Le complot politique...
14 mars 1931. L'affaire de l'Aéropostale à la chambre... une véritable explosion de haine s'en suivie....
M. Flandin, après avoir démasqué ceux qui dénoncent chaque jour les "tares du régime capitaliste et qui en vivent", a fait appel à son parti, pour qu'il en finisse avec le "sabotage du régime", pratiqué par les révolutionnaires... page 1 du même journal                                          Le procès de mars 1933













14 mars 1931. L'affaire de l'Aéropostale à la chambre... une véritable explosion de haine s'en suivie....

LA CHAMBRE A SIÉGÉ TRENTE-TROIS HEURES
UN ASSAUT CONTRE LE GOUVERNEMENT

Cent trente-cinq voix de majorité


Il était à ce moment 6 h. 30. L'affaire de l'Aéropostale  -la fameuse affaire de l'Aéropostale, devrions-nous écrire- fut alors appelée. On connaît les faits: une compagnie aéronautique dite l'Aéropostale,  exploite depuis quelques années une ligne France-Maroc-A.0.F., depuis un peu moins de temps une ligne France-Amérique du Sud. Ses affaires sont mauvaises et son déficit considérable. Des banques qui la soutenaient ont fermé leurs portes. Dans cette déconfiture des noms d'hommes politiques ont été jetés. Une véritable explosion de haine s'en est suivie. Tout cela a été porté à la tribune de la Chambre.
Le débat commença par une brève déclaration du rapporteur de la commission de l'aéronautique, M. Brocard. Le ministre de l'air, M. Dumesnil, fit l'historique  de l'Aéropostale et dit comment fut envisagé par le gouvernement le renflouement de cette société. Il marqua que le cabinet de M. Tardieu, puis celui de M. Steeg, enfin celui de M. Laval, avaient eu, au sujet de ce renflouement, une même manière de voir.
A ce moment un communiste, M. Doriot, se leva et demanda à M. Flandin, ministre des finances, de s'expliquer à propos d'un article paru dans une feuille socialiste, qui le mettait en cause et demandait la démission du cabinet.

La feuille en question était celle M. Léon Blum et ses amis déversent chaque matin leur fiel. Le pontife socialiste prit la parole:
Comment se fait-il, demanda-t-il, que M. Flandin, ancien avocat de l'Aéropostale, soit ministre des finances du cabinet actuel? Nous attendons ses explications avec impatience. Pour moi, je peux répondre de ma vie privée comme de ma vie publique, et de la vie privée des miens comme de la mienne.

Pourquoi ces précautions ? Le discours de M. Flandin allait les expliquer. En quelques minutes, M. Flandin ayant posé le pied sur la tête de la vipère, fit justice des abominables calomnies que les socialistes colportaient contre lui, dans les couloirs  depuis huit jours

-Je suis accusé d'avoir été l'avocat-conseil de l'Aéropostale, d'avoir mis mon influence à son service.

La Compagnie l'Aéropostale a bénéficié d'un contrat de l'Etat qui avait été signé avant mon arrivée au sous-secrétariat d'Etat de l'aéronautique. Un deuxième contrat, qui est le contrat en cours, a été signé par mon successeur, M. Laurent Eynac. Je n'ai été pour rien dans ce contrat.

