous défendez M. Bouilloux-Lafont?...
Nous ne défendons pas M. Bouilloux-Lafont. Nous n'avons jamais approché le dirigeant actuel de l'Aéropostale. Nous savons que sa gestion est loin d'être brillante. Nous lui tenons rigueur, sans indulgence, de la légèreté avec laquelle, entraîné par ses passions de financier, il a prêté le flanc à l'offensive qui se déclenche contre lui. Disons même tout net que nous jugeons M. André Bouilloux-Lafont comme très inférieur au rang qu'il tient  aux fonctions qu'il occupe à l'Aéropostale et que nous pensons qu'il eût fallu un maître d'une autre envergure, d'une autre intelligence, d'un autre caractère.
Du point de vue nous nous plaçons, il nous importe peu qu'il y ait dans les deux camps des personnages jetés par-dessus bord. Nous déclarons  simplement ceci: le scandale actuel éclate dans des conditions telles qu'il fournit un prétexte merveilleux à des attaques dont l'objectif véritable est le torpillage de l'aviation française en Amérique et sur l'Atlantique. On a pris les maîtres de l'Aéropostale dans un engrenage savamment monté et on a profité de toutes leurs faiblesses pour les précipiter dans la machine à broyer. En criant «Lumière» et «Justice» on a pris grand soin de se conformer aux rites de la mystique démocratique. Sous l'effet de ces mots magiques, le public n'a plus vu que ce qu'on voulait qu'il vît. L'articulation du système est camouflée avec une perfidie diabolique. Au delà des personnes, l'entreprise tout entière est poussée maintenant dans le gouffre: elle y tombe, elle y roule, sa peau est déjà vendue.
Il faut le répéter sans trêve: Le scandale actuel n'est qu'un épisode de la guerre des routes. Le scandale actuel est lié étroitement au projet d'internationalisation des aviations marchandes qui est une machine de guerre tournée contre la France. Le scandale actuel est la suprême poussée qui nous fera lâcher ce que nous tenons encore. Par-dessus la tête falote des dirigeants qu'on affecte de viser au nom d'un hypocrite idéal de vertu et de justice, l'affaire d'aujourd'hui prépare le transfert aux mains de l'Allemagne de nos lignes aériennes d'Amérique du Sud, pour laquelle d'héroïques pilotes, depuis douze ans, ont joué leur vie et parfois donné leur sang.
Il n'est pas difficile, hélas ! de prédire ce qu'il adviendra dans un avenir tout proche.
D'abord, on va chasser M. Bouilloux-Lafont, le mauvais berger dont les mains impures ont propagé des faux. Cela va de soi, la vertu l'exige. Et la vertu est miraculeusement servie en cette occurrence par une troupe de choix: M. Léon Blum et l'équipe du Populaire, l'Oeuvre (dont le principal actionnaire est précisément Marchal, de la banque Bauer et Marchal, (solidaire de Gnome et Rhône), Mme Hanau, la direction de la Lufthansa, la Sûreté générale, deux ministres de l'Air, l'ancien et le nouveau.
Le mauvais berger une fois sacrifié, un député socialiste montera à la tribune de la Chambre et, au nom de l'intérêt public, il dira ceci:
«
On ne doit pas et il ne faut pas qu'on continue à tolérer que des entreprises risquent l'argent des contribuables puisque c'est ceux-ci qui supportent les subventions... Il n'y a qu'une possibilité d'en finir avec les pratiques actuelles: assurer la prédominance de l'Etat dans les sociétés concessionnaires (Ces mots ont déjà été prononcés. Ce sont les termes mêmes d'une affligeante interview accordée le 13 octobre dernier au Populaire par M. le colonel Brocard, ex-député de Paris, ex-président de la Commission de l'Aéronautique dans la dernière Chambre, ex-commandant des glorieuses Cigognes, ex-frère d'armes de Guynemer).»
Et l'État, le probe, le juste, l'omniscient État républicain sera le bel héritier de l'Aéropostale. A ce tournant de notre histoire, abandonnons-nous à l'optimisme: admettons que, gérée par l'État, l'Aéropostale ne subira aucune amputation majeure durant quelques semaines. Tout l'édifice durera,  ou paraîtra durer. Juste le temps qu'il faudra pour faire passer dans des cadres administratifs revernis quelques camarades en mal d'ascensions hiérarchiques et quelques amateurs de promotions rapides dans l'Ordre national de la Légion d'honneur. Le temps qu'il faudi a aussi pour absorber  beaucoup plus de millions pris aux deniers publics que n'en pouvait consommer, dans le même temps, l'incapable directeur de l'entreprise privée...
