mis à jour / updated :
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Les origines de ![]() |
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L'Aéropostale a marqué à jamais l'imaginaire collectif des Français | |
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*Le projet de
L'AVIATION
TRANSATLANTIQUE
La
conférence de Louis Forest, 7
février 1925 par
Toulouse-Casablanca-Dakar-Pernambuco-Rio de
Janeiro-Buenos-Ayres
Dans l'assistance: Son Excellence M. l'ambassadeur du Brésil Souza-Dantas; M.le maréchal Franchet d'Esperey; M.Laurent Eynac, sous-secrétaire d Etat; M. l'inspecteur général Fortant, les colonels Reimbert, Féquant, Casse, Delcambre, de Vergnette; M. le capitaine Fonck, MM. le comte de La Vaux, Louis Blériot... Ce projet qui deviendra l'Aéropostale a été abandonné par PG Latécoère en mars 1927 et repris par Marcel Bouilloux-Lafont, imprégné de culture aéronautique naissante étant maire d'Étampes (un des berceaux de l'Aviation française) qui, sous son autorité, a réussi à maintenir et à développer le prestige du pavillon français dans toute l'Amérique du Sud. |
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Joseph
Roig, pilote militaire, a démontré la faisabilité
des lignes Casablanca-Dakar
et Rio
de Janeiro-Buenos Aires, lignes à la base de
l'Aéropostale... «Nous sommes à la fin de
l’été 1919, dans le bureau que j’occupais Boulevard
Saint-Germain en qualité de chef de la 1ère section du
personnel de la 12ème Direction (Aéronautique) du
Ministère de la guerre. Le planton introduit un
visiteur:... » |
SOMMAIRE *de "Pour que passe le courrier, par Joseph Roig" | |
La rencontre Le Passager Royal La paix avec le sol La reconnaissance par mer A la conquête du désert Le retour à Casablanca Après le raid Les anciens de Central à l’aéro-club du Maroc |
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*Résumé de la carrière de Joseph ROIG | |
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*Souvenirs (Interview
du colonel Roig, publié le 30 janvier 1965 par Georges Nieter,
coll Didier Lecoq):
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*Le raid des trois
avions de Rio-de-Janeiro à Buenos-Aires (extraits LE FIGARO, février, mars
1925) Les prouesses de
l'aviation française. Le raid des trois avions de
Rio-de-Janeiro à Buenos-Aires
Le raid des aviateurs de la mission Latécoère Les prouesses des aviateurs français |
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*Les naufragés de l'air (Le survol du
Sahara par Olivier Vergniot)
Au cours de la décennie 1920 - 1930, les
célèbres aviateurs de la «Ligne» prirent malgré eux
le pas sur les malchanceux de la mer... les lignes
aériennes Latécoère loueraient aux Maures, moyennant
une redevance en argent, le droit de survoler la
côte, dont ces derniers seraient considérés comme
propriétaires. A Toulouse la direction écarta cette
solution...
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* la «Mission Roig» par La Aviación Comercial en el Espacio Aéreo Español (1918-1936) source waybackmachine |
La rencontre HAUT
retour
sommaire
Nous sommes à
la fin de l’été 1919, dans le bureau que j’occupais Boulevard
Saint-Germain en qualité de chef de la 1ère section du personnel
de la 12ème Direction (Aéronautique) du Ministère de la guerre. Le
planton introduit un visiteur: Pierre G. Latécoère.
Nous savions tous dans l’aviation que ce sacré petit bonhomme,
piloté par Lemaitre, était parti le 19 mars 1919 au matin de
Montaudran, terrain d’aviation de Toulouse et, avait remis le
lendemain à Madame Lyautey, venue avec le général Résident Général
au Maroc depuis 1912, l’accueillir sur le terrain de Rabat, un
petit bouquet avec ce compliment : «Madame permettez moi de vous
offrir ce modeste bouquet cueilli hier à votre intention. Ce sont
des fleurs de ma ville… Des violettes de Toulouse».
Dans l’avion, il y avait aussi un sac de courrier.
Or ce jour-là, Pierre latécoère venait me demander un service. Le
chef de l’Aéroplace d’Alicante, Moraglia, avait fait, avant
d’entrer aux L.A.L. (Lignes Aériennes Latécoère), une demande pour
passer dans l’armée active. Sa candidature venait d’être acceptée
et il s’agissait de différer de quelques jours sa prise de
fonction, en attendant la venue à l’Aéroplace de son successeur.
Pierre Latécoère me sut un tel gré de ce petit service qu’un jour
son adjoint de Massimi vint m’offrir de me joindre à leur équipe,
ce que j’acceptai avec joie et , je partis en qualité de Chef de
Service au Maroc en 1921.
Et le courrier passait. Si sa régularité était parfois altérée par
quelque accident tragique, il faut tout de même penser que les
quatre étapes de ces 1800km n’étaient pas, pour nos Bréguet 14,
les pistes d’une école de pilotage. A 120km à l’heure, remonter la
Tramontane de Barcelone à Toulouse par le Perthus ou le Cap Creus
c’était presque faire du sur place. Passer l’Ebre et le Cap de la
Nao entre Barcelone et Alicante était rarement une partie de
plaisir. Quant à l’étape d’Alicante sur Malaga par la trouée de
Grenade et le saut par-dessus la Sierra Nevada, ce n’était pas un
jeu d’enfant. Le détroit de Gibraltar, avec ses courants d’air
contraires, ne laissait pas nos pilotes indifférents. Au-delà, le
ciel devenait heureusement plus clément. Et malgré toutes ces
vicissitudes que la Ligne supportait sans défaillance, la
confiance du Maroc restait aussi sans défaillance.
Il me vint alors l’idée de rassembler tous les atouts majeurs qui
nous manifestaient tant de sympathie, en un Aéro-Club du Maroc, et
j’allai m’en ouvrir à Georges Louis, rédacteur en chef de la
«vigie Marocaine».
Il approuva chaudement mon projet, et nous cherchâmes ensemble un
Président possible pour en assurer un bon démarrage. « Allez à
Fédhala, me dit Georges Louis, vous y trouverez le Prince Murat ou
le Prince Masséna, car ni l’un ni l’autre ne sont embrigadés dans
les sociétés casablancaises. L’un ou l’autre fera un bon Président
»
Le soir même j’avais contacté Murat qui avait accepté. Quant aux
vice-présidents, j’avais décidé Masséna, le Marquis de Ségonzac et
Guernier, Président de la chambre de commerce, à nous épauler de
leur présence. L’Aéro-club compta en très peu de temps près de 300
membres. Un succès total dont je n’étais pas peu fier. Les bases
de l’aviation civile étaient jetées, et nous pouvions aller de
l’avant. Les jeunes sportifs et particulièrement les postiers que
je voyais tous les jours à l’heure du TRI me proposèrent de fonder
un Club de Rugby dont je serais le Président fondateur.
Au cours de l’été 1922, Pierre Latécoère, atterrissant à
Casablanca, me demanda de lui obtenir une audience auprès du
Maréchal Lyautey. Le lendemain nous partions pour Marrakech où se
trouvaient en déplacement tous les Services de la Résidence et où
nous devions être reçus au Palais de la Bahia par le Maréchal
entouré de ses chefs de service intéressés.
Avec son accent particulier, Pierre Latécoère, depuis un bon quart
d’heure, exposait en détail son plan : « Toulouse, Casa, Dakar,
Pernambouc, Rio de Janeiro, Montevideo, Buenos-Aires », lorsque le
Maréchal, se substituant à son interlocuteur Latécoère, exposa le
fameux plan en son style personnel. C’était succinct, très clair,
très précis. Tous avaient compris. Pierre Latécoère en resta
pantois.
Mes déplacements m’amenaient souvent à Tanger où je m’étais fait
deux excellents amis en la personne de Villarem, Directeur de la
Poste française à Tanger, et le Capitaine Pannabière, Commandant
le Tabor Marocain de Tanger. Tous les deux étaient catalans
d’origine, et cela me facilita bien des démarches auprès des
autorités de la zone internationale. J’eus quelquefois le plaisir
de baiser la main de la douairière de la Maison de France qui
descendait toujours chez Madame Villarem lorsqu’elle venait de
Larache avec le jeune Comte de Paris, pour faire des achats à
Tanger. Madame Villarem mettait en ces occasions, le grand peigne
andalou, la mantille et les castagnettes et dansait pour la grande
dame, des séguedilles qui enchantaient l’assistance car Madame
Villarem était une grande artiste.
J’eus également l’occasion de recevoir à Casablanca, le Président
de la banque Morgan, Monsieur Sharp, qui finançait l’exposition de
Séville et venait souvent au Maroc, vérifier aux sources
l’exactitude de ses informations. Il désirait mettre en lumière
l’influence espagnole sur les arts marocains issus de l’occupation
arabe en Espagne.
Je dois aussi parler des sujets qui motivaient les liaisons que
j’effectuais auprès des Services de la Résidence Générale et du
Cabinet Militaire du Maréchal. Il me faut citer les noms de
Pietri, des Services Financiers, de Walter, des Services Postaux,
de Tranchant de Lunel, des Services des Arts Indigènes à qui nous
devons la remise en état de la célèbre Kasbah des Oudayas, de
Gaston Pawleski, son très compétent adjoint, du Maréchal Juin,
alors Capitaine au Cabinet Militaire, du contrôleur en Chef
Benazet, joyeux luron, responsable, avec Madame Lyautey, de
l’organisation des farces que cette dernière jouait à ses invités
au cours de certains repas, et d’autres qui me pardonneraient mon
oubli s’ils étaient encore de ce monde.
Ces noms sont entrés dans la mémoire des Français et prouvent que
le Maréchal avait la baraqua dans le choix de ses collaborateurs.
Le Passager Royal HAUT
retour
sommaire
Un coup de
poker qui réussit au-delà de nos espérances.
Au cours de la visite que sa Majesté Albert 1er, Roi des Belges,
accompagné de sa Majesté la Reine Elisabeth, rendait au Maroc, je
reçus une invitation à déjeuner à la Résidence.
Alors que les invités se lèvent de table pour gagner les salons où
Madame Lyautey accompagnait la Reine, on me prie de rejoindre le
Maréchal, sorti dans les jardins en compagnie de S.M. le Roi
Albert. Avec le ton brutalement amical qui lui était particulier,
le Maréchal me pose la question suivante, prouvant que les temps
avaient changé l’atmosphère : « Sa Majesté voudrait effectuer son
retour en Europe en utilisant la Ligne aérienne de Casa à
Toulouse. Peux-tu assurer ce voyage en toute sécurité comme il se
doit ? ».
Avec une assurance dont je mesure encore aujourd’hui le culot,
j’ose affirmer que ce voyage est parfaitement possible.
-«Alors , prépare le départ de Casablanca pour après-demain 8h30».
- «Qu`allez-vous me donner comme pilote ?» demanda Sa Majesté.
Il y avait justement, de passage à l’aéroplace de Casablanca,
Dombray.
-«Sire, Dombray, notre inspecteur technique».
-«Un grand Chef ! Pourquoi pas le pilote normal du courrier ?
j’aurais davantage confiance».
-«Sire, Dombray est aussi pilote-courrier et vous l’avez
certainement connu à l`escadrille Guynemer lorsque vous rendiez
visite au groupe de chasse qui était à la Panne où vous
stationniez pendant la guerre».
-«Alors tout va pour le mieux»..
J’allais prendre congé lorsque sa Majesté demanda de ne prévenir
personne tout au long du voyage afin que les colonies Belges,
tentées de venir sur les terrains, n’entravent pas la régularité
des horaires du courrier.
-«Surtout pas de publicité avant Toulouse, ajouta-t-il, car ne
parlez jamais d"un projet qu’après son heureuse exécution.
J`aimerais aussi avoir un livre à lire pendant le voyage».
-«occupe-toi de ce détail», me dit le Maréchal.
Je m’éloignai après une poignée de main, gonflé d’orgueil d’une
telle marque de confiance.
De retour au
bureau, j’avisai par télégramme, Paris, Madrid et Toulouse afin
que Latécoère, de Massimi et Daurat soient mis au courant du
voyage royal. Il était indispensable qu’il s’effectue avec succès
et suivant les désirs exprimés par sa Majesté.
J’allai aussi voir mon ami Louis pour le choix du livre demandé.
«Récits marocains de la plaine et des monts» de Maurice Le Glay,
Contrôleur en Chef de la région de Safi, me recommanda-t-il, et
j’allai acheter ce livre pour en découper les pages.
Lorsque le cortège présidentiel arriva le surlendemain sur le
terrain, tout était prêt. Dombray présenté, Sa Majesté équipée
après les précautions d’usage, j’osai demander au Roi, en
présentant le livre, la faveur de le recevoir en retour avec un
autographe, ce qui me fut accordé.
L’avion-courrier, piloté de bout en bout par Dombray, atterrit le
soir sans encombre à Toulouse où les autorités civiles et
militaires saluèrent le Roi.
Il manquait malheureusement Latécoère et de Massimi qui étaient
partis avec deux avions. Ils voulaient devancer l’avion royal pour
lui faire une escorte d’honneur à son arrivée.
Hélas, la rencontre fut manquée et l’escorte atterrit une
demi-heure après, mais la déception fut légère puisque le voyage
s’était très bien passé. Latécoère et surtout de Massimi étaient
particulièrement inquiets car ils jugeaient ce voyage très délicat
pour une personnalité aussi importante que celle du Roi. S’il y
avait eu des incidents de parcours, les reproches ne m’auraient
pas été ménagés.