En 1927 a été signé l'avenant. Le groupe Bouilloux-Lafont a remplacé au sein de l'Aéropostale M. Latécoère. Cela était conforme à la politique de M. Bokanowski qui voulait former dans l'aéronautique  des groupes nouveaux appartenant à des banques ou de grandes sociétés financières.
En 1927, il y a un homme qui s'est dressé ici contre cette politique, qui l'a combattue à la commission de l'aéronautique cet homme, c'était moi.
Les bons de l'Aéropostale ont été émis en quatre fois. Je n'ai donné que des conseils et je n'ai participé  à rien, lors de ces émissions.
Je n'ai agi comme avocat de cette compagnie que dans trois affaires qui mettaient en jeu la responsabilité du transporteur aérien.
A aucun moment je n'ai joué le rôle d'avocat-conseil et je défie qu'on trouve contre moi quelque acte que ce soit qui viole la loi sur les incompatibilités  parlementaires.
Etant au gouvernement, je ne me suis jamais occupé de faire obtenir quelque avantage à l'Aéropostale, et mes deux successeurs peuvent en moigner.
On a raconté que si je suis intervenu contre le cabinet Steeg, c'était pour sauver le groupe Bouilloux-Lafont. Cela fait beaucoup d'honneur à l'imagination  de ceux qui ont inventé cette histoire. En réalité, je n'ai vu personne de la famille Bouilloux-Lafont  pendant tout le mois de janvier.
N'a-t-on pas dit aussi que j'étais intervenu pour faire mettre à la disposition du groupe Bouilloux-Lafont une somme de 200 millions. Il est exact que, le 31 décembre, la Caisse des dépôts et consignations a acheté un immeuble à ce groupe mais je n'étais pas encore ministre.
Je n'ai jamais été l'avocat du groupe Bouilloux-Lafont.
Enfin, l'on a dit que, dès mon arrivée au ministère  des finances, j'avais fait pression sur la Banque de France pour qu'elle consentit des facilités d'escompte à ce groupe. Le relevé des comptes bancaires montre l'inanité de ce reproche.
Et passant alors à l'offensive, le ministre, dans un grand silence, lança:
Si je ne m'occupais que de ma défense personnelle,   je pourrais maintenant descendre de la tribune, mais je veux aborder le problème général
qui se pose. Ce pays vit dans une atmosphère de suspicion. Comment en sortir?

Deux solutions nous sont offertes.
La première, c'est le système des incompatibilités.  On a cru le fixer par la loi de 1928; on n'y est pas arrivé. Vous y ajoutez une suspicion, légitime  sans doute, mais voyez, quelles en sont les conséquences. Nous assistons de jour en jour à une union plus intime entre l'Etat et les Sociétés privées. Les primes, les subventions augmentent chaque jour. De même la fiscalité peut varier de la rigueur excessive à la bienveillance excessive. Toujours des gens  inquiets verront partout des faits répréhensibles!
Il n'y a pas deux honneurs, celui du ministre et celui du député il n'y en a qu'un. Quel critérium prendrez-vous pour apprécier la suspicion légitime? Le  montant de l'honoraire reçu? Mais il n'y a pas que les honoraires de l'avocat; il y a ceux du parlementaire qui publie des articles dans les journaux et qui  reçoit une rétribution au mois ou à l'article. Et que dire des bienfaits indirects que représentent les avantages accordés à un fils ou un gendre? Si vous  voulez apprécier et juger tous ces faits, mais il vous faudra une police politique Aujourd'hui, pour perdre un adversaire, on fabrique une fausse accusation,  voire de faux documents.
Allez-vous interdire à un député d'exercer sa profession d'avocat! Tant que vous y êtes, faites gérer par l'administrateur séquestre lès biens personnels des élus du peuple pendant la durée de leur mandat.
La seule solution pour résoudre ce problème moral est, selon moi, d'en revenir au principe de la dignité personnelle et de la conscience professionnelle.
Autrefois, on luttait sur des idées, sur des programmes; aujourd'hui, il n'y a plus que des luttes de personnes.
J'ai parlé de la dictature du soupçon. Si je parlais maintenant de l'hypocrisie de la vertu. Je me retourne vers mes collègues de gauche et je leur dis: «Tous les jours, vous dénoncez les tares du régime capitaliste, mais alors, il ne faut pas en vivre
La gauche dénonce à grands cris les profiteurs de guerre. Lorsque deux d'entre eux sont poursuivis, dans un procès retentissant, il est fâcheux qu'ils aient deux avocats socialistes.
La gauche critiquait vivement les scandales des dommages de guerre, et, comme par hasard, de 1924 à 1928; je trouve qu'un député de gauche s'est présenté trente-trois fois pour dès Sociétés capitalistes contre l'Etat.
Ce qui devrait vous rendre plus prudents, c'est que, même en matière de fausses déclarations, vous n'êtes pas en retard. J'ai dés preuves dans mon  dossier.»̃
Mais revenons aux avocats. Pourquoi certains d'entre vous, acceptent-ils d'être les avocats de grandes Sociétés comme les Galeries Lafayette, aux appointements de 120,000 francs par an. 120,000 francs par an, c'est tout de même quelque chose.
Vous vous dites. les meilleurs soutiens de l'épargne  mais, messieurs, il y a une affaire devant la commission d'enquête qui concerne l'un d'entre vous. N'est-ce pas encore un des vôtres qui a fait acquitter ceux qui écoulèrent dans l'épargne les faux titres hongrois ?