Alors, un autre député, socialiste comme le premier parlera à son tour:
«Messieurs, dira-t-il, cet état de choses a assez duré! Voici des chiffres, voici des preuves. L'héritage que nous avons recueilli coûte trop cher.    Nous sommes, ne l'oublions pas, au temps de la Grande Pénitence. Il faut avoir le courage de réduire le train de vie de la République. Qu'elle abandonne donc cette partie de son réseau aérien qui étend ses mailles sans raison en Amérique latine. Renonçons à cette onéreuse illusion de voir jamais des services réguliers d'aviation joindre les rives de l'Atlantique. La plus orthodoxe doctrine économique enseigne que, seules, se justifient  les entreprises qui rapportent. Économique d'abord! Il ne se trouvera personne dans cette Chambre issue des admirables rouages du suffrage universel, pour faire sienne l'abominable formule de M. Maurras: Politique d'abord.
«Personne non plus pour proclamer quel' aviation est chose impériale.
«Rognons, messieurs, taillons dans cet immense réseau de l'ancienne Aéropostale! Coupons-lui bras et jambes. Laissons tomber de nos mains ce que nous avons mis douze ans d'efforts ridicules à acquérir. D'autres plus riches que nous assumeront le rôle du renard de la fable et ramasseront le fromage. Qu'importe! Nous aurons épargné des millions. Au demeurant, messieurs, je vous convie à admirer combien cet holocauste sera bénin dans ses conséquences. Toute autre compression de budget risquerait de vous rendre impopulaires parmi vos électeurs; celle-là ne vous retirera pas une seule voix dans vos circonscriptions. Taillez, rognez, coupez! Pas un citoyen conscient ne bougera pied ni patte, car les Français ne se soucient de l'aviation qu'autant qu'elle leur fournit de beaux faits divers !...»
Soumise à ces nobles raisons la Chambre votera, à une forte majorité, l'amputation demandée.
Plus de lignes américaines. Abandon du droit d'escale à l'archipel des Açores. Exploitation en pool avec la Deutsche Lufthansa ou le Konzern  Zeppelin du tronçon Barcelone-Casablanca-Dakar...
Et
puis, ce n'est pas tout, car on dira encore au bout de quelque temps:
«Nous avons accordé à la Lufthansa le droit d'établir sur les côtes d'Afrique son poste de départ sur l'Atlantique sud, nous avons abandonné notre  droit d'escale aux Açores, nous exploitons en compte à demi avec les Allemands notre liaison Barcelone-Rabat-Casablanca-Dakar; nous avons mis  dans les bras du Kondor Syndicat nos lignes d'Argentine et du Brésil. Allons jusqu'au bout de cette géniale politique. Depuis l'année dernière, le bon M. Eckener multiplie les démarches pour obtenir la permission d'installer ses zeppelins transatlantiques à Orly, aéroport de Paris. On a parlé aussi  de Cherbourg, port militaire, si admirablement placé pour devenir tête de ligne transocéanique. Donnons-lui tout cela! A le laisser assurer de tels services à notre place, nous économiserons les pauvres deniers des contribuables.»
Alors, le rideau tombera, car la force sera jouée. Les dirigeants du Konzem Zeppelin seront comme chez eux dans le ciel de France. Se partageant la  besogne avec les Domiers et les Junkers de la Lufthansa, ils porteront le courrier français vers le Maroc, vers Dakar, vers les Amériques. Et les «dirigeants» de notre politique aérienne pourront paraphraser le mot célèbre de M. Lépine et dire en se tournant vers les Français : «Vous sentez-vous vraiment assez turquifiés?...»
Ce qu'il y a de réellement effrayant dans cette affaire, c'est que des personnalités éminentes, autour de qui se cristallisent, à juste titre, le respect  et l'admiration unanimes, se font les champions de cette thèse détestable dans laquelle ils ne voient qu'idéologie généreuse.