A Toulouse, les premiers mots que leur dit l’illustre passager
montrèrent bien qu’il avait conscience du risque couru.
-«Je viens de vous jouer un mauvais tour, n’est-ce pas?» leur
dit-il. «Vous ne deviez pas être tranquilles.»
-«En effet, Sire, répondit Latécoère. Nous n’aurions pas su dire
si notre joie d’avoir Votre Majesté à bord de notre avion
l’emportait sur notre inquiétude. J’ai fait un excellent voyage.
Votre pays peut être fier d’avoir un homme tel que le Maréchal
Lyautey.»
Par la suite, des notabilités civiles et militaires de la
Métropole suivirent l’exemple du Roi des Belges. Parmi ces
personnalités, il convient de citer : Le Président Painlevé, le
sous-secrétaire d’Etat Laurent Eynac, le Maréchal Pétain, le
Général Jacquenot et aussi quelques journalistes de la Presse
métropolitaine. Les temps avaient bien changé, nous le
constations. Quant à mon livre dédicacé, il me revint sous forme
de décoration : la Croix de Chevalier de l’Ordre du Roi Léopold
que le Cabinet du roi me fit tenir avec une correspondance. Sa
Majesté m’y exprimait ses remerciements et soulignait son désir de
conserver le livre de Maurice Le Glay.
La paix avec le sol HAUT retour sommaire
Un raid aérien
est une performance de valeur indiscutable dont l’équipage profite
quand il réussit, mais paye de sa vie en cas d’échec.
Etablir l’infrastructure d’une ligne commerciale est un autre
problème dont le succès, en ce qui concerne «La Ligne» rend
indispensable le concours de personnalités compétentes et
heureusement bénévoles sans lesquelles, les moyens financiers dont
disposait Latécoère, n’auraient, certes pas suffi à assurer la
Ligne à l’époque de l’avion postal dont l’étape moyenne ne dépasse
pas 500 kilomètres.
En septembre 1922, Pierre Latécoère me convoque à Paris pour me
dire que l’heure avait sonné de procéder à l’exécution de la
première partie du Plan «Casablanca-Dakar». Il s’agissait de
reconnaître les possibilités de réalisation d’une infrastructure
de la ligne Casa-Dakar, dont les escales précisées par Latécoère,
devaient être possibles à Agadir, Cap Juby, Villa Cisneros, Port
Etienne, Nouackchott, Saint-Louis, Dakar.
Pour ce faire il fallait louer aux Canaries un voilier pouvant
transporter le personnel de la reconnaissance, l’essence et
l’huile nécessaires au ravitaillement aller et retour de trois
avions Breguet 14, et aussi de la chaux pour marquer l’aire des
terrains d’atterrissage.
-«Faites au mieux», me dit Latécoère, et muni de toutes ces
instructions je repris la route de Casablanca. Ainsi s’ouvraient à
mon activité deux mondes inconnus : d’abord l’Atlantique et la
navigation à voiles, ensuite le Désert dans lequel j’allais
baliser la route de nos avions et faire ce que j’appelais «La paix
avec le Sol», mission primordiale à mon sens.
Naturellement, je mis le Maréchal Lyautey au courant de la mission
dont j’étais chargé, ainsi que de la manière dont je pensais
pouvoir l’effectuer.
Après avoir écouté, le maréchal Lyautey appela le Colonel Huot,
chef du Service des Affaires Indigènes pour lui donner ses
directives que j’ai gardées en mémoire:
«Il faut donner à Roig un sous-officier des Goumiers qui puisse
lui servir d’interprète avec les indigènes du Rio de Oro. Il est
indispensable qu’il soit assez bon tireur pour assurer sa sécurité
et sa subsistance, et qu’il soit assez fort pour le porter si
nécessaire. Ce sous- officier sera mis en congé pour la durée de
la mission».
Et c’est ainsi que le Maréchal des Logis Hamed ben Mohamed fit
partie de la mission de reconnaissance.
Mais il n’y avait pas que cette attention de père de famille ; je
recevais aussi pour le Colonel Gaden, Gouverneur de la Mauritanie,
une lettre du Maréchal qui était bien davantage qu’une simple
lettre d’introduction. L’avenir me prouva que la réussite complète
de ma mission fut assurée par la perspicacité de ces deux grands
connaisseurs des hommes bleus du désert.
Je leur doit bien plus que de la reconnaissance pour leur
sollicitude réaliste qui me permit de vaincre toutes les
difficultés qui allaient se dresser sur ma route.
En dehors d’Hamed ben Mohamed et de moi-même, l’équipe était
formée par Cervera et un de mes amis, architecte à Casablanca,
Pierre Ancelle qui prenait quelques vacances, et que l’expédition
tentait.
La reconnaissance par
mer HAUT
retour
sommaire
Le jour de
l’embarquement à Casablanca, il me parut, à la manière dont les
amis me donnaient l’accolade, que dans leur idée ils prenaient
définitivement congé de nous. J’affectai évidemment une confiance
de bon aloi, mais il y avait vraiment de quoi m’inquiéter un
tantinet, car je me sentais loin d’avoir la trempe d’un Montfreid
dont les exploits sur la côte du territoire des Somalies
commençaient à être célèbres.
Le yacht, la Frasquita de l’Empereur du Sahara (Jacques Lebaudy)
reprend la direction du Rio de Oro, 20 ans après ses premiers
exploits.
Dès notre arrivée à Las Palmas, chacun de nous s’occupa du rôle
qui lui était imparti.
Cervera était chargé des relations avec les autorités militaires
dont dépendaient les garnisons espagnole du Rio de Oro et il
réussit parfaitement à créer une atmosphère de sympathie qui nous
fut d’un grand secours.
Ancelle et Mohamed s’affairaient à grouper les provisions de
bouche qui devaient nous nourrir pendant trois mois.
Personnellement, après avoir fait surface auprès des consuls de
France à Ténériffe et à Las Palmas, je cherchai le voilier et
l’équipage avec lequel nous allions affronter l’Océan et effectuer
la reconnaissance des côtes. J’eus la très grande chance de
rencontrer un armateur, propriétaire d’un voilier dont l’équipage
était libre pour la saison. Ce voilier portait un nom qui fut
célèbre en son temps ; le premier voyage qu’il avait effectué
était précisément en direction du Rio de Oro à Tarfaïa. Le
Gouvernement français mit un point final à l’entreprise de son
propriétaire que les initiés connaissaient sous le titre qu’il
s’était octroyé. Il s’agissait de Jacques Lebaudy qui s’était
baptisé Empereur du Sahara.
C’était la très fameuse goélette Frasquita dont la coupe, les 2
mâts et les 36 tonneaux attiraient l’attention des connaisseurs.
Son équipage se composait de 5 hommes avec un maître d’équipage
dont la compétence certaine nous tira de quelques mauvais pas.
Le navigateur était un capitaine au long cours qui, douze heures
après notre départ du port de Las Palmas eut une crise d’épilepsie
qui nous empêcha d’apprécier ses qualités et son savoir, car il
resta couché dans le coffre aux pavillons pendant la plus grande
partie du voyage.
Dès notre sortie du port, les alizés nous contraignirent à tirer
de larges bordées et Cervera rejoignit sa cabine en proie au mal
de mer. Quand je dis «cabine», il faut s’entendre. La Frasquita
n’était plus un yacht impérial. Ce n’était plus qu’une cale à
transporter les régimes de bananes récoltées dans les îles
Canaries et embarquées à Las Palmas pour les ports d’Europe. Mais
ses lignes gardaient une belle élégance appréciée des
connaisseurs.
Le carré où nous vivions se composait d’une table rabattante avec
deux bancs également rabattants ; quatre caisses superposées par
deux, de 2 mètres de long, 60cm de large, 60 cm de haut,
encadraient le carré. Chacun de nous y pénétrait par une porte
coulissante : c’étaient nos lits. On eût dit quatre vrais
cercueils ! Après trois jours de voyage, nous étions en vue de la
Casa de Mar du Fortin de Juby et les voiles roulées, nous jetions
l’ancre pour la nuit.
Aucun signe de vie ne nous était apparu, pas de lumière non plus
dans les bâtiments à 500 mètres environ du Frasquita.
Vers 10 heures le lendemain matin, nous voyons du mouvement autour
du fort.
Puis une barcasse est mise à l’eau, avec ses huit rameurs et un
officier de la garnison. Celui-ci venait à la Frasquita s’enquérir
des raisons de notre escale. Grâce à Cervera en tenue, tout se
passa au mieux et nous fûmes invités à descendre à terre pour nous
présenter au Colonel Benz, Commandant les troupes espagnoles du
Rio de Oro.
L’accueil fut particulièrement cordial. Le Colonel Benz avait
arboré la Croix d’officier de la Légion d’Honneur que le
Gouvernement Français lui avait décernée pour sa contribution à la
destruction d’un croiseur allemand caché en 1916 dans la baie de
Villa Cisneros.
Je pus laisser dans le fort l’essence, l’huile nécessaires au
ravitaillement de la mission aérienne prévue. Je pus aussi marquer
à la chaux les quatres angles de l’aire d’atterrissage ( travail
que je dus faire seul pour des raisons de sécurité, m’affirma le
Colonel Benz) car les militaires ne quittaient le fort que pour
aller à l’île «la Casa de Mar ».
La démonstration convaincante de Cervera leva toutes les
difficultés car je n’avais aucun document officiel, ni français,
ni espagnol, m’autorisant à travailler dans le Rio de Oro.
Après avoir pris congé de nos hôtes, à nouveau nous avons franchi
à bord de la barcasse du fort une barre difficile ; nous avons
levé l’ancre pour reprendre la route vers le Sud, sans trop frôler
la côte car nous gardions le souvenir de «l’ Empereur du Sahara»
et de l’aventure malheureuse de la Frasquita raclant un haut-fond
à Tarfaïa. Mais cette côte qui marquait pour moi la route future
du courrier, je la suivais en permanence à la jumelle avec une
curiosité mêlée d’appréhension.
Nulle vie ne se manifestait sur les bords, et pourtant les cartes
marines et terrestres dont je disposais, portaient des noms de
Segguias dont je ne devinais pas l’embouchure. Les caps qui
avançaient dans l’Océan avaient bien des noms, mais rien
n’indiquait si les anses étaient animées par des activités de
pêcheurs. J’aurais bien voulu aller à la côte, mais la fameuse
barre infranchissable avec les moyens du bord, m’interdisait tout
essai qui aurait été sûrement un danger.
Par une radieuse matinée, nous entrons dans la baie de Villa
Cisnéros où nous attendaient le Docteur Militaire, le Commandant
Sanz ainsi que le Capellan (curé)
catalan dont la chapelle consistait en un simple maître-autel
ancré dans le mur à l’intérieur du fort.
Comme au cap Juby, et toujours avec le charme déployé par Cervera,
le commandant Sanz accepta le ravitaillement que nous devions
laisser et je n’eus pas la peine de marquer les limites d’un
terrain car la presqu’île sur laquelle est bâti le fort est
rigoureusement plate sur une dizaine de kilomètres, et, par-dessus
le marché, orientée dans le sens des vents alizés.
J’eus la chance de rencontrer par hasard le Caid Debeisi des ouled
Delim ; et, grâce au maréchal des Logis Hamed Ben Mohamed, je pus
avoir avec lui une conversation pleine d’intérêt au cours de
laquelle il me promit une aide efficace le long des terrains de
parcours que suivait sa tribu. Peut-être Debeisi était-il en
bisbille avec les autorités du fort, car cette parlotte
particulière fut l’occasion pour le Commandant Sanz de me dire
combien sa méfiance était grande à l’égard de Debeisi. Ce Caïd fut
accusé trois semaines plus tard de m’avoir fait assassiner. Un
vrai roman inventé par la garnison.
J’aurai l’occasion de reparler de cette histoire de fou, car elle
me valut mon rappel en France alors que je courais les pistes de
la Mauritanie, à 300 kilomètres plus au sud.
Nous arrivâmes sans histoire dans la baie du levrier où nous nous
encrâmes face aux bâtiments de Port-Etienne, et la barque du bord
nous permit de mettre pied à terre au môle de la pêcherie.
L’administrateur de la baie du Levrier nous reçut très aimablement
et nous assura un abri décent dans une dépendance des bâtiments
administatifs. J’allai le lendemain reconnaître le terrain sur
lequel prétendaient atterrir les avions. Hélas, d’une part ses
dimensions en étaient chichement mesurées, d’autre part ce terrain
était au fond d’une cuvette, ce qui obligerait sûrement les avions
à frôler la perte de vitesse à l’atterrissage, ou à emboutir les
bords de la cuvette en bout de piste. Je trouvai beaucoup mieux et
beaucoup plus près du local où s’effectuait le dessalage de l’eau
de mer qui alimente en eau potable les quelques civils et la
garnison.
Après les échanges de politesse avec le commandant de la garnison
( 2 Sections de Sénégalais avec leur Lieutenant, Commandant
d’Armes), une visite au Directeur de la Pêcherie et au responsible
du transformateur d’eau, nous décidâmes de lever l’ancre le
lendemain soir, en même temps qu’un aviso de la marine nationale
qui, comme nous prenait la route du sud.