Cette collusion de la finance et de la politique ne vous empêche pas, messieurs, d'accepter pour le Populaire, la publicité financière et même les  subventions des banques.
Dans un an auront lieu des élections générales. Chacun trouvera en face de lui un adversaire qui jettera sur lui la suspicion et dénoncera la corruption du  Parlement.
Que mon exemple vous avertisse. Ce n'est ni le ministre qui défend son portefeuille, ni l'homme privé qui défend son honneur que vous avez devant vous, mais le républicain qui vous dit « Prenez garde; le sabotage du régime a assez duré.»

Livide et tremblant, M. Léon Blum avait été touché par cette philippique. Il demanda la parole pour demander au ministre s'il avait fait allusion à son fils. Il  était défait et aphone. Il prétendit expliquer les fortunes diverses des membres de sa famille, prétendit encore qu'il n'avait jamais été, l'avocat-conseil de  personne. Il sanglotait: 
-Vous parliez tout à l'heure, monsieur le ministre, de la dictature du soupçon! Quels moyens employez-vous donc contre moi?̃
L'homme était touché à mort. Il chancelait.
M. Renaudel tenta en vain de créer une diversion et M. Paul-Boncour définit avec habileté et talent les devoirs et les droits des hommes politiques.  Mais les regards étaient sur M. Léon Blum et, du haut des tribunes, on le contemplait, écrasé.
En quelques mots, M. Pierre Laval se porta garant de l'honorabilité de son ministre des finances et demanda à la Chambre de voter le projet sur l'Aéropostale. Les urnes circulèrent. Le gouvernement l'emporta à une majorité jusqu'ici inconnue de lui: 340 voix contre 215.

Il était alors 11 h.30. Les députés se donnèrent rendez-vous à 2 h.30 et la séance fut interrompue.
L'après-midi, on parla tout d'abord de quelques articles d'intérêt secondaire, puis, à l'article 4 E bis, des «opérations de Bourse». M. Evain en demanda la  suppression.
Cet article additionnel fut rédigé à l'inspiration de M. Bonnevay, pour combler une partie du déficit constaté. Il s'agissait tout simplement de rétablir, aux  taux de naguère, les impôts sur les opérations de Bourse, à terme qui avaient été supprimés l'an dernier.
On revit M. Léon Blum, ragaillardi. Il apparaissait pour déclarer, ce grand Français, que le seul moyen de faire l'équilibre budgétaire était l'abattement de 2% sur les dépenses militaires.
Le débat fut long. Une foule d'orateurs, profitant de cette occasion dernière, se ruèrent à la tribune.
Dix fois on entendit la voix de mirliton du chef socialiste. Et l'on vota enfin. L'amendement de M. Evain tendant à la suppression de l'article, repoussé,   l'impôt sur les opérations à terme se trouva être rétabli. 
Un monsieur, Arsène Gros, animé d'une étrange flamme, fit, pendant une demi-heure, l'apologie du tabac pour la pipe et prononça une espèce d'oraison funèbre de la «bouffarde»  qui, paraît-il, disparaît et ne sera bientôt plus qu'un souvenir.
Le rapporteur général prodigua des remerciements.   Il se félicita de pouvoir envoyer le budget au Sénat en temps utile et félicita tout le monde.
On touchait la fin.
Toutefois, M. Marcel Cachin infligea encore une homélie communiste à la Chambre. M. Vincent Auriol, avec une satisfaction diabolique, vanta le déficit menaçant. Il reprit la thèse de son maitre Blum sur la nécessité de réduire les dépenses militaires  et seulement ces dépenses-là.
L'article premier fut alors adopté. L'article premier  de la loi de finances est celui qui concerne l'équilibre.

