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Les origines de L'Aéropostale 



L'Aéropostale a marqué à jamais l'imaginaire collectif des Français



 *Le projet de L'AVIATION TRANSATLANTIQUE  
La conférence de Louis Forest, 7 février 1925 par Toulouse-Casablanca-Dakar-Pernambuco-Rio de Janeiro-Buenos-Ayres
Dans l'assistance:
Son Excellence M. l'ambassadeur du Brésil Souza-Dantas; M.le maréchal Franchet d'Esperey; M.Laurent Eynac, sous-secrétaire d Etat; M. l'inspecteur général Fortant, les colonels Reimbert, Féquant, Casse, Delcambre, de Vergnette; M. le capitaine Fonck, MM. le comte de La Vaux, Louis Blériot...
Ce projet qui deviendra l'Aéropostale a été abandonné par PG Latécoère en mars 1927 et repris par Marcel Bouilloux-Lafont, imprégné de culture aéronautique naissante étant maire d'Étampes (un des berceaux de l'Aviation française) qui, sous son autorité, a réussi à maintenir et à développer le prestige du pavillon français dans toute l'Amérique du Sud.


Joseph Roig, pilote militaire, a démontré la faisabilité des lignes Casablanca-Dakar et Rio de Janeiro-Buenos Aires, lignes à la base de l'Aéropostale... «Nous sommes à la fin de l’été 1919, dans le bureau que j’occupais Boulevard Saint-Germain en qualité de chef de la 1ère section du personnel de la 12ème Direction (Aéronautique) du Ministère de la guerre. Le planton introduit un visiteur:... »

SOMMAIRE *de "Pour que passe le courrier, par Joseph Roig" 

La rencontre
Le Passager Royal
La paix avec le sol
La reconnaissance par mer
A la conquête du désert
Le retour à Casablanca
Après le raid
Les anciens de Central à l’aéro-club du Maroc

*Résumé de la carrière de Joseph ROIG
*Souvenirs (Interview du colonel Roig, publié le 30 janvier 1965 par Georges Nieter, coll Didier Lecoq):
*Le raid des trois avions de Rio-de-Janeiro à Buenos-Aires (extraits LE FIGARO, février, mars 1925)
Les prouesses de l'aviation française. Le raid des trois avions de Rio-de-Janeiro à Buenos-Aires
Le raid des aviateurs de la mission Latécoère
Les prouesses des aviateurs français
*Les naufragés de l'air (Le survol du Sahara par Olivier Vergniot
Au cours de la décennie 1920 - 1930, les célèbres aviateurs de la «Ligne» prirent malgré eux le pas sur les malchanceux de la mer... les lignes aériennes Latécoère loueraient aux Maures, moyennant une redevance en argent, le droit de survoler la côte, dont ces derniers seraient considérés comme propriétaires. A Toulouse la direction écarta cette solution...
* la «Mission Roig» par La Aviación Comercial en el Espacio Aéreo Español (1918-1936)   source    waybackmachine  


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La rencontre  HAUT  retour sommaire   

Nous sommes à la fin de l’été 1919, dans le bureau que j’occupais Boulevard Saint-Germain en qualité de chef de la 1ère section du personnel de la 12ème Direction (Aéronautique) du Ministère de la guerre. Le planton introduit un visiteur: Pierre G. Latécoère.
Nous savions tous dans l’aviation que ce sacré petit bonhomme, piloté par Lemaitre, était parti le 19 mars 1919 au matin de Montaudran, terrain d’aviation de Toulouse et, avait remis le lendemain à Madame Lyautey, venue avec le général Résident Général au Maroc depuis 1912, l’accueillir sur le terrain de Rabat, un petit bouquet avec ce compliment : «Madame permettez moi de vous offrir ce modeste bouquet cueilli hier à votre intention. Ce sont des fleurs de ma ville… Des violettes de Toulouse».
Dans l’avion, il y avait aussi un sac de courrier.
Or ce jour-là, Pierre latécoère venait me demander un service. Le chef de l’Aéroplace d’Alicante, Moraglia, avait fait, avant d’entrer aux L.A.L. (Lignes Aériennes Latécoère), une demande pour passer dans l’armée active. Sa candidature venait d’être acceptée et il s’agissait de différer de quelques jours sa prise de fonction, en attendant la venue à l’Aéroplace de son successeur.
Pierre Latécoère me sut un tel gré de ce petit service qu’un jour son adjoint de Massimi vint m’offrir de me joindre à leur équipe, ce que j’acceptai avec joie et , je partis en qualité de Chef de Service au Maroc en 1921.
Et le courrier passait. Si sa régularité était parfois altérée par quelque accident tragique, il faut tout de même penser que les quatre étapes de ces 1800km n’étaient pas, pour nos Bréguet 14, les pistes d’une école de pilotage. A 120km à l’heure, remonter la Tramontane de Barcelone à Toulouse par le Perthus ou le Cap Creus c’était presque faire du sur place. Passer l’Ebre et le Cap de la Nao entre Barcelone et Alicante était rarement une partie de plaisir. Quant à l’étape d’Alicante sur Malaga par la trouée de Grenade et le saut par-dessus la Sierra Nevada, ce n’était pas un jeu d’enfant. Le détroit de Gibraltar, avec ses courants d’air contraires, ne laissait pas nos pilotes indifférents. Au-delà, le ciel devenait heureusement plus clément. Et malgré toutes ces vicissitudes que la Ligne supportait sans défaillance, la confiance du Maroc restait aussi sans défaillance.
Il me vint alors l’idée de rassembler tous les atouts majeurs qui nous manifestaient tant de sympathie, en un Aéro-Club du Maroc, et j’allai m’en ouvrir à Georges Louis, rédacteur en chef de la «vigie Marocaine».
Il approuva chaudement mon projet, et nous cherchâmes ensemble un Président possible pour en assurer un bon démarrage. « Allez à Fédhala, me dit Georges Louis, vous y trouverez le Prince Murat ou le Prince Masséna, car ni l’un ni l’autre ne sont embrigadés dans les sociétés casablancaises. L’un ou l’autre fera un bon Président »
Le soir même j’avais contacté Murat qui avait accepté. Quant aux vice-présidents, j’avais décidé Masséna, le Marquis de Ségonzac et Guernier, Président de la chambre de commerce, à nous épauler de leur présence. L’Aéro-club compta en très peu de temps près de 300 membres. Un succès total dont je n’étais pas peu fier. Les bases de l’aviation civile étaient jetées, et nous pouvions aller de l’avant. Les jeunes sportifs et particulièrement les postiers que je voyais tous les jours à l’heure du TRI me proposèrent de fonder un Club de Rugby dont je serais le Président fondateur.
Au cours de l’été 1922, Pierre Latécoère, atterrissant à Casablanca, me demanda de lui obtenir une audience auprès du Maréchal Lyautey. Le lendemain nous partions pour Marrakech où se trouvaient en déplacement tous les Services de la Résidence et où nous devions être reçus au Palais de la Bahia par le Maréchal entouré de ses chefs de service intéressés.
Avec son accent particulier, Pierre Latécoère, depuis un bon quart d’heure, exposait en détail son plan : « Toulouse, Casa, Dakar, Pernambouc, Rio de Janeiro, Montevideo, Buenos-Aires », lorsque le Maréchal, se substituant à son interlocuteur Latécoère, exposa le fameux plan en son style personnel. C’était succinct, très clair, très précis. Tous avaient compris. Pierre Latécoère en resta pantois.
Mes déplacements m’amenaient souvent à Tanger où je m’étais fait deux excellents amis en la personne de Villarem, Directeur de la Poste française à Tanger, et le Capitaine Pannabière, Commandant le Tabor Marocain de Tanger. Tous les deux étaient catalans d’origine, et cela me facilita bien des démarches auprès des autorités de la zone internationale. J’eus quelquefois le plaisir de baiser la main de la douairière de la Maison de France qui descendait toujours chez Madame Villarem lorsqu’elle venait de Larache avec le jeune Comte de Paris, pour faire des achats à Tanger. Madame Villarem mettait en ces occasions, le grand peigne andalou, la mantille et les castagnettes et dansait pour la grande dame, des séguedilles qui enchantaient l’assistance car Madame Villarem était une grande artiste.
J’eus également l’occasion de recevoir à Casablanca, le Président de la banque Morgan, Monsieur Sharp, qui finançait l’exposition de Séville et venait souvent au Maroc, vérifier aux sources l’exactitude de ses informations. Il désirait mettre en lumière l’influence espagnole sur les arts marocains issus de l’occupation arabe en Espagne.
Je dois aussi parler des sujets qui motivaient les liaisons que j’effectuais auprès des Services de la Résidence Générale et du Cabinet Militaire du Maréchal. Il me faut citer les noms de Pietri, des Services Financiers, de Walter, des Services Postaux, de Tranchant de Lunel, des Services des Arts Indigènes à qui nous devons la remise en état de la célèbre Kasbah des Oudayas, de Gaston Pawleski, son très compétent adjoint, du Maréchal Juin, alors Capitaine au Cabinet Militaire, du contrôleur en Chef Benazet, joyeux luron, responsable, avec Madame Lyautey, de l’organisation des farces que cette dernière jouait à ses invités au cours de certains repas, et d’autres qui me pardonneraient mon oubli s’ils étaient encore de ce monde.
Ces noms sont entrés dans la mémoire des Français et prouvent que le Maréchal avait la baraqua dans le choix de ses collaborateurs.

Le Passager Royal 
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Un coup de poker qui réussit au-delà de nos espérances.
Au cours de la visite que sa Majesté Albert 1er, Roi des Belges, accompagné de sa Majesté la Reine Elisabeth, rendait au Maroc, je reçus une invitation à déjeuner à la Résidence.
Alors que les invités se lèvent de table pour gagner les salons où Madame Lyautey accompagnait la Reine, on me prie de rejoindre le Maréchal, sorti dans les jardins en compagnie de S.M. le Roi Albert. Avec le ton brutalement amical qui lui était particulier, le Maréchal me pose la question suivante, prouvant que les temps avaient changé l’atmosphère : « Sa Majesté voudrait effectuer son retour en Europe en utilisant la Ligne aérienne de Casa à Toulouse. Peux-tu assurer ce voyage en toute sécurité comme il se doit ? ».
Avec une assurance dont je mesure encore aujourd’hui le culot, j’ose affirmer que ce voyage est parfaitement possible.
-«Alors , prépare le départ de Casablanca pour après-demain 8h30».
- «Qu`allez-vous me donner comme pilote ?» demanda Sa Majesté.
Il y avait justement, de passage à l’aéroplace de Casablanca, Dombray.
-«Sire, Dombray, notre inspecteur technique».
-«Un grand Chef ! Pourquoi pas le pilote normal du courrier ? j’aurais davantage confiance».
-«Sire, Dombray est aussi pilote-courrier et vous l’avez certainement connu à l`escadrille Guynemer lorsque vous rendiez visite au groupe de chasse qui était à la Panne où vous stationniez pendant la guerre».
-«Alors tout va pour le mieux»..
J’allais prendre congé lorsque sa Majesté demanda de ne prévenir personne tout au long du voyage afin que les colonies Belges, tentées de venir sur les terrains, n’entravent pas la régularité des horaires du courrier.
-«Surtout pas de publicité avant Toulouse, ajouta-t-il, car ne parlez jamais d"un projet qu’après son heureuse exécution. J`aimerais aussi avoir un livre à lire pendant le voyage».
-«occupe-toi de ce détail», me dit le Maréchal.
Je m’éloignai après une poignée de main, gonflé d’orgueil d’une telle marque de confiance.

De retour au bureau, j’avisai par télégramme, Paris, Madrid et Toulouse afin que Latécoère, de Massimi et Daurat soient mis au courant du voyage royal. Il était indispensable qu’il s’effectue avec succès et suivant les désirs exprimés par sa Majesté.
J’allai aussi voir mon ami Louis pour le choix du livre demandé. «Récits marocains de la plaine et des monts» de Maurice Le Glay, Contrôleur en Chef de la région de Safi, me recommanda-t-il, et j’allai acheter ce livre pour en découper les pages.
Lorsque le cortège présidentiel arriva le surlendemain sur le terrain, tout était prêt. Dombray présenté, Sa Majesté équipée après les précautions d’usage, j’osai demander au Roi, en présentant le livre, la faveur de le recevoir en retour avec un autographe, ce qui me fut accordé.
L’avion-courrier, piloté de bout en bout par Dombray, atterrit le soir sans encombre à Toulouse où les autorités civiles et militaires saluèrent le Roi.
Il manquait malheureusement Latécoère et de Massimi qui étaient partis avec deux avions. Ils voulaient devancer l’avion royal pour lui faire une escorte d’honneur à son arrivée.
Hélas, la rencontre fut manquée et l’escorte atterrit une demi-heure après, mais la déception fut légère puisque le voyage s’était très bien passé. Latécoère et surtout de Massimi étaient particulièrement inquiets car ils jugeaient ce voyage très délicat pour une personnalité aussi importante que celle du Roi. S’il y avait eu des incidents de parcours, les reproches ne m’auraient pas été ménagés.
A Toulouse, les premiers mots que leur dit l’illustre passager montrèrent bien qu’il avait conscience du risque couru.
-«Je viens de vous jouer un mauvais tour, n’est-ce pas?» leur dit-il. «Vous ne deviez pas être tranquilles.»
-«En effet, Sire, répondit Latécoère. Nous n’aurions pas su dire si notre joie d’avoir Votre Majesté à bord de notre avion l’emportait sur notre inquiétude. J’ai fait un excellent voyage. Votre pays peut être fier d’avoir un homme tel que le Maréchal Lyautey.»
Par la suite, des notabilités civiles et militaires de la Métropole suivirent l’exemple du Roi des Belges. Parmi ces personnalités, il convient de citer : Le Président Painlevé, le sous-secrétaire d’Etat Laurent Eynac, le Maréchal Pétain, le Général Jacquenot et aussi quelques journalistes de la Presse métropolitaine. Les temps avaient bien changé, nous le constations. Quant à mon livre dédicacé, il me revint sous forme de décoration : la Croix de Chevalier de l’Ordre du Roi Léopold que le Cabinet du roi me fit tenir avec une correspondance. Sa Majesté m’y exprimait ses remerciements et soulignait son désir de conserver le livre de Maurice Le Glay. 