Jumelles en mains, nous observions tous les parages de la baie
d’Arguin où le souvenir du radeau de la Méduse était bien connue
des marins canariens de la Frasquita, et tous les jours nous ne
cessions d’observer cette côte sans relief qui marquait l’horizon.
Nous ne vîmes rien de ce qui pouvait rester de l’avion Goliath de
Bossoutrot dont l’aventure avait fait couler tant d’encre à son
époque. Nous évoquâmes le mécanicien Coupet qui avait réussi à
faire, avec les moyens du bord, une petite distillerie d’eau pour
assurer le ravitaillement de l’équipage.
Quand la Frasquita franchit la barre pour entrer dans le fleuve
Sénégal et s’ancrer aux pontons de Saint-Louis, j’étais à cent
lieues de penser que le Colonel Gaden, Gouverneur de la
Mauritanie, allait me mettre en main les clés du désert et me
permettre d’assurer à coup sûr le succès de ma mission. Le
Gouverneur GSaden résidait à Saint-louis du Sénégal.
Dès qu’il eut pris connaissance de la lettre que le Maréchal
Lyautey lui adressait, je sentis, sur le champ, une telle
communion de pensée entre nous que je vis s’effacer les 2.800
kilomètres qui me séparaient du Maroc, puisque je retrouvais
l’ambiance de Rabat.
Le vrai chef de la mission Latécoère allait être le Colonel Gaden
et je n’avais qu’à écouter ses conseil que j’allais exécuter comme
des ordres.
Lorsque cette prise de contact fut terminée, nous continuâmes
notre route jusqu’à Dakar, afin d’aller voir le Gouverneur général
de l’Afrique Occidentale française, ainsi que les autorités
militaires. Sur le terrain d’aviation de Dakar, je retrouvai deux
amis sûrs : le Commandant de l’Air en A.O.F., le commandant
Tulasne, et mon camarade d’école aux Enfants de Troupe de Billom,
le Capitaine Gama.
A la conquête du désert. HAUT retour sommaire
Le Maréchal
Lyautey et le Colonel Gaden, Gouverneur de la Mauritanie
m’assurent les moyens qui sont les clefs magiques sans lesquelles
le succès se serait fait attendre longtemps. L’ancre jetée sur le
fleuve Sénégal au bord des quais de Saint-Louis, je me rendis au
rendez-vous que m’avait donné le Gouverneur Gaden, qui m’attendait
avec son meilleur sourire.
Dès les premiers mots, je sentis à nouveau que le vrai réalisateur
de la mission Latécoère était le Colonel Gaden. Ce fut dans une
stupéfaction admirative que je pris connaissance du plan.
Tout était prêt pour le départ : 38 chameaux du convoi de
ravitaillement, essence et huile nous attendaient. Le convoi
rentrait du ravitaillement des garnisons de Boutilimid et de
Mederdra et le Gouverneur les mettait à ma disposition ; 3 méharis
de selle avec raalla ( selle de méhari) les complétaient.
Enfin nous avions un Chef de convoi, et quel Chef : Le Cadi des
Bou Sba - Oulad El Baggui, descendant du Prophète dont l’ascendant
sur le personnel et sur nous-mêmes fut manifeste.
Je dois à ce
saint homme de bien profitables leçons : sur les documents remis
par le Gouverneur à Oulad El Baggui, les étapes étaient énumérées
et minutées, les consignes et recommandations précisées pour sa
mission dans le Rio de oro. De plus, le Lieutenant Charbonnier,
Commandant du Poste de Méderdra était avisé directement du départ
du convoi et devait me porter aide et assistance en cas de besoin.
Ainsi, je n’avais plus qu^à me laisser conduire.
Merci, mon Colonel, ma reconnaissance vous est acquise et ne vous
sera pas mesurée.
Quand mon méhari (baptisé oscar) se releva en m’élevant assez haut
pour que je puisse serrer la main du Colonel Gaden penché sur la
balustrade de la terrasse de la Maison de commandement, je me
demandais quel ménage j’allais faire avec ce magnifique animal
dont je ne connaissais aucunement le comportement.
Derrière le Cadi Oulaed El Baggui, je pris la piste et à la file
indienne la caravane s’ébranla de son pas lent pour une étape de
10 kilomètres environ, au bout desquels nous allions dresser notre
premier bivouac pour la nuit. J’allais apprendre ce qu’était la
vie d’un tel convoi tout au long d’une piste que connaissait le
guide et que rien ne marquait sur le sol.
A cette absence de renseignements, allaient s’ajouter les
difficultés créées par le comportement des chameaux, experts dans
l’art de se débarrasser de leur charge, et l’organisation du
campement, la nourriture des hommes du convoi et la nôtre. Celle
des chameaux consistait à laisser les bêtes libres de la trouver
dans les épineux qui nous entouraient ; quant à leur abreuvoir, il
n’était guerre difficile, car il se faisait quand la piste
longeait un marigot. Au matin, le rassemblement était lent car il
fallait récupérer les bêtes laissées toute la nuit en liberté.
Tout cela se faisait dans une ambiance de grande confiance, sans
heurts et sans cris inutiles, chacun s’occupant de sa tâche
particulière.
De temps en temps mais très rarement, un homme bleu croisait la
piste et auprès du campement, des enfants venaient, en curieux
apeurés, voir les hommes blancs.
La Mauritanie se montrait avec la douceur de ses habitants, et la
sécurité qui était de règle. Cela tranchait avec la vie dans le
Rio de Oro.
Jour après jour, les étapes se succédèrent et un soir nous avons
barraqué le convoi au bord du poste de Nouakchott. Ceux qui voient
aujourd’hui les réalisations faites à ce point d’eau, pour la
transformer en Capitale du genre Brasilia ( toute proportions
gardées) voudront bien admettre que le désert mauritanien a bien
changé en un demi-siècle.
Pas de possibilités d’aménagements rapides de terrain dans ces
vallées où les épineux tenaient la meilleure place, et nous fîmes
demi-tour pour nous installer plus au sud à M’Terert, une ancienne
lagune asséchée qui avait l’avantage de présenter une surface dure
et unie sur plus de 1 500 mètres et, orientée dans le sens des
alizés.
Une
reconnaissance sur les bords de l’Océan me permit de rendre visite
au lieu d’atterrissage de l’avion Goliath. Des débris informes en
marquaient la place. Pourtant, si quelqu’un de curieux dans
l’équipage avait franchi les dunes, il aurait peut.être pu
trouver, avec un peu de chance, un point d’eau à quelques
centaines de mètres du lieu d’atterrissage. Nous avons en effet
trouvé de l’eau ( certes magnésienne) en beaucoup de points tout
au long de notre parcours, parallèle à la côte et bien souvent à
moins de 400 mètres de la plage.
Sur la lagune, le terrain bien marqué, l’essence et l’huile
enterrées dans le sable, une peau de chèvre pleine d’eau installée
sur deux piquets pour servir de gargoulette aux équipages de
passage, tout était prévu. L’aérodrome de Nouakchott était né.
Les chameaux
déchargés, après une bonne nuit de repos, le convoi reprit la
route du retour sous la direction d’un chef chamelier.
Le Cadi Oulad El Baggui devait continuer sa mission vers le nord
et à travers le Rio de Oro afin d’aviser toutes les tribus dont le
terrain de parcours touchait la côte de notre passage avec des
avions. La mission qui lui avait été confiée par le Colonel Gaden
précisait qu’il devait s’attacher tout particulièrement à
convaincre les Chefs de tribu d’envoyer à Saint-Louis des
représentants pour palabrer avec le Gouverneur de la Mauritanie,
car cette haute personnalité avait des communications importantes
à faire et des propositions intéressantes au sujet du passage des
avions sur leurs territoires.
J’avais aussi projeté de quitter le convoi le lendemain pour aller
saluer à Mederdra l’Administration de la région. Au matin de la
séparation le Cadi Oulad El Baggui me convia à une cérémonie qui
aujourd’hui encore remplit mon cœur d’une émotion difficile à
contenir. Les chameliers, rangés sur deux rangs, leur bras droit
tendu à l’horizontale faisaient un pont sous lequel j’allai
passer, chaque homme bleu touchant à son tour de la main ma tête
inclinée.
Le Cadi m’attendait quelques pas plus loin. Lorsque j’arrivai
devant lui, il me baisa l’épaule droite et me dit :» Capitaine,
mon fils, le vrai ami est celui qui prend tes intérêts en ton
absence. Souviens toi que je suis ton ami et va ton chemin dans la
joie ».
J’avais les larmes aux yeux en rendant l’accolade à ce chorfa dont
je venais de recevoir la bénédiction. J’avais eu l’occasion à
plusieurs reprises de me pénétrer de ses pertinentes remarques.
A la veillée, il m’avait dit un jour : » Mon fils, avec ta
barraca, le cadavre de ton ennemi passera toujours devant ta porte
».
J’avais demandé en riant : «Cadi, est-ce que je serai devant la
porte pour le voir passer?». En haussant les épaules il avait
répondu : «Mon fils, tu ne crois pas en ton Dieu? Dommage!» Et un
autre jour : «Mon fils, la chose qui t’arrive sera toujours la
meilleure qui puisse t’arriver, même si tu crois que c’est un
malheur».
Et encore : «La difficulté n’existe pas. Cherche l’homme».
Aujourd’hui encore je mesure la valeur philosophique de cette
prédiction.
Très tôt le lendemain de ces adieux, en compagnie du guide désigné
par Oulad El Baggui, je pris la piste vers l’ est. Je désirais
arriver aux abords de Mederdra avant la nuit, bien que mon guide
m’ait assuré qu’en trottant le matin, à midi et le soir, nous en
serions encore loin. (vingt cinq kilomètres en ligne droite).
Evidemment, à l’allure de son chameau, cela serait certain. Alors
je lui proposai d’attacher son méhari à la queue du mien pour
qu’Oscar puisse mener le train. C’est ainsi qu’à la tombée de la
nuit, nos montures bien fatiguées pouvaient se reposer pour
reprendre la route vers notre convoi.
Mon guide, fatigué par le trajet trop rapide à son goût, ne désira
pas repartir le lendemain. C’est avec un regeibat qui ne parlait
pas français que Charbonnier me permit de partir. (Ce guide
connaissait un itinéraire plus court à travers les marigots, où
l’eau arrivait à mi-ventre des chameaux). Je partis le lendemain
de bonne heure pour rejoindre un campement à 200 km environ avant
le coude du fleuve Sénégal à Biach où je devais passer la nuit.
A l’arrivée, j’offris un mouton aux habitants de ce petit
campement où une jeune fille bleue, belle comme Antinéa, monta ma
tente.
Au coude de Biach, je retrouvai le convoi qui venait juste
d’arriver par la piste suivie à l’aller. Le voyage avait été sans
histoire.
Ce fut ensuite un jeu de rejoindre Saint-louis où j’arrivai avec
une fièvre de cheval, car les moustiques de Biach m’avaient collé
un bon paludisme. Trois jours de repos me remirent d’aplomb en me
permettant de me faire gâter par le Colonel Gaden. Après ces 500
km en méhari, je réintégrai mon cercueil au carré de la Frasquita,
et le lendemain, l’ancre était levée pour prendre le chemin de
Port Etienne.
Le retour à Casablanca HAUT retour sommaire
Le Colonel
Gaden remet 8 sacs de courrier à jeter le long du trajet entre
Port-Étienne et Cap Juby sur les zones de parcours des diverses
tribus du Rio de Oro. Les trois avions allaient revenir au bercail
à Casablanca et je pensais que ce retour serait moins pénible que
l’aller.A l’escale de M’Terert, le moteur qui avait causé des
soucis à Cueille allait obliger l’équipage à attendre le dépannage
de Dakar. Georges Louis, dans un récit qu’il fit de son voyage, en
retrace toutes les péripéties avec des termes qui montrent combien
cette panne fut amusante et instructive pour tous, Nous atterrîmes
à Port-Étienne à la nuit. Les alizés qui soufflaient, avaient bien
réduit notre régime de croisière, et dès que le phare du Cap Blanc
brilla à l’horizon, Hamm piqua vers lui en droite ligne à travers
le large passage de la Baie du Lévrier pour atterrir avant la
nuit. J’avisai de ce détail par un message à Delrieu, sur lequel
il me fit la réponse suivante:
"Atterrir de nuit n’est rien. Faire un trou dans l’eau c’est la
fin des haricots". Quand Don Luis Delrieu avait décidé quelque
chose, ce n’était pas la peine d’aller contre. Je m’armai de
patience car c’était s’allonger de près de 50 km que de faire le
tour de la baie du Lévrier. Aussi, au bout d’un moment et en un
lieu qui me paraissait propice pour traverses, je tendis un
nouveau message: "Coupons ici, nous gagnons cinq minutes".
Cela me valut cette réponse qui est devenue depuis ma règle
impérative lors de mes déplacements en automobile: "Que sont cinq
minutes au regard de l’éternité" que Delrieu avait signé "Pascal".
J’étais définitivement gagné à la manière de voir de ce grand
pilote qui alliait une belle prudence à sa grande virtuosité dans
l’art de piloter nos armoires à glace.
Les avions atterrissent de nuit dans d’excellentes conditions.
Nous allons attendre ici des nouvelles de M’Terert.
Quand nous repartîmes, deux jours après, nous savions que le
dépannage de M’Terert ne saurait se faire avec nos faibles moyens
du bord et je décidai de continuer vers le Nord, et que seule,
l’aviation militaire de Dakar ferait le nécessaire.Tout alla
parfaitement jusqu’à Cap Juby, mais arrivée là, un fait nouveau
modifia notre horaire.