Ce n'est pas sans un serrement de coeur que nous avons lu ces jours-ci la déclaration faite à la presse par un chef dont le nom a été sur les champs de bataille de la grande guerre synonyme de courage et d'honneur, le colonel Brocard... Tous les anciens aviateurs de guerre ont senti le frisson de  fierté sacrée que produisaient en eux ces deux syllabes prononcées sur les terrains d'escadrilles: Brocard...
Or, voici ce qu'a dit dernièrement le colonel Brocard à propos du scandale de l'Aéropostale:
Après avoir préconisé la prédominance de l'État dans les entreprises d'aviation marchande et avoir rappelé qu'au temps il présidait la Commission d'Aéronautique de la Chambre, il s'était associé au projet élaboré en ce sens par le député socialiste Jules Moch, le colonel Brocard a déclaré:
«La mainmise de l'Etat, son contrôle, offrent, je le reconnais, certains inconvénients. L'Etat apportera, dans les entreprises aériennes sa routine, la  lenteur de ses méthodes. Mais ces inconvénients ne sont rien, au regard de ces avantages: la fin des gaspillages des deniers publics, la suppression de moeurs et de procédés qui, à l'étranger comme en France, sont préjudiciables à l'intérêt de notre pays.
«Une autre solution s'impose également, et qui complétera utilement le contrôle de l'Etat : c'est l'INTERNATIONALISATION DES AVIATIONS COMMERCIALES. Qu'on ne se récrie pas: depuis longtemps il n'y a plus de frontières pour l'aviation que celles qui entravent son essor.»
On croit rêver! Si des spécialistes aussi éprouvés que le colonel Brocard n'ont pas discerné quelles réalités tragiques se cachent sous les nébuleuses doctrines des faux devins de l'Économie, comment l'homme de la rue comprendrait-il?
Devant l'apathie, l'incompréhension et la veulerie de l'opinion publique, devant l'absence totale du SENS IMPÉRIAL DE L'AIR dans notre pays, on ne peut se défendre de cette réflexion désespérée: méritons-nous un autre sort?
Bah ! diront les sceptiques, roman chez la portière que tout cela!... En tout cas, anticipations hasardeuses et fantaisies!
Roman chez la portière? Anticipations ? Fantaisies ?...
Vraiment? Vous êtes sûrs?... Ouvrez les yeux, je vous prie.

BULLETIN D'INFORMATIONS DU MINISTÈRE DE L'AIR.
101 : «D'après un communiqué de la HAMBURG-AMERIKA-LINIE, le fonctionnement des services réguliers du GRAF ZEPPELIN a été depuis le mois d'août:

de Friedrichshafen à Pemambouc - de Pernambouc à Friedrichshafen
lundi mercredi samedi mardi
15 août. 17 août. 20 août. 23 août.
29 31 3 septembre  6 septembre.
12 septembre 14 septembre 17 20
z6 28 Ier octobre 4 octobre.
10 octobre 12 octobre 15 18
«Le dirigeable a transporté au cours de ces voyages des passagers, des marchandises et de la poste. L'avant-dernier voyage sera vraisemblablement prolongé jusqu'à Rio de Janeiro et le dernier peut-être jusqu'à Buenos-Aires.
«Un service régulier de liaison est assuré par avions aux heures de départ et d'arrivée du dirigeable, d'une part entre Friedrichshafen et Berlin et vice-versa, et d'autre part entre Pemambouc, Bahia, Rio de Janeiro et Buenos-Aires et vice-versa.»
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
BULLETIN D'INFORMATIONS DU MINISTÈRE DE L'AIR, 136 (extraits): «La subvention accordée par le Reich en 1932 pour chaque voyage en Amérique du Sud s'élève à 30 000 marks, soit 3mk.75 au kilomètre.
«
Pour l'exercice 1932 la subvention totale accordée a été de 700 000 marks. La Société Zeppelin s'est engagée à accomplir dix voyages aller et retour en Amérique du Sud.
Actuellement, le, dirigeable ne va que jusqu'à Pemambouc ( A son huitième voyage de l'année 1932 -10 oçtobre-18 octobre, le Zeppelin-127 est allé jusqu'à Rio de Janeiro), le transfert des passagers et du courrier est assuré par le Kondor Syndicat, filiale de la Lufthansa.