La paix avec le sol  HAUT   retour sommaire

Un raid aérien est une performance de valeur indiscutable dont l’équipage profite quand il réussit, mais paye de sa vie en cas d’échec.
Etablir l’infrastructure d’une ligne commerciale est un autre problème dont le succès, en ce qui concerne «La Ligne» rend indispensable le concours de personnalités compétentes et heureusement bénévoles sans lesquelles, les moyens financiers dont disposait Latécoère, n’auraient, certes pas suffi à assurer la Ligne à l’époque de l’avion postal dont l’étape moyenne ne dépasse pas 500 kilomètres.
En septembre 1922, Pierre Latécoère me convoque à Paris pour me dire que l’heure avait sonné de procéder à l’exécution de la première partie du Plan «Casablanca-Dakar». Il s’agissait de reconnaître les possibilités de réalisation d’une infrastructure de la ligne Casa-Dakar, dont les escales précisées par Latécoère, devaient être possibles à Agadir, Cap Juby, Villa Cisneros, Port Etienne, Nouackchott, Saint-Louis, Dakar.
Pour ce faire il fallait louer aux Canaries un voilier pouvant transporter le personnel de la reconnaissance, l’essence et l’huile nécessaires au ravitaillement aller et retour de trois avions Breguet 14, et aussi de la chaux pour marquer l’aire des terrains d’atterrissage.
-«Faites au mieux», me dit Latécoère, et muni de toutes ces instructions je repris la route de Casablanca. Ainsi s’ouvraient à mon activité deux mondes inconnus : d’abord l’Atlantique et la navigation à voiles, ensuite le Désert dans lequel j’allais baliser la route de nos avions et faire ce que j’appelais «La paix avec le Sol», mission primordiale à mon sens.
Naturellement, je mis le Maréchal Lyautey au courant de la mission dont j’étais chargé, ainsi que de la manière dont je pensais pouvoir l’effectuer.
Après avoir écouté, le maréchal Lyautey appela le Colonel Huot, chef du Service des Affaires Indigènes pour lui donner ses directives que j’ai gardées en mémoire:
«Il faut donner à Roig un sous-officier des Goumiers qui puisse lui servir d’interprète avec les indigènes du Rio de Oro. Il est indispensable qu’il soit assez bon tireur pour assurer sa sécurité et sa subsistance, et qu’il soit assez fort pour le porter si nécessaire. Ce sous- officier sera mis en congé pour la durée de la mission».
Et c’est ainsi que le Maréchal des Logis Hamed ben Mohamed fit partie de la mission de reconnaissance.
Mais il n’y avait pas que cette attention de père de famille ; je recevais aussi pour le Colonel Gaden, Gouverneur de la Mauritanie, une lettre du Maréchal qui était bien davantage qu’une simple lettre d’introduction. L’avenir me prouva que la réussite complète de ma mission fut assurée par la perspicacité de ces deux grands connaisseurs des hommes bleus du désert.
Je leur doit bien plus que de la reconnaissance pour leur sollicitude réaliste qui me permit de vaincre toutes les difficultés qui allaient se dresser sur ma route.
En dehors d’Hamed ben Mohamed et de moi-même, l’équipe était formée par Cervera et un de mes amis, architecte à Casablanca, Pierre Ancelle qui prenait quelques vacances, et que l’expédition tentait.

La reconnaissance par mer 
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Le jour de l’embarquement à Casablanca, il me parut, à la manière dont les amis me donnaient l’accolade, que dans leur idée ils prenaient définitivement congé de nous. J’affectai évidemment une confiance de bon aloi, mais il y avait vraiment de quoi m’inquiéter un tantinet, car je me sentais loin d’avoir la trempe d’un Montfreid dont les exploits sur la côte du territoire des Somalies commençaient à être célèbres.
Le yacht, la Frasquita de l’Empereur du Sahara (Jacques Lebaudy) reprend la direction du Rio de Oro, 20 ans après ses premiers exploits.
Dès notre arrivée à Las Palmas, chacun de nous s’occupa du rôle qui lui était imparti.
Cervera était chargé des relations avec les autorités militaires dont dépendaient les garnisons espagnole du Rio de Oro et il réussit parfaitement à créer une atmosphère de sympathie qui nous fut d’un grand secours.
Ancelle et Mohamed s’affairaient à grouper les provisions de bouche qui devaient nous nourrir pendant trois mois.
Personnellement, après avoir fait surface auprès des consuls de France à Ténériffe et à Las Palmas, je cherchai le voilier et l’équipage avec lequel nous allions affronter l’Océan et effectuer la reconnaissance des côtes. J’eus la très grande chance de rencontrer un armateur, propriétaire d’un voilier dont l’équipage était libre pour la saison. Ce voilier portait un nom qui fut célèbre en son temps ; le premier voyage qu’il avait effectué était précisément en direction du Rio de Oro à Tarfaïa. Le Gouvernement français mit un point final à l’entreprise de son propriétaire que les initiés connaissaient sous le titre qu’il s’était octroyé. Il s’agissait de Jacques Lebaudy qui s’était baptisé Empereur du Sahara.
C’était la très fameuse goélette Frasquita dont la coupe, les 2 mâts et les 36 tonneaux attiraient l’attention des connaisseurs. Son équipage se composait de 5 hommes avec un maître d’équipage dont la compétence certaine nous tira de quelques mauvais pas.
Le navigateur était un capitaine au long cours qui, douze heures après notre départ du port de Las Palmas eut une crise d’épilepsie qui nous empêcha d’apprécier ses qualités et son savoir, car il resta couché dans le coffre aux pavillons pendant la plus grande partie du voyage.
Dès notre sortie du port, les alizés nous contraignirent à tirer de larges bordées et Cervera rejoignit sa cabine en proie au mal de mer. Quand je dis «cabine», il faut s’entendre. La Frasquita n’était plus un yacht impérial. Ce n’était plus qu’une cale à transporter les régimes de bananes récoltées dans les îles Canaries et embarquées à Las Palmas pour les ports d’Europe. Mais ses lignes gardaient une belle élégance appréciée des connaisseurs.
Le carré où nous vivions se composait d’une table rabattante avec deux bancs également rabattants ; quatre caisses superposées par deux, de 2 mètres de long, 60cm de large, 60 cm de haut, encadraient le carré. Chacun de nous y pénétrait par une porte coulissante : c’étaient nos lits. On eût dit quatre vrais cercueils ! Après trois jours de voyage, nous étions en vue de la Casa de Mar du Fortin de Juby et les voiles roulées, nous jetions l’ancre pour la nuit.
Aucun signe de vie ne nous était apparu, pas de lumière non plus dans les bâtiments à 500 mètres environ du Frasquita.
Vers 10 heures le lendemain matin, nous voyons du mouvement autour du fort.
Puis une barcasse est mise à l’eau, avec ses huit rameurs et un officier de la garnison. Celui-ci venait à la Frasquita s’enquérir des raisons de notre escale. Grâce à Cervera en tenue, tout se passa au mieux et nous fûmes invités à descendre à terre pour nous présenter au Colonel Benz, Commandant les troupes espagnoles du Rio de Oro.
L’accueil fut particulièrement cordial. Le Colonel Benz avait arboré la Croix d’officier de la Légion d’Honneur que le Gouvernement Français lui avait décernée pour sa contribution à la destruction d’un croiseur allemand caché en 1916 dans la baie de Villa Cisneros.
Je pus laisser dans le fort l’essence, l’huile nécessaires au ravitaillement de la mission aérienne prévue. Je pus aussi marquer à la chaux les quatres angles de l’aire d’atterrissage ( travail que je dus faire seul pour des raisons de sécurité, m’affirma le Colonel Benz) car les militaires ne quittaient le fort que pour aller à l’île «la Casa de Mar ».
La démonstration convaincante de Cervera leva toutes les difficultés car je n’avais aucun document officiel, ni français, ni espagnol, m’autorisant à travailler dans le Rio de Oro.
Après avoir pris congé de nos hôtes, à nouveau nous avons franchi à bord de la barcasse du fort une barre difficile ; nous avons levé l’ancre pour reprendre la route vers le Sud, sans trop frôler la côte car nous gardions le souvenir de «l’ Empereur du Sahara» et de l’aventure malheureuse de la Frasquita raclant un haut-fond à Tarfaïa. Mais cette côte qui marquait pour moi la route future du courrier, je la suivais en permanence à la jumelle avec une curiosité mêlée d’appréhension.
Nulle vie ne se manifestait sur les bords, et pourtant les cartes marines et terrestres dont je disposais, portaient des noms de Segguias dont je ne devinais pas l’embouchure. Les caps qui avançaient dans l’Océan avaient bien des noms, mais rien n’indiquait si les anses étaient animées par des activités de pêcheurs. J’aurais bien voulu aller à la côte, mais la fameuse barre infranchissable avec les moyens du bord, m’interdisait tout essai qui aurait été sûrement un danger.
Par une radieuse matinée, nous entrons dans la baie de Villa Cisnéros où nous attendaient le Docteur Militaire, le Commandant Sanz ainsi que le Capellan (curé) catalan dont la chapelle consistait en un simple maître-autel ancré dans le mur à l’intérieur du fort.
Comme au cap Juby, et toujours avec le charme déployé par Cervera, le commandant Sanz accepta le ravitaillement que nous devions laisser et je n’eus pas la peine de marquer les limites d’un terrain car la presqu’île sur laquelle est bâti le fort est rigoureusement plate sur une dizaine de kilomètres, et, par-dessus le marché, orientée dans le sens des vents alizés.
J’eus la chance de rencontrer par hasard le Caid Debeisi des ouled Delim ; et, grâce au maréchal des Logis Hamed Ben Mohamed, je pus avoir avec lui une conversation pleine d’intérêt au cours de laquelle il me promit une aide efficace le long des terrains de parcours que suivait sa tribu. Peut-être Debeisi était-il en bisbille avec les autorités du fort, car cette parlotte particulière fut l’occasion pour le Commandant Sanz de me dire combien sa méfiance était grande à l’égard de Debeisi. Ce Caïd fut accusé trois semaines plus tard de m’avoir fait assassiner. Un vrai roman inventé par la garnison.
J’aurai l’occasion de reparler de cette histoire de fou, car elle me valut mon rappel en France alors que je courais les pistes de la Mauritanie, à 300 kilomètres plus au sud.
Nous arrivâmes sans histoire dans la baie du levrier où nous nous encrâmes face aux bâtiments de Port-Etienne, et la barque du bord nous permit de mettre pied à terre au môle de la pêcherie.
 
L’administrateur de la baie du Levrier nous reçut très aimablement et nous assura un abri décent dans une dépendance des bâtiments administatifs. J’allai le lendemain reconnaître le terrain sur lequel prétendaient atterrir les avions. Hélas, d’une part ses dimensions en étaient chichement mesurées, d’autre part ce terrain était au fond d’une cuvette, ce qui obligerait sûrement les avions à frôler la perte de vitesse à l’atterrissage, ou à emboutir les bords de la cuvette en bout de piste. Je trouvai beaucoup mieux et beaucoup plus près du local où s’effectuait le dessalage de l’eau de mer qui alimente en eau potable les quelques civils et la garnison.
Après les échanges de politesse avec le commandant de la garnison ( 2 Sections de Sénégalais avec leur Lieutenant, Commandant d’Armes), une visite au Directeur de la Pêcherie et au responsible du transformateur d’eau, nous décidâmes de lever l’ancre le lendemain soir, en même temps qu’un aviso de la marine nationale qui, comme nous prenait la route du sud.
Jumelles en mains, nous observions tous les parages de la baie d’Arguin où le souvenir du radeau de la Méduse était bien connue des marins canariens de la Frasquita, et tous les jours nous ne cessions d’observer cette côte sans relief qui marquait l’horizon.
Nous ne vîmes rien de ce qui pouvait rester de l’avion Goliath de Bossoutrot dont l’aventure avait fait couler tant d’encre à son époque. Nous évoquâmes le mécanicien Coupet qui avait réussi à faire, avec les moyens du bord, une petite distillerie d’eau pour assurer le ravitaillement de l’équipage.
Quand la Frasquita franchit la barre pour entrer dans le fleuve Sénégal et s’ancrer aux pontons de Saint-Louis, j’étais à cent lieues de penser que le Colonel Gaden, Gouverneur de la Mauritanie, allait me mettre en main les clés du désert et me permettre d’assurer à coup sûr le succès de ma mission. Le Gouverneur GSaden résidait à Saint-louis du Sénégal.
Dès qu’il eut pris connaissance de la lettre que le Maréchal Lyautey lui adressait, je sentis, sur le champ, une telle communion de pensée entre nous que je vis s’effacer les 2.800 kilomètres qui me séparaient du Maroc, puisque je retrouvais l’ambiance de Rabat.
Le vrai chef de la mission Latécoère allait être le Colonel Gaden et je n’avais qu’à écouter ses conseil que j’allais exécuter comme des ordres.
Lorsque cette prise de contact fut terminée, nous continuâmes notre route jusqu’à Dakar, afin d’aller voir le Gouverneur général de l’Afrique Occidentale française, ainsi que les autorités militaires. Sur le terrain d’aviation de Dakar, je retrouvai deux amis sûrs : le Commandant de l’Air en A.O.F., le commandant Tulasne, et mon camarade d’école aux Enfants de Troupe de Billom, le Capitaine Gama.