De Massimi, piloté par Vannier avec Vergès comme mécanicien, était
venu de Toulouse pour étudier la liaison Madrid-les Canaries. Les
ordres étaient d’attendre son retour à Juby pour voyager de
concert sur Agadir et Casablanca.
Trois jours après, de Massimi et son équipage étant de retour,
nous reprenions le départ vers Agadir où nous trouvions les
difficultés de ravitaillement qui, comme à l’aller, allaient être
la cause d’un retard, obligeant Vannier à passer la nuit à
Mogador. Delrieu aima mieux opter pour le bled entre Safi et
Mogador.
Quant à Hamm, son intrépidité le mena au-dessus de Casablanca où
il tourna en rond jusqu’à ce que les feux de position soient
allumés sur le camp Cazes. Le lendemain matin, et sans incident
nouveau, les amis casablancais, alertés par Hamm et Lefroid , nous
recevaient avec toutes les marques d’une joie affectueuse, qui
nous payait bien au-delà des efforts accomplis. Quelques jours
après, l’aviation militaire de Dakar dépannait l’avion de Cueille
et l’équipage rejoignait Dakar où il s’embarquait à bord d’un
transatlantique qui le ramena à Casablanca. La mission qui avait
porté le premier courrier aérien à Dakar était terminée dans des
conditions suffisamment heureuses pour permettre d’envisager
l’avenir avec confiance. Hélas, je devais déchanter dès
l’ouverture de la Ligne sur Dakar. La tactique du Colonel Gaden
sur la sécurité du personnel dans le Rio de Oro étant jugée
aléatoire par les responsables de La Ligne, une autre méthode fut
mise en œuvre.
Les résultats, à mon humble avis, ne changeront pas mon jugement
sur la compétence de chacun, ni sur la question .
Pour marquer le retour de Cueille et Bonnort, sans oublier Georges
Louis, une fête devait avoir lieu mais elle ne put revêtir le
faste qu’elle se proposait pour un motif qui vaut la peine d’être
relaté.
La veille de cette manifestation, le temps étant plus que douteux,
le pilote courrier, Cassagne, allait du bureau à la rue un peu
trop souvent pour ne pas attirer l’attention de Cueille qui
observait cette manœuvre insolite de la part d’un pilote sûr de
lui. Inquiété à son tour, il s’approche de Cassagne et lui dit
avec infiniment de tendresse:
"Tu as peur, hein, ne mens pas - J’assurerai le courrier demain,
Dépose la démission tout de suite, car ça vaudra mieux pour toi,
Je partirai à ta place"
Cueille manqua à ses amis pour la fête, mais les témoins de
l’intervention de Cueille ne pouvaient qu’applaudir cette
conception du devoir en de telles circonstances.Cassagne quitta la
Ligne. Cueille venait sûrement de lui sauver la vie. Quels hommes,
étaient ces pilotes courrier du temps de la "Chimère", comme les a
baptisés si justement l’écrivain Jean Fleury dans son livre " La
Ligne ".
Après le raid HAUT retour sommaire
Une conférence
aux Anciens Centraux.
Devant cet auditoire de choix, j’expose les problèmes que pose le
transport du Courrier, les solutions permises en 1922; l’avenir
que la Ligne peut espérer et qui dépend du choix dans le matériel,
dans celui des hommes, et surtout dans celui du Chef.
Je repris le train train quotidien de mes occupations qui étaient
faites de réceptions en l’honneur des invités de Pierre Latécoère
et de de Massimi et aussi de visiteurs de marque, tous
impressionnés par l’atmosphère de grande sympathie dont les
Casablancais entouraient La Ligne.
C’est ainsi que j’eus l’honneur de recevoir, entre autres, André
Michelin (dont la famille connaissait les parents de ma femme),
qui avait fait le projet de réunir à Casablanca un Conseil
d’Administration de la Société. Mais les 2 places disponibles dans
chaque avion étant retenues à l’avance par notre clientèle
régulière, cela ne permit pas d’envisager cette réunion.
Par la suite, je rendis visite à André Michelin au boulevard
Péreire, chaque fois que j’étais convoqué par Pierre Latécoère à
Paris, et chaque fois je constatais le même intérêt pour La Ligne
que je défendais ardemment contre Henri de Kerilis de "I’Écho de Paris" qui, faisait
des conférences présidées justement par André Michelin, et dans
lesquelles il se posait en accusateur du Gouvernement qui aidait
les lignes aériennes qui coûtaient de l’argent à la France, alors
que tous les efforts devaient tendre en faveur de l’aviation
militaire.
Ces conférences, titrées "Face à l’Est" n’entraient pas dans mes
vues et mes protestations verbales écrites, auraient pu me valoir
d’être traduit devant les tribunaux par le dit Kerilis qui
entretenait des relations non dépourvues d’intérêts pécuniaires
dans une Société qui représentait les Dorniers allemands à Madrid.
Le Capitaine aviateur Franco, frère du Général Franco, futur chef
du gouvernement espagnol, m’en avait fourni la preuve formelle par
des faits précis, A noter que le Capitaine Franco avait partie
liée avec la firme Dornier. Me montrant à Nador, son magasin de
ravitaillement, il m’avait assuré que jamais un boulon français
n’aurait sa place dans ces tiroirs, Ses confidences étaient prises
à bonne source.
Les anciens de Central à l’aéro-club du Maroc HAUT retour sommaire
L’Aéro-club
continuait à intéresser les Casablancais et nous y recevions
beaucoup de personnalités de passages, C’est à l’occasion de la
réception des anciens élèves de l’ École centrale en voyage au
Maroc que je fus prié de prendre la parole pour exposer l’œuvre
d’un ancien de l’École Centrale, Pierre Latécoère. Je voulais
aussi définir en détail le programme de l’Aéro-Club du Maroc; nos
points de vue sur l’aviation marchande, son but et ses moyens.
Voici ce que je développai devant cet auditoire de qualité :
"Exprimer tout ce qu’il y a d’intéressant à dire sur l’ Aviation
marchande, telle que nous la concevons, telle que nous, Marocains,
la voulons, et telle que nous croyons pouvoir la réaliser, nous
entraînerait trop loin. Nous nous bornerons à vous dire que dans
ce pays où l’aviation marchande a conquis droit de cité, vous
n’entendrez aucune théorie formulée en des termes à grand fracas,
Nul ne vous dira ce que sera l’Aviation dans 10 ans, Nul ne
s’extasiera ni sur les bolides de demain ni sur les paquebots
aériens de l’avenir. Vous n’entendrez parler que de l’aviation
d’aujourd’hui, de celle que nous avons ici et qui suffit pour
l’instant à notre bonheur.
Mais nous vous donnerons aussi la manière de s’en servir. Nul ne
vous soufflera mot des possibilités futures ainsi que du rendement
commercial lorsque la routine sera vaincue.
C’est qu’ ici, où la routine n’est pas, nous savons où nous
allons, et nous connaissons les facteurs qui assurent le succès.
Vous n’entendrez pas les lamentations vides d’arguments dont les
professionnels de la propagande aérienne en France vous abreuvent
quotidiennement et dont les résultats sont bien minces.
Ici, ouvrez tous les journaux du Maroc, vous jugerez de la place
qu’y tient l’action aérienne et vous retiendrez surtout la forme
vraiment efficace que prend cette action.
C’est que dans le Maroc aérien, c’est-à-dire dans tout le Maroc,
en matière d’aviation, le bourrage de crâne n’est pas possible.
L’avion passe ou ne passe pas: il passe.
Le courrier arrive ou il n’arrive pas: il arrive.
Tout est là.
Il nous est agréable de constater à l’heure actuelle que nos
avions passent en toutes saisons et que le courrier nous arrive
par n’importe quel temps.
Et cela seulement nous intéresse.
Mais nous nous y intéressons prodigieusement
Tout au long de l’exposé que je vais avoir l’honneur de vous
faire, nous vous présenterons l’avenir de notre aviation
marchande, basé non sur des données hypothétiques, mais bien sur
des faits et chiffres précis, contrôlables et contrôlés.
Nous nous essaierons à vous démontrer combien la désastreuse
politique actuelle d’économies de bouts de chandelle compromet
gravement la sécurité de nos équipages sur l’unique route aérienne
du monde dont le rendement commercial soit assuré. Sa haute portée
politique exigerait l’appui immédiat de notre gouvernement dont la
seule excuse à mes yeux est d’être insuffisamment renseigné.
Le système actuel d’exploitation sur Casablanca-Dakar nous
conduira à de cruels mécomptes, nous en sommes malheureusement
persuadés et notre personnel en fera les frais.
La liaison aérienne France-Afrique est d’une importance vitale.
Parmi les pôles d’attraction qui sollicitent notre activité
nationale, les possessions françaises en Afrique méritent de
passer au premier plan. Elles offrent en effet, à notre industrie,
un domaine d’expansion où elle n’a pas à craindre de semer pour
l’étranger. Son étendue est telle qu’elle pourrait constituer pour
nos énergies un stimulant comparable à ce qu’a été le Far-West
pour les Américains.
On s’est donc tourné vers elle tout naturellement, pour y trouver
un placement de nos efforts aériens puisqu’ à notre époque c’est
l’ampleur de l’effort dans telle ou telle branche qui peut seule
en assurer la maîtrise.
Une sélection rigoureuse doit présider à notre choix.
Comme pour l’effort naval, il nous manque le nerf essentiel: le
carburant.
L’Angleterre peut poursuivre une politique de marine marchande
dont seul son budget intérieur fera les frais. Elle imposera ses
contribuables pour soutenir ses marins et ses armateurs, mais ces
contributions iront aux charbonnages anglais et à ses armateurs.
Le pays ne sera pas appauvri d’un penny pour conquérir les routes
navales.
Les mêmes conditions ont permis à l’Allemagne l’ascension
surprenante de sa marine marchande grâce à une politique qui
pourrait paraître hardie, mais dont toute la hardiesse était
d’ordre purement intérieur, échappant complètement à l’étranger.
Au contraire, si la fabrication des avions profite à l’industrie
française, leur utilisation éprouve lourdement le contribuable,
car l’aviation ne peut se soutenir que grâce à des subventions d’
État qui ne reviennent pas intégralement dans le pays, puisque
toute la consommation de nos avions est achetée à l’étranger.
Un récent accord avec la Pologne au sujet de la fourniture
d’essence peut donner à cette exportation de francs, une
destination plus heureusement politique sans la faire cesser.
Donc, en attendant que cette politique du pétrole, dont la guerre
nous a durement fait comprendre la nécessité, produise ses fruits,
il convient de sélectionner afin d’atteindre un double objectif ne
pas nous laisser dominer brutalement par l’aviation étrangère et
nous défendre le plus économiquement possible.
Deux conditions essentielles régissent cette sélection, pour que
l’aviation marchande mérite l’effort de notre pays, il faut :
1) Qu’elle jouisse d’une supériorité manifeste sur les autres
modes de locomotion.
2) Qu’elle ait une clientèle.
L’expérience a déjà surabondamment prouvé en France que l’aviation
ne pouvait prétendre à concurrencer le chemin de fer.
On ne trouve à l’heure actuelle d’exception qu’à la faveur d’une
clientèle particulièrement abondante et riche comme entre deux
capitales: Paris- Bruxelles, Paris-Londres.
Calculons en tenant compte de ces deux conditions, les différentes
sollicitations tant de l’Empire français d’Afrique que de
l’Amérique du Sud.
Une seule ligne aérienne de France-Afrique a réussi jusqu’ici ;
mais il convient d’ajouter qu’elle a dépassé en trafic postal et
en régularité toutes les autres lignes françaises.
C’est la ligne Toulouse-Casablanca, due à l’initiative et à la
direction de Pierre Latécoère.
Elle fut inaugurée le ler septembre 1919 avec un service
bi-heddomadaire.
Cette formule se révéla vite défectueuse parce qu’elle ne
permettait pas de marquer nettement un avantage sur le courrier
maritime. Aussi la périodicité fut-elle augmentée jusqu’à devenir
quotidienne en 1922.
De même, la recherche du rendement fit apparaître que si, au
début, il était possible de s’arrêter à Rabat, il était
indispensable de la prolonger jusqu’à Casablanca.
Soutenue par ces deux facteurs de supériorité, dans la vitesse
régulière et dans la clientèle suffisamment nombreuse, la Ligne
vit récompenser le dévouement et l’audace de son personnel.
En 1919, du 1er septembre au 31 décembre, la Ligne Toulouse-Rabat
a transporté par avion 9 124 lettres pesant 156 kg.
En 1920, la Ligne Toulouse-Casablanca a transporté 182 061 lettres
pesant 3 252 kg.
En 1921, elle a transporté 327 805 lettres pesant 6 337 kg.
En 1922, elle a transporté 1 047 352 lettres pesant 33 635 kg.
En 1923, elle a transporté 2 591 173 lettres pesant 55 364 kg,.
Elle atteint maintenant plus du tiers du courrier total du Maroc.
En outre, le nombre des passagers augmente régulièrement Il
atteignait 750 en 1922 pour arriver à 1 344 en 1923, et ce chiffre
progresse régulièrement, quoiqu’il n’y ait que 2 places dans
chaque avion.
