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Reporter les écrits d'époque rapproche plus de l'HISTOIRE que l'histoire ressassée qui devient de la légende ou du roman
à force de rumination mentale, hormis les mensonges et les vérités mal comprises...



   index   Bienvenue  AÉROPOSTALE 

SUR LES CHAMPS CLOS DE L'AVIATION MARCHANDE  (1933/03/25)    

LE SCANDALE DE L'AÉROPOSTALE (Suite source. PDF )   partie 1 (1932/11/12)
L'Affaire de l'aviation , une "bataille de gangsters" 
«Toute une bande d'escrocs gravitent autour du ministère de l'Air, n'exerçant d'autre mission que celle du chantage.»

Dans le précédent article, l'auteur a montré les dessous politiques du scandale de l'Aéropostale. Il a révélé que derrière le paravent il y avait une intrigue d'affairistes de l'aviation, et que cette intrigue visait à livrer à la Lufthansa et au Konzern Zeppelin les dépouilles de notre Aéropostale.
Le paravent, c'est l'affaire judiciaire avec laquelle on égare le public.
Celte affaire judiciaire, ou plus exactement policière, a des dessous singuliers, et on l'a embrouillée à souhait selon les méthodes en honneur à la rue des Saussaies.
Il n'était pas primitivement dans l'intention de l'auteur de s'y arrêter car le premier article sur les Champs clos de l'aviation marchande n'était que  le premier chapitre d'une étude d'ensemble sur la guerre des Routes, dont le plan était fixé d'avance.
Les exigences de l'actualité, cependant, nous ont incité à lui demander d'ouvrir aujourd'hui une parenthèse dans cet ouvrage et de mettre sous les  yeux du public quelques-uns des dessous de l'affaire policière.
D'un examen serré, solidement étayé par des faits et des textes, il résulte que tout s'est passé comme si la Sûreté générale et les socialistes eussent couru au secours des négociateurs de Berlin mis en cause par M. Bouilloux-Lafont.
Tout s'est passé aussi comme si le faussaire Lucco, indicateur de police, eût exercé pendant deux ans et demi des chantages réitérés sur les constructeurs grâce à des documents mis entre ses mains par certain service du ministère de l'Air. Tout s'est passé comme si les faux livrés à M. Bouilloux-Lafont eussent été, au moins en partie, d'une autre main que celle qui a été trop facilement signée par l'instruction.
Lorsque le 24 novembre dernier à la Chambre, M. Henriot suggéra cette hypothèse, M. Ernest Lafont s'écria:
Ce serait des faux vrais alors? (/. 0., p. 3213),
Et M. Henriot de répondre:
C'est la question que je pose.
Cette question posée par M. Henriot est reprise ici. Evidemment elle est infirmée par les conclusions de l'enquête. Mais il est bon de retenir l'aveu  formel et malencontreux qui a été fait le.24 novembre à la tribune par le garde des Sceaux en personne:
«Il semble que ce débat (celui du 18 novembre) ait exercé une forte impression sur le juge.» (Mouvements divers) J. 0., p. 3191.
Tout s'est donc passé comme si une puissance occulte en l'espèce la Police politique eût tiré les fils judiciaires et politiques d'une affaire se trouve engagé l'avenir de notre aviation marchande.                                             N. D. L. R.

La raison va tousjours et torte, et boiteusc, et deshanchée, et avecques le mensonge comme avecques la verité MONTAIGNE.
torte, du latin torsus ou tortus, part. passif de torquere, tordre

L'affaire politique de l'Aéropostale l'affaire aéronautique se rattache à la guerre des Routes; elle prépare et consomme la ruine de ce qui est français. L'affaire judiciaire, dans ces conditions, ne pouvait être qu'un camouflage. Tout s'y déroule à miracle; selon le jeu naturel des ressorts qui avaient fait mouvoir l'affaire politique.
Pourtant, la vérité est établie désormais. Le débat du 24 novembre a mis en lumière tous les dessous du scandale.
La lumière que, depuis le début d'octobre, réclamaient M. Léon Blum et Mme Hanau, a fini, en effet, par triompher. Ce n'est peut-être pas la vraie lumière.
Vous opposez sans doute à celle-là la lumière de M. Bouilloux-Lafont?
La lumière de M. Bouilloux-Lafont n'eût pas été davantage la vraie lumière. La seule lumière que nous eussions désiré voir briller ici était celle de l'intérêt français.
Il y a dedans, voyez-vous, beaucoup trop de docteurs Pangloss: «Ceux qui ont avoué que tout était bien ont dit une sottise; il fallait dire que tout est au mieux.» Ce bien, ce mieux surtout, sont fort inquiétants.
Décidément, cette affaire est obscure comme la nuit éternelle, trouble comme l'âme de Judas. C'est un vrai roman policier.
Vous ne croyez peut-être pas si bien dire...
Sauriez-vous quelque chose?
Je sais surtout le nom du coupable.
Oh ! qui est-ce?
Le vrai coupable s'appelle: Waldeck-Rousseau.
Vous vous moquez du monde ! Qui a dit cela?
C'est M. Painlevé, ministre de l'Air. Écoutez cette phrase terrible qu'il a prononcée à la tribune de la Chambre le 24 novembre:
« Lorsqu'un ministère éprouve des inquiétudes touchant la défense nationale, ce n'est pas le service de renseignements de ce ministère qui  doit se livrer à des recherches de police. CELA LUI EST INTERDIT DEPUIS WALDECK-ROUSSEAU. Il doit saisir la préfecture de police et c'est cette section spéciale du Service des Renseignements généraux (la section spéciale des affaires intéressant la défense nationale) qui doit  alors procéder aux enquêtes policières (Journal officiel, p. 3194).