A la conquête du désert.   HAUT  retour sommaire

Le Maréchal Lyautey et le Colonel Gaden, Gouverneur de la Mauritanie m’assurent les moyens qui sont les clefs magiques sans lesquelles le succès se serait fait attendre longtemps. L’ancre jetée sur le fleuve Sénégal au bord des quais de Saint-Louis, je me rendis au rendez-vous que m’avait donné le Gouverneur Gaden, qui m’attendait avec son meilleur sourire.
Dès les premiers mots, je sentis à nouveau que le vrai réalisateur de la mission Latécoère était le Colonel Gaden. Ce fut dans une stupéfaction admirative que je pris connaissance du plan.
Tout était prêt pour le départ : 38 chameaux du convoi de ravitaillement, essence et huile nous attendaient. Le convoi rentrait du ravitaillement des garnisons de Boutilimid et de Mederdra et le Gouverneur les mettait à ma disposition ; 3 méharis de selle avec raalla ( selle de méhari) les complétaient.
Enfin nous avions un Chef de convoi, et quel Chef : Le Cadi des Bou Sba - Oulad El Baggui, descendant du Prophète dont l’ascendant sur le personnel et sur nous-mêmes fut manifeste.

Je dois à ce saint homme de bien profitables leçons : sur les documents remis par le Gouverneur à Oulad El Baggui, les étapes étaient énumérées et minutées, les consignes et recommandations précisées pour sa mission dans le Rio de oro. De plus, le Lieutenant Charbonnier, Commandant du Poste de Méderdra était avisé directement du départ du convoi et devait me porter aide et assistance en cas de besoin. Ainsi, je n’avais plus qu^à me laisser conduire.
Merci, mon Colonel, ma reconnaissance vous est acquise et ne vous sera pas mesurée.
Quand mon méhari (baptisé oscar) se releva en m’élevant assez haut pour que je puisse serrer la main du Colonel Gaden penché sur la balustrade de la terrasse de la Maison de commandement, je me demandais quel ménage j’allais faire avec ce magnifique animal dont je ne connaissais aucunement le comportement.
Derrière le Cadi Oulaed El Baggui, je pris la piste et à la file indienne la caravane s’ébranla de son pas lent pour une étape de 10 kilomètres environ, au bout desquels nous allions dresser notre premier bivouac pour la nuit. J’allais apprendre ce qu’était la vie d’un tel convoi tout au long d’une piste que connaissait le guide et que rien ne marquait sur le sol.
A cette absence de renseignements, allaient s’ajouter les difficultés créées par le comportement des chameaux, experts dans l’art de se débarrasser de leur charge, et l’organisation du campement, la nourriture des hommes du convoi et la nôtre. Celle des chameaux consistait à laisser les bêtes libres de la trouver dans les épineux qui nous entouraient ; quant à leur abreuvoir, il n’était guerre difficile, car il se faisait quand la piste longeait un marigot. Au matin, le rassemblement était lent car il fallait récupérer les bêtes laissées toute la nuit en liberté. Tout cela se faisait dans une ambiance de grande confiance, sans heurts et sans cris inutiles, chacun s’occupant de sa tâche particulière.
De temps en temps mais très rarement, un homme bleu croisait la piste et auprès du campement, des enfants venaient, en curieux apeurés, voir les hommes blancs.
La Mauritanie se montrait avec la douceur de ses habitants, et la sécurité qui était de règle. Cela tranchait avec la vie dans le Rio de Oro.
Jour après jour, les étapes se succédèrent et un soir nous avons barraqué le convoi au bord du poste de Nouakchott. Ceux qui voient aujourd’hui les réalisations faites à ce point d’eau, pour la transformer en Capitale du genre Brasilia ( toute proportions gardées) voudront bien admettre que le désert mauritanien a bien changé en un demi-siècle.
Pas de possibilités d’aménagements rapides de terrain dans ces vallées où les épineux tenaient la meilleure place, et nous fîmes demi-tour pour nous installer plus au sud à M’Terert, une ancienne lagune asséchée qui avait l’avantage de présenter une surface dure et unie sur plus de 1 500 mètres et, orientée dans le sens des alizés.

Une reconnaissance sur les bords de l’Océan me permit de rendre visite au lieu d’atterrissage de l’avion Goliath. Des débris informes en marquaient la place. Pourtant, si quelqu’un de curieux dans l’équipage avait franchi les dunes, il aurait peut.être pu trouver, avec un peu de chance, un point d’eau à quelques centaines de mètres du lieu d’atterrissage. Nous avons en effet trouvé de l’eau ( certes magnésienne) en beaucoup de points tout au long de notre parcours, parallèle à la côte et bien souvent à moins de 400 mètres de la plage.
Sur la lagune, le terrain bien marqué, l’essence et l’huile enterrées dans le sable, une peau de chèvre pleine d’eau installée sur deux piquets pour servir de gargoulette aux équipages de passage, tout était prévu. L’aérodrome de Nouakchott était né.

Les chameaux déchargés, après une bonne nuit de repos, le convoi reprit la route du retour sous la direction d’un chef chamelier.
Le Cadi Oulad El Baggui devait continuer sa mission vers le nord et à travers le Rio de Oro afin d’aviser toutes les tribus dont le terrain de parcours touchait la côte de notre passage avec des avions. La mission qui lui avait été confiée par le Colonel Gaden précisait qu’il devait s’attacher tout particulièrement à convaincre les Chefs de tribu d’envoyer à Saint-Louis des représentants pour palabrer avec le Gouverneur de la Mauritanie, car cette haute personnalité avait des communications importantes à faire et des propositions intéressantes au sujet du passage des avions sur leurs territoires.
J’avais aussi projeté de quitter le convoi le lendemain pour aller saluer à Mederdra l’Administration de la région. Au matin de la séparation le Cadi Oulad El Baggui me convia à une cérémonie qui aujourd’hui encore remplit mon cœur d’une émotion difficile à contenir. Les chameliers, rangés sur deux rangs, leur bras droit tendu à l’horizontale faisaient un pont sous lequel j’allai passer, chaque homme bleu touchant à son tour de la main ma tête inclinée.
Le Cadi m’attendait quelques pas plus loin. Lorsque j’arrivai devant lui, il me baisa l’épaule droite et me dit :» Capitaine, mon fils, le vrai ami est celui qui prend tes intérêts en ton absence. Souviens toi que je suis ton ami et va ton chemin dans la joie ».
J’avais les larmes aux yeux en rendant l’accolade à ce chorfa dont je venais de recevoir la bénédiction. J’avais eu l’occasion à plusieurs reprises de me pénétrer de ses pertinentes remarques.
A la veillée, il m’avait dit un jour : » Mon fils, avec ta barraca, le cadavre de ton ennemi passera toujours devant ta porte ».
J’avais demandé en riant : «Cadi, est-ce que je serai devant la porte pour le voir passer?». En haussant les épaules il avait répondu : «Mon fils, tu ne crois pas en ton Dieu? Dommage!» Et un autre jour : «Mon fils, la chose qui t’arrive sera toujours la meilleure qui puisse t’arriver, même si tu crois que c’est un malheur».
Et encore : «La difficulté n’existe pas. Cherche l’homme». Aujourd’hui encore je mesure la valeur philosophique de cette prédiction.
Très tôt le lendemain de ces adieux, en compagnie du guide désigné par Oulad El Baggui, je pris la piste vers l’ est. Je désirais arriver aux abords de Mederdra avant la nuit, bien que mon guide m’ait assuré qu’en trottant le matin, à midi et le soir, nous en serions encore loin. (vingt cinq kilomètres en ligne droite).
Evidemment, à l’allure de son chameau, cela serait certain. Alors je lui proposai d’attacher son méhari à la queue du mien pour qu’Oscar puisse mener le train. C’est ainsi qu’à la tombée de la nuit, nos montures bien fatiguées pouvaient se reposer pour reprendre la route vers notre convoi.
Mon guide, fatigué par le trajet trop rapide à son goût, ne désira pas repartir le lendemain. C’est avec un regeibat qui ne parlait pas français que Charbonnier me permit de partir. (Ce guide connaissait un itinéraire plus court à travers les marigots, où l’eau arrivait à mi-ventre des chameaux). Je partis le lendemain de bonne heure pour rejoindre un campement à 200 km environ avant le coude du fleuve Sénégal à Biach où je devais passer la nuit.
A l’arrivée, j’offris un mouton aux habitants de ce petit campement où une jeune fille bleue, belle comme Antinéa, monta ma tente.
Au coude de Biach, je retrouvai le convoi qui venait juste d’arriver par la piste suivie à l’aller. Le voyage avait été sans histoire.
Ce fut ensuite un jeu de rejoindre Saint-louis où j’arrivai avec une fièvre de cheval, car les moustiques de Biach m’avaient collé un bon paludisme. Trois jours de repos me remirent d’aplomb en me permettant de me faire gâter par le Colonel Gaden. Après ces 500 km en méhari, je réintégrai mon cercueil au carré de la Frasquita, et le lendemain, l’ancre était levée pour prendre le chemin de Port Etienne.

Le retour à Casablanca  HAUT  retour sommaire

Le Colonel Gaden remet 8 sacs de courrier à jeter le long du trajet entre Port-Étienne et Cap Juby sur les zones de parcours des diverses tribus du Rio de Oro. Les trois avions allaient revenir au bercail à Casablanca et je pensais que ce retour serait moins pénible que l’aller.A l’escale de M’Terert, le moteur qui avait causé des soucis à Cueille allait obliger l’équipage à attendre le dépannage de Dakar. Georges Louis, dans un récit qu’il fit de son voyage, en retrace toutes les péripéties avec des termes qui montrent combien cette panne fut amusante et instructive pour tous, Nous atterrîmes à Port-Étienne à la nuit. Les alizés qui soufflaient, avaient bien réduit notre régime de croisière, et dès que le phare du Cap Blanc brilla à l’horizon, Hamm piqua vers lui en droite ligne à travers le large passage de la Baie du Lévrier pour atterrir avant la nuit. J’avisai de ce détail par un message à Delrieu, sur lequel il me fit la réponse suivante:
"Atterrir de nuit n’est rien. Faire un trou dans l’eau c’est la fin des haricots". Quand Don Luis Delrieu avait décidé quelque chose, ce n’était pas la peine d’aller contre. Je m’armai de patience car c’était s’allonger de près de 50 km que de faire le tour de la baie du Lévrier. Aussi, au bout d’un moment et en un lieu qui me paraissait propice pour traverses, je tendis un nouveau message: "Coupons ici, nous gagnons cinq minutes".
Cela me valut cette réponse qui est devenue depuis ma règle impérative lors de mes déplacements en automobile: "Que sont cinq minutes au regard de l’éternité" que Delrieu avait signé "Pascal". J’étais définitivement gagné à la manière de voir de ce grand pilote qui alliait une belle prudence à sa grande virtuosité dans l’art de piloter nos armoires à glace.
Les avions atterrissent de nuit dans d’excellentes conditions. Nous allons attendre ici des nouvelles de M’Terert.
Quand nous repartîmes, deux jours après, nous savions que le dépannage de M’Terert ne saurait se faire avec nos faibles moyens du bord et je décidai de continuer vers le Nord, et que seule, l’aviation militaire de Dakar ferait le nécessaire.Tout alla parfaitement jusqu’à Cap Juby, mais arrivée là, un fait nouveau modifia notre horaire.
De Massimi, piloté par Vannier avec Vergès comme mécanicien, était venu de Toulouse pour étudier la liaison Madrid-les Canaries. Les ordres étaient d’attendre son retour à Juby pour voyager de concert sur Agadir et Casablanca.
Trois jours après, de Massimi et son équipage étant de retour, nous reprenions le départ vers Agadir où nous trouvions les difficultés de ravitaillement qui, comme à l’aller, allaient être la cause d’un retard, obligeant Vannier à passer la nuit à Mogador. Delrieu aima mieux opter pour le bled entre Safi et Mogador.
Quant à Hamm, son intrépidité le mena au-dessus de Casablanca où il tourna en rond jusqu’à ce que les feux de position soient allumés sur le camp Cazes. Le lendemain matin, et sans incident nouveau, les amis casablancais, alertés par Hamm et Lefroid , nous recevaient avec toutes les marques d’une joie affectueuse, qui nous payait bien au-delà des efforts accomplis. Quelques jours après, l’aviation militaire de Dakar dépannait l’avion de Cueille et l’équipage rejoignait Dakar où il s’embarquait à bord d’un transatlantique qui le ramena à Casablanca. La mission qui avait porté le premier courrier aérien à Dakar était terminée dans des conditions suffisamment heureuses pour permettre d’envisager l’avenir avec confiance. Hélas, je devais déchanter dès l’ouverture de la Ligne sur Dakar. La tactique du Colonel Gaden sur la sécurité du personnel dans le Rio de Oro étant jugée aléatoire par les responsables de La Ligne, une autre méthode fut mise en œuvre.
Les résultats, à mon humble avis, ne changeront pas mon jugement sur la compétence de chacun, ni sur la question .
Pour marquer le retour de Cueille et Bonnort, sans oublier Georges Louis, une fête devait avoir lieu mais elle ne put revêtir le faste qu’elle se proposait pour un motif qui vaut la peine d’être relaté.
La veille de cette manifestation, le temps étant plus que douteux, le pilote courrier, Cassagne, allait du bureau à la rue un peu trop souvent pour ne pas attirer l’attention de Cueille qui observait cette manœuvre insolite de la part d’un pilote sûr de lui. Inquiété à son tour, il s’approche de Cassagne et lui dit avec infiniment de tendresse:
"Tu as peur, hein, ne mens pas - J’assurerai le courrier demain, Dépose la démission tout de suite, car ça vaudra mieux pour toi, Je partirai à ta place"
Cueille manqua à ses amis pour la fête, mais les témoins de l’intervention de Cueille ne pouvaient qu’applaudir cette conception du devoir en de telles circonstances.Cassagne quitta la Ligne. Cueille venait sûrement de lui sauver la vie. Quels hommes, étaient ces pilotes courrier du temps de la "Chimère", comme les a baptisés si justement l’écrivain Jean Fleury dans son livre " La Ligne ".