Actuellement, 70 avions assurent le service de la Ligne
Toulouse-Casablanca qui fonctionne sans interruption et par toutes
les saisons. Les départs ont lieu de Toulouse à 9h du matin tous
jours. L’arrivée a lieu à Casablanca le lendemain vers midi.
En été, les départs ont lieu à 6h et le voyage se fait dans la
même journée.
Un voyageur quittant Toulouse le matin peut coucher à Casablanca
le jour même. L’avion fait escale à Barcelone, Alicante et Malaga.
Halte à Tanger et à Rabat, avec changement de pilote à chaque
escale.
Les avions de la Ligne Toulouse-Casablanca ont parcouru à l’heure
actuelle, c’est-à-dire au 1er décembre 1923, plus de 4 100 000 km,
soit plus de 100 fois le tour du monde, décomposant en:
173 900 km en 1919
553 450 km en 1920
1 171 200 km en 1922
1379 250 km en 1923
En octobre 1922 la Compagnie Générale d’ Entreprises aéronautiques
(Lignes Aériennes Latécoère) a inauguré la ligne Casablanca-Oran
par Rabat et Fez. Le service est actuellement limité à 2 courriers
par semaine (aller et retour), Enfin cette année, la Ligne a
poussé une antenne jusqu’à Marseille. Le courrier partant de
Marseille de bon matin rejoint l’avion postal à Perpignan et lui
remet sa correspondance qui peut ainsi arriver à Casablanca en
même temps que celle de Paris et de Bordeaux.
Le seul perfectionnement désirable serait de faire partir la Ligne
de Bordeaux où le courrier de Paris arrive plus tôt le matin qu’à
Toulouse, L’horaire en serait très facilité et les avions
pourraient, sauf pendant les jours les plus courts de l’année,
boucler le parcours dans la même journée.
Cependant, depuis la création des Lignes aériennes Latécoère
France-Maroc, de nombreux autres projets ont vu le jour et même le
jour de l’inauguration, Alger, Tunis, Oran, n’ont pas été sans se
piquer d’émulation à l’annonce que leur cadette Casablanca
expédiait son courrier à Paris dans les 24 heures quotidiennement,
La richesse financière de l’Algérie lui a même permis de faire un
gros effort de subvention pour appeler des avions, soit par un
embranchement sur la ligne France-Maroc, soit par une ligne
directe de Marseille.
Des hydravions ont tenté d’abord l’escale de Corse, puis la
traversée jusqu’à Tunis.
Sauf l’embranchement Casablanca-Oran, aucune de ces lignes n’a
encore fonctionné normalement; cependant que France-Maroc est
quotidien dans les deux sens et régulier depuis plus de 4 ans.
C’est que par mer, il faut un minimum de 3 à 4 jours entre la
France et le Maroc et que la marche des paquebots coûte trop cher.
Le Maroc a connu un Service maritime mensuel puis bimensuel, puis
hebdomadaire et aujourd’hui, au meilleur moment de la saison, un
courrier tri-hebdomadaire met 5 jours pour venir de Paris.
Mais l’avion est quotidien à 24, 36 ou 48 heures au plus de Paris,
Si l’on calcule en "commerçant" qui considère l’échange de
courrier, on trouve un écart d’une semaine entre la réponse par
bateau et la réponse par avion.
La supériorité aérienne est donc manifeste pour le Maroc.
Au contraire, les ports d’Algérie et de Tunisie sont reliés à
Marseille et à Port-Vendres par des paquebots très rapides dont
les services divers peuvent se conjuguer au moyen de chemins de
fer à voie normale d’Algérie.
Le gain par avion subsiste bien, mais n’est pas suffisant pour
s’imposer.
Les projets en cours et à l’étude HAUT retour sommaire
Cependant
l’Algérie, poussée par une émulation de modernisme essaya d’un
autre côté.
Appliquant la première formule de la supériorité de la vitesse de
l’avion sur les autres moyens de communication, une ligne
Alger-Biskra commença à fonctionner. Son but était d’atteindre le
Niger. Les premiers résultats prouvèrent que le courrier
transporté était décevant et que même arrivant au Niger, il ne
parviendrait pas à être intéressant.
La recherche d’une clientèle aérienne est donc la base primordiale
du succès et avant d’en espérer une, il aurait fallu effacer le
souvenir du Général Laperinne mourant, introuvable dans la
solitude du désert.
D’ailleurs, les prix de revient de la locomotive aérienne dans ces
contrées sont hors de nos moyens.
On pourra certes améliorer les conditions de ravitaillement, mais
avant d’ en décider, considérons que la première traversée
aérienne du Sahara a coûté une centaine de millions pour deux
avions à l’aller seulement.
Messieurs, veuillez bien calculer vous-mêmes le prix de revient
d’une ligne régulière.
Il faut donc, pour trouver un peu de clientèle, chercher une
capitale, c’est-à-dire un centre postal.
Ce choix n’est pas douteux.
Dakar, capitale de l’ A.O.F. présente déjà la centralisation de
tout le courrier France-A.0.F. En outre, port d’escale de l’ancien
continent le plus rapproché de l’Amérique du Sud, il peut
prétendre à transiter le courrier de l’Afrique du Sud vers
l’Amérique du Sud.Voilà ce qui nous change de Biskra et du désert.
Une simple
évaluation. HAUT
retour
sommaire
Comment joue
la première formule de supériorité aérienne sur cette grande route
internationale -
Les Courriers maritimes les Plus rapides mettent en moyenne près
de 10 jours de Dakar en France et 8 jours de Dakar à Lisbonne.
Or le raid improvisé des 3 avions de la Ligne Latécoère en mai
1923, a été accompli en 3 jours de Casablanca à Dakar et a
démontré qu’en organisation normale, la liaison Pouvait aisément
se faire en deux jours.
C’est donc Dakar à 4 jours de Paris. De même Londres, par
combinaison de rapides de nuit portant à Paris le Courrier aérien
et de la ligne d’avions Paris-Londres, se trouvera à 4 jours au
plus de Dakar et celle circonstance attirera la grosse clientèle
postaIe du Dominion britannique de l’Afrique du Sud.
Bruxelles, autre capitale intéressée à l’Afrique, offrira
également sa clientèle.
Le gouvernement belge a même déjà commencé à s’intéresser à la
Ligne France-Maroc.
Ses courriers maritimes sont en liaison à Casablanca, avec le
courrier d’avion en provenance ou à destination du Congo belge.
Cependant, il ne s’agit que d’un gain de deux à trois jours. A
plus forte raison, la voie aérienne sera-t-elle empruntée lorsque
ce courrier aura à son actif un gain de 6 jours ?
Ajoutons une considération d’homme d’affaires.
Le télégramme de Casablanca-Paris coûte 30 centimes le mot et
:celui de Dakar-Paris coûte 3,50 F. Pour l’Amérique, les
correspondances européens des grandes affaires sud-américaines et
sudafricaines auront intérêt à posséder à Casablanca des Agences
qui seraient, comme actuellement à Lisbonne, port d’escale
postale, un relai de courrier. Elles n’y gagneraient pas seulement
du relevant de la Bourse ou des Agences de Paris.
Sans nous perdre dans des statistiques compliquées et pour nous
inspirer simplement de l’expérience, nous calculerons que le 1/16è
du courrier qui transite actuellement par Lisbonne seulement,
suffirait à alimenter cette ligne en courrier postal sans avoir
besoin de la clientèle voyageurs. Le courrier étant le frêt de
beaucoup le plus rémunérateur, le rendement financier de la ligne
serait de 15 fois plus élevé que celui de France-Maroc, alors que
son exploitation ne coûterait certes pas plus de 3 fois plus cher,
à cause dela distance. Or, l’actuel courrier France-Maroc a
conquis le 1/3 exactement du trafic postal marocain. On voit donc
que la prétention de capter le 1/16 du courrier transitant à
Lisbonne sans compter le courrier de Bordeaux qui est, lui aussi
fort important, n’a rien que de très modéré.
L’actuel tracé
du Transaharien peut troubler certains esprits dans cette course
vers le terminus continental de Dakar.
Des arguments qu’il ne nous appartient pas de discuter ici, ont
été vulgarisés autour de cet itinéraire, Disons qu’ils
s’appliquent à une ligne de chemin de fer, non à une ligne
d’avions et qu’ils se réfèrent à une question militaire non
postale.
Pour l’avion postal, le choix de l’itinéraire ne doit tenir compte
que du plus court chemin à la seule condition qu’il soit possible.
Les études publiées à la suite du raid Casablanca-Dakar
(Illustration du 4 août 1923, les Ailes, l’Air, la brochure
"Casablanca-Dakar à bord d’un avion postal Latécoère" éditée par
la vigie Marocaine, dont Georges Louis, rédacteur en Chef, prit
part à ce raid) ont démontré que non seulement l’itinéraire côtier
choisi par la mission était le plus court, qu’il était "possible",
mais encore qu’il réunissait les meilleures conditions que l’on
puisse souhaiter. Nous énumérerons simplement ces avantages :
Pas de montagne à franchir.
Route constamment évidente puisqu’il suffit de suivre le rivage
Facilité d’atterrissage en cas de panne sur n’importe quel point
de la côte depuis l’oued DRA.
Existence de postes avec garnison et T.S.F. au bout de chaque
étape normale.
Facilité et modicité du ravitaillement puisque tous les aéroplaces
sont sur le bord de la mer.
Climat plus tempéré.
Avion ou Hydravion HAUT
retour
sommaire
Les meilleurs
principes ne valent que s’il se trouve des hommes courageux et
compétents pour en assurer le choix. On dit volontiers que la
France découvre toujours aux moments désespérés de son histoire
des hommes nécessaires.
Mais est il donc besoin d’attendre le dernier palier du désespoir
pour chercher ces hommes et leur faire confiance?
Notre aviation, défavorisée par notre manque de carburant, doit
soutenir un combat très serré pour garder son rang dans la
compétition internationale sans ruiner la nation elle-même. Il lui
faut donc des chefs de premier choix possédant une expérience de
vieux capitaines qui leur permette d’éviter la casse et
d’atteindre l’objectif avec le minimum de pertes.
Ces chefs doivent en outre s’être formés dans ce sens spécial du
dévouement au Pays, qui caractérise les vrais grands soldats,
parce qu’il limite l’ambition personnelle, en dégage totalement la
mission à accomplir.
Dans cette période où l’aviation marchande exige de la nation un
tel effort, il lui faut des industriels qui sachent limiter leur
caractère d’hommes d’affaires pour être par-dessus tout des
serviteurs de la Patrie.
Je sais qu’une telle proposition jure un peu avec l’ambiance
spéculative d’aujourd’hui, avec l’aggravation, la corruption du
struggle for life anglo-saxon dont la brutalité originelle
s’acoquinerait volontiers chez nous d’un certain byzantinisme
importé du levant.
Il faudra cependant revenir à cette conception du civisme
nécessaire chez les grands chefs de notre industrie.
Le temps est passé où le militaire et le politique pouvaient
assumer la responsabilité de la nation. Aujourd’hui un peuple
dépend de ses chefs d’industrie comme ils s’appuient eux-mêmes sur
les richesses matérielles et morales de la nation. Ce ne sont plus
des artisans libres dont l’existence personnelle est en dehors de
la vie politique, Ils ont des privilèges comme l’ancienne
aristocratie chargée de la défense du territoire commun. On a
raison de demander leurs noms. Ils appartiennent à l’ opinion.
Nous n’avons, en ce qui concerne ce chapitre du Sud qu’un nom à
citer. Mais quatre années d’épreuve le soulignent et répondent de
lui : c’est le nom de Pierre -Georges Latécoère.
Certes, les mêmes conditions industrielles que nous invoquions
tout à l’heure ne permettent pas à un seul homme d’être tout dans
une affaire. Autour de Latécoère, il faudrait citer de nombreux
autres dont le dévouement, l’ardeur et cette belle objectivité de
" Serviteur du Pays " ont fait des collaborateurs précieux.
Mais à toute affaire, il faut une tête dont la pensée, souvent
même le sentiment, suffit à orienter toute l’impulsion.
Il n’est donc pas injuste de se rallier à un seul nom qui désigne
à la fois un chef et son équipe.
Latécoère, après avoir étendu sa construction de wagons en série,
commença à fabriquer des avions sur diverses licences et conçut sa
vocation d’ Organisateur de Lignes Aériennes.
Organisation où l’on sent la double tradition de l’Ingénieur et de
l’Iindustriel, le double souci des conditions techniques et de la
clientèle, qui devaient l’orienter vers ce Maroc où les conditions
de l’utilité et du succès se trouvent parfaitement réunies.
Pour mieux se consacrer à cette œuvre, il négocia ses usines en
pleine prospérité, ne gardant que ses Ateliers d’aviation.
C’est qu’il avait trouvé un but à sa vie, une de ces œuvres de
longue haleine dont l’ampleur, les difficultés et la beauté
peuvent, à l’exclusion de toute autre passion, suffire à une
existence, absorber même ce " Mal des ardents" dont parle un de
ses plus proches collaborateurs.
Latécoère a rêvé d’atteindre un jour l’Amérique, non point en
raid, mais en Ligne organisée, régie, commercialisée.
Il est désormais l’homme d’une idée.
Il ne pourra s’en évader pour retrouver sa libre personnalité que
lorsque nos avions atteindront Pernambouc, de l’autre côté de
l’Atlantique, à la pointe la plus rapprochée de l’Amérique du Sud.