Parlant du jour il fit cette découverte, M. Painlevé dit avec candeur qu'il avait trouvé le «bon filon». On ne saurait mieux dire.
On a beaucoup parlé en. effet du Deuxième Bureau au cours de l'enquête judiciaire.
Oui, mais il y a eu maldonne, et M. Blum le savait quand il écrivait en manchette du Populaire, le 8 octobre, cette phrase qui est un mensonge et une infamie:
«Toute une bande d'escrocs gravite autour du ministère de l'Air, a dit M. Delesalle. Pour comble, c'est le Deuxième Bureau de l'état-major qui les fournit. Quel régime!»
La manoeuvre ignoble a consisté dans l'introduction sournoise des trois mots : «de l'état-major». C'était la muscade qui passait. Avec une mauvaise foi inouïe on a fait croire au public qu'il y avait identité entre le Deuxième Bureau de l'Etat-major, qui est militaire et patriote et la section spéciale du Service des Renseignements généraux, qui est un organisme policier notoirement germanisé. Toute l'affaire de l'Aéropostale repose sur cette confusion.
L'aviation est un élément de la Défense nationale de création récente. La Sûreté générale, maçonne et germanisante, s'en est emparée. Pour la première fois un ministère de défense nationale est dans les mains de la police politique.
C'est un signe des temps: le Mané, Thecel, Pharès s'inscrit sur les murs de la rue Saint-Didier. Tant que l'aviation était sous la dépendance du ministère de la Guerre, elle  avait un chien de garde : le Deuxième Bureau de l'État-Major. On a créé le ministère de l'Air à la fin de 1928; et le bon peuple de s'écrier; «Enfin! l'aviation est «libérée»! L'aviation va prendre son essor.
Elle n'a pas été libérée, elle a été enchaînée. Chaîne pour chaîne nous préférons encore la chaîne d'un service de contre-espionnage français à celle d'une police politique pro-allemande.
En créant un ministère de l'Air civil et politique, on ne s'est pas avisé que, du même coup, l'aviation perdait son chien de garde. Sans doute, il avait parfois mauvais caractère, ce gardien-là; il était tatillon et ennuyeux, mais il était français et il gardait bien.
En constituant un ministère de l'Air autonome, on lui donnait le loup comme berger. On le livrait tout garrotté à la police politique germanophile. Et M. Blum se moque de  nous, et aussi M. Renaudel et tous leurs amis avec eux, lorsqu'ils écrivent et disent que c'est le Deuxième Bureau de l'État-Major qui a machiné l'affaire des faux de  l'Aéropostale (...Je n'ai pas besoin de souligner au passage l'ironie de cette situation. Les faussaires appartenaient au Deuxième Bureau et le circuit est assez intéressant, puisque, partis de ce bureau, les documents étaient destinés à y rentrer! -Discours de M. Pierre Renaudel à la Chambre des députés, séance du 18 novembre 1932.).
MM. les socialistes, MM. les politiciens, il y a deux Deuxième Bureau : le vrai, que les vôtres ont commencé d'aveugler avec l'Affaire Dreyfus et qui est resté debout Dieu sait par quel miracle ! rue Saint-Dominique; et l'autre, le faux, celui, du ministère de l'Air, qui n'est qu'une émanation de la Police Politique.
Ainsi, c'est au centre organique même de l'aviation française, élément de plus en plus essentiel de la fense du pays, que vous avez dressé la machine admirablement  camouflée par laquelle vous tenez le ministre, vous tenez l'aviation marchande, vous tenez l'Armée de l'Air.
Lorsque M. Tardieu constitua son ministère, il fut contraint de donner quelques gages à gauche. La présence de M. Dumesnil dans son cabinet fut l'un de ces gages. Sous le consulat de M. Dumesnil les intrigues policières se nouèrent à l'envi rue Saint-Didier, les tractations avec Berlin s'engagèrent, de louches projets prirent corps. Le sentiment de ce qui se passait du côté de l'aviation fut peut-être une dés causes secrètes qui pesèrent dans le remaniement qu'opéra M. Tardieu lorsqu'il créa un ministère de Défense Nationale. Il remettait, le chien de garde à sa place, et ceci est à son honneur.
Vinrent les élections de mai; on eut M. Herriot. Par un singulier paradoxe, M. Herriot, homme de gauche, se trouva contraint, pour assurer sa position vers le centre, de donner des gages en sens inverse. Il mit au ministère de l'Air M. Painlevé, que sa compétence signait et qui, bien qu'il fût aussi homme de gauche, avait eu au Congrès de Paris pour le Désarmement une attitude courageuse en préconisant la formule: Sécurité d'abord.
Ainsi, le ministère de l'Air se trouva beaucoup plus en sûreté sous un gouvernement de gauche, grâce à la présence de M. Painlevé, qu'il ne l'avait été sous un gouvernement de droite, à cause de la présence M. Dumesnil.
Devant tout ce qu'il trouva amorcé dans son ministère, on comprend que M. Painlevé ait «eu la fièvre» comme il l'a dit.
On n'a pas assez dit ceci qui est la vérité: M. Painlevé, dans l'affaire de l'Aéropostale, s'est conduit en honnête homme. Nous n'en voulons pour preuve que tous les impairs qu'il a commis entre la fin de juillet et le début d'octobre, qui démontrent clair comme le jour «qu'il n'était pas dans le jeu». On n'avait pas mis M. Painlevé dans le jeu parce que, tout hurluberlu qu'il soit quelquefois, il n'eût point accepté pareille servitude.
Lâché dans cette affaire, M. Painlevé s'est conduit exactement comme un bon toutou un peu ahuri parmi des quilles bien rangées. Jusqu'au 8 octobre 1932, à 17heures, il en  fut ainsi. A partir du 8 octobre 1932 à 21heures, M. Painlevé était hors du jeu, il était garrotté, ficelé, annihilé, réduit à merci. Il lui fut impossible désormais d'être rien de plus qu'un spectateur, et sa fièvre augmenta encore. On continue à le comprendre. Dans son discour du 24 novembre, on entend percer le cri de sa révolte. Nous ne connaissons pas M. Painlevé, nous ne lui devons rien, nous n'attendons rien de lui, sa ligne politique n'est pas de notre goût, mais nous disons ceci parce que c'est vrai.
En somme, l'affaire de l'Aéropostale est un duel entre le Deuxième Bureau de l'Etat-Major et la Police Politique. La Police Politique a «eu» M. Painlevé. La Police Politique «a» l'Aviation.
Rappelons quelques points de détail et quelques dates.
Début d'avril 1932: M. Bouilloux-Lafont va voir M. Guernier, alors ministre des Travaux Publics, qui a l'aviation marchande. Il lui montre rapidement cinq documents accablants pour M. Paul-Louis Weiller, administrateur délégué de la Société des moteurs Gnome et Rhône et de la Compagnie internationale de navigation aérienne (C. I. D. N. A.) et pour M. Chaumié, directeur de l'aviation marchande. Ces documents, au dire de M. André Bouilloux-Lafont, établissent péremptoirement que ces deux personnalités de l'Aéronautique se sont livrées à de louches tractations à Berlin avec la Deutsche Lufthansa, au détriment de l'Aéropostale.
M. Guernier ne peut examiner d'un peu près qu'un seul des documents: c'est un rapport de la Sûreté nérale. M. Bouilloux-Lafont parti, le ministre vole rue des Saussaies  il apprend que la pièce est un faux. M. Guernier ne dira rien jusqu'à l'enquête d'août; il ne prévient pas M. Bouilloux-Lafont que la pièce est un faux; il prévient seulement M. Tardieu. La Sûreté générale se tait. Naturellement.
6 juin. M. Painlevé devient ministre de l'Air. M. Guernier le prévient en lui transmettant les pouvoirs.
21 juin. M. Painlevé (Déclaration de M. Painlevé, p. 3194.) reçoit la visite de M. Bouilloux-Lafont qui, cette fois, montre tout aussi rapidement huit pièces, ou plutôt huit photographies de pièces. M. Painlevé présume que ce sont des faux; il s'informe de la source des documents. M. Bouilloux-Lafont refuse de la lui livrer; il dit seulement  qu'il les tient d'un «personnage considérable».. M. Bouilloux-Lafont cherche par des procédés assez obliquesà faire pression sur le ministre pour que celui-ci ordonne une enquête dirigée contre M. Chaumié. M. Painlevé refuse, et il a raison. Mais il conseille vivement à M. Bouilloux-Lafont d'aller porter son dossier, soit chez le Garde des Sceaux, soit chez le Général Weygand. Enfin, au cours de sa visite, M. Bouilloux-Lafont signale à M. Painlevé que les doubles de certaines pièces sont à la Sûreté générale.
Aussitôt, M. Painlevé fait faire des recherches de ce côté; on ne trouve rien. Le préfet de police consulté ignore tout de l'affaire. On ne veut rien montrer à M. Painlevé parce qu'il n'est pas dans le jeu.