Après le raid  HAUT  retour sommaire

Une conférence aux Anciens Centraux.
Devant cet auditoire de choix, j’expose les problèmes que pose le transport du Courrier, les solutions permises en 1922; l’avenir que la Ligne peut espérer et qui dépend du choix dans le matériel, dans celui des hommes, et surtout dans celui du Chef.
Je repris le train train quotidien de mes occupations qui étaient faites de réceptions en l’honneur des invités de Pierre Latécoère et de de Massimi et aussi de visiteurs de marque, tous impressionnés par l’atmosphère de grande sympathie dont les Casablancais entouraient La Ligne.
C’est ainsi que j’eus l’honneur de recevoir, entre autres, André Michelin (dont la famille connaissait les parents de ma femme), qui avait fait le projet de réunir à Casablanca un Conseil d’Administration de la Société. Mais les 2 places disponibles dans chaque avion étant retenues à l’avance par notre clientèle régulière, cela ne permit pas d’envisager cette réunion.
Par la suite, je rendis visite à André Michelin au boulevard Péreire, chaque fois que j’étais convoqué par Pierre Latécoère à Paris, et chaque fois je constatais le même intérêt pour La Ligne que je défendais ardemment contre Henri de Kerilis de "I’Écho de Paris" qui, faisait des conférences présidées justement par André Michelin, et dans lesquelles il se posait en accusateur du Gouvernement qui aidait les lignes aériennes qui coûtaient de l’argent à la France, alors que tous les efforts devaient tendre en faveur de l’aviation militaire.
Ces conférences, titrées "Face à l’Est" n’entraient pas dans mes vues et mes protestations verbales écrites, auraient pu me valoir d’être traduit devant les tribunaux par le dit Kerilis qui entretenait des relations non dépourvues d’intérêts pécuniaires dans une Société qui représentait les Dorniers allemands à Madrid.
Le Capitaine aviateur Franco, frère du Général Franco, futur chef du gouvernement espagnol, m’en avait fourni la preuve formelle par des faits précis, A noter que le Capitaine Franco avait partie liée avec la firme Dornier. Me montrant à Nador, son magasin de ravitaillement, il m’avait assuré que jamais un boulon français n’aurait sa place dans ces tiroirs, Ses confidences étaient prises à bonne source.

Les anciens de Central à l’aéro-club du Maroc  HAUT  retour sommaire

L’Aéro-club continuait à intéresser les Casablancais et nous y recevions beaucoup de personnalités de passages, C’est à l’occasion de la réception des anciens élèves de l’ École centrale en voyage au Maroc que je fus prié de prendre la parole pour exposer l’œuvre d’un ancien de l’École Centrale, Pierre Latécoère. Je voulais aussi définir en détail le programme de l’Aéro-Club du Maroc; nos points de vue sur l’aviation marchande, son but et ses moyens.
Voici ce que je développai devant cet auditoire de qualité :
"Exprimer tout ce qu’il y a d’intéressant à dire sur l’ Aviation marchande, telle que nous la concevons, telle que nous, Marocains, la voulons, et telle que nous croyons pouvoir la réaliser, nous entraînerait trop loin. Nous nous bornerons à vous dire que dans ce pays où l’aviation marchande a conquis droit de cité, vous n’entendrez aucune théorie formulée en des termes à grand fracas, Nul ne vous dira ce que sera l’Aviation dans 10 ans, Nul ne s’extasiera ni sur les bolides de demain ni sur les paquebots aériens de l’avenir. Vous n’entendrez parler que de l’aviation d’aujourd’hui, de celle que nous avons ici et qui suffit pour l’instant à notre bonheur.
Mais nous vous donnerons aussi la manière de s’en servir. Nul ne vous soufflera mot des possibilités futures ainsi que du rendement commercial lorsque la routine sera vaincue.
C’est qu’ ici, où la routine n’est pas, nous savons où nous allons, et nous connaissons les facteurs qui assurent le succès.
Vous n’entendrez pas les lamentations vides d’arguments dont les professionnels de la propagande aérienne en France vous abreuvent quotidiennement et dont les résultats sont bien minces.
Ici, ouvrez tous les journaux du Maroc, vous jugerez de la place qu’y tient l’action aérienne et vous retiendrez surtout la forme vraiment efficace que prend cette action.
C’est que dans le Maroc aérien, c’est-à-dire dans tout le Maroc, en matière d’aviation, le bourrage de crâne n’est pas possible.
L’avion passe ou ne passe pas: il passe.
Le courrier arrive ou il n’arrive pas: il arrive.
Tout est là.
Il nous est agréable de constater à l’heure actuelle que nos avions passent en toutes saisons et que le courrier nous arrive par n’importe quel temps.
Et cela seulement nous intéresse.
Mais nous nous y intéressons prodigieusement
Tout au long de l’exposé que je vais avoir l’honneur de vous faire, nous vous présenterons l’avenir de notre aviation marchande, basé non sur des données hypothétiques, mais bien sur des faits et chiffres précis, contrôlables et contrôlés.
Nous nous essaierons à vous démontrer combien la désastreuse politique actuelle d’économies de bouts de chandelle compromet gravement la sécurité de nos équipages sur l’unique route aérienne du monde dont le rendement commercial soit assuré. Sa haute portée politique exigerait l’appui immédiat de notre gouvernement dont la seule excuse à mes yeux est d’être insuffisamment renseigné.
Le système actuel d’exploitation sur Casablanca-Dakar nous conduira à de cruels mécomptes, nous en sommes malheureusement persuadés et notre personnel en fera les frais.
La liaison aérienne France-Afrique est d’une importance vitale. Parmi les pôles d’attraction qui sollicitent notre activité nationale, les possessions françaises en Afrique méritent de passer au premier plan. Elles offrent en effet, à notre industrie, un domaine d’expansion où elle n’a pas à craindre de semer pour l’étranger. Son étendue est telle qu’elle pourrait constituer pour nos énergies un stimulant comparable à ce qu’a été le Far-West pour les Américains.
On s’est donc tourné vers elle tout naturellement, pour y trouver un placement de nos efforts aériens puisqu’ à notre époque c’est l’ampleur de l’effort dans telle ou telle branche qui peut seule en assurer la maîtrise.
Une sélection rigoureuse doit présider à notre choix.
Comme pour l’effort naval, il nous manque le nerf essentiel: le carburant.
L’Angleterre peut poursuivre une politique de marine marchande dont seul son budget intérieur fera les frais. Elle imposera ses contribuables pour soutenir ses marins et ses armateurs, mais ces contributions iront aux charbonnages anglais et à ses armateurs. Le pays ne sera pas appauvri d’un penny pour conquérir les routes navales.
Les mêmes conditions ont permis à l’Allemagne l’ascension surprenante de sa marine marchande grâce à une politique qui pourrait paraître hardie, mais dont toute la hardiesse était d’ordre purement intérieur, échappant complètement à l’étranger.
Au contraire, si la fabrication des avions profite à l’industrie française, leur utilisation éprouve lourdement le contribuable, car l’aviation ne peut se soutenir que grâce à des subventions d’ État qui ne reviennent pas intégralement dans le pays, puisque toute la consommation de nos avions est achetée à l’étranger.
Un récent accord avec la Pologne au sujet de la fourniture d’essence peut donner à cette exportation de francs, une destination plus heureusement politique sans la faire cesser.
Donc, en attendant que cette politique du pétrole, dont la guerre nous a durement fait comprendre la nécessité, produise ses fruits, il convient de sélectionner afin d’atteindre un double objectif ne pas nous laisser dominer brutalement par l’aviation étrangère et nous défendre le plus économiquement possible.
Deux conditions essentielles régissent cette sélection, pour que l’aviation marchande mérite l’effort de notre pays, il faut :
1) Qu’elle jouisse d’une supériorité manifeste sur les autres modes de locomotion.
2) Qu’elle ait une clientèle.

L’expérience a déjà surabondamment prouvé en France que l’aviation ne pouvait prétendre à concurrencer le chemin de fer.
On ne trouve à l’heure actuelle d’exception qu’à la faveur d’une clientèle particulièrement abondante et riche comme entre deux capitales: Paris- Bruxelles, Paris-Londres.
Calculons en tenant compte de ces deux conditions, les différentes sollicitations tant de l’Empire français d’Afrique que de l’Amérique du Sud.
Une seule ligne aérienne de France-Afrique a réussi jusqu’ici ; mais il convient d’ajouter qu’elle a dépassé en trafic postal et en régularité toutes les autres lignes françaises.
C’est la ligne Toulouse-Casablanca, due à l’initiative et à la direction de Pierre Latécoère.
Elle fut inaugurée le ler septembre 1919 avec un service bi-heddomadaire.
Cette formule se révéla vite défectueuse parce qu’elle ne permettait pas de marquer nettement un avantage sur le courrier maritime. Aussi la périodicité fut-elle augmentée jusqu’à devenir quotidienne en 1922.
De même, la recherche du rendement fit apparaître que si, au début, il était possible de s’arrêter à Rabat, il était indispensable de la prolonger jusqu’à Casablanca.
Soutenue par ces deux facteurs de supériorité, dans la vitesse régulière et dans la clientèle suffisamment nombreuse, la Ligne vit récompenser le dévouement et l’audace de son personnel.
En 1919, du 1er septembre au 31 décembre, la Ligne Toulouse-Rabat a transporté par avion 9 124 lettres pesant 156 kg.
En 1920, la Ligne Toulouse-Casablanca a transporté 182 061 lettres pesant 3 252 kg.
En 1921, elle a transporté 327 805 lettres pesant 6 337 kg.
En 1922, elle a transporté 1 047 352 lettres pesant 33 635 kg.
En 1923, elle a transporté 2 591 173 lettres pesant 55 364 kg,.
Elle atteint maintenant plus du tiers du courrier total du Maroc.
En outre, le nombre des passagers augmente régulièrement Il atteignait 750 en 1922 pour arriver à 1 344 en 1923, et ce chiffre progresse régulièrement, quoiqu’il n’y ait que 2 places dans chaque avion.

Actuellement, 70 avions assurent le service de la Ligne Toulouse-Casablanca qui fonctionne sans interruption et par toutes les saisons. Les départs ont lieu de Toulouse à 9h du matin tous jours. L’arrivée a lieu à Casablanca le lendemain vers midi.
En été, les départs ont lieu à 6h et le voyage se fait dans la même journée.
Un voyageur quittant Toulouse le matin peut coucher à Casablanca le jour même. L’avion fait escale à Barcelone, Alicante et Malaga. Halte à Tanger et à Rabat, avec changement de pilote à chaque escale.
Les avions de la Ligne Toulouse-Casablanca ont parcouru à l’heure actuelle, c’est-à-dire au 1er décembre 1923, plus de 4 100 000 km, soit plus de 100 fois le tour du monde, décomposant en:
173 900 km en 1919
553 450 km en 1920
1 171 200 km en 1922
1379 250 km en 1923

En octobre 1922 la Compagnie Générale d’ Entreprises aéronautiques (Lignes Aériennes Latécoère) a inauguré la ligne Casablanca-Oran par Rabat et Fez. Le service est actuellement limité à 2 courriers par semaine (aller et retour), Enfin cette année, la Ligne a poussé une antenne jusqu’à Marseille. Le courrier partant de Marseille de bon matin rejoint l’avion postal à Perpignan et lui remet sa correspondance qui peut ainsi arriver à Casablanca en même temps que celle de Paris et de Bordeaux.
Le seul perfectionnement désirable serait de faire partir la Ligne de Bordeaux où le courrier de Paris arrive plus tôt le matin qu’à Toulouse, L’horaire en serait très facilité et les avions pourraient, sauf pendant les jours les plus courts de l’année, boucler le parcours dans la même journée.
Cependant, depuis la création des Lignes aériennes Latécoère France-Maroc, de nombreux autres projets ont vu le jour et même le jour de l’inauguration, Alger, Tunis, Oran, n’ont pas été sans se piquer d’émulation à l’annonce que leur cadette Casablanca expédiait son courrier à Paris dans les 24 heures quotidiennement, La richesse financière de l’Algérie lui a même permis de faire un gros effort de subvention pour appeler des avions, soit par un embranchement sur la ligne France-Maroc, soit par une ligne directe de Marseille.
Des hydravions ont tenté d’abord l’escale de Corse, puis la traversée jusqu’à Tunis.
Sauf l’embranchement Casablanca-Oran, aucune de ces lignes n’a encore fonctionné normalement; cependant que France-Maroc est quotidien dans les deux sens et régulier depuis plus de 4 ans.
C’est que par mer, il faut un minimum de 3 à 4 jours entre la France et le Maroc et que la marche des paquebots coûte trop cher.
Le Maroc a connu un Service maritime mensuel puis bimensuel, puis hebdomadaire et aujourd’hui, au meilleur moment de la saison, un courrier tri-hebdomadaire met 5 jours pour venir de Paris.
Mais l’avion est quotidien à 24, 36 ou 48 heures au plus de Paris, Si l’on calcule en "commerçant" qui considère l’échange de courrier, on trouve un écart d’une semaine entre la réponse par bateau et la réponse par avion.
La supériorité aérienne est donc manifeste pour le Maroc.
Au contraire, les ports d’Algérie et de Tunisie sont reliés à Marseille et à Port-Vendres par des paquebots très rapides dont les services divers peuvent se conjuguer au moyen de chemins de fer à voie normale d’Algérie.
Le gain par avion subsiste bien, mais n’est pas suffisant pour s’imposer.