«Le prix du passage est de 2.000 marks par passager. Il y a 24 places de passagers à bord du Zeppelin L. z. 127. Le fret postal est évalué à 130 kilos par voyage, soit 38 000 pièces à 1mk.50 ce qui établit la recette provenant du transport postal à 57.000 marks sur lesquels 10000 marks sont  ristournés à l'administration des Postes. Le chiffre de 130 kilos de courrier a déjà été atteint.»
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
Du courrier? Sur le Zeppelin? Du courrier entre l'Europe et le Brésil ou l'Argentine? Cela vous paraît normal?...
Bien sûr, cela vous paraît normal, parce que vos journaux de «grande information» ne vous ont jamais dit que le monopole du transport par air du  courrier entre l'Europe et l'Amérique du Sud faisait l'objet de contrats formels entre les gouvernements argentin et brésilien d'une part et l'Aéropostale française d'autre part.
La dérogation aux termes de ces contrats en faveur du Konzern Zeppelin n'a pu être faite que par autorisation spéciale de la direction de l'Aéronautique marchande du ministère de l'Air français.
Voyez-vous l'ombre du pool qui se dessine sur le mur?
Poursuivons.
En mai 1931, le docteur Eckener est à Paris. Il va voir M. Dumesnil; pendant quelques jours, il multiplie des démarches qui restent mystérieuses.
Quel bon vent nous l'amène?
Le docteur Eckener vient recueillir une succession.
L'impéritie des dirigeants de l'Aéropostale vient de livrer celle-ci aux attaques socialistes. M. Renaudel a mené l'assaut; derrière M, Renaudel est  apparue l'inquiétante silhouette de M. Léon Blum. L'Aéropostale sous les coups dont elle a été accablée, a failli succomber. Elle est sortie de la  bagarre parlementaire amoindrie, exsangue.
Mon Dieu, qu'elle est donc longue à mourir! Précisément, voici le docteur Eckener.
Si on lui offrait un banquet? On y songe sérieusement dans les salons dorés de l'Aéro-Club de France. Mais le docteur Eckener est venu «pour affaires», il n'a pas de temps à perdre à des babioles. Qu'à cela ne tienne! Deux membres de l'Aéro-Club de France iront lui porter  respectueusement jusqu'à son hôtel le précieux Livre d'or de l'association pour qu'il daigne y apposer avec quelle moue d'ironique mépris son paraphe de vainqueur.
Au fait, que vient donc faire à Paris le docteur Eckener? Que vient-il solliciter du piètre M. Dumesnil? C'est très simple: il y a à Orly deux hangars à dirigeables qui avaient été construits après la guerre pour le Dixmude et le Méditerranée, les deux Zeppelins allemands livrés à la France en exécution du traité de Versailles.
Dixmude et Méditerranée ont crevé comme bulles dans nos mains en tuant leurs équipages. Nous n'avons plus, en fait de dirigeables, que de petites vedettes de marine à rayon d'action dérisoire.
Pourquoi ne mettrait-on pas de vrais Zeppelins à Orly?
Et Cherbourg? Vous doutez-vous, Français sans cervelle, quelle telle tête de ligne transocéanique cela ferait? 
Si
vous donniez Cherbourg avec Orly?...
M. Dumesnil caresse sa barbe... Eh! Eh! Ce n'est pas bête du tout cette idée-là. D'abord, ce serait travailler comme il faut à cette grandeur de l'aviation française dont son éloquence a fait son thème favori. Et puis... et puis ses amis socialistes lui sauraient gré sans doute de ce bel ouvrage.
M. Emmanuel Chaumié, directeur de l'Aéronautique marchande, est fort tenté par le projet. Il est bon économiste et réalisateur. L'aviation, voyez-vous, doit dépasser le cadre national. Le vrai cadre de l'aviation est le cadre international. Ses idées en la matière sont fixées depuis longtemps :
«...Si, par un nationalisme étroit, nous voulions réserver uniquement à notre pavillon l'usage de notre ciel, nous en viendrions à détourner des routes françaises, plus commodes, plus directes, mais non obligatoires, le trafic même que nous devons rechercher (Article de M. Emmanuel Chaumié à l'Europe nouvelle, 626; 8 février 1930. Nous verrons plus tard que cette politique, défendable en son principe, a surtout permis de nous arracher  beaucoup de choses sans attirer chez nous ce trafic étranger que nous désirions).»
Pourvu, juste ciel, que le docteur Eckener. n'aille pas chercher ailleurs quelque autre ligne «commode» pour y faire passer son trafic !