Il vient de le prouver; il vient de commettre une gaffe terrible; il a violé la règle de Waldeck-Rousseau; il a mis le général Weygand dans le circuit!...
...Et voici qu'il demande des pièces? Plus souvent! Tout le dossier, si on laisse faire l'hurluberlu, va passer dans les mains de l'état-major!
Aussi, il n'y a rien! rien de rien!
M. Painlevé qui a pensé tout naturellement qu'une affaire de Défense Nationale pouvait et devait être tout de suite portée à la connaissance du chef responsable de la sécurité française, ne comprend pas encore l'étendue de son impair. Peut-être feint-il de ne pas la comprendre et nous aurions alors la joie d'être, pour une fois, de l'avis du docteur Pangloss.
30 juin. M. Painlevé écrit à M. Bouilloux-Lafont. Il lui rappelle les graves accusations qu'il a portées contre MM. Chaumié et Weiller et, comme il n'a rien obtenu de la Sûreté générale, il demande au moins copie des pièces à l'accusateur.
M. Bouilloux-Lafont déclare par lettre, cinq jours après (donc le 4 juillet) à M. Painlevé qu'il a suivi son conseil, qu'il a vu le général Weygand (M. Bouilloux-Lafont ne dit pas qu'il a laissé son dossier au général Weygand, il mentionne seulement une «entrevue». -Déclaration de M. Painlevé, JO, p. 3194.) et que, lui, Bouilloux-Lafont, donnera les  pièces à l'autorité judiciaire qu'on désignera pour enquêter.
C'est une pression intolérable pour obliger le ministre à mettre M. Chaumié en accusation.
M. Painlevé refuse. Il ne fait pas le jeu de M. Bouilloux-Lafont et il a raison.
Mais que se passe-t-il donc? De tous côtés on lui refuse les pièces?
«Personne ne veut rien me dire» dira-t-il plus tard à la tribune (J0., p, 3194.).
En désespoir de cause, M. Painlevé consulte le général Weygand et il apprend que celui-ci a le dossier. Il le demande et l'obtient sans difficulté (M. Painlevé dit textuellement : «Le général Weygand ne fit aucune difficulté, au contraire, pour me remettre sans délai le dossier -JO., P- 3194-).
Voici M. Painlevé content. Il fait du zèle, trop de zèle! Il lâche les chiens trop tôt. Il commence à avoir la fièvre; il veut tirer cela au clair tout de suite. Il va trop vite, il brouille tout, il fait ce qu'il ne faut pas faire. Il commence par la pièce-massue: le document Twentsche Bank. Il pulvérise le document Twentsche Bank.
C'est à ce moment qu'il découvre le «bon filon». Il comprend enfin comment fonctionnent ses services; il apprend que, depuis Waldeck-Rousseau, les questions de défense  nationale sont suivies, non plus par le contre-espionnage militaire, mais par le service des Renseignements généraux.
A ce moment il devrait se mordre les doigts et se rendre compte qu'en mettant le général Weygand dans cette affaire, il s'est mis, lui, ministre de la République, dans un cas pendable! Il ne comprend pas. On voudrait bien ici pouvoir lui faire l'honneur de croire que c'est qu'il ne veut pas comprendre.
Impavide, il suit le fil des Renseignements Généraux et il aboutit au tiroir secret de M. Faux-Pas-Bidet, directeur de ce service.
Le voilà cette fois devant le pot aux roses.
Il faut bien lui chre, maintenant, qu'on a la copie des pièces.
De qui tenez-vous cela? demande-t-il.
On est bien obligé de lui avouer piteusement:
Heu!... c'est d'un certain Lucco,... un indicateur...
Ceci se passe dans la première quinzaine de juillet.
Une présomption: mais une présomption seulement, soulignons-le, se dessine, favorable, à M. Weiller que la rumeur publique, excitée par la presse de gauche, accuse avec véhémence.
Cette véhémence est concertée et la partie consiste en ceci; sous le consulat de M. Dumesnil, M. Weiller a pris part, à Berlin, de connivence avec le Comité de rapprochement économique franco-allemand, et d'accord avec le ministre de l'Air, à des pourparlers inquiétants avec certains dirigeants de firmes d'aéronautique allemandes. C'est un fait connu, avoué.
Il s'agissait de créer un «pool» franco-allemand (et même, si possible, une société internationale à base franco-allemande) qui devait succéder à l'Aéropostale, placée, depuis l'affaire de 1931, en état de liquidation judiciaire.
Comme il fallait s'y attendre, les tractations de Berlin ne furent pas du goût de M. Bouilloux-Lafont qui se dressa en accusateur. Le bruit qu'il fit émut l'opinion publique et sema quelque désarroi dans le camp des partisans de l'accord franco-allemand. Ce désarroi fut de courte durée (janvier-février 1932) car quelqu'un, à ce moment, prit l'intrigue en main. Ce quelqu'un fut la Sûreté générale germanophile.
Avec un tel renfort les événements prirent bientôt une tout autre tournure:
Ah! les loups criaient? C'était bien simple: on allait crier plus fort que les loups!
Le choeur à la mode antique se mit à donner de la voix à plein gosier. Il avait pour metteur en scène la police politique, pour récitant Mme Hanau et M. LéonBlum pour chef d'orchestre.
M. Bouilloux-Lafont prétend qu'il possède des preuves écrasantes? Fort bien. On va le pousser sur la pente. Ah! il se mêle de collectionner les documents? On va lui en donner par brassées!
On glisse dans son entourage un indicateur de police avec mission d'apporter à l'amateur de papiers compromettants de quoi enrichir ses dossiers. On tolérera même que l'indicateur touche chaque fois de sa victime une petite rétribution.
Bien entendu, ces documents-là sont affreusement truqués et la manoeuvre ressemble fort comme l'a judicieusement noté M. Jacques Ditte à ces «contre-feux» qu'on  allume pour contrarier un incendie. Ces faux documents qu'on glisse moyennant finance ! ô ironie! dans les mains de M. Bouilloux-Lafont sont, naturellement, propres à le plonger dans le ravissement: tous font éclater la scélératesse de ceux qu'il accuse.
Devant pareil faisceau de preuves, M. Bouilloux-Lafont exulte; le scandale déborde de toutes parts. La presse de gauche active le contre-feu et s'indigne encore plus fort que le directeur de l'Aéropostale. Pour que le poisson soit tout à fait noyé, il devient indispensable qu'une plainte soit déposée, afin que la justice soit saisie. Cette plainte, c'est M. Painlevé qui se trouve contraint, sous la pression des faits, de la déposer le 3 août..
Aussitôt c'est le coup de théâtre: on joue la comédie de celui qui veut en finir, qui veut «crever l'abcès» et l'on dit:
Voyons un peu, au grand jour, ces documents terribles!
On les prend, on les regarde et... on les jette à la face de M. Bouilloux-Lafont en éclatant de rire. Car, tout de suite on met le doigt sur les erreurs grossières dont les pièces ont été truffées.
Cependant, à ce moment-là, il faut bien trouver un coupable: il est prêt, il attend, c'est l'indicateur de police qui se trouve là, à point nommé, pour prendre à sa charge tous les péchés d'Israël. Il s'accuse avec une complaisance admirable d'être le seul auteur des faux.
Telle est la trame du «scandale» dans ses lignes essentielles.
Maintenant que nous la connaissons, revenons un peu à M. Painlevé. Nous venons de voir que la découverte des faux documents dans le tiroir de M. Faux-Pas-Bidet avait  créé dans son esprit au début de juillet une présomption favorable à M. Weiller.
Cette présomption reste le bon atout. Il faut la jouer bien vite. Si, à la faveur de cette présomption si opportune, on obtient de M. Painlevé un acte exceptionnel qui fasse un contraste frappant avec les terribles clameurs de la presse socialiste et les perfides racontars des journaux de potins contre M. Weiller, on aura admirablement préparé le retournement de l'opinion en août.
Alors, les gens candides diront: M. Painlevé, sûrement, sait tout puisqu'il est le ministre. Or, voici qu'il accorde une récompense insigne à l'homme qu'on accuse. C'est donc que celui-ci est totalement innocent. M. Painlevé doit savoir des choses que les journaux ne savent pas et les journaux sont sincères quand ils portent leurs accusations : leur zèle pour la justice inspire seul leur campagne.
Ouvrons l'Aérophile d'août 1932, page 253:
« Un banquet a été offert le 11 juillet, à l'Aéro-Club de «France, en l'honneur du commandant Paul-Louis Weiller, administrateur délégué de la Société des moteurs Gnome et Rhône et de la C. I. D. N. A., récemment promu au grade de commandeur de la Légion d'honneur.»