Les projets en cours et à l’étude  HAUT  retour sommaire 

Cependant l’Algérie, poussée par une émulation de modernisme essaya d’un autre côté.
Appliquant la première formule de la supériorité de la vitesse de l’avion sur les autres moyens de communication, une ligne Alger-Biskra commença à fonctionner. Son but était d’atteindre le Niger. Les premiers résultats prouvèrent que le courrier transporté était décevant et que même arrivant au Niger, il ne parviendrait pas à être intéressant.
La recherche d’une clientèle aérienne est donc la base primordiale du succès et avant d’en espérer une, il aurait fallu effacer le souvenir du Général Laperinne mourant, introuvable dans la solitude du désert.
D’ailleurs, les prix de revient de la locomotive aérienne dans ces contrées sont hors de nos moyens.
On pourra certes améliorer les conditions de ravitaillement, mais avant d’ en décider, considérons que la première traversée aérienne du Sahara a coûté une centaine de millions pour deux avions à l’aller seulement.
Messieurs, veuillez bien calculer vous-mêmes le prix de revient d’une ligne régulière.
Il faut donc, pour trouver un peu de clientèle, chercher une capitale, c’est-à-dire un centre postal.
Ce choix n’est pas douteux.
Dakar, capitale de l’ A.O.F. présente déjà la centralisation de tout le courrier France-A.0.F. En outre, port d’escale de l’ancien continent le plus rapproché de l’Amérique du Sud, il peut prétendre à transiter le courrier de l’Afrique du Sud vers l’Amérique du Sud.Voilà ce qui nous change de Biskra et du désert.

Une simple évaluation.  HAUT  retour sommaire  

Comment joue la première formule de supériorité aérienne sur cette grande route internationale -
Les Courriers maritimes les Plus rapides mettent en moyenne près de 10 jours de Dakar en France et 8 jours de Dakar à Lisbonne.
Or le raid improvisé des 3 avions de la Ligne Latécoère en mai 1923, a été accompli en 3 jours de Casablanca à Dakar et a démontré qu’en organisation normale, la liaison Pouvait aisément se faire en deux jours.
C’est donc Dakar à 4 jours de Paris. De même Londres, par combinaison de rapides de nuit portant à Paris le Courrier aérien et de la ligne d’avions Paris-Londres, se trouvera à 4 jours au plus de Dakar et celle circonstance attirera la grosse clientèle postaIe du Dominion britannique de l’Afrique du Sud.
Bruxelles, autre capitale intéressée à l’Afrique, offrira également sa clientèle.
Le gouvernement belge a même déjà commencé à s’intéresser à la Ligne France-Maroc.
Ses courriers maritimes sont en liaison à Casablanca, avec le courrier d’avion en provenance ou à destination du Congo belge. Cependant, il ne s’agit que d’un gain de deux à trois jours. A plus forte raison, la voie aérienne sera-t-elle empruntée lorsque ce courrier aura à son actif un gain de 6 jours ?
Ajoutons une considération d’homme d’affaires.
Le télégramme de Casablanca-Paris coûte 30 centimes le mot et :celui de Dakar-Paris coûte 3,50 F. Pour l’Amérique, les correspondances européens des grandes affaires sud-américaines et sudafricaines auront intérêt à posséder à Casablanca des Agences qui seraient, comme actuellement à Lisbonne, port d’escale postale, un relai de courrier. Elles n’y gagneraient pas seulement du relevant de la Bourse ou des Agences de Paris.
Sans nous perdre dans des statistiques compliquées et pour nous inspirer simplement de l’expérience, nous calculerons que le 1/16è du courrier qui transite actuellement par Lisbonne seulement, suffirait à alimenter cette ligne en courrier postal sans avoir besoin de la clientèle voyageurs. Le courrier étant le frêt de beaucoup le plus rémunérateur, le rendement financier de la ligne serait de 15 fois plus élevé que celui de France-Maroc, alors que son exploitation ne coûterait certes pas plus de 3 fois plus cher, à cause dela distance. Or, l’actuel courrier France-Maroc a conquis le 1/3 exactement du trafic postal marocain. On voit donc que la prétention de capter le 1/16 du courrier transitant à Lisbonne sans compter le courrier de Bordeaux qui est, lui aussi fort important, n’a rien que de très modéré.

Comment aller à Dakar?  HAUT   retour sommaire

Il semble superflu de poser cette question puisque l’expérience tentée par 3 avions Latécoère en mai dernier a parfaitement réussi. Si bien réussi qu’elle n’a donné lieu, faute d’angoisse, de drame, de sensationnel, à aucune publicité pour ainsi dire.
Cependant, elle a éveillé des appétits et par conséquent provoqué des rivalités qui, faute de démonstration à opposer, ont été basées sur des influences politiques, Cela ne suffit pas toujours à avoir gain de cause, encore moins à transporter des lettres, Mais cela suffit généralement à remporter une subvention et entraver l’œuvre utile.
S’il m’était permis d’entamer ici ce chapitre, j’oserais déclarer que certains politiciens français nous coûtent encore plus cher que l’essence étrangère, Mais cela sortirait du cadre de notre exposé. Qu’il nous suffise d’en revenir à notre objectif essentiel de limitation des efforts!
La meilleure garantie contre les déviations d’influence politique est de faire confiance à un homme qui ait déjà fourni des preuves.
En matière d’aviation, il est encore impossible de truquer. Si l’entrepreneur ne fait pas largement son devoir, s’il n’apporte pas une attention intense chaque jour à sa tâche, non seulement son courrier ne fonctionnera pas régulièrement mais, le drame des Airs imposera bientôt sa sanction de publicité dramatique. La médiocrité n’est pas possible.
Il semble donc qu’une entreprise qui fonctionne depuis 4 ans à la complète et enthousiaste satisfaction de la clientèle mérite qu’on fasse converger vers elle, les efforts limités dont on dispose et qu’une déclaration claire, formelle, permette à l’opinion raisonnable de se rallier pour l’effort commun.

L’itinéraire  HAUT  retour sommaire 

L’actuel tracé du Transaharien peut troubler certains esprits dans cette course vers le terminus continental de Dakar.
Des arguments qu’il ne nous appartient pas de discuter ici, ont été vulgarisés autour de cet itinéraire, Disons qu’ils s’appliquent à une ligne de chemin de fer, non à une ligne d’avions et qu’ils se réfèrent à une question militaire non postale.
Pour l’avion postal, le choix de l’itinéraire ne doit tenir compte que du plus court chemin à la seule condition qu’il soit possible.
Les études publiées à la suite du raid Casablanca-Dakar (Illustration du 4 août 1923, les Ailes, l’Air, la brochure "Casablanca-Dakar à bord d’un avion postal Latécoère" éditée par la vigie Marocaine, dont Georges Louis, rédacteur en Chef, prit part à ce raid) ont démontré que non seulement l’itinéraire côtier choisi par la mission était le plus court, qu’il était "possible", mais encore qu’il réunissait les meilleures conditions que l’on puisse souhaiter. Nous énumérerons simplement ces avantages :
Pas de montagne à franchir.
Route constamment évidente puisqu’il suffit de suivre le rivage
Facilité d’atterrissage en cas de panne sur n’importe quel point de la côte depuis l’oued DRA.
Existence de postes avec garnison et T.S.F. au bout de chaque étape normale.
Facilité et modicité du ravitaillement puisque tous les aéroplaces sont sur le bord de la mer.
Climat plus tempéré.

Avion ou Hydravion  HAUT  retour sommaire

Une ligne d’hydravions ne jouirait pas de tous ces avantages. Les amerrissages de fortune ne sauraient lui être garantis sur l’Océan et le récent exemple de l’hydravion C4, dans la Manche montre combien, du point de vue purement nautique, l’hydravion a encore besoin de perfectionnement.
On peut, au sol, choisir des points d’atterrissage de fortune que l’on organise le long d’un itinéraire. Mais l’Océan ne s’organise pas, même par petites places.
Or, il s’agit d’un courrier régulier, fonctionnant par n’importe quel temps, comme le fait aujourd’hui la Ligne Latécoère.
Les expériences actuelles de nos hydravions ne sauraient servir de base à des déductions. On ne pourra conclure qu’après la tentative de mise en service prochaine qui, fonctionnant en concordance avec France-Maroc, permettra des comparaisons sous l’impitoyable réserve d’un courrier régulier par n’importe quel temps.
Encore conviendra-t-il de ne pas oublier que l’hydravion est plus lent, plus lourd et plus coûteux que l’avion.
Nous ne voulons point, ici, recommander des marques, mais une méthode pour choisir entre elles, Il faut bien reconnaître qu’il y a deux aviations avec deux objectifs distincts.
L’une de combat, basée sur le succès à tout prix.
L’autre d’exploitation économique basée sur le prix du succès.
On ne peut pas demander à l’aviation marchande de faire les frais des essais pour l’aviation militaire. Même dans l’aviation marchande il y a des catégories à différencier.
Un avion postal requiert d’autres conditions qu’un aérobus. Une ligne franchissant des montagnes, survolant des itinéraires sans terrains de secours, nécessite d’autres appareils qu’une ligne au -dessus des plaines.
C’est ainsi que la ligne France-Maroc a dû renoncer à l’emploi des limousines parce que ses terrains de secours en Espagne sont généralement les plages, terrains courts où il faut atterrir vent de côté. Cette manœuvre qui se fait aisément avec des torpédos Bréguet 14 ne réussissait jamais avec les limousines et il fallut renoncer à cette carrosserie qui constituait cependant un progrès pour le voyageur.
De même, les essais d’autres appareils sur cette ligne n’ont pas été retenus à cause des conditions de navigation, d’atterrissage, de poids à transporter et de prix de revient.
Certes, il faudrait se garder d’une formule qui cristalliserait notre aviation et l’empêcherait de progresser sous prétexte qu’elle est satisfaisante. Mais la tendance contraire serait encore plus désastreuse en raison du prix qu’elle coûterait, et en aviation les mécomptes exposent au drame.
L’aviation marchande doit être une école, non d’essais nouveaux, mais de perfectionnement.
Un appareil répondant moyennement aux nécessités de la Ligne doit être considéré comme le type que l’on perfectionnera progressivement au gré de l’expérience mais qu’on ne changera pas, sauf sous l’impulsion d’inventions bouleversant les conditions actuelles, ou à la suite d’une longue expérimentation par la ligne intéressée hors du Service régulier.
L’aviation ne peut en effet réussir que si le personnel est rodé par une longue accoutumance. Il faut même tenir grand compte de cette accoutumance comme d’un facteur principal.
On peut la faire évoluer, il serait imprudent de la sacrifier.
L’exemple des lignes aériennes Latécoère est probant.
Pendant la première année, les pertes d’appareils furent assez fréquentes. Mais le système des rapports quotidiens de chaque pilote à chaque étape, consignant ses observations, permit d’apporter progressivement les corrections nécessaires. Aujourd’hui, le même appareil Breguet avec son même moteur Renult est un modèle de régularité, de souplesse, d’endurance.
Retenons encore que la considération essentielle de l’importation des carburants nous interdit certains luxes. Il est toujours possible d’obtenir un progrès mécanique en y mettant le prix. Mais les sacrifices que demande au contribuable notre aviation marchande, nous oblige à établir des moyennes où le service aérien soit assuré aux meilleures conditions d’économie. C’est d’ailleurs le problème qui s’est imposé ces dernières années à notre industrie automobile et pour la même raison essentielle.
Ajoutons que les progrès dans l’aviation marchande dans ce sens de l’économie rendront le plus grand service à l’aviation militaire qui, si elle n’est peut -être pas limitée en temps de guerre par les crédits, peut l’être comme elle l’a été déjà par les disponibilités mêmes des stocks de carburant dont l’alimentation dépend de l’étranger.
En décourageant la tendance naturelle de l’aviation marchande à l’économie, nous travaillons donc à l’indépendance même de notre aviation militaire.
On ne saurait lui demander davantage sans la compromettre dans son existence même.