Il n’ignore point que c’est un esclavage de longues années qu’il
souscrit là, pour un résultat que l’état actuel de la science
laisse encore incertain.
Il n’y cherche pas la fortune puisqu’il l’avait déjà, Il l’a
plutôt asservie à une œuvre difficile.
Il n’a pas davantage cherché une gloire que sa timidité lui
rendrait insupportable. L’impulsion de Latécoère paraît ainsi plus
subjective qu’objective car elle émane d’une vocation.
Nous croyons vous avoir démontré que cette idée répondait
précisément au meilleur programme que la France puisse se tracer
actuellement dans ses efforts aériens hors d’ Europe.
Interview du colonel Roig, publié le 30 janvier 1965 par Georges Nieter (coll Didier Lecoq source) HAUT
L'aventure africaine.
Toutes les têtes brûlées de l'armée française semblaient s'être
donné rendez-vous au Maroc dès 1929. Parmi tant de chefs dont les
noms allaient devenir célèbres, les aviateurs se montraient les
plus intrépides, sinon le plus turbulents. Déjà, l'émulation
jouait. Ils rêvaient tous de rejoindre Dakar par la voie des airs.
C'était le mirage des villes interdites, le dangereux survol du
désert. A Rabat, à Casablanca, les langues allaient bon train,
surtout après l'échec de Bossoutrot, obligé de se jeter sur les
côtes de Mauritanie entre mer et sable.
Le Capitaine attendait son heure. Elle vint en 1922.
La paix avec le sol.
OUVRIR la voie jusqu'à Dakar représentait, à cette époque, une
énorme somme de dangers. Pilotes ou mécaniciens avaient le choix,
fort électrique, de mourir écrasés sur le sol à la suite d'une
panne moteur, se perdre en mer à la moindre faute de navigation,
se faire assassiner par les tribus rebelles qui peuplaient
le Rio de Oro et la Mauritanie, mourir de soif sous l'aile
d'un "coucou" en panne d'essence, au fond d'une vallée perdue et
torride de cette immensité sablonneuse.
Préparer les étapes.
POUR un aviateur de cette époque, l'étape était avant tout l'huile
et l'essence que réclamait l'appareil. Incidemment, la nourriture
pour les hommes.
En septembre 1922, il monta à bord d'un cargo aménagé pour le
transport des bananes, chargé cette fois, de fûts. La "Frasquita";
ancien yacht de Jacques Lebaudie, qu'on appelait l'Empereur du
Sahara, bourlingua pendant trois mois tout au long de cette côte
de solitude. mal de mer, Haine de cet Atlantique sans fin, comme
le désert, dans lequel avaient sombré, déjà tant d'équipages. La
"Frasquita" faillit même faire naufrage à l'embouchure du Sénégal,
à la suite d'un échouage.
Après une lutte de tris mois, la capitaine Roig dur s'avouer
battu. La triple et énorme barre qui défendait la côte ne
permettait pas la constitution de points d'escale. Le déchargement
des fûts devenait, à chaque fois, un exploit.
Battu mais non vaincu. Ce qu'il ne put avec la "Frasquita", il le
fit à dos de chameau. En tête de la longue colonne de méhara, il
reconnaissait les meilleurs points, enfouissait dans le sable
l'essence te l'huile pour les protéger de l'évaporation et de la
destruction, traçait, à la chaux un terrain de six cents mètres de
côté, palabrait avec les notables, et représentait la France. A
ses côtés marchait l'homme bleu, son ami Oul el Baggi, cadi des
Bousba, descendant du prophète. Auprès des grands silencieux
qu'étaient les aviateurs défricheurs de la ligne, cet homme était
le silence même. Mais lorsque le capitaine vint le saluer, au
matin de son départ, il reçut la bénédiction charia, accompagnée
de ces mots:
- Pars tranquille, capitaine, mon fils. Le vrai ami est celui qui
prend tes intérêts en ton absence. Souviens-toi que je suis ton
ami, et va ton chemin dans la joie.
Et puis encore:
- La difficulté n'existe pas. Cherche l'homme.
Et louer le ciel... par mensualités
Le capitaine Roig avait vaincu le sol. Il lui fallait encore
réduire les tribus toujours en effervescence en cette partie de
l'Afrique. Les réduire par les armes? Tâche trop longue et peu
élégante pour ses galons rouges d'aviateurs.
A l'aide du colonel Gaden, il réunit un jour les responsables des
onze tribus dont le territoire s'étendait, le long des côtes,
depuis le Maroc jusqu'au Sénégal. Au cours de la palabre, il
promit un billet de cinq francs pour chaque de chaque tribu. les
guerriers acceptèrent cet étrange et riche marché et louèrent
ainsi leur ciel aux Français. Ils promirent même, d'aider les
équipages en difficultés. Et c'est ainsi que le capitaine Roig,
pendant des mois, survola le marabout d'Ifni, en lâchant, dans
l'enceinte, un petit sac contenant la location d'un bout de ciel
africain: un tas de billets de "cent sous".
Il réussit !
Le départ pour Dakar eut lieu le matin du 3 mai 1923, dans les
plus mauvaises conditions atmosphériques. Toute la nuit, la
tempête fit rage, et toute la nuit, il fallut déplacer les avions
afin de les protéger contre les rafales et les tôles qui
s'envolaint comme d'immenses et dangereux oiseaux.
Sns doute, le capitaine Roig avait-il aux oreilles les mots du
maréchal Lyautey qui l'avait reçu peu de mois avant:
- Tu ne reviendras pas, petit... Pourquoi t'obstines-tu?
Les Casablancais, eux, pensaient bien que le chef de cette
expédition ne serait pas assez fou pour respecter l'horaire. A
l'heure dite, trois Bréguet 14, pilotés par Delrieu, Cueille et
Hamm, accompagnés par un journaliste de choc, Georges Louis de la
"Vigie Marocaine", s'enfonçait dans le coton en direction du Sud.
- Dans le premier avion, dit plus tard le capitaine Roig, je
brûlais les quelques fusées-signal pour rallier les camarades, car
je n'apercevais plus la flamme des pots d'échappement, qui, dans
la nuit, auraient pu nous servir de repères.
A l'aube, les trois avions s'étaient perdus de vue. Pourtant,
trois heures après, ils se retrouvaient par le travers de Mogador,
puis sur la baie de d'Agadir. L'expédition était de nouveau au
complet. Ce fut à cette première escale que les nerfs d'un pilote
craquèrent. Les avions avaient déjà fait le plein. Il n'y avait
plus qu'à lancer les moteurs:
- Non capitaine... Je reste... Ce serait aller vers la mort...
Le capitaine sortit son revolver et le braqua contre le pilote, un
vieil ami pourtant:
- Si tu ne grimpes pas immédiatement, je te brûle la g....
Comme un automate, le pilote obéit, décolla... en oubliant
d'emmener avec lui le mécanicien.
A ce lointain souvenir, le colonel Roig murmure:
-Ceux qui se tuent dans le désert sont ceux qui ont peur et qui
n'ont pas la foi.
Le 5 mai, à 15 heures, il expédiait de Dakar ce télégramme:
"Mission accomplie. Tout va bien".
Deux ans plus tard, allait s'ouvrir une ligne régulière, et les
petites étapes deviendront des escales. Mais au prix de quels
sacrifices. Gourp, assassiné par les Régueibat; des Pallières,
brûlé vif à Port-Etienne; Reine, trois fois prisonnier des Maures;
Riguelle, tué; Moreau, tué; Bury, tué; Guyollot, Sirvin, Jaladieu,
Marsac, tués; Et tant d'autres...
En réchappèrent: Mermoz, Guillaumet, Saint-Exupèry, pour entrer
dans la légende.
L'aventure
américaine. HAUT
LES rêves des aviateurs sont toujours à l'échelle des continents.
Tandis que l'Afrique se souumettait, le capitaine Roig pensait
déjà à l'Amérique du Sud, où une autre épopée commençait.
Tout a débuté en mai 1924, à Madrid, par ce dialogue avec
Latécoère:
- Vous partez en Amérique.
- Quoi faire?
- Sue quelles bases?
- Vous verrez ça au cours du voyage.
- Y a-t-il quelque chose d'étudié?
- Rien. vous y allez pour ça.
- Suis-je annoncé?
- Certes pas...
En d'autres termes, plus modernes, le capitaien Roig allait être
"parachuté" dans l'inconnu.
La gloire l'y attendait.
Six mois de préparation
Il faisait froid en ce mois de juillet 1924, à Rio de Janeiro.
C'était l'hiver, et l'aviateur habitué aux canicules africaines
frémissait dans son léger manteau gris.
- L'accueil qu'on m'y réservait me réchauffa, sourit le colonel
Roig, à cette époque-là, le prestige de la France en Amérique
latine était immense.
Le 27 juillet, M. de Alvear, président de la République
d'Argentine, le recevait. L'audience, outrepassant les habitudes
du protocole dura 50 minutes. De temps à autres un huissier se
profilait dans le bureau présidentiel. M. le Président avait tant
de devoirs...
Le premier succès de la mission française fut d'évincer les
concurrents allemands qui se proposaient d'ouviri une ligne
Buenos-Aires- Tucuman sur la Cordillère. Un rapport construit dans
la nuit allait convaincre le ministre des Postes argentin de
l'inutilité de cette ligne. Elle ne pouvait se montrer rentable.
Car, plus que l'exploit, c'était la notion de rentabilité qui
guidait ces archanges. Roig se proposait de railler les capitales,
comme le veut la vocation de l'aviation.
Selon le principe africain, il prépara ses terrains: essence,
huile de ricin (acheté par bonbonnes en pharmacie), vivres. Chaque
étape était marqué avec de la chaux aux quatre coins et au centre.
C'était Rio, Sao Paulo, Florianopolis, Porto Alegre, Pelotas,
Montevideo, et Buenos Aires. Pour donner d'avantage d'autonomie
aux Bréguets 14, les pilotes allaient emmener avec eux eux un fût
d'essence supplémentaire, comme en Afrique. C'était la bonne
méthode. Il suffisait de pomper, à la main bien sûr, en priant que
la pompe ne se désamorce pas, ou que le feu n'éclate pendant la
manœuvre.
Mais bah!...
Une couronne de fleurs pour le départ
Le départ fut fixé pour le 14 janvier 1925. Les trois pilotes
étaient Vachet, Lafay, Hamm. Les trois mécaniciens: Chevalier,
Estival, Gauthier. Mais cette fois pas de journaliste.
Décollant à quatre heures du matin, le premier devoir du capitaine
Roig fut de jeter une couronne de fleurs à la mémoire du pilote
portugais Cabral qui, dix jours avant, s'était tué à Cherbourg.
Cabral avait traversé l'Atlantique à bord d'un hydravion, le
premier, et avait amerri à l'endroit de la baie où flottait la
couronne des camarades français.
Le second geste (d'élégance, cette fois) fut de jeter une
banderole aux couleurs françaises et brésiliennes au-dessus de la
villa de Santos-Dumont, à Sao-Paulo. Oui, la délicatesse était
l'apanage de ces chevaliers du ciel, qui savaient rendre hommage à
la façon des preux d'antan.
Le 15 janvier, après 21h.15 de vol effectif, le premier courrier
était remis, suivant l'horaire, aux autorités argentines, devant
une foule vibrante. Cependant, un fait odieux vint assombrir ce
triomphe. le commandant de l'aérodrome militaire refusa les
hangars aux Français, qui reçurent l'hospitalité des civils de
l'aéro-club de Buenos Aires. Un officier aviateur argentin,
Almonacid, qui avait tant facilité la tâche de la mission, six
mois auparavant, provoqua le commandant, après l'avoir giflé en
public. Le duel eut lieu et le "Condor de la Rioja" ramena aux
Français le gant ensanglanté du butor. L'honneur de l'Argentine
était sauf...
Pendant les réceptions officielles, le mot le plus employé fut
celui de "héros". Oui, ils l'étaient, mais ne voulaient pas
l'admettre. Ils regardaient en cachette leur ligne de vie, la
paume ouverte, et pensaient: "Je vivrais encore..."
Et quand le président de Alvéar déclara:
- Rien ne m'étonne des Français, le chef de mission répondit:
- Je suis là parce que le mécano m'a réveillé.
C'était en peu de mots, faire rejaillir tout l'honneur de cette
réussite sur l'équipe entière.
Tornade pour le retour
Le 21 janvier, les trois Bréguet 14, chargés de 200 kg de courrier
chacun et de leur fameux réservoir supplémentaire, décollaient en
direction du Nord, en direction de Rio.
- Y avait-il autant de monde sur le terrain pour votre retour?
Le colonel sourit:
- Non, mais près des appareils cuisait un demi-bœuf, sur une
montagne de braises. J'en ai mangé une bonne demi-livre, pour me
mettre en bonne forme.
Le retour fut beaucoup moins calme que l'aller. Après
Porto-Alegre, une véritable tornade, vent et pluie, s'abattit sur
la formation. La visibilité fut réduite à une trentaine de mètres.
En termes météo, visibilité nulle. Les trois pilotes, qui
survolaient à ce moment la forêt vierge, virèrent vers l'Est,
cherchant la côte. A la queue-leu-leu, à moins de dix mètres des
vagues bouillonnantes, les avions fonçaient dans la nappe de
pluie, secoués par les coups de vent. Sans doute, les trois
pilotes se souvenaient-ils que plus d'un camarade avait percuté
une vague et fut englouti par la mer.