Vite, vite, concluons le marché avant qu'il n'aille en face!
Malédiction! Il est trop tard. Le docteur Eckener vient de filer en Angleterre. C'est le mât d'amarrage de Cardington qu'il veut, maintenant
Ce mât de Cardington est inemployé depuis que les Anglais, après la perte du R. 101, ont abandonné la politique du dirigeable. Quel diable d'homme, ce docteur Eckener! Il tient Séville, il veut Orly ou Cherbourg, il veut Cardington.
Les
Anglais, par bonheur, refusent tout net. L'espoir renaît.
Voyons, Monsieur Eckener, soyez raisonnable. Que voulez-vous? Orly? Cherbourg? Casablanca? Vous désirez un mât d'amarrage? Nous n'en avons point, mais nous vous en ferons un sur mesure à Orly «dans l'axe du hangar ouest, en bordure de la ligne de balise sud »...
Si bien gardé que soit un secret, les murs de la rue Saint-Didier ont des oreilles.
M. Eugène Lautier, ayant eu vent du projet, jette le cri d'alarme dans la presse. L'opinion s'émeut : adieu veau, vache, cochon, couvée...
Tout est à refaire. On le refera.
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Ces pourparlers arrêtés, l'Aéropostale va-t-elle reprendre vie? Autour de son chevet, il y a malheureusement plus de fossoyeurs que de médecins.
En novembre 1931, cédant aux injonctions socialistes, le ministre de l'Air lui met le poignard sous la gorge: l'Aéropostale est en effet sous le coup d'une plainte en publication de faux bilan. C'est cette plainte, vieille d'un an, qu'on exhume aujourd'hui et qui constitue l'articulation par laquelle,  en partant d'une abominable machination de banquiers, d'escrocs et de faussaires, on s'efforce d'entraîner l'entreprise entière dans la ruine. Avec  une inconscience admirable, M. André Bouilloux-Lafont a mis spontanément le doigt dans l'engrenage, à la grande joie de M. Léon Blum.
«Ce qui saisit dès l'abord, écrit ce dernier dans le Populaire du 12 octobre, ce qu'il faut retenir, c'est la corrélation que M. Bouilloux-Lafont lui-même établit entre la confection du dossier faux et l'instruction ouverte contre X... contre lui en réalité au mois de novembre 1931. M. Bouilloux-Lafont dénonce en effet l'ouverture de cette instruction comme une des manoeuvres frauduleuses concertées entre MM. Weiller et Chaumié et sur lesquelles son dossier prétendait jeter la lumière. Le but était «d'évincer définitivement les dirigeants de l'Aéropostale», c'est-à-dire le groupe  Bouilloux-Lafont, au profit de M. Weiller. C'est M. Chaumié, ajoute-t-il, qui a fait ouvrir l'instruction. Les imputations sur lesquelles la plainte de  novembre est fondée consistent en faits recueillis par une mission que M. Chaumié avait expédiée en Amérique du Sud et dont le chef était un ami  personnel de M. Veiller. M. Chaumié est intervenu à plusieurs reprises auprès du juge d'instruction. ...Il n'y a sans doute qu'un seul scandale, qu'une seule affaire de l'Aéropostale dont les péripéties successives s'éclairent les unes par les autres...»
Éclairons vite notre lanterne, car nous allons cogner du nez maintenant contre une mystification de belle taille: LE PROJET  D'INTERNATIONALISATION DE L'AVIATION MARCHANDE.
 A tort ou à raison, M. Bouilloux-Lafont a toujours prétendu que les attaques dirigées contre l'Aéropostale avaient été inspirées par M. P.-L, Weiller.  Ces batailles de banquiers, sur lesquelles sont venues se greffer toutes les abjections que le scandale actuel met en lumière, ne nous intéressent  que dans la mesure elles ont favorisé les intrigues étrangères et les trahisons.
Le Comité de rapprochement économique franco-allemand a joué dans cet imbroglio un rôle singulier. C'est par cet organisme en effet que les pourparlers ont été repris.
Revenons à cette période du début de 1932. M. P.-L. Weiller, dont les intérêts en Europe centrale sont considérables (CIDNA), suit de très près les  conversations engagées à Berlin par M. Dautry, sous l'égide de ce fameux Comité de rapprochement économique.