Les hommes.  HAUT  retour sommaire

Les meilleurs principes ne valent que s’il se trouve des hommes courageux et compétents pour en assurer le choix. On dit volontiers que la France découvre toujours aux moments désespérés de son histoire des hommes nécessaires.
Mais est il donc besoin d’attendre le dernier palier du désespoir pour chercher ces hommes et leur faire confiance?
Notre aviation, défavorisée par notre manque de carburant, doit soutenir un combat très serré pour garder son rang dans la compétition internationale sans ruiner la nation elle-même. Il lui faut donc des chefs de premier choix possédant une expérience de vieux capitaines qui leur permette d’éviter la casse et d’atteindre l’objectif avec le minimum de pertes.
Ces chefs doivent en outre s’être formés dans ce sens spécial du dévouement au Pays, qui caractérise les vrais grands soldats, parce qu’il limite l’ambition personnelle, en dégage totalement la mission à accomplir.
Dans cette période où l’aviation marchande exige de la nation un tel effort, il lui faut des industriels qui sachent limiter leur caractère d’hommes d’affaires pour être par-dessus tout des serviteurs de la Patrie.
Je sais qu’une telle proposition jure un peu avec l’ambiance spéculative d’aujourd’hui, avec l’aggravation, la corruption du struggle for life anglo-saxon dont la brutalité originelle s’acoquinerait volontiers chez nous d’un certain byzantinisme importé du levant.
Il faudra cependant revenir à cette conception du civisme nécessaire chez les grands chefs de notre industrie.
Le temps est passé où le militaire et le politique pouvaient assumer la responsabilité de la nation. Aujourd’hui un peuple dépend de ses chefs d’industrie comme ils s’appuient eux-mêmes sur les richesses matérielles et morales de la nation. Ce ne sont plus des artisans libres dont l’existence personnelle est en dehors de la vie politique, Ils ont des privilèges comme l’ancienne aristocratie chargée de la défense du territoire commun. On a raison de demander leurs noms. Ils appartiennent à l’ opinion.
Nous n’avons, en ce qui concerne ce chapitre du Sud qu’un nom à citer. Mais quatre années d’épreuve le soulignent et répondent de lui : c’est le nom de Pierre -Georges Latécoère.
Certes, les mêmes conditions industrielles que nous invoquions tout à l’heure ne permettent pas à un seul homme d’être tout dans une affaire. Autour de Latécoère, il faudrait citer de nombreux autres dont le dévouement, l’ardeur et cette belle objectivité de " Serviteur du Pays " ont fait des collaborateurs précieux.
Mais à toute affaire, il faut une tête dont la pensée, souvent même le sentiment, suffit à orienter toute l’impulsion.
Il n’est donc pas injuste de se rallier à un seul nom qui désigne à la fois un chef et son équipe.
Latécoère, après avoir étendu sa construction de wagons en série, commença à fabriquer des avions sur diverses licences et conçut sa vocation d’ Organisateur de Lignes Aériennes.
Organisation où l’on sent la double tradition de l’Ingénieur et de l’Iindustriel, le double souci des conditions techniques et de la clientèle, qui devaient l’orienter vers ce Maroc où les conditions de l’utilité et du succès se trouvent parfaitement réunies.
Pour mieux se consacrer à cette œuvre, il négocia ses usines en pleine prospérité, ne gardant que ses Ateliers d’aviation.
C’est qu’il avait trouvé un but à sa vie, une de ces œuvres de longue haleine dont l’ampleur, les difficultés et la beauté peuvent, à l’exclusion de toute autre passion, suffire à une existence, absorber même ce " Mal des ardents" dont parle un de ses plus proches collaborateurs.
Latécoère a rêvé d’atteindre un jour l’Amérique, non point en raid, mais en Ligne organisée, régie, commercialisée.
Il est désormais l’homme d’une idée.
Il ne pourra s’en évader pour retrouver sa libre personnalité que lorsque nos avions atteindront Pernambouc, de l’autre côté de l’Atlantique, à la pointe la plus rapprochée de l’Amérique du Sud.
Il n’ignore point que c’est un esclavage de longues années qu’il souscrit là, pour un résultat que l’état actuel de la science laisse encore incertain.
Il n’y cherche pas la fortune puisqu’il l’avait déjà, Il l’a plutôt asservie à une œuvre difficile.
Il n’a pas davantage cherché une gloire que sa timidité lui rendrait insupportable. L’impulsion de Latécoère paraît ainsi plus subjective qu’objective car elle émane d’une vocation.
Nous croyons vous avoir démontré que cette idée répondait précisément au meilleur programme que la France puisse se tracer actuellement dans ses efforts aériens hors d’ Europe.

Interview du colonel Roig, publié le 30 janvier 1965 par Georges Nieter (coll Didier Lecoq source) HAUT 

L'aventure africaine.
Toutes les têtes brûlées de l'armée française semblaient s'être donné rendez-vous au Maroc dès 1929. Parmi tant de chefs dont les noms allaient devenir célèbres, les aviateurs se montraient les plus intrépides, sinon le plus turbulents. Déjà, l'émulation jouait. Ils rêvaient tous de rejoindre Dakar par la voie des airs. C'était le mirage des villes interdites, le dangereux survol du désert. A Rabat, à Casablanca, les langues allaient bon train, surtout après l'échec de Bossoutrot, obligé de se jeter sur les côtes de Mauritanie entre mer et sable.
Le Capitaine attendait son heure. Elle vint en 1922.
La paix avec le sol.
OUVRIR la voie jusqu'à Dakar représentait, à cette époque, une énorme somme de dangers. Pilotes ou mécaniciens avaient le choix, fort électrique, de mourir écrasés sur le sol à la suite d'une panne moteur, se perdre en mer à la moindre faute de navigation, se faire assassiner par  les tribus rebelles qui peuplaient le Rio de Oro et la  Mauritanie, mourir de soif sous l'aile d'un "coucou" en panne d'essence, au fond d'une vallée perdue et torride de cette immensité sablonneuse.
Préparer les étapes.
POUR un aviateur de cette époque, l'étape était avant tout l'huile et l'essence que réclamait l'appareil. Incidemment, la nourriture pour les hommes.
En septembre 1922, il monta à bord d'un cargo aménagé pour le transport des bananes, chargé cette fois, de fûts. La "Frasquita"; ancien yacht de Jacques Lebaudie, qu'on appelait l'Empereur du Sahara, bourlingua pendant trois mois tout au long de cette côte de solitude. mal de mer, Haine de cet Atlantique sans fin, comme le désert, dans lequel avaient sombré, déjà tant d'équipages. La "Frasquita" faillit même faire naufrage à l'embouchure du Sénégal, à la suite d'un échouage.
Après une lutte de tris mois, la capitaine Roig dur s'avouer battu. La triple et énorme barre qui défendait la côte ne permettait pas la constitution de points d'escale. Le déchargement des fûts devenait, à chaque fois, un exploit.
Battu mais non vaincu. Ce qu'il ne put avec la "Frasquita", il le fit à dos de chameau. En tête de la longue colonne de méhara, il reconnaissait les meilleurs points, enfouissait dans le sable l'essence te l'huile pour les protéger de l'évaporation et de la destruction, traçait, à la chaux un terrain de six cents mètres de côté, palabrait avec les notables, et représentait la France. A ses côtés marchait l'homme bleu, son ami Oul el Baggi, cadi des Bousba, descendant du prophète. Auprès des grands silencieux qu'étaient les aviateurs défricheurs de la ligne, cet homme était le silence même. Mais lorsque le capitaine vint le saluer, au matin de son départ, il reçut la bénédiction charia, accompagnée de ces mots:
- Pars tranquille, capitaine, mon fils. Le vrai ami est celui qui prend tes intérêts en ton absence. Souviens-toi que je suis ton ami, et va ton chemin dans la joie.
Et puis encore:
- La difficulté n'existe pas. Cherche l'homme.
Et louer le ciel... par mensualités
Le capitaine Roig avait vaincu le sol. Il lui fallait encore réduire les tribus toujours en effervescence en cette partie de l'Afrique. Les réduire par les armes? Tâche trop longue et peu élégante pour ses galons rouges d'aviateurs.
A l'aide du colonel Gaden, il réunit un jour les responsables des onze tribus dont le territoire s'étendait, le long des côtes, depuis le Maroc jusqu'au Sénégal. Au cours de la palabre, il promit un billet de cinq francs pour chaque de chaque tribu. les guerriers acceptèrent cet étrange et riche marché et louèrent ainsi leur ciel aux Français. Ils promirent même, d'aider les équipages en difficultés. Et c'est ainsi que le capitaine Roig, pendant des mois, survola le marabout d'Ifni, en lâchant, dans l'enceinte, un petit sac contenant la location d'un bout de ciel africain: un tas de billets de "cent sous".
Il réussit !
Le départ pour Dakar eut lieu le matin du 3 mai 1923, dans les plus mauvaises conditions atmosphériques. Toute la nuit, la tempête fit rage, et toute la nuit, il fallut déplacer les avions afin de les protéger contre les rafales et les tôles qui s'envolaint comme d'immenses et dangereux oiseaux.
Sns doute, le capitaine Roig avait-il aux oreilles les mots du maréchal Lyautey qui l'avait reçu peu de mois avant:
- Tu ne reviendras pas, petit... Pourquoi t'obstines-tu?
Les Casablancais, eux, pensaient bien que le chef de cette expédition ne serait pas assez fou pour respecter l'horaire. A l'heure dite, trois Bréguet 14, pilotés par Delrieu, Cueille et Hamm, accompagnés par un journaliste de choc, Georges Louis de la "Vigie Marocaine", s'enfonçait dans le coton en direction du Sud.
- Dans le premier avion, dit plus tard le capitaine Roig, je brûlais les quelques fusées-signal pour rallier les camarades, car je n'apercevais plus la flamme des pots d'échappement, qui, dans la nuit, auraient pu nous servir de repères.
A l'aube, les trois avions s'étaient perdus de vue. Pourtant, trois heures après, ils se retrouvaient par le travers de Mogador, puis sur la baie de d'Agadir. L'expédition était de nouveau au complet. Ce fut à cette première escale que les nerfs d'un pilote craquèrent. Les avions avaient déjà fait le plein. Il n'y avait plus qu'à lancer les moteurs:
- Non capitaine... Je reste... Ce serait aller vers la mort...
Le capitaine sortit son revolver et le braqua contre le pilote, un vieil ami pourtant:
- Si tu ne grimpes pas immédiatement, je te brûle la g....
Comme un automate, le pilote obéit, décolla... en oubliant d'emmener avec lui le mécanicien.
A ce lointain souvenir, le colonel Roig murmure:
-Ceux qui se tuent dans le désert sont ceux qui ont peur et qui n'ont pas la foi.
Le 5 mai, à 15 heures, il expédiait de Dakar ce télégramme: "Mission accomplie. Tout va bien".
Deux ans plus tard, allait s'ouvrir une ligne régulière, et les petites étapes deviendront des escales. Mais au prix de quels sacrifices. Gourp, assassiné par les Régueibat; des Pallières, brûlé vif à Port-Etienne; Reine, trois fois prisonnier des Maures; Riguelle, tué; Moreau, tué; Bury, tué; Guyollot, Sirvin, Jaladieu, Marsac, tués; Et tant d'autres...
En réchappèrent: Mermoz, Guillaumet, Saint-Exupèry, pour entrer dans la légende.