Certes, tous les aviateurs savent que M. P.-L. Weiller fut un grand as de guerre; tous s'inclinent devant le beau combattant qu'il a été. Nous tenons pour légitime qu'on ait donné la cravate de commandeur au commandant Weiller. Nous disons seulement qu'il eût mieux valu la lui donner avant ou la lui donner après.

Changeons de numéro de l'Aérophile. Prenons celui de septembre, page 275:
« Parmi les récentes nominations au grade de chevalier de la Légion d'honneur, relevons celle de Mme Lazare Weiller, veuve du sénateur du Bas-Rhin et mère de M. Paul-Louis Weiller. On se souvient que Mme Lazare Weiller, en montant le 9 octobre 1908 dans l'appareil de Wilbur Wright à Auvours, fut la première femme française qui vola comme passagère.»

Nous ne commentons pas. Nous remarquons simplement que le gouvernement de la République a mis vingt-quatre ans à reconnaître un mérite certain, et qu'il ne s'est soucié de son obligation qu'à une heure l'air du temps était assez singulier.
Peut-être, à l'aide de ces quelques lueurs, pourrons-nous serrer d'un peu plus près certains détails. Essayons.
Le triste «héros» de l'aventure est Lucco. Son nom paraît pour la première fois dans la presse, le 5 octobre. On le présente au public: c'est un escroc, un faussaire, un cheval de retour, un individu qui a eu, par cinq fois, «maille à partir avec la justice».
Et aussi un indicateur?
Personne ne dit ce jour-là que Lucco est un indicateur donc un collaborateur. On dit seulement qu'il a eu «maille à partir» avec la justice. Il y a une nuance.
Comment a-t-on appris que Lucco était un indicateur?
C'est Mme Hanau qui a livré son nom au juge par une lettre du 3 octobre.
Ce lundi 3 octobre est un jour bien étonnant. On se trouve devant la situation suivante: tout le monde sait que c'est Colin, dit Lucco, qui sera le faussaire; mais personne ne peut prendre l'initiative de le dénoncer. La police? Elle travaillait avec lui. Le ministère de l'Air?-Il travaillait avec lui. M. Bouilloux-Lafont? Il est bien le dernier à pouvoir prendre l'initiative d'une dénonciation, puisqu'il a déclaré le 21 juin, à M. Painlevé, qu'il tenait ses documents de «personnages considérables» (Déclaration de M. Painlevé, J0., p. 3194.). M. Weiller? Il ne sait rien, sinon qu'il est l'objet d'une accusation infâme, dont il ignore absolument la source.
Quelle singulière aventure! Allons! On demande un volontaire pour prendre la responsabilité de dénoncer Lucco que tout le monde connaît et désigne.
Du fond d'une cellule de la Santé, voici Mme Hanau qui répond: «Présent!» Elle écrit sa lettre du 3 octobre, qui nomme Lucco.
Suivons un peu le jeu de Mme Hanau; il en vaut la peine.
Mme Hanau, durant le mois de septembre, n'a pas cessé de réclamer la lumière et la justice et d'attaquer à fond M. Weiller. Cela va crescendo. Non, non! On ne la fera pas taire! Vous vous figurez sans doute qu'il doit être assez facile de fermer la bouche et d'arracher la plume à quelqu'un qui est en prison? Quelle erreur ! Mme Hanau lance dans Forces ses anathèmes. La cause de la Défense Nationale, c'est sa cause à elle! Ni les menaces, ni les promesses ne l'arrêteront! Et d'accabler M. Weiller de plus belle.
Le 3 octobre, elle écrit au juge et dénonce Lucco. Forts de cette. dénonciation, les enquêteurs peuvent aller de l'avant: on va arrêter Lucco. Ce sera fait le 5 octobre, au matin.
Eh quoi ! on lui a laissé quarante-huit heures de répit?
On lui a laissé quarante-huit heures de répit parce qu'on en avait besoin, à cause d'un tout petit accroc, qui s'était produit dans la marche des événements.
Voici le petit accroc:
Le 7 octobre, Forces paraît. Ce numéro de Forces est sans ironie un pur chef-d'oeuvre. Le jeu policier, le jeu de Mme Hanau, le jeu de toute la presse de gauche, était d'accabler M. Weiller jusqu'au dernier moment, pour prendre figure de défenseurs de la vertu outragée.
C'est que, n'est-ce pas, on tombe de la lune avec cette histoire; on ne sait rien, on croit bonnement ce que dit M. Bouilloux-Lafont. Il s'agit seulement de savoir s'il est vrai ou faux que M. Weiller ait livré des intérêts français à la Lufthansa et qu'il ait «acheté» M. Chaumié. Si c'est vrai, ce sera «vite et tout»; si c'est faux, on se tournera vers le directeur de l'Aéropostale, et on lui dira:
«Ah! monsieur, vous nous avez donc trompés? Vous êtes un misérable calomniateur qu'il faut mettre en prison!»
En attendant qu'apparaisse Lucco, on crie: «Taïaut! taïaut!» à pleine voix contre MM. Weiller et Chaumié.
Jusque-là Mme Hanau a docilement crié; mais, maintenant, elle veut le prix et elle sait comment il faut s'y prendre pour rappeler ce qu'on lui doit.
Afin de donner du ton à son rappel, elle prend le biais de l'épigraphe. Voici l'épigraphe de Forces du 7 octobre:
« Quand on peut supposer que vous paierez cher une preuve, c'est assez la coutume qu'un personnage providentiel vous l'apporte.» (Maurice BARRÉS, Leurs Figures.)

Froidement.
Il y a aussi autre chose: Mme Hanau publie les facsimilé des principaux faux et le texte de sa lettre au juge du 3 octobre. Cela, c'est presque une catastrophe; car voici ce qu'on y lit:
« Le faussaire, M. le juge d'Instruction, est M. Serge Lucco, publiciste QUI ENTRETIENT, PAR SURCROÎT, AFFIRME-T-ON,DES RELATIONS CONSTANTES AVEC CERTAINS DE NOS SERVICES DE RENSEIGNEMENTS, en dépit des condamnations antérieures qui figurent à son casier judiciaire...»

Mme Hanau vient de «manger le morceau»; Mme Hanau vient de se couvrir: dorénavant, on ne peut plus cacher que Lucco est un indicateur. Il faudra quarante-huit  heures pour réparer l'accroc: du 3 octobre, jour de la dénonciation, au 5 octobre, jour de l'arrestation.
Le 5 au matin ce sera fait: Lucco aura fini de brûler ses papiers.
Ainsi, Mme Hanau a fait chanter la police et la police maintenant devra avouer que Lucco était, effectivement, un indicateur à sa solde.
Du coup, tout un pan de l'intrigue se découvre. Et l'on ne pourra guère en vouloir à Mme Hanau; car, en même temps, dans ce même numéro de Forces, elle sarme  ceux qui pourraient l'accabler. Honnêtement elle continue à jouer le jeu; elle dit qu'en attaquant M. Weiller, elle croyait défendre la vérité, mais qu'elle voit bien maintenant qu'elle s'est trompée. Ah! quelle douloureuse crise de conscience! quels affreux tourments elle a connus lorsqu'elle a découvert cette vérité toute neuve, qu'elle crie plus fort encore que la première, en citant du Péguy.
Ainsi, dans ce numéro de Forces du 7 octobre, Mme Hanau réclame son paiement à la police en même temps qu'elle amorce le revirement concerté et prévu de l'opinion. Toute la presse de gauche va reprendre en choeur la même chanson. Par un miraculeux hasard, quelques jours plus tard, Mme Hanau sera «débastillée».
Forces ne nous apprendra plus rien, et c'est M. Bouilloux-Lafont maintenant qui sera tenu de mettre le cap sur la prison de la Santé.
Revenons à Lucco. Nous savons maintenant que c'est un indicateur de police. Tous les journaux l'impriment; dix orateurs à la tribune lui décernent ce titre. La subtile  manoeuvre de Mme Hanau oblige à l'avouer. Si l'on a employé cet homme, c'est qu'il était prodigieusement intelligent! Et si bien renseigné sur les choses de l'Aviation! Que voulez-vous, on ne fait pas de la police secrète «avec des archevêques»!
Donnons la parole à M. Painlevé:
Comment ce Lucco était-il tout d'abord entré en relations avec le ministère de l'Air?
«J'ai dit que le ministère avait eu certaines inquiétudes, à la fin de l'année 1930, au sujet d'indiscrétions qui servaient à, de vives attaques contre le ministère de l'Air en particulier sur les avions de chasse. Lucco était alors secrétaire général d'un petit organe hebdomadaire il «faisait» l'aviation. La rubrique qu'il détenait était pour lui un moyen de chantage. Il menait contre le ministère de l'Air une violente campagne qui, peut-être, était un appel. (Rires.) Il trouva à entrer en relations avec le service des Renseignements du ministère de l'Air, et il lui dit:
- Vous êtes des enfants! Dans la semaine, demain même, je vous apporterai, si vous le voulez, toutes les pièces secrètes de votre ministère. Si vous vous confiez à moi, je vous dirai quels sont les auteurs de ces indiscrétions et des campagnes qui vous inquiètent.» En effet, quelques jours plus tard, il apportera la programme intégral des avions de chasse (J0., p. 3195).»
Précisons quelques points de détail. Nous les trouvons tous dans le récit de l'interrogatoire paru dans l'Echo de Paris du 13 octobre. En 1929, Lucco prend contact avec le service de Renseignements du ministère de l'Air et il y «travaille» à des questions «de la plus haute importance». Quel homme admirable en vérité; et combien il est étonnant qu'on ne l'ait point décoré!
Le service de Renseignements du ministère de l'Air le met en rapport avec M. Faux-Pas-Bidet, chef de cette section spéciale des Renseignements généraux chargée des questions de Défense Nationale dont M. Painlevé nous a expliqué le fonctionnement. M. Faux-Pas-Bidet connaît donc Lucco. Il sait ce que fait ce dernier au ministère de l'Air; il ne prévient pas les victimes, et met les documents dans un tiroir M. Painlevé aura bien de la peine à les trouver, beaucoup plus tard. Que fait donc Lucco au ministère de l'Air? Il se procure des renseignements sur les constructeurs et les fait chanter. Il exploite en paix ce plantureux fromage de 1929 à 1932.  Nous disons «plantureux», parce que si le fromage n'eût pas été tel, Luco l'eût abandonné.
Lucco se procurait-il les documents qui atteignaient chaque fois leur but avec une infaillibilité merveilleuse?
Il y a eu des fuites au ministères de l'Air (Ami du peuple, 24 novembre 1932. La même chose a été dite à la Chambre, le même jour, par M. Henriot, J0., p. 3212). Or, de ce côté, on n'a pas établi si Lucco était en rapport avec d'autres services que celui, déjà nommé, des Renseignements; on ne lui a pas, que nous sachions, découvert de complices dans la maison de la rue Saint-Didier.
A supposer que Lucco ait eu un complice, il eût fallu que ce dernier fût admirablement placé pour régler, avec une si étonnante sûreté, le tir de l'escroc. Qui a réglé le tir de Lucco pendant deux ans et demi? Qui avait un intérêt (matériel ou moral, et peut-être les deux) à régler le tir qu'il effectuait impunément sur les constructeurs? 
Le seul service avec lequel nous savons pertinemment que Lucco «travaillait» est celui des Renseignements, dépendant (selon le principe instauré par Waldeck-Rousseau) de la police politique. Ce service est le mieux fourni de documents de toutes sortes de tout le ministère de l'Air et...
N'allez pas plus loin de ce côté, je vous en supplie; car je me sens pris soudain de la même fièvre que M. Painlevé...
Il vaut mieux, en effet, s'arrêter là. Faisons cependant une remarque: Nous disons que ce Lucco faisait chanter les industriels de l'aviation. Nous tenons au moins un exemple public, le voici:
Jusqu'à la séance de la Chambre du 24 novembre, la justice s'est livrée à toutes les confrontations possibles; elle en a oublié une cependant. Celle de M. Weiller et de Lucco. M. Weiller a dit longtemps qu'il ne connaissait pas Lucco. Or, le 24 novembre, voici ce que nous dit à la tribune-de la Chambre M. Henriot (J0., p. 3212).