L'affaire est d'importance. Aussi, sous le ministère de M. Dumesnil, en grand mystère, et avec l'encouragement secret du ministre des  négociations sont engagées très avant pour remplacer l'Aéropostale par une société INTERNATIONALE.
Déjà, remarquez-le au passage, il ne s'agit plus de pool. Le pool est une exploitation à deux chaque associé conserve ses intérêts et son pavillon. Le projet qu'on étudie à ce moment envisage la création d'une société franco-allemande à laquelle on fera cadeau, en don de joyeux avènement, des lignes aériennes françaises en Amérique du Sud.
C'est aller bien vite en besogne. C'est réaliser sur le plan économique ce qui n'est pas encore établi sur le plan politique; car le droit aérien international stipule expressément que «tout aéronef doit avoir une nationalité».
Dans l'association en pool, chacun conserve la sienne. Mais quelle sera la nationalité des avions de la société franco-allemande? Ni la française, ni l'allemande. Alors?...
Alors, c'est bien simple : il faut modifier le plan juridique existant pour l'amener à coïncider avec le plan commercial que l'on vient de bâtir avec une si magnifique audace.
La clef du mystère, maintenant, est à Genève. Il est bien évident en effet que toutes ces belles combinaisons ne peuvent croître et embellir que si l'aviation marchande est internationalisée. On taillera donc un cadre aux dimensions du tableau, on bouleversera le code aérien pour légitimer, pour légaliser le projet.
Le fin du fin serait que la France proposât elle-même le projet d'où doit sortir l'asservissement de son aviation aux combinaisons financières judéo-allemandes. Or, le chef du gouvernement français, à cette époque, c'est M. Tardieu qui passe pour patriote et indépendant.
Voyons ! quelle force peut-on faire entrer en jeu pour obtenir sans coup férir l'adhésion de M. Tardieu au mirifique programme qu'on vient d'élaborer? Eh! parbleu, celle-là même qui lui a fait mordre la poussière au Sénat le 4 décembre 1930: la puissance occulte par excellence, la  maçonnerie.
Nous avons dit tout à l'heure qu'il s'agissait d'abord de légitimer et de légaliser une machination commerciale, de lui tailler sur mesure un droit nouveau.
Bien sûr. Mais c'est une oeuvre d'artiste qu'il faut faire à présent : ce coup de force de financiers et de politiciens, il faut lui donner le masque de la vertu. Ce n'est plus simplement une juridiction nouvelle qu'il faut lui confectionner, il faut l'affubler des oripeaux rituels de la mystagogie maçonnique et démocratique ; il faut la camoufler en idéal humanitaire.
Certes le procédé est usé jusqu'à la corde depuis plus de cent ans qu'il sert. On nous a fait le coup avec la «guerre du droit», avec les assurances  sociales, avec l'École unique ; on nous le resert cette fois avec l'aviation «internationalisée.».
Le miracle, c'est que cela prend encore, que cela prend toujours.
Mais, dès lors, en cette affaire, il n'y a plus que deux sortes de gens: les complices et les dupes. Les complices sont des gredins. Les dupes sont la majorité ; les dupes sont de bonne foi: oculos fiaient et non videbunt... (Ils ont des yeux, et ne verront point)
Et c'est, en vérité, ce qui fait le tragique de l'histoire.
Une remarque encore: le droit aérien, ou plus exactement la partie du droit aérien qui est actuellement forgée, est sortie des conventions internationales de 1919. L'organisme chargé d'élaborer au fur et a mesure cette nouvelle juridiction de l'Air est la Commission internationale de  navigation aérienne (CINA) , fondation interalliée à son origine, élargie depuis en conseil permanent international qui a son siège à Paris.
Composé de juristes et de techniciens, ce conseil a jusqu'ici bâti ses lois tant bien que mal en s'inspirant du vieux droit international classique. Sur beaucoup de points de détail, on s'est contenté de transposer dans le domaine de la navigation aérienne les prescriptions du vieux droit maritime. Pourtant, à mesure que, pierre à pierre, l'édifice prenait figure, des yeux exercés se sont aperçus avec horreur que la charpente n'était point conçue au style du jour. Ce bâtiment-là, vraiment, prenait bien mauvaise tournure! On s'apercevait maintenant que les architectes chargés de l'édifier  étaient bien vieille école.