L'aventure américaineHAUT 
LES rêves des aviateurs sont toujours à l'échelle des continents. Tandis que l'Afrique se souumettait, le capitaine Roig pensait déjà à l'Amérique du Sud, où une autre épopée commençait.
Tout a débuté en mai 1924, à Madrid, par ce dialogue avec Latécoère:
- Vous partez en Amérique.
- Quoi faire?
- Sue quelles bases?
- Vous verrez ça au cours du voyage.
- Y a-t-il quelque chose d'étudié?
- Rien. vous y allez pour ça.
- Suis-je annoncé?
- Certes pas...
En d'autres termes, plus modernes, le capitaien Roig allait être "parachuté" dans l'inconnu.
La gloire l'y attendait.
Six mois de préparation
Il faisait froid en ce mois de juillet 1924, à Rio de Janeiro. C'était l'hiver, et l'aviateur habitué aux canicules africaines frémissait dans son léger manteau gris.
- L'accueil qu'on m'y réservait me réchauffa, sourit le colonel Roig, à cette époque-là, le prestige de la France en Amérique latine était immense.
Le 27 juillet, M. de Alvear, président de la République d'Argentine, le recevait. L'audience, outrepassant les habitudes du protocole dura 50 minutes. De temps à autres un huissier se profilait dans le bureau présidentiel. M. le Président avait tant de devoirs...
Le premier succès de la mission française fut d'évincer les concurrents allemands qui se proposaient d'ouviri une ligne Buenos-Aires- Tucuman sur la Cordillère. Un rapport construit dans la nuit allait convaincre le ministre des Postes argentin de l'inutilité de cette ligne. Elle ne pouvait se montrer rentable. Car, plus que l'exploit, c'était la notion de rentabilité qui guidait ces archanges. Roig se proposait de railler les capitales, comme le veut la vocation de l'aviation.
Selon le principe africain, il prépara ses terrains: essence, huile de ricin (acheté par bonbonnes en pharmacie), vivres. Chaque étape était marqué avec de la chaux aux quatre coins et au centre. C'était Rio, Sao Paulo, Florianopolis, Porto Alegre, Pelotas, Montevideo, et Buenos Aires. Pour donner d'avantage d'autonomie aux Bréguets 14, les pilotes allaient emmener avec eux eux un fût d'essence supplémentaire, comme en Afrique. C'était la bonne méthode. Il suffisait de pomper, à la main bien sûr, en priant que la pompe ne se désamorce pas, ou que le feu n'éclate pendant la manœuvre.
Mais bah!... 
Une couronne de fleurs pour le départ
Le départ fut fixé pour le 14 janvier 1925. Les trois pilotes étaient Vachet, Lafay, Hamm. Les trois mécaniciens: Chevalier, Estival, Gauthier. Mais cette fois pas de journaliste.
Décollant à quatre heures du matin, le premier devoir du capitaine Roig fut de jeter une couronne de fleurs à la mémoire du pilote portugais Cabral qui, dix jours avant, s'était tué à Cherbourg. Cabral avait traversé l'Atlantique à bord d'un hydravion, le premier, et avait amerri à l'endroit de la baie où flottait la couronne des camarades français.
Le second geste (d'élégance, cette fois) fut de jeter une banderole aux couleurs françaises et brésiliennes au-dessus de la villa de Santos-Dumont, à Sao-Paulo. Oui, la délicatesse était l'apanage de ces chevaliers du ciel, qui savaient rendre hommage à la façon des preux d'antan.
Le 15 janvier, après 21h.15 de vol effectif, le premier courrier était remis, suivant l'horaire, aux autorités argentines, devant une foule vibrante. Cependant, un fait odieux vint assombrir ce triomphe. le commandant de l'aérodrome militaire refusa les hangars aux Français, qui reçurent l'hospitalité des civils de l'aéro-club de Buenos Aires. Un officier aviateur argentin, Almonacid, qui avait tant facilité la tâche de la mission, six mois auparavant, provoqua le commandant, après l'avoir giflé en public. Le duel eut lieu et le "Condor de la Rioja" ramena aux Français le gant ensanglanté du butor. L'honneur de l'Argentine était sauf...
Pendant les réceptions officielles, le mot le plus employé fut celui de "héros". Oui, ils l'étaient, mais ne voulaient pas l'admettre. Ils regardaient en cachette leur ligne de vie, la paume ouverte, et pensaient: "Je vivrais encore..."
Et quand le président de Alvéar déclara:
- Rien ne m'étonne des Français, le chef de mission répondit:
- Je suis là parce que le mécano m'a réveillé.
C'était en peu de mots, faire rejaillir tout l'honneur de cette réussite sur l'équipe entière.
Tornade pour le retour
Le 21 janvier, les trois Bréguet 14, chargés de 200 kg de courrier chacun et de leur fameux réservoir supplémentaire, décollaient en direction du Nord, en direction de Rio.
- Y avait-il autant de monde sur le terrain pour votre retour?
Le colonel sourit:
- Non, mais près des appareils cuisait un demi-bœuf, sur une montagne de braises. J'en ai mangé une bonne demi-livre, pour me mettre en bonne forme.
Le retour fut beaucoup moins calme que l'aller. Après Porto-Alegre, une véritable tornade, vent et pluie, s'abattit sur la formation. La visibilité fut réduite à une trentaine de mètres. En termes météo, visibilité nulle. Les trois pilotes, qui survolaient à ce moment la forêt vierge, virèrent vers l'Est, cherchant la côte. A la queue-leu-leu, à moins de dix mètres des vagues bouillonnantes, les avions fonçaient dans la nappe de pluie, secoués par les coups de vent. Sans doute, les trois pilotes se souvenaient-ils que plus d'un camarade avait percuté une vague et fut englouti par la mer.
Ça sent le mort
Depuis quelques instants, Vachet s'agitait sur son siège. Il tendit un billet à son chef:
- Ça sent la mort, lut ce dernier.
Lui aussi, sentait la mort.
Non, ce n'est pas un phénomène bizarre que de deviner l'approche de la camarde. Ceux qui vivent continuellement dans le danger acquièrent ce sixième sens qui leur sauve la vie.
Et c fut par un geste totalement instinctif que le pilote tira sur le manche à balai, suivi des deux autres. Sous le ventre de l'appareil glissa la masse noire d'un énorme éperon rocheux sur lequel, à la seconde même, allait s'écraser l'avion de tête. Cet éperon avançait dans la mer comme un barrage et culminait à une trentaine de mètres alors que les trois appareils volaient à une dizaine de mètres d'altitude.
C'était à une vingtaine de kilomètres de Santos.
Dès lors,le capitaine Roig ordonna l'atterrissage sur la plage. La manœuvre réussit mais toute la nuit les équipages maintinrent les avions secoués par la tempête. Entre temps Santos avait été averti, puis Rio.
Il fallut attendre le lendemain pour décoller, dès que la tempête fit mine de faiblir. Et ce fut, toujourts sous la pluie, que Rio reçut les vainqueurs, le 23 janvier 1925 sous les bravos enthousiasmes d'une foule immense.
Le courrier
Le colonel Roig secoue la tête:
- Au fond ma mission était simple.
Il explique:
- Vous comprenez, j'ai toujours eu de la chance de mon côté. Rien de fâcheux ne pouvait m'arriver. Alors le vrai travail, et la vraie gloire fut d'établir la ligne régulière. Quel que soit le temps, quelle que soit votre fatigue. Que vous ayez peur ce jour-là ou non, il faut partir... et peut-être mourir. Les gens de la ligne régulière ont souffert plus que nous, gens de l'unique exploit. Pensez à Guillaumet dans les Cordillères: "une bête n'aurait pas fait ce que j'ai fait..."
Mais auparavant, il dut vaincre une autre appréhension: il avait décollé, dans son Potez 25, le vendredi 13 juin 1930.
Les morts jalonnaient la terre balisée et le ciel conquis. Les premiers furent Santelli et Francès, tombés en Uruguay, abattus par le Pampéro, le vent de la pampa, qui avait brisé les attaches des ailes; puis ce fut la Croix-du-Sud de Mermoz qui s'abattit au large de Dakar, sur la ligne Afrique-Amérique. il ne fut pas le dernier, s'il fut parmi les plus glorieux.
Tous, vivant et morts, ont mérité ce triple titre: ils furent les hommes de la Chimère, les hommes de l'Épopée, les hommes de la Légende.
Pour eux les difficultés n'existaient pas car ils s'étaient trouvés.

Résumé de la carrière de Joseph ROIG   HAUT 
En 1907, il s'engage pour 5 ans au 36e Régiment d'Artillerie à Clermont-Ferrand. Il entre le 1er octobre 1911 à l'Ecole militaire de l'Artillerie à Versailles. Il est nommé sous-lieutenant au 13e Régiment d'Artillerie à Nîmes, le 1er octobre 1912. Entré dans l'aviation comme observateur à l'Escadrille 13 le 15 septembre 1914, il devient chef d'Escadrille de la C 224 en décembre 1916.
En 1917, il est détaché du front pendant 4 mois, comme professeur à l'école de Fontainebleau, puis retourne au front comme commandant de la Salmson 58 jusqu'à l'Armistice.
Avec 9 citations, il est décoré en 1918 de la Croix de Guerre et est promu Officier de la Légion d'honneur.
En 1919, il devient chef de la 1ère Section du personnel du 4e Bureau de la 12e Direction Aéro.
En janvier 1921, il est mis à la disposition des lignes aériennes Latécoère comme chef de service au Maroc.
Grâce à son action auprès du Maréchal Lyautey et des services de la Résidence au Maroc, de M. Walter, directeur général des P.T.T., créateur des timbres aériens au Maroc, du Colonel Gaden, gouverneur de la Mauritanie, de Oulad el Baggy, Emir de Trarza, il donne une impulsion décisive aux lignes aériennes Latécoère .
En 1922, il effectue seul la reconnaissance des terrains de Cap Juby, Villa Cisneros, M'Terert et Port-Etienne, avec mise en place du ravitaillement en essence et huile, au moyen d'un voilier "La Frasquita".
Du 3 mai au 5 mai 1923, chef de mission du premier courrier postal aérien Casablanca-Dakar, Jean Roig effectue la liaison avec trois Bréguet XIV avec les pilotes Louis Delrieu, Cueille et Victor Hamm, les mécaniciens Lefroit et Bonnort et un passager M. G. Louis de la " Vigie Marocaine ".
En 1924, il est envoyé en mission par M. P.G. Latécoère, pour préparer en Amérique du Sud la liaison aérienne Rio de Janeiro-Buenos Aires. Mission facilitée par l'amitié née pendant la guerre avec le héros national argentin Vicente Almandos Almonacid qui le fait recevoir par le Président Alvear.
Le 14 janvier 1925, chef de mission du premier courrier aérien Rio de Janeiro-Buenos Aires, il effectue la liaison avec trois Bréguet XIV et avec les pilotes Paul Vachet, Victor Hamm. Etienne Lafay et les mécaniciens Chevalier, Estival et Gauthier. Après son duel (l'armée argentine était alors germanophile), Almandos Almonacid  lui offrit son gant taché de pourpre : "Gardez-le. Il porte une marque de sang..., Ce sang, je l'ai répandu pour notre aviation".
En 1926, Jean Roig retourne à l'armée de l'Air où il commande successivement les bases de Fez, Alger-Maison-Blanche, Istres et Casablanca avant d'être mis en congé du personnel navigant en 1940.
Au cours de son passage aux lignes aériennes Latécoère, Jean Roig a joué un rôle déterminant dans la création de la liaison aérienne française entre la France et l'Amérique du Sud, et a servi avec un dévouement total M. P.G. Latécoère qui lui avait fait entièrement confiance.

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Le raid des trois avions de Rio-de-Janeiro à Buenos-Aires source   HAUT

1925/02/19  Figaro 
Les prouesses de l'aviation française. Le raid des trois avions de Rio-de-Janeiro à Buenos-Aires
Le grand événement français, ce fut l'atterrissement le 14 janvier, 17h20, à l'aérodrome militaire argentin du «Palomar», des avions de la Compagnie Latécoère, qui viennent de réaliser avec une exactitude presque mathématique et une incomparable maestria, le difficile programme de route que le capitaine Roig, organisateur du voyage, leur avait tracé.
Une distance de 2.350 kilomètres, à travers des terrains de composition géologique très diverse, sous des climats différents et des conditions météorologiques variables sépare Rio-de-Janeiro de Buenos-Aires. Nos excellents appareils Bréguet dirigés par nos habiles pilotes Vachet, Lafay et Hamm, l'ont franchie avec une régularité et une aisance vraiment impressionnantes, en six étapes et en deux jours, comme le commandant de l'expédition l'avait prévu et fixé. Seul, l'avion dirigé par le pilote Ham est resté momentanément en panne, avant l'étape de Montevideo, non par suite d'accident, mais parce qu'on n'a pu remplacer sur-le-champ une roue de l'avion en mauvais état sans le concours de laquelle il n'a pu prendre son vol en même temps que  ses camarades. La roue réparée, il arrivera le lendemain à Palomar.
Les aviateurs sont partis hier, à 4 heures du matin, de Rio-de-Janeiro; ils sont arrivés à 8h5 à San-Pablo, après avoir lutté constamment contre vent debout; repartis à 10h15, ils arrivèrent à Florianopolis à 12h.40, avec une vitesse de 130 kilomètres à l'heure. Ils ne poussèrent pas plus loin ce jour-là. Ce matin, ils reprennent leur vol, de Florianopolis, à 4 heures, par un fort brouillard qui, s'épaississant, les oblige à s'arrêter un moment ce qui ne les empêche pas d'atteindre Porto-Alegre à 6h30, et Pelotas à 9h30, où Hamm doit rester. Décollant à 11h, Vachet et Lafay descendent à 15h30, à Montevideo puis, une heure plus tard, ils côtoient le Rio de la Plata jusqu'en face de la Colonia, pour piquer vers le Palomar où ils atterrissent à 17h20. 
L'impression produite par ce vol magnifique est considérable, non seulement aux yeux des hommes de métier, mais aux yeux du public qu'il réconcilie avec l'idée que l'aviation peut devenir un moyen pratique de translation, en cessant d'être une folle aventure. On retrouve cette impression réconfortante qu'avait déjà répandue la célèbre mission française, commandée par le colonel Précardin, qui, pendant six mois suivis, exécuta, chaque jour, à Buenos-Aires des vols de ̃ toutes sortes, avec des passagers amateurs sans que le moindre incident soit venu interrompre leur enseignement de l'air, ni diminuer l'absolue confiance qu'ils étaient arrivé à inspirer.
VENDREDI 6 MARS 1925 Figaro  Courrier de Buenos Aires. 
Le raid des aviateurs de la mission Latécoère.
Buenos-Aires est, une fois encore, remplie de la France, de son esprit et de sa cause. Elle vient d'accueillir les aviateurs de la mission Latécoère qui couvrit en deux jours de vol la distance qui sépare la capitale du Brésil de la capitale argentine en inaugurant le courrier aérien entre les deux pays.
Le capitaine Roig, chef de la mission, a expliqué avec précision la portée de l'entreprise destinée à nous relier à l'Europe et à l'Amérique du Nord par des communications qui s'effectueraient normalement en un peu plus d'une semaine. La ligne pourrait s'appeler Toulouse-Buenos-Aires avec escales à Perpignan, Barcelone, Alicante, Malaga, Tanger, Casablanca, Mogador, Agadir, Cabo July, Villa Cisneros, Port Etienne, Saint-Louis, Dakar, Natal, Recife, Bahia, Rio, Santos et Montevideo, et son extension se calcule suivant le capitaine Roig à douze mille, quatre cents, kilomètres. Buenos-Aires. a reçu une correspondance envoyée la veille de Rio-de-Janeiro alors que les vapeurs la conduisent régulièrement en cinq jours. Les pilotes de la mission française ont été l'objet de manifestations enthousiastes de la part de leurs compatriotes résidant parmi nous, du peuple et de nos autorités. Le président de Alvear les a reçus à la maison du gouvernement.
1925/03/27 Figaro Les prouesses des aviateurs français
Mais nous oublions volontiers ces petites misères momentanées pour nous réjouir des bonnes nouvelles qui nous arrivent.
̃L'Argentine est profondément impressionnée, par les prouesses répétées de nos aviateurs français, tant sur le continent américain que sur celui de l'Afrique. A peine l'enthousiasme soulevé par le vol du capitaine Roig de Rio de Janeiro à Buenos-Aires en deux jours, s'est-il calmé, que le câble nous apprend la  magnifique randonnée du capitaine Lemaître et de son compagnon Arrachart, de Paris à Dakar, à peine interrompu à Cisneros par un incident, sans gravité et sans conséquence.Ces raids surprenants ont d'autant plus d'attrait qu'aucune réclame tapageuse ne vient par avance en enfler l'importance pour en atténuer ensuite l'échec. On les apprend presque en même temps qu'ils se réalisent, et l'heure de l'émotion se confond avec celle des applaudissements.  Jamais on n'avait vu réaliser des choses aussi extraordinaires avec autant de simplicité et de modestie. Nos grands aviateurs sont  les excellents artisans du bon renom de la France et de sa gloire, ils sont aussi les bons artisans de la conquête de l'air, en démontrant que l'avion entre des mains habiles et mené d'un cœur résolu, devient rapidement un coursier docile.