Ça sent le mort
Depuis quelques instants, Vachet s'agitait sur son siège. Il
tendit un billet à son chef:
- Ça sent la mort, lut ce dernier.
Lui aussi, sentait la mort.
Non, ce n'est pas un phénomène bizarre que de deviner l'approche
de la camarde. Ceux qui vivent continuellement dans le danger
acquièrent ce sixième sens qui leur sauve la vie.
Et c fut par un geste totalement instinctif que le pilote tira sur
le manche à balai, suivi des deux autres. Sous le ventre de
l'appareil glissa la masse noire d'un énorme éperon rocheux sur
lequel, à la seconde même, allait s'écraser l'avion de tête. Cet
éperon avançait dans la mer comme un barrage et culminait à une
trentaine de mètres alors que les trois appareils volaient à une
dizaine de mètres d'altitude.
C'était à une vingtaine de kilomètres de Santos.
Dès lors,le capitaine Roig ordonna l'atterrissage sur la plage. La
manœuvre réussit mais toute la nuit les équipages maintinrent les
avions secoués par la tempête. Entre temps Santos avait été
averti, puis Rio.
Il fallut attendre le lendemain pour décoller, dès que la tempête
fit mine de faiblir. Et ce fut, toujourts sous la pluie, que Rio
reçut les vainqueurs, le 23 janvier 1925 sous les bravos
enthousiasmes d'une foule immense.
Le courrier
Le colonel Roig secoue la tête:
- Au fond ma mission était simple.
Il explique:
- Vous comprenez, j'ai toujours eu de la chance de mon côté. Rien
de fâcheux ne pouvait m'arriver. Alors le vrai travail, et la
vraie gloire fut d'établir la ligne régulière. Quel que soit le
temps, quelle que soit votre fatigue. Que vous ayez peur ce
jour-là ou non, il faut partir... et peut-être mourir. Les gens de
la ligne régulière ont souffert plus que nous, gens de l'unique
exploit. Pensez à Guillaumet dans les Cordillères: "une bête
n'aurait pas fait ce que j'ai fait..."
Mais auparavant, il dut vaincre une autre appréhension: il avait
décollé, dans son Potez 25, le vendredi 13 juin 1930.
Les morts jalonnaient la terre balisée et le ciel conquis. Les
premiers furent Santelli et Francès, tombés en Uruguay, abattus
par le Pampéro, le vent de la pampa, qui avait brisé les attaches
des ailes; puis ce fut la Croix-du-Sud de Mermoz qui s'abattit au
large de Dakar, sur la ligne Afrique-Amérique. il ne fut pas le
dernier, s'il fut parmi les plus glorieux.
Tous, vivant et morts, ont mérité ce triple titre: ils furent les
hommes de la Chimère, les hommes de l'Épopée, les hommes de la
Légende.
Pour eux les difficultés n'existaient pas car ils s'étaient
trouvés.
Résumé de la
carrière de Joseph ROIG HAUT
En 1907, il s'engage pour 5 ans au 36e Régiment d'Artillerie à
Clermont-Ferrand. Il entre le 1er octobre 1911 à l'Ecole militaire
de l'Artillerie à Versailles. Il est nommé sous-lieutenant au 13e
Régiment d'Artillerie à Nîmes, le 1er octobre 1912. Entré dans
l'aviation comme observateur à l'Escadrille 13 le 15 septembre
1914, il devient chef d'Escadrille de la C 224 en décembre 1916.
En 1917, il est détaché du front pendant 4 mois, comme professeur
à l'école de Fontainebleau, puis retourne au front comme
commandant de la Salmson 58 jusqu'à l'Armistice.
Avec 9 citations, il est décoré en 1918 de la Croix de Guerre et
est promu Officier de la Légion d'honneur.
En 1919, il devient chef de la 1ère Section du personnel du 4e
Bureau de la 12e Direction Aéro.
En janvier 1921, il est mis à la disposition des lignes aériennes
Latécoère comme chef de service au Maroc.
Grâce à son action auprès du Maréchal Lyautey et des services de
la Résidence au Maroc, de M. Walter, directeur général des P.T.T.,
créateur des timbres aériens au Maroc, du Colonel Gaden,
gouverneur de la Mauritanie, de Oulad el Baggy, Emir de Trarza, il
donne une impulsion décisive aux lignes aériennes Latécoère .
En 1922, il effectue seul la reconnaissance des terrains de Cap
Juby, Villa Cisneros, M'Terert et Port-Etienne, avec mise en place
du ravitaillement en essence et huile, au moyen d'un voilier "La
Frasquita".
Du 3 mai au 5 mai 1923, chef de mission du premier courrier postal
aérien Casablanca-Dakar, Jean Roig effectue la liaison avec trois
Bréguet XIV avec les pilotes Louis Delrieu, Cueille et Victor
Hamm, les mécaniciens Lefroit et Bonnort et un passager M. G.
Louis de la " Vigie Marocaine ".
En 1924, il est envoyé en mission par M. P.G. Latécoère, pour
préparer en Amérique du Sud la liaison aérienne Rio de
Janeiro-Buenos Aires. Mission facilitée par l'amitié née pendant
la guerre avec le héros national argentin Vicente Almandos
Almonacid qui le fait recevoir par le Président Alvear.
Le 14 janvier 1925, chef de mission du premier courrier aérien Rio
de Janeiro-Buenos Aires, il effectue la liaison avec trois Bréguet
XIV et avec les pilotes Paul Vachet, Victor Hamm. Etienne Lafay et
les mécaniciens Chevalier, Estival et Gauthier. Après son duel
(l'armée argentine était alors germanophile), Almandos
Almonacid lui offrit son gant taché de pourpre : "Gardez-le.
Il porte une marque de sang..., Ce sang, je l'ai répandu pour
notre aviation".
En 1926, Jean Roig retourne à l'armée de l'Air où il commande
successivement les bases de Fez, Alger-Maison-Blanche, Istres et
Casablanca avant d'être mis en congé du personnel navigant en
1940.
Au cours de son passage aux lignes aériennes Latécoère, Jean Roig
a joué un rôle déterminant dans la création de la liaison aérienne
française entre la France et l'Amérique du Sud, et a servi avec un
dévouement total M. P.G. Latécoère qui lui avait fait entièrement
confiance.
Le
raid des trois avions de Rio-de-Janeiro à Buenos-Aires
source
HAUT
1925/02/19 Figaro
Les prouesses de l'aviation
française. Le raid des trois avions de Rio-de-Janeiro à
Buenos-Aires
Le grand événement français, ce fut l'atterrissement le 14
janvier, 17h20, à l'aérodrome militaire argentin du «Palomar», des
avions de la Compagnie Latécoère, qui viennent de réaliser avec
une exactitude presque mathématique et une incomparable maestria,
le difficile programme de route que le capitaine Roig,
organisateur du voyage, leur avait tracé.
Une distance de 2.350 kilomètres, à travers des terrains de
composition géologique très diverse, sous des climats différents
et des conditions météorologiques variables sépare Rio-de-Janeiro
de Buenos-Aires. Nos excellents appareils Bréguet dirigés par nos
habiles pilotes Vachet, Lafay et Hamm, l'ont franchie avec une
régularité et une aisance vraiment impressionnantes, en six étapes
et en deux jours, comme le commandant de l'expédition l'avait
prévu et fixé. Seul, l'avion dirigé par le pilote Ham est resté
momentanément en panne, avant l'étape de Montevideo, non par suite
d'accident, mais parce qu'on n'a pu remplacer sur-le-champ une
roue de l'avion en mauvais état sans le concours de laquelle il
n'a pu prendre son vol en même temps que ses camarades. La
roue réparée, il arrivera le lendemain à Palomar.
Les aviateurs sont partis hier, à 4 heures du matin, de
Rio-de-Janeiro; ils sont arrivés à 8h5 à San-Pablo, après avoir
lutté constamment contre vent debout; repartis à 10h15, ils
arrivèrent à Florianopolis à 12h.40, avec une vitesse de 130
kilomètres à l'heure. Ils ne poussèrent pas plus loin ce jour-là.
Ce matin, ils reprennent leur vol, de Florianopolis, à 4 heures,
par un fort brouillard qui, s'épaississant, les oblige à s'arrêter
un moment ce qui ne les empêche pas d'atteindre Porto-Alegre à
6h30, et Pelotas à 9h30, où Hamm doit rester. Décollant à 11h,
Vachet et Lafay descendent à 15h30, à Montevideo puis, une heure
plus tard, ils côtoient le Rio de la Plata jusqu'en face de la
Colonia, pour piquer vers le Palomar où ils atterrissent à
17h20.
L'impression produite par ce vol magnifique est considérable, non
seulement aux yeux des hommes de métier, mais aux yeux du public
qu'il réconcilie avec l'idée que l'aviation peut devenir un moyen
pratique de translation, en cessant d'être une folle aventure. On
retrouve cette impression réconfortante qu'avait déjà répandue la
célèbre mission française, commandée par le colonel Précardin,
qui, pendant six mois suivis, exécuta, chaque jour, à Buenos-Aires
des vols de ̃ toutes sortes, avec des passagers amateurs sans que
le moindre incident soit venu interrompre leur enseignement de
l'air, ni diminuer l'absolue confiance qu'ils étaient arrivé à
inspirer.
VENDREDI 6 MARS 1925 Figaro Courrier de Buenos Aires.
Le raid des aviateurs de la
mission Latécoère.
Buenos-Aires est, une fois encore, remplie de la France, de son
esprit et de sa cause. Elle vient d'accueillir les aviateurs de la
mission Latécoère qui couvrit en deux jours de vol la distance qui
sépare la capitale du Brésil de la capitale argentine en
inaugurant le courrier aérien entre les deux pays.
Le capitaine Roig, chef de la mission, a expliqué avec précision
la portée de l'entreprise destinée à nous relier à l'Europe et à
l'Amérique du Nord par des communications qui s'effectueraient
normalement en un peu plus d'une semaine. La ligne pourrait
s'appeler Toulouse-Buenos-Aires avec escales à Perpignan,
Barcelone, Alicante, Malaga, Tanger, Casablanca, Mogador, Agadir,
Cabo July, Villa Cisneros, Port Etienne, Saint-Louis, Dakar,
Natal, Recife, Bahia, Rio, Santos et Montevideo, et son extension
se calcule suivant le capitaine Roig à douze mille, quatre cents,
kilomètres. Buenos-Aires. a reçu une correspondance envoyée la
veille de Rio-de-Janeiro alors que les vapeurs la conduisent
régulièrement en cinq jours. Les pilotes de la mission française
ont été l'objet de manifestations enthousiastes de la part de
leurs compatriotes résidant parmi nous, du peuple et de nos
autorités. Le président de Alvear les a reçus à la maison du
gouvernement.
1925/03/27 Figaro Les prouesses
des aviateurs français.
Mais nous oublions volontiers ces petites misères momentanées pour
nous réjouir des bonnes nouvelles qui nous arrivent.
̃L'Argentine est profondément impressionnée, par les prouesses
répétées de nos aviateurs français, tant sur le continent
américain que sur celui de l'Afrique. A peine l'enthousiasme
soulevé par le vol du capitaine Roig de Rio de Janeiro à
Buenos-Aires en deux jours, s'est-il calmé, que le câble nous
apprend la magnifique randonnée du capitaine Lemaître et de
son compagnon Arrachart, de Paris à Dakar, à peine interrompu à
Cisneros par un incident, sans gravité et sans conséquence.Ces
raids surprenants ont d'autant plus d'attrait qu'aucune réclame
tapageuse ne vient par avance en enfler l'importance pour en
atténuer ensuite l'échec. On les apprend presque en même temps
qu'ils se réalisent, et l'heure de l'émotion se confond avec celle
des applaudissements. Jamais on n'avait vu réaliser des
choses aussi extraordinaires avec autant de simplicité et de
modestie. Nos grands aviateurs sont les excellents artisans
du bon renom de la France et de sa gloire, ils sont aussi les bons
artisans de la conquête de l'air, en démontrant que l'avion entre
des mains habiles et mené d'un cœur résolu, devient rapidement un
coursier docile.