«Lucco est non seulement un faussaire professionnel, mais, ce qui m'a quelque peu frappé, un spécialiste des faux Weiller, avec lequel il me semble que M. Weiller eut à faire connaissance, il y a environ deux ans, lorsque M. Lucco mit sa signature au bas d'une traite de 30 000 francs. On s'est étonné des gens naïfs que M. Paul-Louis Weiller n'ait pas poursuivi un monsieur qui engageait ainsi sa signature. M. Paul-Louis Weiller a donné cette explication: Je n'ai pas poursuivi parce qu'on avait désintéressé la personne en cause, et je ne me sentais pas lésé. Je ne suis pas fabricant de moteurs d'avions, ni président de conseil d'administration, mais je voudrais bien savoir quel est celui de mes collègues qui, sachant qu'on met sa signature à la- légère au bas d'une pièce quelconque, ne se sentirait pas lésé et ne poursuivrait pas. (Très bien! Très bien! à droite.) Or, ce spécialiste des faux Weiller, s'il était connu pour tel, devait être connu de M. Paul-Louis Weiller lui-même. Il serait assez anormal qu'il se fût fait cette réputation sans que l'intéressé lui-même en sût quelque chose...
 ...Je me borne pour l'instant à constater qu'un rapport de police, en date du 23 janvier 1931, établit de façon assez curieuse les étroites relations de M. Paul-Louis Weiller et de M. Serge Lucco (JO., p. 3212).»