Les naufragés de l'air  par Olivier Vergniot  source   HAUT    
Extrait de "De la distance en histoire. Maroc - Sahara occidental : les captifs du hasard (XVIIe-XXe siècles)"
Cet article est reporté en maroc-Les-naufrages-de-l-air.html  avec
Les pilotes attribuèrent eux cette décision plutôt à la ladrerie de Latécoère. (sa passion ,   les châteaux,  le syndrome de la lessiveuse)    

Au cours de la décennie 1920 - 1930, les célèbres aviateurs de la «Ligne» prirent malgré eux le pas sur les malchanceux de la mer. Les «naufragés de l'air» ont une large part dans la légende de l'aéropostale des Saint-Exupéry, Mermoz, Guillaumet et autres. La ligne Casablanca-Dakar devait impérativement survoler près de 1500 kilomètres en zone d'insécurité totale. Une mission préparatoire, dirigée par M. Roig , se rendit fin 1922 sur le terrain pour y prendre les devants, ouvrir des relations avec les tribus et leur faire comprendre le caractère pacifique des survols des avions transporteurs de courrier. Roig avait imaginé un subterfuge juridique : les lignes aériennes Latécoère loueraient aux Maures, moyennant une redevance en argent, le droit de survoler la côte, dont ces derniers seraient considérés comme propriétaires. A Toulouse la direction écarta cette solution par crainte d'une situation inextricable et d'une possible surenchère. Les pilotes attribuèrent eux cette décision plutôt à la ladrerie de Latécoère. (sa passion) 
Le procédé de la rançon préventive mis de côté, le problème restait entier. L'anxiété des pilotes n'avaient d'égale que la méfiance des tribus peu sensibles au caractère non offensif des Bréguet et à la formidable mission que constituait l'acheminement du courrier. La seule précaution prise fut de faire naviguer toujours ensemble deux avions. Dès le début de l'exploitation de la Ligne le résultat ne se fit pas attendre. En juillet 1925, à la suite d'une panne, les pilotes Rozes et Ville tombèrent aux mains des Regueibat. Terrorisés et redoutant une captivité, ils abattirent trois Regueibat et prirent aussitôt la fuite avec l'appareil remis en état de marche. Cette entrée en matière plutôt mouvementée augurait mal de la suite. Par mesure de protection, il fut alors décidé que les pilotes embarqueraient à leur bord un interprète chleuh ou arabe. Par ailleurs l'administrateur de la ligne, Daurat, en collaboration avec le service de renseignement français de Tiznit, conclut les «accords d'Aglou», selon lesquels le caïd el Hassan de cette localité se voyait chargé contre gratification de la récupération d'éventuels captifs. Beaucoup d'atterrissages forcés eurent lieu assez près de Tiznit: Reine le 21 décembre 1925, Pivot et Logivière le 17 octobre 1926 et Vidal en novembre 1928. Chaque fois après quelques marchandages, les aviateurs généralement détenus par les Sbouia rejoignaient rapidement Tiznit après le versement d'une rançon. Pour les naufragés de l'intérieur saharien, course de vitesse et concurrence jouèrent à nouveau à plein. En mai 1926, Mermoz et son interprète, prisonniers d'un Ahl Ma el Aïnin, furent rachetés par les Espagnols de Cap Juby grâce aux bons soins de Mohammed Laghdaf (C.I.J. S.O. 1975 : T.II, An C. 5, A p. 8). D'autres furent moins heureux, ils firent les frais du climat de guerre généralisée dû à la résistance des tribus contre la progression française: Erable, Pintado et Gourp eurent ainsi la malchance de tomber, en novembre 1926, sur Cheikh ould Lajrab, déserteur du groupe nomade de l'Adrar, en lutte acharnée contre les Français. Celui-ci abattit Erable et Pintado, blessant Gourp qui fut racheté mais mourut peu après des suites d'une tentative de suicide, alors qu'il était en captivité. L'année suivante, en juin, trois pêcheurs canariens du Faustino pris pour des Français furent abattus de la même façon par des Larousiens de retour d'une attaque célèbre menée contre Port Etienne. D'autres étaient libérés contre rançon grâce à la difficile collaboration des autres pilotes de l'aéropostale et des autorités espagnoles : des pilotes uruguayens en mars 1927, le pilote militaire espagnol Félix Martinez . 
Mais la captivité la plus marquante fut celle, en juin 1928, de Reine et Serre par les Regueibat : elle entraîna un véritable imbroglio diplomatique entre Français et Espagnols et nécessita la plus ardue des négociations, car une fois encore les Regueibat en conflit ouvert avec les Français, demandèrent comme pour l'Oued Sebou, avant tout une rançon politique, des armes, des cartouches, leurs prisonniers mais aussi des centaines de chameaux afin de saper la logistique de leurs adversaires. Cette affaire dans laquelle les autorités coloniales durent lâcher du lest, eut pour principale conséquence d'accélérer le changement de politique vis-à-vis des Regueibat trop puissants pour rester des «étrangers amis», assez dangereux pour devenir désormais des «sujets ennemis».
En 1930 la captivité du pilote Guerrero peut être considéré comme la dernière d'un genre qui sévissait depuis plus de deux siècles. La colonisation étant quasiment achevée, la «pacification» définitive de la région sur le point d'intervenir, la demande française changea de ton. On fit savoir que si dans 24 heures le pilote et son opérateur radio n'étaient pas rendus, le Douar des Sbouia serait bombardé. Le lendemain les captifs furent ramenés au caïd d'Aglou. La sécurité sur la ligne était ainsi désormais largement assurée. Etait levée une hypothèse pour le conquérant français qui, quelques mois auparavant, s'exprimait ainsi : «L'éventualité d'atterrissages forcés d'aéroplanes de la ligne aéropostale dans le Rio de Oro, nous oblige à renoncer à des retenues d'otages qui pourraient avoir des répercussions fâcheuses sur la conduite des nomades du Sahel à l'égard de nos aviateurs tombés entre leurs mains».



Le projet de L'AVIATION TRANSATLANTIQUE 7 février 1925 par Louis Forest  HAUT  source
par Toulouse-Casablanca-Dakar-Pernambuco-Rio de Janeiro-Buenos-Ayres

 
Une assistance fort nombreuse et des plus choisies se pressait  le samedi 7 février, dans les somptueux salons de la Présidence de la Chambre, pour écouter l'attrayante conférence de M. Louis Forest, organisée, par l'Union des Grandes associations françaises, sur la naissance, le présent et l'avenir des lignes aériennes françaises fondées par M. Pierre Latécoère, ingénieur des Arts et Manufactures, et reliant la France déjà à l'Afrique du Nord, demain à l'Afrique Occidentale et bientôt à l'Amérique du Sud.
Chacun se réjouissait d'avance d'entendre le conférencier dont la verve, l'originalité et le légendaire bon sens sont connus de tous et de suivre sur l'écran les vues et les scènes animées prises en avion au long de ce parcours ininterrompu de 12.000 kilomètres, de Toulouse à Buenos-Ayres par l'Espagne, le Maroc, le Sénégal, les îles du Cap-Vert, le Brésil, l'Uruguay et la République Argentine.
M. Painlevé, le maître de céans, présidait, et nul n'aurait pu occuper le fauteuil avec plus d'autorité que ce grand savant qui fut l'un des initiateurs les plus clairvoyants de l'aviation française.

Il avait «autour de lui Son Excellence M. l'ambassadeur du Brésil Souza-Dantas; M.le maréchal Franchet d'Esperey; M.Laurent Eynac, sous-secrétaire d Etat; M. l'inspecteur général Fortant, les colonels Reimbert, Féquant, Casse, Delcambre, de Vergnette; M. le capitaine Fonck, MM. le comte de La Vaux, Louis Blériot, Pierre Latécoère, de Massimy, Râteau, Dubois Le Cour, Paul Kestner, Schelcher, Georges Besançon, Yves Périsse, Musset, Mme Louise Faure-Favier; MM. les aviateurs Paumier, Bajac et la plupart des membres de l'ambassade brésilienne: M. le conseiller Pedro Leao Lelloso; MM. Fonseca Hermès,do Paço, Francisco Guimaraes, attaché commercial ; MM. le colonel Audrade Vevès, attaché militaire ; le commandant Dootwork, attaché naval ; Muscat d'Orsay, directeur de Agencia Americana et de la Gazette du Brésil.
Le président ouvrit la séance par une allocution où il rappela les débuts et les rapides progrès de l'aviation; elle fut suivie de quelques paroles de M. le ministre Laurent Eynac et de M. Georges Lecomte. Enfin, la parole fut donnée à M. Louis Forest.

D'une façon précise, mais toujours avec ce ton de bonhomie fine dont il est coutumier, l'orateur exposa l'oeuvre de Pierre Latécoère.
Développant la conception de celui-ci, il montra sur la mappemonde ce parcours presque rectiligne de 12.000 kilomètres qui, partant du sud de la France, passe par Barcelone, Alicante, Malaga, Tanger, Casablanca, Port-Etienne, Dakar, les îles du Cap-Vert, l'île de Norogna, Pernambuco, Bahia, Rio de Janeiro, Montevideo, Buenos-Ayres.
De ce grandiose programme toute la première partie, Toulouse-Casablanca, est réalisée, y compris les lignes secondaires Alicante-Oran, Casablanca-Oran et, bientôt, Barcelone-Alger. Et ce qui donne la certitude du succès pour le parcours entier, c'est la remarquable réussite de la première étape, réussite qui repose uniquement sur une organisation scientifique impeccable.
L'idée maîtresse de Latécoère est que le rôle de l'avion n'est pas de concurrencer le chemin de fer sur les distances moyennes, mais d'utiliser la rapidité de son vol à rapprocher entre eux les continents, surtout quand ils sont séparés par la mer. Réunir à travers les airs la France à ses colonies africaines, tel fut son effort initial; partir de ces colonies pour traverser l'Atlantique dans sa moindre largeur et desservir les républiques orientales de l'Amérique du Sud, voilà son but final.
En 1919, Latécoère étudie et jalonne d'aérogares le parcours Toulouse, Barcelone, Alicante, Malaga, Casablanca, 4 relais sur un parcours total de plus de 1.800 kilomètres.
Le service régulier commence en automne 1919 avec deux départs hebdomadaires dans chaque sens; il est bientôt porté à trois par semaine, puis à cinq et, dès 1922, devient quotidien dans les deux sens. Le trafic seul a commandé cette fréquence. En effet, le nombre des passagers, de 831 en 1921, montait à 2.088 en I922, à 2.867 en l923, pour dépasser 4.000 en 1924. Durant l'hiver le trajet total demande un jour et quart; pendant les longs jours, il s'exécute entre le lever et le coucher du soleil. Tout juste on a compté pendant ces cinq ans deux accidents mortels de passagers, et depuis deux années le service quotidien na pas été interrompu une seule fois : on peut dire que ce service a rempli l'objectif complet de l'aviation commerciale: la régularité, la rapidité, la sécurité.
Aussi les correspondances postales affluent-elles avec plus d'intensité encore que les voyageurs. En 1920,140.594 lettres; en 1921, 272.574; en 1922, 1.197.323; en 1923 ,2.143.250; en 1924, plus de 4 millionsl
Mais, en même temps, Latécoère faisait explorer, étudier et jalonner par des avions la distance désertique longue de 2.900 kilomètres de Casablanca à Dakar, en suivant la côte. D'énormes difficultés géographiques, de ravitaillement et surtout politiques s'offraient dans ce désert sans cesse parcouru par des tribus nomades en quête de pillage. Elles ont été surmontées et le service régulier commencera dans quelques semaines. Voici franchie la deuxième étape.
Parvenu à Dakar, on a devant soi 3300 kilomètres à franchir à travers l'Océan pour atteindre Natal, le point de la côte brésilienne le moins éloigné. Par bonheur, deux groupes d'îles se trouvent sur le parcours, l'archipel du Cap-Vert à 700 kilomètres de Dakar et l'île de Norogna, à 400 kilomètres de Natal. Voici comment M. Latécoère va résoudre le problème de cette traversée. Les 700 premiers kilomètres seront franchis avec des hydravions, ainsi que les 400 derniers. Quant au grand parcours de 2.200 kilomètres d'Océan sans refuge, en attendant que les hydravions aient fait leurs preuves d'endurance et de sécurité sur de pareilles distances, on l'assurera à l'aide de vedettes à marche extra-rapide qui transporteront courriers et voyageurs en cinquante heures entre les deux îles.
Ayant atterri sur la côte brésilienne, les passagers y trouveront un service confortable d'avions terrestres qui les emporteront à leur gré par Pernambuco, en suivant la côte, jusqu'à Rio de Janeiro, soit 2.170 kilomètres, ou à Buenos-Ayres (avec escale à Montevideo), soit à 4.400 kilomètres du point d'atterrissage.
Ainsi sera réalisé en un espace de temps de sept à dix jours le voyage de Paris à Buenos-Ayres, qui demande actuellement vingt et un jours par la navigation à vapeur.
Depuis six mois une mission ou plutôt une équipe de prospecteurs aériens, à la tète de laquelle se trouve le prince Charles Murat, l'un des plus fervents promoteurs de l'aviation commerciale française, parcourt avec des avions les villes et les côtes du Brésil, de l'Uruguay et de l'Argentine, pour y obtenir lés autorisations administratives et y organiser les éléments multiples et compliqués qu'exige un service aérien sûr et régulier.
Tout est donc préparé au point de vue technique pour l'ouverture prochaine de la ligne.
Une seule éventualité dangereuse est à redouter, c'est que les Allemands, qui préparent une ligne parallèle partant de la côte espagnole ou portugaise, par les îles Madère ou les Canaries, n'arrivent premiers dans ce match mondial. Il ne dépend plus aujourd'hui que du gouvernement français de ne pas nous laisser devancer.
Toute l'assemblée a suivi avec un intérêt croissant ce brillant exposé, ainsi que les projections qui l'illustrèrent.
En terminant, M. Louis Fores tint à rappeler que si, en quelque quinze ans, l'aviation en est arrivée là, M. Painlevé en fut un des premiers et des plus fidèles animateurs et la réunion couvrit d'unanimes applaudissements le président, le conférencier et l'ingénieur Latécoère.
Victor CAMBON.



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