Les
naufragés de l'air
par Olivier
Vergniot source HAUT
Extrait de
"De la distance en histoire. Maroc - Sahara occidental : les
captifs du hasard (XVIIe-XXe siècles)"
Cet article est reporté en maroc-Les-naufrages-de-l-air.html
avec Les pilotes attribuèrent eux cette décision plutôt
à la ladrerie de Latécoère. (sa passion ,
les
châteaux, le
syndrome de la lessiveuse)
Au cours de la décennie 1920
- 1930, les célèbres aviateurs de la «Ligne» prirent malgré
eux le pas sur les malchanceux de la mer. Les «naufragés de
l'air» ont une large part dans la légende de l'aéropostale des
Saint-Exupéry, Mermoz, Guillaumet et autres. La ligne
Casablanca-Dakar devait impérativement survoler près de 1500
kilomètres en zone d'insécurité totale. Une mission
préparatoire, dirigée par M. Roig , se rendit fin 1922 sur le
terrain pour y prendre les devants, ouvrir des relations avec
les tribus et leur faire comprendre le caractère pacifique des
survols des avions transporteurs de courrier. Roig avait
imaginé un subterfuge juridique : les lignes aériennes
Latécoère loueraient aux Maures, moyennant une redevance en
argent, le droit de survoler la côte, dont ces derniers
seraient considérés comme propriétaires. A Toulouse la
direction écarta cette solution par crainte d'une situation
inextricable et d'une possible surenchère. Les pilotes
attribuèrent eux cette décision plutôt à la ladrerie de
Latécoère. (sa passion)
Le procédé de la rançon préventive mis de
côté, le problème restait entier. L'anxiété des pilotes
n'avaient d'égale que la méfiance des tribus peu sensibles au
caractère non offensif des Bréguet et à la formidable mission
que constituait l'acheminement du courrier. La seule
précaution prise fut de faire naviguer toujours ensemble deux
avions. Dès le début de l'exploitation de la Ligne le résultat
ne se fit pas attendre. En juillet 1925, à la suite d'une
panne, les pilotes Rozes et Ville tombèrent aux mains des
Regueibat. Terrorisés et redoutant une captivité, ils
abattirent trois Regueibat et prirent aussitôt la fuite avec
l'appareil remis en état de marche. Cette entrée en matière
plutôt mouvementée augurait mal de la suite. Par mesure de
protection, il fut alors décidé que les pilotes embarqueraient
à leur bord un interprète chleuh ou arabe. Par ailleurs
l'administrateur de la ligne, Daurat, en collaboration avec le
service de renseignement français de Tiznit, conclut les
«accords d'Aglou», selon lesquels le caïd el Hassan de cette
localité se voyait chargé contre gratification de la
récupération d'éventuels captifs. Beaucoup d'atterrissages
forcés eurent lieu assez près de Tiznit: Reine le 21 décembre
1925, Pivot et Logivière le 17 octobre 1926 et Vidal en
novembre 1928. Chaque fois après quelques marchandages, les
aviateurs généralement détenus par les Sbouia rejoignaient
rapidement Tiznit après le versement d'une rançon. Pour les
naufragés de l'intérieur saharien, course de vitesse et
concurrence jouèrent à nouveau à plein. En mai 1926, Mermoz et
son interprète, prisonniers d'un Ahl Ma el Aïnin, furent
rachetés par les Espagnols de Cap Juby grâce aux bons soins de
Mohammed Laghdaf (C.I.J. S.O. 1975 : T.II, An C. 5, A p. 8).
D'autres furent moins heureux, ils firent les frais du climat
de guerre généralisée dû à la résistance des tribus contre la
progression française: Erable, Pintado et Gourp eurent ainsi
la malchance de tomber, en novembre 1926, sur Cheikh ould
Lajrab, déserteur du groupe nomade de l'Adrar, en lutte
acharnée contre les Français. Celui-ci abattit Erable et
Pintado, blessant Gourp qui fut racheté mais mourut peu après
des suites d'une tentative de suicide, alors qu'il était en
captivité. L'année suivante, en juin, trois pêcheurs canariens
du Faustino pris pour des
Français furent abattus de la même façon par des Larousiens de
retour d'une attaque célèbre menée contre Port Etienne. D'autres étaient
libérés contre rançon grâce à la difficile collaboration des
autres pilotes de l'aéropostale et des autorités espagnoles :
des pilotes uruguayens en mars 1927, le pilote
militaire espagnol Félix Martinez .
Mais la captivité la plus
marquante fut celle, en juin 1928, de Reine et Serre par les
Regueibat : elle entraîna un véritable imbroglio
diplomatique entre Français et Espagnols et nécessita la
plus ardue des négociations, car une fois encore les
Regueibat en conflit ouvert avec les Français, demandèrent
comme pour l'Oued Sebou, avant tout une rançon politique,
des armes, des cartouches, leurs prisonniers mais aussi des
centaines de chameaux afin de saper la logistique de leurs
adversaires. Cette affaire dans laquelle
les autorités coloniales durent lâcher du lest, eut pour
principale conséquence d'accélérer le changement de
politique vis-à-vis des Regueibat trop puissants pour rester
des «étrangers amis», assez dangereux pour devenir désormais
des «sujets ennemis».
En 1930 la captivité du pilote Guerrero peut être considéré
comme la dernière d'un genre qui sévissait depuis plus de deux
siècles. La colonisation étant quasiment achevée, la
«pacification» définitive de la région sur le point
d'intervenir, la demande française changea de ton. On fit
savoir que si dans 24 heures le pilote et son opérateur radio
n'étaient pas rendus, le Douar des Sbouia serait bombardé. Le
lendemain les captifs furent ramenés au caïd d'Aglou. La
sécurité sur la ligne était ainsi désormais largement assurée.
Etait levée une hypothèse pour le conquérant français qui,
quelques mois auparavant, s'exprimait ainsi : «L'éventualité
d'atterrissages forcés d'aéroplanes de la ligne aéropostale
dans le Rio de Oro, nous oblige à renoncer à des retenues
d'otages qui pourraient avoir des répercussions fâcheuses sur
la conduite des nomades du Sahel à l'égard de nos aviateurs
tombés entre leurs mains».
Le
projet de L'AVIATION TRANSATLANTIQUE 7 février 1925 par Louis
Forest HAUT
source
par Toulouse-Casablanca-Dakar-Pernambuco-Rio de
Janeiro-Buenos-Ayres
Une assistance fort nombreuse et des plus choisies se
pressait le samedi 7 février, dans les somptueux salons
de la Présidence de la Chambre, pour écouter l'attrayante
conférence de M. Louis Forest,
organisée, par l'Union des Grandes associations françaises,
sur la naissance, le présent et l'avenir des lignes aériennes
françaises fondées par M. Pierre Latécoère, ingénieur des Arts
et Manufactures, et reliant la France déjà à l'Afrique du
Nord, demain à l'Afrique Occidentale et bientôt à l'Amérique
du Sud.
Chacun se réjouissait d'avance d'entendre le conférencier dont
la verve, l'originalité et le légendaire bon sens sont connus
de tous et de suivre sur l'écran les vues et les scènes
animées prises en avion au long de ce parcours ininterrompu de
12.000 kilomètres, de Toulouse à Buenos-Ayres par l'Espagne,
le Maroc, le Sénégal, les îles du Cap-Vert, le Brésil,
l'Uruguay et la République Argentine.
M. Painlevé, le maître de céans, présidait, et nul n'aurait pu
occuper le fauteuil avec plus d'autorité que ce grand savant
qui fut l'un des initiateurs les plus clairvoyants de
l'aviation française.
Il avait «autour de lui Son Excellence M. l'ambassadeur du
Brésil Souza-Dantas; M.le maréchal Franchet d'Esperey;
M.Laurent Eynac, sous-secrétaire d Etat; M. l'inspecteur
général Fortant, les colonels Reimbert, Féquant, Casse,
Delcambre, de Vergnette; M. le capitaine Fonck, MM. le comte
de La Vaux, Louis Blériot, Pierre Latécoère, de Massimy,
Râteau, Dubois Le Cour, Paul Kestner, Schelcher, Georges
Besançon, Yves Périsse, Musset, Mme Louise Faure-Favier; MM.
les aviateurs Paumier, Bajac et la plupart des membres de
l'ambassade brésilienne: M. le conseiller Pedro Leao Lelloso;
MM. Fonseca Hermès,do Paço, Francisco Guimaraes, attaché
commercial ; MM. le colonel Audrade Vevès, attaché militaire ;
le commandant Dootwork, attaché naval ; Muscat d'Orsay,
directeur de Agencia Americana et de la Gazette du Brésil.
Le président ouvrit la séance par une allocution où il rappela
les débuts et les rapides progrès de l'aviation; elle fut
suivie de quelques paroles de M. le ministre Laurent Eynac et
de M. Georges Lecomte. Enfin, la parole fut donnée à M. Louis
Forest.
D'une façon précise, mais toujours avec ce ton de bonhomie
fine dont il est coutumier, l'orateur exposa l'oeuvre de
Pierre Latécoère.
Développant la conception de celui-ci, il montra sur la
mappemonde ce parcours presque rectiligne de 12.000 kilomètres
qui, partant du sud de la France, passe par Barcelone,
Alicante, Malaga, Tanger, Casablanca, Port-Etienne, Dakar, les
îles du Cap-Vert, l'île de Norogna, Pernambuco, Bahia, Rio de
Janeiro, Montevideo, Buenos-Ayres.
De ce grandiose programme toute la première partie,
Toulouse-Casablanca, est réalisée, y compris les lignes
secondaires Alicante-Oran, Casablanca-Oran et, bientôt,
Barcelone-Alger. Et ce qui donne la certitude du succès pour
le parcours entier, c'est la remarquable réussite de la
première étape, réussite qui repose uniquement sur une
organisation scientifique impeccable.
L'idée maîtresse de Latécoère est que le rôle de l'avion n'est
pas de concurrencer le chemin de fer sur les distances
moyennes, mais d'utiliser la rapidité de son vol à rapprocher
entre eux les continents, surtout quand ils sont séparés par
la mer. Réunir à travers les airs la France à ses colonies
africaines, tel fut son effort initial; partir de ces colonies
pour traverser l'Atlantique dans sa moindre largeur et
desservir les républiques orientales de l'Amérique du Sud,
voilà son but final.
En 1919, Latécoère étudie et jalonne d'aérogares le parcours
Toulouse, Barcelone, Alicante, Malaga, Casablanca, 4 relais
sur un parcours total de plus de 1.800 kilomètres.
Le service régulier commence en automne 1919 avec deux départs
hebdomadaires dans chaque sens; il est bientôt porté à trois
par semaine, puis à cinq et, dès 1922, devient quotidien dans
les deux sens. Le trafic seul a commandé cette fréquence. En
effet, le nombre des passagers, de 831 en 1921, montait à
2.088 en I922, à 2.867 en l923, pour dépasser 4.000 en 1924.
Durant l'hiver le trajet total demande un jour et quart;
pendant les longs jours, il s'exécute entre le lever et le
coucher du soleil. Tout juste on a compté pendant ces cinq ans
deux accidents mortels de passagers, et depuis deux années le
service quotidien na pas été interrompu une seule fois : on
peut dire que ce service a rempli l'objectif complet de
l'aviation commerciale: la régularité, la rapidité, la
sécurité.
Aussi les correspondances postales affluent-elles avec plus
d'intensité encore que les voyageurs. En 1920,140.594 lettres;
en 1921, 272.574; en 1922, 1.197.323; en 1923 ,2.143.250; en
1924, plus de 4 millionsl
Mais, en même temps, Latécoère faisait explorer, étudier et
jalonner par des avions la distance désertique longue de 2.900
kilomètres de Casablanca à Dakar, en suivant la côte.
D'énormes difficultés géographiques, de ravitaillement et
surtout politiques s'offraient dans ce désert sans cesse
parcouru par des tribus nomades en quête de pillage. Elles ont
été surmontées et le service régulier commencera dans quelques
semaines. Voici franchie la deuxième étape.
Parvenu à Dakar, on a devant soi 3300 kilomètres à franchir à
travers l'Océan pour atteindre Natal, le point de la côte
brésilienne le moins éloigné. Par bonheur, deux groupes d'îles
se trouvent sur le parcours, l'archipel du Cap-Vert à 700
kilomètres de Dakar et l'île de Norogna, à 400 kilomètres de
Natal. Voici comment M. Latécoère va résoudre le problème de
cette traversée. Les 700 premiers kilomètres seront franchis
avec des hydravions, ainsi que les 400 derniers. Quant au
grand parcours de 2.200 kilomètres d'Océan sans refuge, en
attendant que les hydravions aient fait leurs preuves
d'endurance et de sécurité sur de pareilles distances, on
l'assurera à l'aide de vedettes à marche extra-rapide qui
transporteront courriers et voyageurs en cinquante heures
entre les deux îles.
Ayant atterri sur la côte brésilienne, les passagers y
trouveront un service confortable d'avions terrestres qui les
emporteront à leur gré par Pernambuco, en suivant la côte,
jusqu'à Rio de Janeiro, soit 2.170 kilomètres, ou à
Buenos-Ayres (avec escale à Montevideo), soit à 4.400
kilomètres du point d'atterrissage.
Ainsi sera réalisé en un espace de temps de sept à dix jours
le voyage de Paris à Buenos-Ayres, qui demande actuellement
vingt et un jours par la navigation à vapeur.
Depuis six mois une mission ou plutôt une équipe de
prospecteurs aériens, à la tète de laquelle se trouve le
prince Charles Murat, l'un des plus fervents promoteurs de
l'aviation commerciale française, parcourt avec des avions les
villes et les côtes du Brésil, de l'Uruguay et de l'Argentine,
pour y obtenir lés autorisations administratives et y
organiser les éléments multiples et compliqués qu'exige un
service aérien sûr et régulier.
Tout est donc préparé au point de vue technique pour
l'ouverture prochaine de la ligne.
Une seule éventualité dangereuse est à redouter, c'est que les
Allemands, qui préparent une ligne parallèle partant de la
côte espagnole ou portugaise, par les îles Madère ou les
Canaries, n'arrivent premiers dans ce match mondial. Il ne
dépend plus aujourd'hui que du gouvernement français de ne pas
nous laisser devancer.
Toute l'assemblée a suivi avec un intérêt croissant ce
brillant exposé, ainsi que les projections qui l'illustrèrent.
En terminant, M. Louis Fores tint à rappeler que si, en
quelque quinze ans, l'aviation en est arrivée là, M. Painlevé
en fut un des premiers et des plus fidèles animateurs et la
réunion couvrit d'unanimes applaudissements le président, le
conférencier et l'ingénieur Latécoère.
Victor CAMBON.
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