Hélas on n'en avait pas fini avec M. Blum. Il proposa une deuxième lecture du budget. Une deuxième  lecture! C'est-à-dire la réouverture de tous les débats  subis depuis deux mois On envoya promener   le révolutionnaire par 320 voix contre 137.
Alors, on dut subir les «explications   de vote», et c'est l'occasion que saisit l'extraordinaire M. Herriot qui, depuis des semaines, s'occupait uniquement   de  retarder le vote du budget pour critiquer les méthodes de travail de la Chambre, lesquelles   ont finalement abouti à une séance de plus de trente heures! 
Arrêtons ce compte  rendu budgétaire, sur des chiffres qui sont le résumé. toutes ces batailles, de tous débordements, de haine, et de laideur:
Recettes..... 50.753.031 .460 francs
Dépenses.... 50.742.081.6,75
Excédent......         11.549.785 francs
La Chambre siégera jeudi 19 mars.
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  LE SCRUTIN

Scrutin sur l'amendement de M. Léon. Blum (incident Flandin). Nombre de votants: 555, majorité absolue, 278; pour, 215; contre, 340.

Ont voté pour, c'est-à-dire contre le gouvernement: 
11 communistes, 101 socialistes, 12 socialistes français, 6 républicains socialistes, 6 indépendants de gauche.

75 radicaux et radicaux socialistes: MM. Accambray, Albert François, Amat, Archimbaud, Aubaud, Augé, Etienne Baron, Bazille, Bergery, Bernier, Berthod,  Bertrand, Bonnet, A. Borret, Briquet, Bruyas, Caffort, Canu, Carron, Castel, Catalan, de Chaumard, Chautemps, Chevrier, Caponat, Cot, Courrant, Delbos, Ducos, Durafour,» Fayolle, Fays, R. Ferin, Ferrand, Génébrièr, Gout, Guichard, Herriot, Jacquier, Jaubert, Jouffrault, Lambert, Laumond, Ledoux, Longuet, Lorgeré, Marchandeau; Margaine, Marie, Massimi, Maupoit, Menier, Miellet, Mistler, Mitton, Montigny, Nogaro, Palmade, Pascaud, Parfettl, Pieyre, Poittevin, Queuille, Raude, Richard, Robert, Rodhain, Roumagoux, Rucart, Schmidt, Schafer, Sire, Ternois, de Tessan, Vernay; 1 membre de la gauche radicale: M. Gourdèau; 3 députés n'appartenant â aucun groupe.

Quarante, députés n'ont pas pris part au vote: 
Quatre siocialistes, 4 républicains socialistes, 27 radicaux et radicaux socialistes: MM. Bastid, Bellocq, Beluel, L. Bouyssou, Cadoret, Cazals, Colomb, Courfehoux, Cuttoli, Daladier, Dalimier, Deyris, Dézarnaulds, Durand (Doubs), Geistdoerfer, H. Guy, Hauet, Hérard, Hesse, Lamoureux, Lassalle, Lévy-Alphandéry, Malvy, Marcombes, Massé (Puy-de-Dôme), Paganon, Roy.

Deux membres de la gauche «MM. André, Daniélou; un député n'appartenant à aucun groupe M. Hennessy; 13 députés absents par congé MM. Bascou, Bouilloux-Lafont, Bringer, Brunet, Buyat, Delabarre, Franklin-Bouillon, Goude; Grimaud, Jacoulot, Pacaud, Taton-Vassal, Thibault. ̃
Tous les autres députés ont voté contre, c'est-à-dire  pour le gouvernement.