L'étrange révélation de M. Henriot eut un résultat tangible: le 28 novembre, soit quarante-huit heures après, une confrontation Lucco-Weiller a lieu enfin. Voici ce qu'on apprend:
M. Paul-Louis Weiller a reconnu qu'il avait employé Lucco en 1930 et qu'il lui avait remis divers papiers sans importance, non pas pour une publicité effective, mais pour des notices de «publicité négative» et qu'il lui avait versé pour cela 5.000 francs.
Une publicité négative?
—- M. Weiller a entendu dire par qu'il avait payé Lucco pour que celui-ci l'épargnât dans son journal (Communiqué aux journaux du 27 novembre.).
Si M. Weiller a versé 5.000 francs pour être «épargné», c'est donc que Lucco avait quelque arme contre lui, sinon il n'eût pas payé. Dès lors, Lucco n'avait plus à se gêner; il pouvait mettre la signature de M. Weiller au bas d'une traite, il savait fort bien que tout s'arrangerait. Tout s'est arrangé.
Ce fait-là montre assez ce qu'était le «travail» du trop rusé Lucco dans les milieux aéronautiques. Le maître chanteur trouvait ses renseignements au ministère de l'Air. On le savait, on le gardait, on l'employait; il était même appointé «à peu près mensuellement» aux Renseignements généraux (M. Painlevé, J0., p. 3195). Les connexions entre la Police politique et le service de renseignements du ministère de l'Air ont être avouées. C'est tout ce que nous désirions savoir pour le moment; car cela nous permet d'écrire que les socialistes mentent quand ils affirment que Lucco était un homme du Deuxième Bureau de l'Etat-Major de l'armée. Lucco était un indicateur de la Police politique. Tout semble s'être passé comme si on lui eût «livré» quelques-uns de ces constructeurs comme bétail taillable à merci, et tout s'est passé aussi comme si les constructeurs eussent trouvé cela assez naturel, pensant qu'ils en seraient quittes pour rattraper la monnaie de leur pièce le jour de quelque bon marché de fournitures d'aviation passé avec l'État.
Cet admirable équilibre donne la mesure d'un régime. Lucco était un vieux cheval de retour que la Police avait mis à l'engrais dans le pré des constructeurs, en attendant le jour elle irait le quérir pour jouer le rôle tout en or de l'inculpé qui s'accuse.
Arrêtons-nous maintenant sur un point: Lucco, M. Painlevé nous l'a dit, était un spécialiste des faux Weiller. Il les faisait avec un brio étourdissant. C'était sa vocation! Il faisait du Weiller comme certains peintres font du Rembrandt. Et il ne savait faire que cela. On n'a jamais entendu dire qu'il eût réussi à imiter quelque autre écriture. C'est ainsi que le jour il s'est mis en tête de faire du Chaumié, cela n'a pas marché du tout: «car Lucco fait très bien les faux Weiller, mais très mal les faux Chaumié (M. Painlevé, J0., p. 3197).»
Admirons, comme on nous y convie, la virtuosité de Lucco à faire du Weiller. Admirons aussi, comme on nous y convie encore, l'intelligence et l'érudition de ce Lucco, qui sait rédiger des contrats extrêmement compliqués. Modestement il se récusera à l'instruction sur ce dernier point et prétendra, dès le 7 octobre, qu'on lui a dicté  des textes auxquels il ne comprenait goutte. Examinons un autre point. Que vaut, au vrai, l'imitation d'écriture dont Lucco est un spécialiste si extraordinaire? Elle est parfaite en tous points, à ce que l'on prétend. Tel est l'avis de M. Weiller lui-même le 4 octobre:
«Mon écriture y est (dans ces pièces) assez bien imitée et l'on pourrait s'y tromper (Déclaration de M. Weiller au Matin du 4 octobre.).»
Mais le 5 octobre, l'Ami du Peuple publie une lettre de M. Weiller celui-ci écrit à propos des mêmes pièces: «ce sont des imitations assez grossières de ma signature et de mon écriture.»
Que faut-il penser? Si nous allions consulter les experts?
M. Bouilloux-Lafont ne cesse d'affirmer, en effet, que les pièces ont été authentifiées par deux experts en écritures. Nous savons même que cette expertise n'a portéque sur quelques-unes des pièces et qu'elle s'est terminée le 4 juillet.
Les documents qui ont été examinés à cette date l'ont été par des experts en écritures et en écritures seulement. Tout le long de l'enquête on écrira tranquillement: «experts en écritures» et l'on reprochera à ces experts en écritures de n'avoir pas vu que les documents étaient des faux manifestes.
A quoi les experts en écritures répondent:
On ne nous a pas consultés sur l'authenticité des pièces; on nous a consultés sur l'écriture. On nous a mis dans une main une pièce-témoin (un contrat) notoirement signé de M. Weiller et dans l'autre un certain nombre de documents. Nous sommes experts en écritures et non pas en documentation bancaire ou commerciale, ni en aviation. Nous avons examiné l'écriture sans nous soucier du reste. Ayant fait notre métier d'experts graphologues, nous avons rendu les pièces en disant: Ces pièces sont toutes de la même main (Les experts ont été interrogé le 15 octobre. Tous les Journaux du 16 leur prêtent l'argumentation que nous présentons.).
Spéculant sur la faiblesse inouïe de l'esprit public, on fera là-dessus la seiche qui jette de l'encre pour troubler l'eau.
Voici comment M. P.-L. Weiller «éclaircit» la question (L'Oeuvre, 12 octobre). Il s'agit des faux pneus: «Je voudrais bien savoir, dit-il, en quoi consiste la démonstration graphique de M. Dupont-Ferrier. (C'est l'un des deux experts en écritures consultés par M. Bouilloux-Lafont) démonstration basée sur la terminaison des marges, le corps et le calibre de l'écriture, la mise en page et même la «spontanéité.»
Quel enfantillage, sourit M. Weiller, de prétendre que ce documènt-là est vrai, puisque l'adresse a été écrite sur les cachets de la poste, donc ajoutée après coup, et que l'enquête a démontré que ces pneus avaient été enregistrés par l'administration à une adresse qui est précisément celle de Lucco.
D'ailleurs Lucco a avoué, il a expliqué comment il a procédé.
«Malgré cela M. Dupont-Ferrier persiste à affirmer que les faux sont de moi. Le public a déjà jugé (L'Oeuvre, 12 octobre.).»
Le public de l'Oeuvre peut-être. Pas nous.
Nous, nous disons que M. Weiller n'a rien prouvé du tout, qu'il a habilement changé «d'axes de coordonnées», comme on dit en mathématiques, et qu'il a proprement escamoté la question.
M. Weiller n'a pas du tout prouvé que le document soit faux; il a prouvé que le document est truqué. Ce n'est pas tout à fait la même chose. La question reste entière.  L'expert ne s'est pas inquiété de savoir si le document racontait des choses vraies ou fausses; il ne s'est pas occupé de savoir si l'écriture couvrait ou ne couvrait pas les cachets de la poste, si l'adresse avait été écrite postérieurement. Il a dit, comparant ce document à la pièce-témoin: tout cela est de la même main. Va-t-on prétendre que Lucco est le seul à pouvoir tracer des signes d'écriture sur des cachets de la poste?
Oui, mais Lucco a avoué. A ce propos, M. Henriot a dit à la tribune, le 24 novembre: «II est assez frappant, qu'un homme, faussaire décrié, escroc, soit précisément celui qu'on croit sur parole quand il dit «j'ai fait des «faux» (J0., P. 3213). (Exclamations à l'extrême gauche et à gauche.)
Et s'il ne nous plaît pas, à nous, de croire Lucco sur parole?
Nous trouvons à cette position un avantage considérable, c'est qu'elle explique comment auraient pu être remplies ces deux conditions nécessaires:
Obtenir un document assez grossièrement falsifié pour confondre celui qui s'en servirait;
Obtenir un document qui, quoique truqué, fût cessairement déclaré vrai par l'expert en écritures que M. Bouilloux-Lafont ne manquerait pas de consulter.
Ce document faux, il fallait en effet que M. Bouilloux-Lafont le tînt pour vrai et fût incité par l'expertise à s'en servir. On ne dit pas que les choses se sont passées
ainsi. On n'en sait rien. On dit seulement que rien n'a encore été produit qui pût interdire l'hypothèse qu'elles eussent pu se passer ainsi.
A la tribune de la Chambre, le 24 novembre, M. Henriot, faisant allusion aux rapports établis entre M. Weiller et Lucco, a pu dire ceci:
«Messieurs, j'ai été surpris que Lucco, faussaire habituel de M. Paul-Louis Weiller, fût en si bons termes avec celui dont, à priori, il devait sembler qu'il lésait constamment les intérêts. Je pose devant la Chambre ce qui n'est qu'un- point d'interrogation: M. Paul-Louis Weiller avait-il intérêt à ne déposer aucune plainte? En d'autres termes, M. Paul- Louis Weiller n'est-il à aucun degré, lui qui fut complice des campagnes menées contre M. Laurent-Eynac et d'autres dans le «Cri du Jour», le complice de son faussaire? Et, par hasard, ne découvririons-nous pas certaines machinations?
«Moi aussi, je dirai: la justice est saisie (J0., p. 3213).»
Disons comme M. Henriot: la justice est saisie.
Le premier interrogatoire de Lucco est du 7 octobre. Avec un tel homme les choses vont rondement. Dès le préambule, il annonce qu'il va faire des révélations «formidables» et, tout de suite, il tient parole. Certes, il joue le jeu qui est d'accuser M. Bouilloux-Lafont de lui avoir dicté les faux. Mais il dépasse le but, il exagère, il se «met à table», comme on dit en argot de police, avec une désinvolture qui donne le frisson.
Froidement, il «découvre» M. Faux-Pas-Bidet. Ehoui! Lucco avoue benoîtement que c'est sur l'ordre de la Police qu'il est entré en rapports avec les dirigeants de l'Aéropostale.
C'est l'abomination de la désolation. On mande aussitôt M. Faux-Pas-Bidet. Le voici, «jaune comme un citron » (Action française du 8 octobre), arrivant au Palais:
« Quelle affaire, grands dieux ! Qui donc a poussé ce Lucco de malheur à déranger les pions sur l'échiquier?... On ne sera donc jamais tranquille avec cette affaire infernale?
Il est clair que les violons vont plus vite que le chef d'orchestre. Il faut maintenant confronter Lucco avec M. Bouilloux-Lafont. Ce sera, ce soir-là, jusqu'à 22 h. 30 entre le cabinet du juge et celui de M. Pressard (M. Pressard est le beau-frère de M. Chautemps, ministre de l'Intérieur.), procureur de la République, un va-et-vient continu (Tous les journaux du 8 octobre). L'orageuse confrontation se prolonge fort avant dans la nuit et la presse ne saura rien. Seul, le Populaire ne s'y trompe pas: le  lendemain, il annonce à ses lecteurs que Lucco vient de «manger le morceau». 
C'est tellement vrai que maintenant, il faut ramasser les débris et raccommoder; cette délicate opération ne demandera pas moins de cinq jours d'efforts désespérés.
Le 13 au matin, la réparation est faite enfin. Une bonne surprise attend les lecteurs de l'Echo de Parisl'ourson de ces messieurs leur est présenté en longues colonnes serrées léché comme il convient, présentable et comestible. L'Echo de Paris du 13 octobre donne en effet, et il est le seul à le faire, ce qui souligne la position officieuse qu'il a eue durant toute l'affaire le texte dûment poncé des déclarations faites par Lucco le 7.
...Cinq jours!... Presque le double du temps qu'il a fallu à Codos et Robida pour couvrir Paris-Hanoï.
Lucco avait raison quand, selon les propos que lui prête M. Painlevé (J0., p. 3195), il disait aux gens des Renseignements: «vous êtes des enfants!» Il tient et on le comprend à obtenir un reçu public des services qu'il rendus; il veut que l'on se souvienne, lorsque ce sera à lui de payer le moins cher possiblequ'il n'a agi que d'ordre de la Police. Il s'est couvert, comme Mme Hanau. Seulement, lui, il s'est couvert par anticipation. Il a pensé à tout. Il fallait prévoir que lorsqu'il dirait tranquillement au juge: «C'est M. Faux-Pas-Bidet qui m'a mis en rapport avec l'Aéropostale» on lui ferait rentrer ses blasphèmes dans la gorge.
Alors, par avance, il s'est assuré des témoins. Et quels témoins ! MM. Bouilloux-Lafont et Portais, de l'Aéropostale. Voilà comment il s'y est pris: il s'est arrangé pour que, lorsqu'il ferait sa révélation «formidable», ses deux témoins fussent dans l'obligation de déclarer: «Ouic'est vrai. Lucco nous a présenté M. Faux-Pas-Bidet. Bien plus, tel jour à telle heure, à tel endroit, il nous l'a amené à dîner.
Le diabolique Lucco a mis cette carte magnifique dans son jeu. MM. Bouilloux-Lafont et Portais auront vu en effet M. Faux-Pas-Bidet. Ce Faux-Pas-Bidet-là n'était pas le vrai, il s'appelle Picherie et c'est un pâle aventurier. Mais qu'importe ! La supercherie se découvrira bien vite?... Parbleu! Lucco n'est pas assez naïf pour en douter, mais il sait bien que quand on éventera la ruse, il sera trop tard. Le vrai Faux-Pas-Bidet aura beau protester comme diable en eau bénite, il restera au moins ceci, c'est qu'à un moment donné les dirigeants de l'Aéropostale auront trouvé fort naturel d'entretenir des rapports avec la Sûreté générale. Ils ont avalisé la collusion, ils ont dûment établi la qualité d'agent de liaison de Lucco, ils lui ont accordé un certificat d'emploi du côté de la rue des Saussaies. On est bien obligé maintenant de lâcher de compromettants aveux et de mettre M. Faux-Pas-Bidet «dans le bain». La complicité Lucco-Renseignements généraux doit être enregistrée et portée, bon gré mal gré, au crédit du compte que Lucco aura à régler avec dame Justice
Lorsque l'on pince une corde de guitare pour produire un son, on entend des harmoniques. Le 7 octobre Lucco pince la guitare et c'est M. Léon Blum qui fournit aussitôt les harmoniques. Ce faisant, cet habile homme fait coup double: il crée une diversion antimilitariste, il tend une perche magnifique à la Police politique. Par surcroît, il commet une infamie, ce qui n'est point pour lui déplaire.
Voici le titre qu'arbore le Populaire du 8 octobre:
LE SCANDALE DE L'AÉROPOSTALE DEVIENT CELUI DU DEUXIÈME BUREAU DE L'ÉTAT-MAJOR GÉNÉRAL.
Oui: de l'Etat-Major général. Sans sourciller.
« Le Deuxième Bureau est maintenant en plein dans l'affaire.. Déjà, le général Weygand, mis en possession des faux documents, n'avait pas hésité à les transmettre à la «boîte à espions» qui faillit maintes fois mettre à «mal la République (Le Populaire, 8 octobre.).»
Et dire que personne n'avait encore pensé à ça! M. Léon Blum y a pensé tout de suite, lui. A l'unanimité son procédé est adopté. Désormais tout le monde sera persuadé que Deuxième Bureau égale Sûreté générale, et que ce sont les militaires qui ont fait le coup.
Le 10 octobre, un modeste communiqué tente de rétablir la vérité dans la très faible mesure M. Paul Boncour le permet
«Le ministère de la Guerre fait connaître que le service des renseignements ayant été saisi de documents, s'est borné à les transmettre au ministère intéressé et à la pré« fecture de police en faisant les plus expresses réserves sur leur authenticité.»
Ainsi, par ordre, le Deuxième Bureau de l'état-major de l'Armée est contenu, seul, dans la stricte observance de Waldeck-Rousseau.
Voici ce que l'on dit dans le clan socialiste en réponse au communiqué de l'état-major
Ce n'est pas vous, n'est-ce pas, ô malins lecteurs du Populaire, qui vous laisserez prendre à cette odieuse machination montée de toutes pièces par la «boîte à
espions»!
Dans un article intitulé, par un raffinement d'ironie «La vérité se fera tout entière», le journal de M. Léon Blum s'indigne: «Il s'agit, écrit-il (Le Populaire, 10 octobre) de créer l'équivoque. Il s'agit de créer une confusion autour du commissaire Faux-Pas-Bidet. Renié par le Deuxième Bureau, Faux-Pas-Bidet n'aurait agi que comme agent de la Préfecture de Police.»
Voilà ce qu' «ils» veulent vous faire croire, ô malins lecteurs du Populaire; «ils» veulent créer la confusion». Mais vous avez l'intelligence trop déliée pour vous y laisser prendre!