Dès ce moment, la CINA a rencontré, comme par hasard, sans trop savoir pourquoi, une obstruction sournoise et continue. Doucement, on l'a chloroformée, on l'a enserrée de bandelettes invisibles en attendant de la pousser sur le champ de mines elle sautera sans faire trop de bruit.
Peu à peu, on lui a ôté des mains les grands problèmes qui nécessitaient la présence de l'Esprit d'un certain Esprit. On ne lui a plus laissé régler que des détails de cuisine: questions de balisage, standardisation d'imprimés administratifs, formalités d'immatriculation, glementation des feux de bord, discipline de route et consignes de piste...
Insensiblement, l'âme de la CINA a fui; une langueur étrange a envahi ses membres. Cela a fini par devenir si pénible que M. Ropert, l'actif secrétaire général du conseil permanent, a poussé des cris d'alarme. Nous n'avons pas jusqu'ici le sentiment qu'il ait réellement discerné la nature du bacille dont son organisme est en train de mourir, mais nous pouvons toujours lui dire ceci:
Votre droit, Monsieur Ropert, fait figure de vieux magistrat à favoris. Il est encore trop «humain» pour qu'on lui laisse aujourd'luti la liberté de respirer! Arrachez-lui les entrailles et bourrez-le de ces abstractions «inhumaines» à la mode du jour! Faites-le juif, faites-le franc-maçon!... Monsieur Ropert, dépêchez-vous pendant qu'il en est temps encore: allez vite tremper votre code aérien dans les eaux lustrales de la rue Cadet!

Dans de telles conditions, dans une telle ambiance, personne ne saurait s'étonner que la grande affaire de l'internationalisation des aviations marchandes ait passé très haut par-dessus la tête de la malheureuse CINA. Il fallait ici une toute autre marque d'origine: Genève et la mystique de la secte.
On a eu tout cela.
C'est donc des loges maçonniques qu'est parti le mot d'ordre. Selon les rites traditionnels, on a forgé l'argument idéologique pour les besoins de la cause : la France doit donner l'exemple du libéralisme, la France pacifiste doit prouver sa bonne volonté et étonner le monde par la hardiesse de ses conceptions «constructrices».
Ce qui se lit en clair : «La France. Christ des nations...»
Au demeurant, susurrait-on, la manoeuvre sera d'une habileté suprême, car personne ne voudra aller aussi loin que nous. Ainsi nous aurons à la fois le bénéfice moral d'une intervention sans danger et l'avantage d'avoir mis en lumière la mauvaise foi de nos concurrents.
C'est exactement le même argument qui vient de servir pour l'étonnant plan « constructif » de désarmement de M. Paul-Boncour.
Déposé à Genève avec éclat, le projet français d'internationalisation des aviations marchandes a été, depuis, enseveli sous les fleurs.
On lui laisse encore juste ce qu'il faut de vie pour qu'il puisse servir un peu: ce serait vraiment un beau miracle , si, après avoir passé au crible des comités d'experts, il ne permettait pas de nous ravir encore quelques lambeaux de chair.

Afin d'échapper aux nausées, écartons-nous de ces sales intrigues et allons maintenant respirer l'air pur des aérodromes.
Le 10 octobre, le Graf Zeppelin quitte Friedrichshafen pour son huitième voyage transocéanique de 1932. Le 12 octobre, il est à Pemambouc, d'où il repart le 15 pour rentrer au nid le 18 octobre.
Bien entendu, il transporte du courrier ce courrier qui, nous l'avons vu, fait pourtant l'objet d'un monopole en faveur de l'Aéropostale. Mais il ne transporte pas que du courrier, il transporte aussi quelques passagers. Parmi ces passagers, il y a un Français, personnalité connue du monde de l'Aéronautique.
Propagandiste zélé de l'idée aérienne, ce Français est précisément l'un des deux membres de l'Aéro-Club de France qui sont allés en 1931 présenter le Livre d'or à son hôtel au docteur Eckener.
A bord du Graf Zeppelin, notre voyageur est en misssion d'étude, mission officielle dont les conclusions feront l'objet d'un rapport. Rapport sur quoi?... Rapport technique?...
Qui trompe-t-on? La France ne construit pas de dirigeables rigides. Et quels renseignements, je vous prie, un voyageur confiné dans sa cabine et dans le salon des passagers peut-il bien recueillir au cours d'une pareille croisière? D'ailleurs, le Français dont nous parlons n'est pas un technicien.