...Et le beau chantage, d'un effet toujours sûr, de s'exercer sur M. Paul Boncour qu'on prend d'autorité pour complice et qui se laisse faire.
«On aimerait tout de même savoir si le ministre de la Guerre a une opinion sur ce qui se passe dans ses bureaux (Manchette du Populaire, 10 octobre.).»
En clair: «Hep! là-bas! Paul Boncour. Pas de bâtons dans les roues, n'est-ce pas! surveillez un peu vos officiers, mon ami! Fermez-leur la bouche. Empêchez-les tout de suite de «créer la confusion» en disant la vérité».
M. Paul Boncour, immédiatement, met haut les mains. Personne n'osera plus passer outre aux ordres du juif Blum. Sauf, toutefois M. Painlevé qui dira à la tribune de la Chambre: «Cela est interdit depuis Waldeck-Rousseau!» M. Paul Boncour, les yeux vers Genève, est plus soucieux de son avenir politique: il vient de mettre le cap sur le «plan constructif» et «le Scandale Weygand». Nous ne sommes pas au bout.
Dès le premier jour des débats judiciaires cette semaine même une chose apparaît aveuglante: les témoins les mieux renseignés appartenant à la police politique du ministère de l'Air ont été écartés, les témoins les plus redoutables du deuxième bureau de l'Armée ont été contraints de se taire.
On dirait vraiment qu'une fatalité shakespearienne, universelle et surhumaine, pèse sur tout cela, une fatalité qui impose au destin français une marche rectiligne dans le droit fil de l'intérêt allemand. Férocement. Implacablement.
Ainsi, dès le 3 août (lettre de Mme Hanau dénonçant Lucco) la Police est en cause. Entre le 3 août et le 7 octobre, M. Painlevé se débat. Ses maladresses ne sont que ruades dans les brancards de la Police politique. Ce ne sont des maladresses que par rapport au jeu pro-allemand.
Au réel, ce sont des tentatives désespérées et spasmodiques d'un ministre de la République prisonnier du régime. On a dit que M. Painlevé avait montré de la «véhémence» contre M. Bouilloux-Lafont. Pourtant s'il se montre sévère pour l'accusateur, M. Painlevé prend assez bien, durant cette période, le chemin pourraient être découverts les vrais coupables.
Le 7 octobre, la «révélation» de Lucco, en faisant éclater la collusion policière, précipite les choses. Cette fois, il faut «neutraliser» définitivement M. Painlevé.
Et c'est la soirée du 8 octobre.
Le juge d'instruction se rend au ministère de l'Air pour recevoir la déposition du ministre. Cela dure de 17 heures à 20 h. 30.
Un quart d'heure après cette visite, le juge a un long entretien avec M. Pressard, procureur de la République. Ce soir-là la consigne est de se taire. Tout ce que l'on peut dire, c'est que la déposition de M. Painlevé a été «des plus importantes» et qu'il a versé entre les mains du juge le dossier de l'enquête administrative qu'il a effectuée dans ses services. Nous connaissons un peu quelques méandres de la caverne d'Ali-Baba de la rue Saint-Didier. Aussi pensons-nous que ce dossier-là ne devait manquer ni de truculence ni de densité. On n'en a jamais plus entendu parler. Quant à la déposition de M. Painlevé, rien n'autorise à douter qu'elle n'ait été reçue par le juge d'instruction dans un esprit de parfaite objectivité.
C'est à partir du moment le magistrat instructeur sort du ministère de l'Air que la vraie partie commence. Exactement à 20 h. 45, lorsque M. Brack, de retour de la rue Saint-Didier, franchit les grilles du Palais. Désormais son rapport ne lui appartient plus. Nous voyons s'agiter d'autres ombres trop significatives pour avoir le moindre doute là-dessus. Il suffit de lire avec attention les anathèmes du Populaire pour voir qui est visé par la pression socialiste. Qu'on ne s'y trompe pas. En cette soirée du 8 octobre, les clefs changent de mains.
Nous avons souligné le retard de cinq jours avec lequel la déposition de Lucco a été livrée à la presse.
A partir du 9 octobre, on lave son linge sale en famille, sous le fouet de Léon Blum. Personne ne saura jamais tout ce qui s'est passé durant cette période du 7 au 13 octobre. Ce que l'on voit, ce que l'on touche, c'est qu'à partir de ce moment, pour employer une expression d'aviateur, «les commandes sont molles» dans les mains de M. Painlevé. On lui a «débrayé» son levier de contrôle. Maintenant la machine va marcher tout droit: elle n'ira que   l'on veut qu'elle aille: le cap plein Est.
Il ne nous reste plus qu'à enregistrer la chronologie des événements. Cela fait songer à ces graphiques qu'établissent les compagnies de chemin de fer pour régler à dix secondes près la marche infaillible d'un rapide.
C'est seulement le 13 octobre que l'Echo de Paris publie la déposition de Lucco, reçue le 7 par le juge.
C'est seulement le 14 octobre que l'Echo de Paris publie la déposition de M. Painlevé.
Le 14, M. Pressard inculpe M. Bouilloux-Lafont d'infraction à la loi sur les sociétés.
Le 16, le Populaire hurle: «on étouffe l'Affaire!» parce que, à son gré, on ne la clôt pas assez vite.
Le 22, le non-lieu intervient en faveur de M. Weiller et Chaumié. (Sans qu'il y ait eu de confrontation Lucco- Weiller.)
Le 24, M. Bouilloux-Lafont est inculpé de faux et usage de faux.
Le 18 novembre se livre à la Chambre la première bataille sur l'Aéropostale. L'absence de M. Flandin réduit le combat à un simple engagement d'avant-garde. 
Le 23 novembre, M. Bouilloux-Lafont est arrêté et mis en prison afin de calmer les socialistes pour le lendemain.
Le 24 novembre, seconde journée de l'Aéropostale à la Chambre.
Tout le monde sait que le débat sera dirigé contre M. Flandin que l'on veut rendre impossible parce qu'il est l'homme d'une concentration vers le centre et la droite. Après des phases diverses, la physionomie de la bataille peut se schématiser ainsi: M. Renaudel monte à la tribune et attaque M. Flandin en montrant un gros dossier dont il laisse entrevoir quelques bonnes feuilles.
M. Flandin, à son tour, monte à la tribune et répond à M. Renaudel en montrant un gros dossier dont il laisse entrevoir quelques bonnes feuilles. Aussitôt les flots s'apaisent. Un bel ordre du jour de confiance, nègre-blanc, est adopté par 485 voix contre 18.
Dès le surlendemain 26 novembre on répare un petit oubli, sur lequel quelques orateurs ont jeté de regrettables clartés: on confronte M. P.-L. Weiller avec Lucco. Depuis le 7 octobre on n'y avait pas songé.
Cette confrontation d'un témoin (Depuis le 22 octobre, jour du non-lieu en sa laveur, M. Weiller n'est plus qu'un témoin fort détaché des contingences) avec l'accusé n'est plus qu'une formalité.

La démarche générale de cette affaire, à laquelle on veut que personne ne comprenne rien, est toute simple.
En 1931, le- Sénat a conservé M. André Bouilloux-Lafont à la tête de l'Aéropostale. C'était une erreur qui engendra des malheurs. A ce moment, l'Allemagne mène à fond la Guerre des Routes sous tous les ciels du monde ; elle tente d'achever l'Aéropostale qui lui barre la route sur l'Atlantique sud et en Amérique latine.
Pourparlers de Berlin, projet d'internationalisation, nous avons montré comment tout cela s'enchaîne et converge vers l'intérêt allemand.
La réaction de M. Bouilloux-Lafont dresse contre lui ses concurrents qui ont lié partie avec ses ennemis d'outre-Rhin. Cette alliance a mis, du même coup, dans le camp des concurrents tous ceux qui sont les alliés naturels des Allemands: M. Léon Blum, les socialistes, la Police politique, la Maçonnerie. Dans de tels engrenages, la République politicienne tout entière ne peut manquer d'être prise; les liens des compromissions et des marchandages de partis sont tels que tout le personnel politique est entraîné, comme une cordée d'alpinistes roulant dans l'abîme. Personne n'est libre, personne ne peut parler. D'un bord à l'autre, on se montre des dossiers qu'on n'ouvre pas, qu'on ne peut pas ouvrir. 
PERSONNE NE POSE SUR LA TABLE LE SEUL DOSSIER QU'IL FAUDRAIT OUVRIR TOUT GRAND, TOUT NET, CELUI DE LA FRANCE.
Il faudrait un homme. La République démocratique ne peut ni le produire ni le tolérer.
Telle est, dans son jour vrai, l'Affaire de l'Aéropostale. M. Franklin-Bouillon a dit d'elle: «C'est la fin du régime qui vient.»
Tout cela est d'une grande simplicité, d'une atroce simplicité. «Nos actes nous suivent.» Alors, maintenant, il faut choisir entre la fin du régime ou la fin de la France.
On choisira, on choisit, tout révèle qu'on a déjà choisi. Sous la trique de la police et des clameurs du juif, on a choisi: ce sera la fin de la France.
Affaire judiciaire, affaire politique, tout se tient. C'est la guerre des Routes qui continue, c'est le désarmement de la France qui se poursuit.
Dès 1928, la Police politique a remplacé le contre-espionnage militaire dans un ministère de Défense nationale. Quelle que soit la doctrine d'emploi finalement adoptée, qu'elle soit douhétienne ou «de coopération», l'aviation est chose militaire. Ce sont des soldats qui montent les avions des Forces aériennes. Contre l'espionnage, contre la trahison, il eût fallu faire protéger ces soldats par des soldats, non par des mouchards de police politique. Ministère de l'Air indépendant ou non, il fallait conserver le chien de garde, en dépit de Waldeck-Rousseau.
On ne l'a pas fait. Toutes les avenues ont été ouvertes surtout sous M. Dumesnil et solidement occupées et fortifiées par l'ennemi.
En marge de la guerre des Routes, l'affaire de l'Aéropostale est par-dessus les acteurs nommés un duel farouche Sûreté générale-Deuxième Bureau militaire.
Police contre Armée. C'est le prélude douloureux du duel Allemagne-France, c'est la préface de l'agression.
Durant toute l'année 1932, la manoeuvre s'est déroulée, avec un ensemble si merveilleux qu'on croirait voir pivoter des grenadiers prussiens sous le Roi Sergent.
Tout cela était possible parce que le Deuxième Bureau de l'état-major ne gardait plus l'aviation. Tout cela était facile parce que la Police politique fait seule la loi dans les écuries d'Augias de la rue Saint-Didier.
Voilà pourquoi tous les rouages de l'État ont obéi au doigt et à l'oeil pour couvrir les négociateurs de Berlin qui étaient compromis. Voilà pourquoi la Grande Presse s'est terrée. Voilà pourquoi la justice a accepté avec docilité le beau scénario que l'on avait préparé entre janvier et août. Voilà pourquoi, à la Chambre, le 24 novembre dernier, jour des interpellations «terribles», il ne s'est rien passé du tout. Voilà pourquoi notre aéronautique est ligotée, impuissante, gaspilleuse et stérile.
Voilà pourquoi on regarde avec complaisance du côté de Genève s'inscrit la suppression prochaine de notre aviation de défense et la livraison à l'ennemi de notre aviation marchande par le biais de l'internationalisation.
Voilà pourquoi enfin, l'aviation de représailles qui, seule, pourrait nous protéger du désastre certain, ne sera jamais autre chose qu'un beau motif de réthorique qu'on ne tolérera que sur le papier.
Alors, oh! c'est bien simple. Cela tient en trois mots: Nous POUVONS EN MOURIR.
Telle fut la vision singulière du doux Candide, un jour qu'il s'était endormi sous un pommier de son jardin. Ce rêve lui causa des vapeurs si épouvantables qu'il se veilla. Le docteur Pangloss était auprès de lui.
Il y a dans cette affaire quelque chose de diabolique, dit Candide.
Non, répondit Pangloss, je vous assure que tout est au mieux.

Ces mots rassurèrent Candide qui se rendormit. C'est à ce moment qu'arrivèrent les Bulgares avec les fifres et les tambours.

Dans Candide, Voltaire introduit le personnage du docteur Pangloss, sorte de philosophe ridicule qui est persuadé que tout a une finalité dans le monde.