Alors?... Mission politique? Sans aucun doute. Nous pouvons même préciser: Mission discrète au cours de laquelle des pourparlers officieux sont engagés avec les représentants du Konzern Zeppelin pour reprendre l'élude d'une collaboration franco-allemande sur l'Atlantique Sud.
Le docteur Eckener y trouvera son compte; il le sait. La preuve en est établie par les conditions exceptionnelles qu'il a consenties avec un empressement significatif au passager français.
Le prix du passage sur le L. Z. 127 pour le parcours Friedrichshafen-Amérique est de 2.000marks (12.000 francs). Autant pour le retour; soit, an total: 24.000 francs.
Or, à peine en a-t-il été sollicite que le docteur Eckener a consenti un rabattement des trois quarts sur le prix du passage. Le délégué très officieux  de l'Aéronautique française a payé quart de place: 6.000 francs au lieu de 24.000. Le Reich paiera la différence. Nous pouvons, être bien tranquilles, il n'y perdra rien,
Déjà, au voyage précédent, on avait fait de la bonne besogne à bord du L. Z. 127. Le dirigeable, à son retour d'Amérique, a fait escale, exceptionnellement, à Barcelone, le 4 octobre. A ce propos, le journal espagnol El Debate signale que l'on projette d'établir, dans la capitale de la Catalogne, un aéroport qui servira d'escale au dirigeable allemand, au cours de ses voyages Allemagne-Brésil et retour.
Barcelone! Noeud de voies aériennes de la Méditerranée occidentale. Trois pays s'y rencontrent en territoire espagnol: la France, par sa ligne de l'Aéropostale, Toulouse-Maroc-A.0.F.; l'Allemagne, par sa ligne Allemagne -Bâle-Genève-Marseille-Barcelone (Lufthansa) ; l'Italie, par sa ligne  Gênes-Marseille-Barcelone-Cartha-gène-Algésiras-Cadix de la Societa anonima navigazione aerea (SANA).
Signalons que des pourparlers ont été engagés dès la fin de 1930 pour une collaboration franco-italienne entre l'Aéropostale et la Sana vers l'Atlantique Sud.
Ainsi s'esquissent les pools:
-pool franco-italien vers l'Atlantique Sud,
-pool franco-allemand vers le Maroc, l'Afrique et l'Atlantique Sud,
-pool franco-allemand vers l'Atlantique Nord par Orly ou Cherbourg et les Açores.
Encore la formule du pool serait-elle la plus bénigne; nous venons de voir qu'il y a d'autres anguilles sous roche : les sociétés internationales.
Décidément, il pourrait se passer sous peu des choses étonnantes du côté d'Orly. Pourquoi faut-il que le cri d'alarme de M. Eugène Lautier l'année dernière ait retardé (et non pas arrêté) splendide combinaison qui s'y préparait?
Allons! cette fois, l'Aéropostale est bel et bien à l'agonie ! Elle ne résistera ni à la lumière ni à la justice de M, Léon Blum. Le gouvernement de 1931 a pu être ému par les protestations de M. Lautier, Celui de 1932 sera moins timoré.
Sur nos têtes, les fils se nouent; les violons de la Grande Presse jouent des berceuses.

Le service officiel de la Navigation aérienne publie régulièrement, avec la froide indifférence d'un organisme administratif, des avis aux navigateurs aériens.
Voici l'un des derniers: Orly-Villeneuve. Des travaux pour l'établissement d'un bloc de béton pour amarrage d'un dirigeable, en bordure de la ligne de balise sud et dans l'axe du hangar à dirigeable ouest, sont commencés.
Navigateurs aériens, n'atterrissez pas ! On travaille à couler le béton.
Les spécialistes affirment que ce bloc de béton est indispensable à la manoeuvre des aéronefs de 10 000 mètres cubes, de type «éclaireur», que l'aviation maritime va mettre en service. C'est possible. C'est possible provisoirement.
Pourtant, nous ne pouvons nous empêcher de penser au beau mât d'amarrage pour dirigeable rigide qui pourrait bientôt trouver sur cet anodin bloc de béton son assise naturelle.
Il conviendra de surveiller sérieusement ce qui se passera de ce côté: nous ne voulons pas de mât d'amarrage à Orly, parce que nous savons trop bien pour qui il serait et à quoi il servirait.
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